COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 88G
5e Chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 08 MARS 2018
N° RG 17/01642
AFFAIRE :
CAISSE INTERPROFESSIONNELLE DE PREVOYANCE ET D'ASSURANCE VIEILLESSE
C/
[E] [R]
DEFENSEUR DES DROITS
Décision déférée à la cour : Arrêt rendu(e) le 29 Décembre 2016 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de Pontoise
N° RG : 14-01158/P
Copies exécutoires délivrées à :
Me Stéphanie PAILLER
Me Dimitri PINCENT
DEFENSEUR DES DROITS
Copies certifiées conformes délivrées à :
CAISSE INTERPROFESSIONNELLE DE PREVOYANCE ET D'ASSURANCE VIEILLESSE
[E] [R]
le :
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LE HUIT MARS DEUX MILLE DIX HUIT,
La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
CAISSE INTERPROFESSIONNELLE DE PREVOYANCE ET D'ASSURANCE VIEILLESSE
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représentée par Me Stéphanie PAILLER, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D0091
APPELANTE
****************
Monsieur [E] [R]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représenté par Me Dimitri PINCENT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : A0322
INTIME
****************
DEFENSEUR DES DROITS
[Adresse 3]
[Adresse 3]
représentée par Mme [G] [Z] (Agent du défenseur des droits) en vertu d'un pouvoir général
PARTIE INTERVENANTE
Composition de la cour :
L'affaire a été débattue le 11 Janvier 2018, en audience publique, devant la cour composée de :
Monsieur Olivier FOURMY, Président,
Madame Carine TASMADJIAN, Conseiller,
Madame Sylvie CACHET, Conseiller,
qui en ont délibéré,
Greffier, lors des débats : Madame Florence PURTAS
M. [E] [R], né en 1954, a sollicité auprès de la Caisse interprofessionnelle de prévoyance et d'assurance vieillesse (CIPAV) des informations sur ses droits à la retraite et une estimation de son montant en 2012.
En l'absence de réponse de la CIPAV, M. [R] a saisi la commission de recours amiable (CRA) de la CIPAV, par courrier du 4 juin 2014, aux fins d'obtenir des informations relatives à ses droits au titre de diverses périodes de sa carrière professionnelle. La CRA a rendu une décision implicite de rejet.
M. [R] a sollicité la liquidation de ses pensions de retraite à compter du 1er janvier 2015.
La CIPAV lui a proposé de racheter trois trimestres afin d'atteindre le nombre de 165 trimestres et de bénéficier d'une retraite à taux plein.
Le 17 juillet 2014, M. [R] a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale du Val d'Oise (TASS) d'une demande, en référé, aux fins d'obtenir la communication d'un relevé de carrière rectifié prenant en compte ses périodes d'activité pour les années 2007 à 2010 en sa qualité de co-gérant de la société Cyeva Sport et pour la période 2011-2014 en sa qualité d'auto-entrepreneur.
Le 9 septembre 2014, le relevé de carrière édité par la CIPAV mentionnait quatre trimestres au titre des années 2011, 2012 et 2014 et aucun trimestre au titre des années 2010 et 2013. Un second relevé était édité le 16 septembre 2014, portant quatre trimestres au compte des années 2010 et 2013 et trois trimestres au titre de l'année 2014, soit un total de 85 trimestres.
Par ordonnance du 26 septembre 2014, le TASS a rejeté la demande de référé.
Le même jour, M. [R] a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale aux fins de contester la décision implicite de rejet de la CRA. Il demandait au tribunal de condamner la CIPAV :
- à la somme de 30 000 euros de dommages et intérêts au titre des manquements à ses obligations d'information et de conseil ;
- à mettre en conformité les points de retraite complémentaire des années 2010 à 2014 et de lui accorder un total de 36 points sur chacune des années 2013 et 2014 au lieu de 9 points ;
- à lui verser les arrérages correspondants de la pension de retraite complémentaire depuis le 1er janvier 2015 et ce dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement et passé ce délai sous astreinte de 100 euros par jour de retard, et ordonner l'exécution provisoire de la décision ;
- à lui verser la somme de 4 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens soit la somme de 114,93 euros.
