COUR D'APPEL DE VERSAILLES
Code nac : 61B
3e chambre
ARRET No
REPUTE CONTRADICTOIRE
DU 23 NOVEMBRE 2017
R. G. No 15/ 08926
AFFAIRE :
SA UCB PHARMA
C/
Anne X...épouse Y......
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 26 Novembre 2015 par le Tribunal de Grande Instance de NANTERRE No Chambre : 02 No RG : 14/ 01784
Expéditions exécutoires Expéditions Copies délivrées le :
à : Me Pierre GUTTIN Me Stéphane CHOUTEAU de l'ASSOCIATION AVOCALYS
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT TROIS NOVEMBRE DEUX MILLE DIX SEPT, La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
SA UCB PHARMA RCS de NANTERRE sous le no 562 079 046 Défense Ouest 420 rue d'Estiennes d'Orves 92700 COLOMBES agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
Représentant : Me Pierre GUTTIN, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 623- No du dossier 15000427 Représentant : Me RAVIT, Plaidant, avocat au barreau de PARIS substituant Me SPORTES de la SELARL HAUSSMANN Associés, avocat au barreau de PARIS
APPELANTE
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1/ Madame Anne X...épouse Y...née le 25 Mai 1968 à PARIS 13ème (75) de nationalité Française ...
2/ Monsieur Y...né le 30 Août 1959 à TUNISIE de nationalité Française ...
Représentant : Me Stéphane CHOUTEAU de l'ASSOCIATION AVOCALYS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire 620- No du dossier 002620 Représentant : Me Martine VERDIER, Plaidant, avocat au barreau d'ORLEANS
INTIMES
3/ CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU VAR 24 Avenue Lazare Carnot BP 283 83014 DRAGUIGNAN CEDEX prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
INTIMEE
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Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 12 Octobre 2017 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Véronique BOISSELET, Président chargé du rapport, et Madame Françoise BAZET, Conseiller.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Véronique BOISSELET, Président, Madame Françoise BAZET, Conseiller, Madame Caroline DERNIAUX, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Madame Maguelone PELLETERET,
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Se plaignant de dommages liés à son exposition in utero au Distilbène, Mme X...épouse Y..., née le 25 mai 1968, a, par actes du 23 juin 2011, assigné la société UCB Pharma et la CPAM du Var devant le tribunal de grande instance de Nanterre afin d'en obtenir réparation. Son époux, M. Y..., est intervenu volontairement à l'instance.
Après expertise achevée le 30 septembre 2013, le tribunal de grande instance de Nanterre a, par jugement du 26 novembre 2015 :
- reçu M. Y...en son intervention volontaire,
- déclaré la société UCB Pharma responsable des préjudices résultant de l'exposition de Mme X...au Distilbène,
- condamné la société UCB Pharma à payer :
- à Mme Y..., la somme de 102 232 euros dont à déduire les provisions versées,- à M. Y..., la somme de 6 000 euros,
- condamné la société UCB Pharma à payer à Mme Y...la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens,
- ordonné l'exécution provisoire à hauteur des deux tiers des condamnations prononcées,
- débouté les parties de toute autre demande,
- déclaré le jugement commun à la CPAM du Var.