Le 11 avril 2015, la CIPAV a adressé un courrier à M. [E] [R] intitulé 'notification pension de base et retraite complémentaire à taux plein' l'informant sur le montant des pensions de l'assurance vieillesse et de la retraite complémentaire à la liquidation desquelles elle procédait.
Par courrier du 9 juin 2015, la caisse de retraite des agents généraux de l'assurance (CAVAMAC) a indiqué à M. [R] [E] qu'il ne comptabilisait que 164 trimestres selon les informations détenues au titre de la retraite complémentaire.
Le 6 novembre 2015, la CIPAV a adressé au requérant un nouveau relevé selon lequel il totalisait 94 trimestres.
Par courrier du 11 avril 2015, la CIPAV a régularisé les notifications de ses pensions au titre du régime de base et du régime complémentaire, à effet du 01 janvier 2015.
Par un jugement du 22 juillet 2016, le tribunal des affaires de sécurité sociale du Val d'Oise a :
- condamné la CIPAV à payer à M. [R] la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquements à ses obligations d'information et de conseil ;
- condamné la CIPAV à payer la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- ordonné la réouverture des débats concernant la question préjudicielle qui pourrait être posée à la juridiction administrative quant à la validité de la décision de la CIPAV de fixer le taux de cotisations des auto-entrepreneurs au régime de retraite complémentaire au taux réduit ;
- ordonné l'exécution provisoire de la décision ;
- renvoyé les parties à l'audience du 1er décembre 2016.
A l'audience du 1er décembre 2016, M. [R] a demandé au tribunal des affaires de sécurité sociale du Val d'Oise de :
- rectifier les points de retraite complémentaire acquis sur la période 2010-2014 ;
- réviser en conséquence le montant de la pension de retraite complémentaire servie par la CIPAV depuis le 1er janvier 2015 ;
- condamner la CIPAV à lui régler les arrérages de pension de retraite complémentaire dus depuis le 1er janvier 2015, majorés de l'intérêt légal depuis cette date, avec capitalisation des intérêts, dans un délai de huit jours à compter de la notification du jugement à intervenir et, passé ce délai, sous astreinte de 250 euros par jour de retard ;
- condamner la CIPAV au versement de la somme de 15 000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par la minoration volontaire de ses points de retraite complémentaire en raison de son statut d'auto-entrepreneur ;
- ordonner l'exécution provisoire ;
- condamner la CIPAV au paiement de la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Par un jugement du 29 décembre 2016, le tribunal des affaires de sécurité sociale du Val d'Oise a :
- rectifié les points de retraite complémentaire acquis par M. [R] sur la période des années 2010 à 2014 à 192 points, soit 40 points pour chacune des années 2010 à 2012 et 36 points pour chacune des années 2013 et 2014 ;
- ordonné en conséquence, la révision du montant de la pension de retraite complémentaire accordée à monsieur [R] depuis le 1er janvier 2015 ;
- condamné la CIPAV à verser à M. [R] les arrérages de pension de retraite complémentaire dus depuis le 1er janvier 2015, majorés de l'intérêt légal depuis cette date, avec capitalisation des intérêts, dans un délai de 30 jours à compter de la notification du jugement et, passé ce délai, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
- condamné la caisse interprofessionnelle de prévoyance et d'assurance vieillesse à verser à M. [R] la somme de 1 500 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral causé par la minoration de ses points de retraite complémentaire ;
-condamné la caisse interprofessionnelle de prévoyance et d'assurance vieillesse à verser à M. [R] la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- ordonné l'exécution provisoire de la décision.
La CIPAV a régulièrement interjeté appel du jugement. Elle sollicite :
- le rejet des demandes indemnitaires de M. [R] ;
- le rejet de la demande d'article 700 formulée par M. [R] ;
- dire et juger que la CIPAV a fait une juste appréciation des droits de M. [R] au titre du régime complémentaire, pour la période pendant laquelle il a exercé sous le statut d'auto-entrepreneur.