Plus précisément le tribunal de grande instance de Nanterre a fixé comme suit les différents postes de préjudice :
- pour Mme Y...:
• dépenses de santé actuelles à charge 760 euros • frais divers 1 500 euros • dépenses de santé futures à charge (sexologue) 1 872 euros • déficit fonctionnel temporaire 2 100 euros • souffrances endurées 12 000 euros • déficit fonctionnel permanent 66 000 euros • préjudice sexuel 8 000 euros • préjudice d'établissement 10 000 euros • préjudice d'anxiété rejet
-pour M. Y...:
• préjudice moral 4 000 euros • préjudice de procréation et sexuel 2 000 euros
UCB Pharma en a relevé appel le 23 décembre 2015 et prie la cour, par dernières écritures du 25 juillet 2016, de :
- infirmer le jugement en toutes ses dispositions,
- juger que ne sont établis ni la faute d'UCB Pharma, ni le lien de causalité entre les pathologies invoquées et l'exposition alléguée,
- condamner les consorts Y...à restituer les sommes reçues au titre de l'exécution provisoire, et à lui payer la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
subsidiairement,
- juger que la responsabilité d'UCB Pharma ne saurait être que partielle et excéder 50 % du préjudice,
- dire que les différents postes de préjudice ne sauraient dépasser les sommes suivantes, après application du coefficient de réduction :
• frais divers 2 036 euros • déficit fonctionnel temporaire rejet • souffrances endurées 4 500 euros • déficit fonctionnel permanent rejet • préjudice sexuel 3 000 euros • préjudice de M. Y...rejet
-ordonner la restitution des sommes versées au titre de l'exécution provisoire,
- ramener les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile à de plus justes proportions,
- débouter la CPAM du Var de toute éventuelle demande,
- condamner les intimés aux dépens et à lui payer la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par dernières écritures du 23 mai 2016, Mme Y...et M. Y...demandent à la cour de :
- confirmer le jugement sur la responsabilité et sur les postes de préjudice afférents aux dépenses de santé, frais futurs, frais divers et déficit fonctionnel temporaire,
- infirmant sur le surplus, condamner la société UCB Pharma à payer à Mme Y...les sommes de :
• souffrances endurées 15 000 euros • déficit fonctionnel permanent 56 000 euros • préjudice spécifique d'anxiété 15 000 euros • préjudice sexuel 12 000 euros • préjudice d'établissement 20 000 euros
à défaut de reconnaître un préjudice d'anxiété, fixer la réparation du déficit fonctionnel permanent à 66 000 euros
-réparant l'omission de statuer sur les préjudices esthétique et d'agrément, condamner UCB Pharma à payer à Mme Y...les sommes de :
• préjudice esthétique 500 euros • préjudice d'agrément 1 000 euros
-confirmer le jugement sur la réparation des préjudices subis par M. Y...et sur les frais irrépétibles de première instance,
- débouter UCB Pharma de toutes ses demandes contraires,
- la condamner à leur payer la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel, ainsi qu'aux dépens d'appel, avec recouvrement direct.
La CPAM du Var, régulièrement assignée le 10 février 2016, a fait savoir par lettre du 18 janvier 2016, qu'elle n'était pas en mesure de faire connaître ses débours et n'entendait pas intervenir à l'instance.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 21 septembre 2017.
SUR QUOI, LA COUR :
Le traitement par Distilbène de la mère de Mme Y...est attesté par le gynécologue de cette dernière, dans un courrier adressé à un confrère daté du 9 juin 1978, qui précise que ce traitement a été initié à la fin du 5ème mois et poursuivi pendant toute la grossesse. L'exposition au Distilbène n'a jamais été contestée.
Les conclusions du rapport d'expertise sont les suivantes :
En juillet 2001, a été découvert chez Mme Y...à l'occasion d'un bilan d'infertilité un kyste endométriosique de 2 cm qui a été enlevé, un traitement complémentaire étant mis en place pendant 6 mois.
2 FIV ont été entreprises en 2003 et 2004, la seconde a été suivie d'un début de grossesse et d'une fausse couche.
En juin 2006, ont été traités par coelioscopie une endométriose ovarienne et plusieurs foyers sous péritonéaux.
En 2009, Mme Y...a été opérée d'une endométriose digestive (au niveau du ligament utero sacré gauche et au niveau sigmoïdien).
Les dosages hormonaux pratiqués le 25 octobre 2010, alors que Mme Y...avait 42 ans, ont montré une insuffisance ovarienne précoce.
Les experts concluent que Mme Y...souffre depuis l'adolescence d'une endométriose pelvienne, qui a été responsable de lésions ovariennes, péritonéales, d'adénomyose, de lésions digestives au niveau du sigmoïde et au niveau du foie. A cette endométriose s'associent une infertilité primaire et une insuffisance ovarienne précoce. L'endométriose est une cause connue d'infertilité. Mme Y...ne présente pas les anomalies morphologiques de l'appareil génital que l'on rencontre en cas d'exposition au DES.
L'exposition au Distilbène semble être un facteur favorisant, mais le lien entre exposition in utero au DES et endométriose n'est pas certain, surtout une endométriose aussi étendue et sévère.