M. [R] demande à la cour de :
- confirmer le jugement rendu le 29 décembre 2016 en toutes ses dispositions ;
-condamner la CIPAV à lui verser la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles d'appel.
Le Défenseur des droits a présenté des observations, au terme desquelles il conclut que 'le refus de rectifier le nombre de points de retraite complémentaire et de réviser le montant de la pension de Monsieur [R] constitue une atteinte aux droits d'un usager des services publics'.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie pour plus ample exposé des moyens des parties, aux conclusions et aux pièces déposées, ainsi qu'aux observations, soutenues oralement à l'audience collégiale du 11 janvier 2018.
MOTIFS
A toutes fins, la cour rappelle ici que le litige porte exclusivement, à titre principal, sur les modalités de calcul des droits à la retraite de M. [R] au titre du régime complémentaire, pour la période où il a exercé en qualité d'auto-entrepreneur (2010-2014).
Sur la demande de révision de la pension de retraite complémentaire
A l'appui de son appel, la CIPAV fait notamment valoir, s'agissant du calcul de la retraite complémentaire, que le régime de l'auto-entrepreneuriat permet de simplifier et d'alléger, pour le travailleur indépendant, les formalités liées au calcul et au paiement de l'ensemble des cotisations et contributions sociales, que cette simplification du mode de calcul se traduit par l'application d'un taux unique de cotisations de 22,9 % lié au chiffre d'affaires déclaré, couvrant l'ensemble des cotisations et contributions sociales de l'auto entrepreneur, que ce taux est largement inférieur aux taux cotisés par le professionnel libéral classique, qu'il s'ensuit que le professionnel exerçant sous le statut d'auto-entrepreneur, acquiert moins de droit.
La CIPAV souligne que c'est l'ACOSS, caisse nationale du réseau des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et des allocations familiales (URSSAF) qui est 'chargée d'enregistrer les différents éléments affectant l'activité de l'auto-entrepreneur avant d'en informer' la CIPAV et que c'est l'ACOSS qui est chargée de reverser à la CIPAV les cotisations collectées au titre, entre autres, du régime de retraite complémentaire.
La CIPAV affirme qu'elle a fait application des dispositions de ses statuts (article 3.12) prévoyant l'application d'une réduction de 75%, 50% ou 25% à la première classe de cotisation en fonction des revenus.
La CIPAV soutient ainsi que 'afin toutefois que ce taux minoré soit sans incidence sur les droits ouverts aux auto-entrepreneurs, la loi a prévu (...) de 2009 à 2015 (le système a été modifié à compter du 1er janvier 2016) le versement d'une compensation de l'État aux régimes de protection sociale pour couvrir la perte de recette induite, dans des conditions assurant une ' cotisation au moins égale à la plus faible cotisation non nulle dont ils pourraient être redevables ' (en gras comme dans l'original des conclusions ; souligné par la cour). Ainsi, la CIPAV recevait un total correspondant au montant des cotisations collectées par l'ACOSS, éventuellement complété de la compensation de l'État. C'est l'ACOSS qui calcule celle-ci.
Et la CIPAV se base sur les cotisations reversées par l'ACOSS 'pour déterminer les droits des auto entrepreneurs au titre du régime complémentaire'.
Pour la CIPAV, plus on cotise plus on a de droit ; si on ne cotise pas, on ne se crée pas de droit.
Selon la CIPAV, ce mode de calcul a été validé par la Cour des comptes (rapport public annuel 2017), qui soulignait que, si le micro-entrepreneur le souhaitait, il pouvait s'acquitter d'un montant forfaitaire de cotisations supérieur à celui pris en compte (par le système de la micro entreprise) il pouvait opter pour le dispositif de droit commun.
C'est sur cette base qu'ont été déterminés les droits de M. [R].
La CIPAV prend l'exemple de l'année 2013. Cette année-là, le bénéfice non commercial de M. [R] s'est élevé à la somme de 20 328 euros, soit en nombre de points:
. 0 point pour un revenu inférieur à 5456 euros ; 100% de réduction
. 9 points pour un revenu compris entre 5461 euros et 20 421 euros, ce qui est le cas en l'espèce ; 75% de réduction
. 18 points pour un revenu compris entre 20 421 euros et 24 668 euros ; 50% de réduction
. 27 points pour un revenu compris entre 24 669 euros et 32 285 euros ; 25% de réduction.
Il ne pouvait être reproché à la CIPAV de ne pas avoir prévu dans ses statuts de dispositif spécifique pour les auto-entrepreneurs et encore cette contestation de M. [R] était-elle inexacte puisque, précisément, la CIPAV avait modifié ses statuts (article 3.12 bis) pour tenir compte des auto-entrepreneurs ne bénéficiant pas du mécanisme de compensation de l'État.
C'est dans ces conditions que la CIPAV avait alloué à M. [R] : 10 points pour l'année 2010 ; 20 points pour l'année 2011 et 20 points pour l'année 2012 ; 9 points pour l'année 2013 et 9 points pour l'année 2014.
M. [E] [R] fait notamment valoir, pour sa part, que la Cour des comptes a (au contraire), dans son rapport de février 2017, ' mis en lumière l'illégalité commise par la CIPAV à l'endroit des 320 000 auto-entrepreneurs affiliés auprès d'elle dont les points de retraite complémentaire sont minorés sans fondement légal '.
M. [R] considère que le décret n°79-262 du 21 mars 1979 est seul applicable 'à la cotisation retraite complémentaire de tout professionnel libéral affilié à la CIPAV', lequel n'a fait l'objet d'aucune adaptation consécutivement à la création du statut de l'auto-entrepreneur par la loi du 4 août 2008 de modernisation de l'économie.
Le décret du 21 mars 1979 prévoyait six classes de cotisations.
Il a été modifié par le décret du 28 décembre 2012 (à effet au 1er janvier 2013) qui prévoit huit classes de cotisations.
Puisqu'une adaptation était nécessaire, elle aurait dû être entreprise par décret (article L. 644-1 de ce code et article 2 issu du décret du 21 mars 1979 modifié par le décret du 28 décembre 2012).
Selon M. [R], conformément aux dispositions applicables, compte tenu de ses revenus, il pouvait prétendre à : 40 points pour l'année 2010, 40 points pour l'année 2011, 40 points pour l'année 2012, 36 points pour l'année 2013, 36 points pour l'année 2014.
Or la CIPAV lui avait alloué: 10 points pour 2010 (75% de réduction), 20 points pour 2011 (50% de réduction) 20 points pour 2012 (50% de réduction), 9 points en 2013 (75% de réduction par rapport aux 36 points dus) et 9 points en 2014 (idem).
Ce qui, en soi, démontre une 'pratique de pure opportunité' de la part de la CIPAV.
D'autant que l'assiette de revenu prise en compte par la CIPAV ne correspondait pas au bénéficie réalisé par M. [R]. Il n'y avait ainsi par d'explication rationnelle à ce que la CIPAV retienne une réduction de 75 pour l'année 2013 alors que, à supposer même que M. [R] l'ait demandé (ce qu'il n'avait au demeurant pas fait), la réduction aurait été de 50% vu sa tranche de revenu (même à retenir celle déterminée par la CIPAV).
S'agissant du régime de compensation par l'État des organismes de sécurité sociale sur le régime des auto-entrepreneurs, il était applicable jusqu'au 31 décembre 2015. Pour limiter la charge de compensation incombant à l'État, la CIPAV a donc décidé une minoration de droits, laquelle ne repose sur aucun fondement.
La Cour des Comptes l'avait déjà fait observer dans sont rapport 2014 et avait persisté dans sa critique dans son rapport 2017.
Ainsi, il convenait de retenir que 'la 'cotisation du quart de la classe A' (selon la nomenclature issue du décret du 28 décembre 2012) n'existait pas dans la nomenclature du décret de 1979, la réduction de 75% étant une simple faculté conditionnée à une demande expresse dans un délai réduit et applicable sur la base d'une condition de revenu antérieur'.