En ce qui concerne l'insuffisance ovarienne précoce, une étude de cohorte en 2006 a mis en évidence une ménopause significativement plus précoce chez plus de 50 % des femmes exposées au DES, tendance confirmée par une étude Seiner en 2010.
Les experts précisent que la cause prépondérante de l'infertilité de Mme Y...est l'endométriose. Ils poursuivent en indiquant qu'il est établi que la patiente a été exposée au DES, et que cette exposition est une des causes d'infertilité, l'endométriose n'excluant pas le DES dans la genèse de l'infertilité. En outre la " responsabilité de l'exposition in utero au DES dans la ménopause précoce est possible, autre élément de cette infertilité ". " Bien que les données de la littérature soient très limitées dans le cas d'une endométriose aussi sévère et diffuse, le rôle de l'exposition in utero au DES ne peut être exclu. "
Sur dire d'UCB Pharma, rappelant notamment de précédentes conclusions des mêmes experts à l'occasion d'autres expertises, excluant l'imputabilité de l'endométriose à l'exposition au DES, les experts ont cependant nuancé leur propos, en indiquant que les cas cités n'étaient pas comparables puisqu'il s'agissait d'endométriose de grade 1 alors que celle de Mme Y...est de grade III, et que, si l'endométriose était plus fréquente chez les femmes exposées, il n'était pas décrit dans la littérature de lien entre une endométriose aussi sévère et une exposition in utero au DES. Ils ont ajouté que le tabagisme, cause probable d'endométriose, était absent chez Mme Y.... Cette endométriose sévère est responsable d'une infertilité. En ce qui concerne la ménopause précoce, une étude montre une ménopause plus précoce d'une année chez les femmes exposées, et une ménopause avant 40 ans plus fréquente.
Le tribunal a retenu que l'endométriose dont les causes peuvent être multiples en l'absence d'étiologie parfaitement explicitée n'a pas d'autre cause connue en l'espèce, en l'absence de tabagisme, que l'exposition au Distilbène, et qu'au surplus le caractère massif des lésions n'exclut pas le lien de causalité. En ce qui concerne la ménopause précoce, il a relevé que le facteur héréditaire était exclu. Considérant qu'en outre Mme Y...avait un utérus de petite taille, qu'ainsi ces trois anomalies ont concouru à rendre Mme Y...infertile, et que l'incertitude, quant aux conséquences respectives de l'exposition au DES et d'autres facteurs multiples n'était pas de nature à écarter l'existence d'un lien de causalité entre la faute commise et la survenance du dommage, il existait des présomptions précises, graves et concordantes de l'imputabilité de l'infertilité à l'exposition au DES.
UCB Pharma fait valoir que les études citées n'ont pas caractérisé de risque plus élevé de ménopause précoce pour les femmes exposées, et rappelle le rôle du tabagisme à cet égard, en soulignant que Mme Y...a reconnu être fumeuse dans certaines pièces de son dossier médical. Elle expose que l'étiologie de l'endométriose fait l'objet de plusieurs hypothèses dont aucune n'incrimine le DES. Elle considère dès lors que l'endométriose constitue un facteur autonome d'infertilité, ce qui a d'ailleurs été reconnu par les mêmes experts dans d'autres affaires, ainsi d'ailleurs que les interventions itératives qui l'ont traitée. En tout état de cause, la seule éventualité d'un lien entre endométriose et exposition au DES ne saurait caractériser des présomptions graves, précises et concordantes susceptibles de caractériser un lien de causalité.
M. et Mme Y...exposent qu'en matière d'exposition à un produit nocif tel que le Distilbène, la charge de la preuve du lien de causalité entre l'exposition au produit et le dommage, qui incombe en principe à la victime, doit être inversée. Ainsi, dès lors que, comme en l'espèce, l'exposition est établie, il incombe à UCB Pharma d'établir que le dommage n'est pas imputable à l'exposition au produit, raisonnement tout à fait comparable à celui tenu dans les affaires relatives à l'hépatite B. Subsidiairement, ils font valoir qu'il existe des présomptions graves, précises et concordantes permettant d'établir le lien causal entre la stérilité inaccessible à un parcours de PMA de Mme Y...et son exposition au DES.