M. [R] considère que la 'CIPAV a maltraité les auto-entrepreneurs et l'Etat en profiterait pour amoindrir son obligation de compensation'.
M. [R] sollicite donc la confirmation du jugement, y compris en ce qui concerne son préjudice moral.
Le Défenseur des droits a adressé une contribution écrite à la cour, présentée à l'audience.
Le Défenseur des droits souligne, tout d'abord, que les auto-entrepreneurs s'acquittent d'un 'forfait social', comprenant toutes les cotisations sociales obligatoires en matière de sécurité sociale et qu'il 'est de ce fait impossible de dissocier, au sein de ce forfait social, les cotisations versées au titre des différents risques'.
Il conteste la position de la CIPAV selon laquelle, selon lui, 'les droits doivent être calculés en fonction des cotisations (..) ayant été reversées (à la Caisse) par (l'ACOSS)', de sorte que la CIPAV 'retient un montant de cotisation égal à celui sur la base duquel est déterminé la compensation de l'Etat. Une telle interprétation est pour le moins erronée'.
Le Défenseur des droits reproche à la CIPAV d'utiliser des dispositions du code de la sécurité sociale qui ne concernent que les rapports financiers entre les organismes de sécurité sociale et l'État, notamment l'article R. 133-30-10 du code de la sécurité sociale. Cet article fait référence à la 'plus faible cotisation non nulle' et la CIPAV en déduit qu'il s'agit de la première classe de cotisation, réduite de 75%, 50% ou 25% en fonction des revenus de l'auto-entrepreneur.
Cela entraîne une minoration des droits des auto-entrepreneurs.
La réduction de cotisations prévue à l'article 3.12 des statuts de la CIPAV n'est en aucune manière applicable aux micro-entrepreneurs, puisqu'ils n'ont 'aucunement la possibilité de solliciter la réduction de (leurs) cotisations'.
Au demeurant, selon le Défenseur des droits, en 'retenant une cotisation réduite, la Cipav prive les auto-entrepreneurs d'une partie des droits pour lesquels ils cotisent en s'acquittant du forfait social, ce qui constitue une atteinte au droit de propriété institué par l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales' (ci-après, 'Procotole 1'). En effet, le droit aux prestations sociales est un droit patrimonial.
En optant pour le 'régime incitatif' de la micro-entreprise, les personnes concernées 'ont légitimement pensé que leurs droits à la retraite seraient équivalents à ceux dont bénéficient les travailleurs indépendants classiques'. Les décisions de la CIPAV ne peuvent avoir pour effet de 'faire perdre aux personnes soumises au régime micro-social une espérance légitime d'obtenir des prestations sociales d'un niveau équivalent à celui dont bénéficient les travailleurs indépendants soumis au régime social de droit commun'.
Le Défenseur des droits conclut ainsi que 'le refus de rectifier le nombre de points de retraite complémentaire et de réviser le montant de la pension de Monsieur [R] constitue une atteinte aux droits d'un usager d'un service public'.
Sur ce
La cour observe, à titre préliminaire, qu'avant même de discuter une éventuelle atteinte au droit de propriété, il conviendrait de vérifier si cette atteinte n'est pas justifiée par le principe, reconnue tant par la jurisprudence nationale que par celle de la Cour européenne des droits de l'homme qu'il n'est pas nécessairement inéquitable de traiter de façon différente des situations différentes.
En d'autres termes, la seule circonstance qu'une personne, du fait d'avoir versé moins de cotisations, perçoive une pension moindre ne peut être considérée, en elle-même, comme engendrant une situation d'inégalité de traitement injustifiée ou une atteinte injustifiée à un droit patrimonial.
La question est ici quelque peu différente et a trait au mode de calcul retenu par la CIPAV pour procéder à l'évaluation des droits à retraite de M. [R].
La cour ne peut pas ne pas citer, d'emblée, un extrait du rapport public annuel de la Cour des Comptes 2017, consacré à la CIPAV. Dans un cadre, intitulé (en gras dans l'original) 'Une absence anormale de rétablissement des auto-entrepreneurs dans leurs droits', la Cour des comptes écrit:
Pour encourager à l'adoption du statut d'auto-entrepreneur, ceux-ci ont été assujettis à une cotisation forfaitaire (sur la base de leur chiffre d'affaires) à un taux inférieur à celui applicable aux professionnels libéraux.
Afin toutefois que ce taux minoré soit sans incidence sur les droits ouverts aux auto-entrepre-neurs, la loi a prévu, de 2009 à 2015 (cette disposition ayant été supprimé au 1er janvier 2016), le versement d'une compensation de l'État à la CIPAV pour couvrir la perte de recette induite, dans des conditions assurant une cotisation « au moins égale à la plus faible cotisation non nulle dont ils pourraient être redevables ». Pour définir cette dernière, la caisse a appliqué systématiquement et automatiquement, sans leur consentement, une disposition de ses statuts permettant aux professionnels libéraux de droit commun de demander expressément, s'ils le souhaitent, en cas de faibles revenus, un abattement sur leurs cotisations
se traduisant par une réduction de leurs droits.
L'administration de tutelle, qui n'avait pas contesté ce point lorsque la Cour l'avait précédemment mis en évidence, soutient désormais l'interprétation de la CIPAV, contraire pourtant au caractère incitatif du dispositif, mais qui permet de manière opportuniste un allégements de la charge de compensation de l'État. La Cour réitère sa recommandation de rétablir dans la plénitude de leurs droits les auto-entrepreneurs concernés entre 2009 et 2015, sur la base d'une cotisation minimale recalculée.
Cette observation de la Cour des comptes rejoint celle faite tant par le conseil de M. [R] que par le Défenseur des droits.
De fait, la CIPAV réduit le montant des prestations qu'elle sert au titre de la retraite complémentaire, non pas sur un fondement légal ou réglementaire, mais pour pallier l'absence de compensation par l'État à hauteur des sommes qui seraient normalement dues aux auto-entrepreneurs par ailleurs à jour de leurs cotisations sociales (comme il n'est pas contesté que c'est le cas de M. [R]).
Cette position reflète exactement celle qu'elle a prise dans sa réponse aux observations formulées par la Cour des comptes dans le rapport 2017, mentionné plus haut.
La CIPAV, faisant référence à l'article R. 133-30-10 du code de la sécurité sociale, écrit: 'En application de ce texte, le montant de la compensation de l'Etat pour la retraite complémentaire des auto-entrepreneurs relevant de la CIPAV était basé sur la plus faible cotisation non nulle dont l'auto-entrepreneur aurait pu être redevable dans le date du droit commun. Au titre du régime complémentaire CIPAV, la cotisation la plus faible non nulle dont peut être redevable un adhérent est la cotisation de la classe A réduite de 75%. C'est donc naturellement sur cette base que les droits des auto-entrepreneurs ont été calculés' (souligné par la cour de céans).
Elle ajoute: 'La Direction de la Sécurité Sociale, sollicitée sur ce point par la nouvelle direction de la CIPAV en 2015 a confirmé la conformité de la pratique de la CIPAV aux dispositions du code de la sécurité sociale'.
Elle conclut : 'Dans ces conditions et en l'absence d'instruction contraire de l'autorité de tutelle, la CIPAV n'était nullement habilitée à mettre en oeuvre la recommandation de la Cour. Il n'y a donc pas lieu de laisser entendre que la CIPAV est responsable de 'l'absence anormale de rétablissement des auto'entrepreneurs'.
Ainsi, la CIPAV fait, certes, une application stricte du principe selon lequel le montant des pensions de retraite est proportionnel aux cotisations versées.
Mais elle établit également un lien direct et impératif entre l'absence de compensation appropriée par l'État, donc le montant limité de ses ressources, avec le montant des cotisations qu'elle sert à ses affiliés, en l'espèce les micro-entrepreneurs.