*** La cour retient de l'expertise et des pièces produites :
- que Mme Y...ne présente aucune des malformations de l'appareil génital usuellement observées en cas d'exposition au Distilbène, la relative petite taille de l'utérus n'apparaissant pas suffisante aux experts pour constituer une anomalie rattachable à l'exposition au DES.
sur l'endométriose,- que l'endométriose, maladie gynécologique fréquente dans ses formes bénignes dans laquelle l'endomètre (tissu utérin) colonise d'autres organes, à proximité ou à distance de l'utérus, affecte plus fréquemment les femmes exposées à la molécule DES, sans que son étiologie soit connue, le lien entre exposition au DES et endométriose étant toujours discuté,- que l'endométriose, dans ses formes bénignes, n'exclut pas la grossesse, éventuellement après traitement ou PMA,- que Mme Y...a toujours souffert d'une endométriose sévère (de grade III sur une échelle de I à IV) responsable notamment de lésions ovariennes, qui a justifié trois interventions chirurgicales, et dont les experts indiquent sans être contredits qu'elle constitue la cause prépondérante de son infertilité,- que la littérature médicale ne décrit aucun lien entre la forme sévère de l'endométriose dont souffre Mme Y...et une exposition au DES, sur l'insuffisance ovarienne précoce,- qu'une insuffisance ovarienne a été diagnostiquée chez Mme Y...alors qu'elle avait 42 ans,- que l'insuffisance ovarienne précoce (ménopause précoce) était ainsi qualifiée lorsqu'elle survenait avant l'âge de 40 ans,- que le lien entre l'exposition au DES et la survenance d'une ménopause précoce est discuté sur le plan scientifique, les études rapportées mettant seulement en évidence que la ménopause est avancée d'un an en moyenne chez 50 % des femmes exposées, par rapport à celles qui ne l'ont pas été.
Le débat sur la charge de la preuve n'offre pas d'intérêt en l'espèce, puisque la question à trancher est celle de l'existence de causes autonomes d'infertilité existant chez Mme Y..., lesquelles exclueraient la preuve par présomptions graves précises et concordantes de l'imputabilité, et constitueraient également la cause d'exonération susceptible d'être invoquée par UCB Pharma si devait être exigée de cette société, la preuve de l'absence d'imputabilité.
La faute commise par UCB Pharma, qui a continué à commercialiser la molécule DES sans égard pour les réserves émises par la communauté scientifique sur son efficacité et son innocuité, et sans se préoccuper des effets tératogènes constatés sur l'animal, ne saurait justifier sa condamnation sans preuve du lien de causalité entre l'exposition au DES et les pathologies constatées et sur la foi de seules hypothèses.
Or en l'état des conclusions des experts et de l'ensemble des pièces produites, il ne peut être affirmé qu'il existe un lien entre la forme sévère d'endométriose présentée par Mme Y...et son exposition au DES, et en revanche cette maladie, à raison de sa gravité chez Mme Y..., et des multiples interventions et traitements qu'elle a entraînés, constitue la cause prépondérante de son infertilité. Est ainsi caractérisée chez Mme Y...une cause autonome d'infertilité qui ne peut être rattachée avec une certitude suffisante à son exposition au DES.
Il en est de même en ce qui concerne l'insuffisance ovarienne découverte alors que Mme Y...avait 42 ans, dont l'imputabilité à l'exposition au DES est également discutée, étant observé que le lien peut être fait entre l'endométriose ovarienne opérée en juin 2006 et l'insuffisance ovarienne constatée 4 ans plus tard, les lésions endométriosiques pouvant avoir détruit une partie du stock ovarien.
Les demandes de M. et Mme Y...ne peuvent dès lors qu'être rejetées, et le jugement sera infirmé en toutes ses dispositions.
Pour des raisons d'équité tirées de la disproportion entre les situations économiques des parties, les dépens de première instance et d'appel seront cependant laissés à la charge d'UCB Pharma en application de l'article 696 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La cour,
Infirme le jugement en toutes ses dispositions sauf sur les dépens de première instance,
Déboute M. et Mme Y...de toutes leurs demandes,
Déclare le présent arrêt commun à la CPAM du Var,
Laisse les dépens de première instance et d'appel à la charge de la société UCB Pharma en application de l'article 696 du code de procédure civile.
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Véronique BOISSELET, Président et par Madame Lise BESSON, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, Le Président,