L'article R. 133-30-10 du code de la sécurité sociale, dans sa version applicable, ne conduit pas à établir ce lien. Il se lit, dans sa version applicable à l'espèce:
L'Agence centrale des organismes de sécurité sociale reverse aux comptables publics compétents les sommes recouvrées en application du V de l'article 151-0 du code général des impôts aux dates fixées par arrêté des ministres chargés du budget et de la sécurité sociale.
Pour l'application des dispositions de l'article L. 131-7 au régime prévu à l'article L. 133-6-8, l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale notifie à l'Etat la différence entre :
a) D'une part, le montant des cotisations et contributions sociales dont les travailleurs indépendants auraient été redevables au cours de l'année civile en application des articles L. 131-6, L. 136-3, L. 635-1, L. 635-5, L. 642-1, L. 644-1 et L. 644-2 du code de la sécurité sociale et de l'article 14 de l'ordonnance n° 96-50 du 24 janvier relative au remboursement de la dette sociale, et,
b) D'autre part, le montant des cotisations et contributions sociales calculées en application de l'article L. 133-6-8.
Pour l'application des dispositions du présent article aux travailleurs indépendants relevant de l'organisme mentionné au 11° de l'article R. 641-1 du code de la sécurité sociale, est retenue au titre des régimes mentionnés aux articles L. 644-1 et L. 644-2 la plus faible cotisation non nulle dont ils auraient pu être redevables en fonction de leur activité en application des dispositions mentionnées au a du présent article.
La cour ne peut que constater qu'il ne peut se déduire de ce seul texte que le montant des pensions retraite complémentaire versées aux autos-entrepreneurs relevant du dernier alinéa devrait être inférieur à celui auquel ils auraient pu prétendre du fait d'une compensation insuffisante de l'État.
Les rapports entre ce dernier et la CIPAV ne sauraient concerner les cotisants.
De plus, à l'appui de sa position, la CIPAV invoque l'article 3.12 de ses statuts.
Ce faisant, elle ne démontre en aucune manière en quoi ces statuts, qui ne peuvent concerner que son organisation interne, seraient opposables aux cotisations, sauf à ces derniers à y adhérer par écrit, ce que la caisse ne justifie en aucune mesure.
Cela étant, cet article se lit:
'La cotisation peut, sur demande expresse de l'adhérent, être réduite de 25, 50 ou 75%, en fonction du revenu professionnel de l'année précédente. Les tranches de revenus correspondant (..) sont déterminées chaque année par le conseil d'administration (..) La demande de réduction doit être formulée, à peine de forclusion, dans les trois mois suivant l'exigibilité de la cotisation, telle qu'elle est définie à la fraction de cotisation réglée (..) L'adhérent conserve, cependant, la faculté de s'acquitter de la cotisation'.
L'article 3.12 bis des statuts de la CIPAV ajoute: 'Le nombre de points attribués au bénéficiaire du régime prévu à l'article L. 133-6-8 du code de la sécurité sociale qui est exclu de la compensation de l'État prévue à l'article L. 133-30-10 du code de la sécurité est proportionnel aux cotisations effectivement réglées'.
De fait, le 'Guide' édité par la CIPAV elle-même, précise, à la rubrique 'Retraite Complémentaire': 'Si vos revenus 2011 sont inférieurs ou égaux à 32 855 (euros) vous pouvez demander une réduction de 25%, 50% ou 75% ou 100% de votre cotisation. Mais attention, car les points acquis seront également réduits et votre retraite sera plus faible si vous demandez cette réduction' (Guide, édition 2012).
La formulation est reprise à l'identique dans la version 2013.
Dans le Guide 2011, c'est un tableau qui est utilisé, précédé d'une phrase selon laquelle 'la cotisation peut être réduite', dans les mêmes proportions.
Dans le Guide 2010, il est indiqué 'En attente de la publication des textes : Lorsque vous n'atteignez pas le seuil minimum de chiffres d'affaires à partir duquel l'État compense, l'attribution sera proportionnelle aux cotisations versées'.
La cour relève que seul le Guide 2010 reflète la politique appliquée à M. [R] en établissant un lien direct entre cotisation et compensation par l'État.
Mais ni le Guide 2011 ni les suivants ne font ce lien, étant souligné que les versions 2012 et 2013 indiquent expressément que le taux de réduction est fonction de la demande du cotisant.
Or, justement, il est constant que M. [R] n'a jamais sollicité une telle réduction, elle lui a été imposée.
Et la CIPAV ne démontre, au demeurant, en aucune manière que M. [R] relèverait de l'article 3.12 ou 3.12bis des statuts.
Comme le souligne la défense de M. [R], sans être utilement contredite sur ce point, la caisse a retenu des assiettes de cotisation qui ne correspondent pas aux bénéfices réalisés pour chacune des années concernées. De plus, la défense de M. [R] démontre que, même à prendre les chiffres retenus par la CIPAV pour l'année 2013, la caisse a procédé de façon erronée, décidant une réduction de 75% alors qu'elle n'aurait pu être, en tout état de cause, que de 50%.
De fait, la CIPAV a procédé à la réduction de façon aléatoire, sans que l'on puisse s'expliquer le taux de réduction choisi.
De tout ce qui précède, il résulte que la CIPAV n'était pas fondée à réduire le montant de la pension de retraite complémentaire versée à M. [R] pour la période 2010-2014 et le jugement entrepris doit être confirmé sur ce point de même que la décision du premier juge d'ordonner à la CIPAV de réviser le montant de la pension de retraite accordée à M. [R] depuis le 1er janvier 2015 et de condamner la CIPAV aux arrérages, majorés de l'intérêt au taux légal.
Sur la demande de dommages et intérêts
M. [R] sollicite une indemnisation au titre du préjudice moral subi. Il fait valoir que la CIPAV a manqué à ses obligations d'information et de conseil, qu'elle ne lui a pas transmis, dans les délais, les éléments nécessaires à l'estimation de sa pension, retardant la liquidation de ses droits à la retraite, outre une résistance abusive, un mépris de la CIPAV pour le régime des auto-entrepreneurs.
La CIPAV répond qu'elle a été diligente dans le traitement du dossier de M. [R], qu'elle ne s'occupe pas du calcul et de l'encaissement des cotisations sociales qui ont été délégués à l'ACOSS, dont elle se charge uniquement d'enregistrer les données. Elle expose que M. [R] ne formule plus aucune demande quant à la liquidation de sa pension du régime général.
C'est par de justes motifs que la cour approuve que le premier juge a alloué à M. [R] une somme de 1 500 euros à titre de dommages intérêts en réparation de son préjudice moral, 'sans que puisse être prise en considération le préjudice qu'aurait causé l'attitude méprisante imputée à la Caisse, dont le lien direct avec les modalités de fixation des points de retraite n'est pas certain', avec cette précision que, pour la cour, aucun mépris de la CIPAV pour M. [R] n'est démontré, les décisions de la caisse, pour erronées que la cour les juge, résultant exclusivement d'une application erronée des textes applicables.
Sur les dépens et sur la demande d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
La cour confirmera la décision du premier juge sur ce point également et condamnera la CIPAV à payer à M. [R], en cause d'appel, une indemnité d'un montant de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La CIPAV sera déboutée de sa demande à cet égard.
PAR CES MOTIFS
La cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement par décision contradictoire,
Donne acte à Monsieur le Défenseur des droits de son intervention ;
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Condamne la caisse interprofessionnelle de prévoyance et d'assurance vieillesse à payer à M. [E] [R] une indemnité d'un montant de 1 500 euros, en cause d'appel, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute la caisse interprofessionnelle de prévoyance et d'assurance vieillesse de sa demande d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute les parties de toute autre demande plus ample ou contraire ;
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Monsieur Olivier Fourmy, Président, et par Madame Florence Purtas, Greffier, auquel le magistrat signataire a rendu la minute.
Le GREFFIER, Le PRÉSIDENT,