COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80C
6e chambre
ARRÊT N° 00182
CONTRADICTOIRE
DU 13 MARS 2018
N° RG 15/05642
AFFAIRE :
GIE AGORA
SAS SOGETI FRANCE
C/
[U] [N]
Syndicat ALLIANCE SOCIALE, anciennement dénommé CAPGEMINI ALLIANCE SOCIALE
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 06 Novembre 2015 par le Conseil de prud'hommes - Formation de départage de BOULOGNE BILLANCOURT
N° RG : 13/01348
Copies exécutoires délivrées le 13 Mars 2018 à :
- la SELAS ALAIN BENSOUSSAN SELAS
- Me David METIN
Copies certifiées conformes délivrées le 14 Mars 2018 à :
- le GIE AGORA
- la SAS SOGETI FRANCE
- M. [U] [N]
- le Syndicat ALLIANCE SOCIALE
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE TREIZE MARS DEUX MILLE DIX HUIT,
La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant, fixé au 19 décembre 2017, puis prorogé au 06 février 2018, au 27 février 2018 et au 13 mars 2018, les parties en ayant été avisées, dans l'affaire entre :
Le GIE AGORA
[Adresse 1]
[Adresse 2]
[Adresse 3]
Représenté par Me Alain BENSOUSSAN de la SELAS ALAIN BENSOUSSAN SELAS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E0241
La SAS SOGETI FRANCE
[Adresse 4]
[Adresse 5]
Représentée par Me Frédéric ZUNZ de la SELEURL MONTECRISTO, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : J153
APPELANTES
****************
Monsieur [U] [N]
[Adresse 6]
[Adresse 7]
Comparant en personne, assisté de Me David METIN, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 159
Syndicat ALLIANCE SOCIALE, anciennement dénommé CAPGEMINI ALLIANCE SOCIALE
[Adresse 4]
[Adresse 8]
[Adresse 9]
Représentée par Me David METIN, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 159
INTIMÉS
****************
Composition de la cour :
L'affaire a été débattue le 26 Septembre 2017, en audience publique, devant la cour composée de :
Monsieur Jean-François DE CHANVILLE, Président,
Madame Sylvie BORREL, Conseiller,
Monsieur Patrice DUSAUSOY, Conseiller,
qui en ont délibéré,
Greffier, lors des débats : Madame Claudine AUBERT
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
M. [U] [N] a été embauché par la société Transitiel Ingénierie devenue société Sogeti France, selon contrat de travail à durée indéterminée du 15 septembre 1997 en qualité d'analyste. La société Sogeti France a pour objet l'ingénierie informatique avec une compétence particulière en informatique décisionnelle et analytique.
Selon ordre de mission du 10 janvier 2000 renouvelé jusqu'en mars 2010, le salarié a été mis à disposition du Groupement d'Etude et de Traitement Informatique de la Mutualité Sociale Agricole, désignée sous le sigle GETIMA. A la suite de la liquidation de celui-ci en 2006, M. [U] [N] a été mis à disposition du GIE Agora. Celui-ci a été constitué par la Caisse Centrale de la MSA et les caisses régionales pour assurer l'édition de logiciels pour la MSA et a pour objet le maintien et le développement des logiciels de gestion des activités relatives aux métiers de la MSA dédiés à la protection sociale, dans le secteur agricole, et notamment de la retraite, de la santé, de la prévoyance ou des prestations familiales.
M. [U] [N] a saisi le conseil des prud'hommes de Boulogne-Billancourt par requête parvenue au greffe le 2 juillet 2013, aux fins d'obtenir la condamnation de la société Sogeti France et du GIE Agora à lui verser 50 000 euros de dommages-intérêts à raison du préjudice subi du fait du prêt illicite de main d'oeuvre et du marchandage dont il aurait fait l'objet de la part de la première en faveur de la seconde.
Il sollicitait aussi à l'encontre de la société Sogeti France l'allocation des sommes suivantes :
- 14 681 euros brut de rappel de salaires en réparation de l'inégalité de traitement dont il aurait été victime, outre 1 468,10 euros brut d'indemnité de congés payés y afférents ;
- 10 335,80 euros de rappel de salaire pour heures supplémentaires ainsi que 1 033,58 euros d'indemnité de congés payés y afférents, ou subsidiairement à défaut de reconnaissance de l'inégalité de traitement, 9 437,22 euros et 943,72 euros d'indemnité de congés payés y afférents ;
- 25 000 euros d'indemnité de travail dissimulé ;
- 5 000 euros de dommages-intérêts pour non-respect de l'obligation de formation ;
- 20 000 euros d'indemnité pour manquement à l'obligation d'exécuter le contrat de travail de bonne foi.
Enfin il sollicitait la condamnation des deux sociétés à lui verser la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Le syndicat Alliance Sociale a sollicité la condamnation in solidum des deux sociétés à lui payer la somme de 10 000 euros au titre du préjudice causé à l'intérêt collectif de la profession.
Les sociétés se sont opposées à ces demandes.
Par jugement du 6 novembre 2015, le juge départiteur a condamné les deux défenderesses à verser au demandeur la somme de 6 000 euros à raison du prêt illicite de main d'oeuvre, ainsi que la somme de 1 000 euros au syndicat Alliance Sociale. Reconnaissant l'inégalité de traitement, il a condamné la société Sogeti France à verser au salarié les sommes suivantes :
- 14 681 euros brut de rappel de salaires et 1 468,10 euros d'indemnité de congés payés y afférents avec fixation du salaire mensuel brut à la somme de 4 111,01 euros ;
- 10 335,80 euros de rappel de salaire pour heures supplémentaires outre 1 033,60 euros d'indemnité de congés payés y afférents ;
- les intérêts au taux légal de ces sommes à compter du 11 juillet 2011 ;
- 5 000 euros de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail.
Le conseil a fixé le salaire mensuel brut à la somme de 4 4 454 €, compte tenu de la réévaluation rendue nécessaire du fait de l'inégalité de traitement.
La société Sogeti France et le GIE Agora ont enfin été condamnés in solidum à verser au demandeur la somme de 1 200 euros du chef des frais irrépétibles et celle de 500 euros au même titre au syndicat.
Appel a régulièrement été interjeté par le GIE Agora le 27 novembre 2015 et par la société Sogeti France le 3 décembre 2015.
A l'audience du 26 septembre 2017, les parties ont développé oralement leurs écritures déposées par elles puis signées par le greffier, auxquelles il est référé par application de l'article 455 du Code de procédure civile.
Devant la cour les parties maintiennent leurs positions initiales sous réserves des modifications qui suivent dans les quantums.
Le salarié élève sa demande au titre des rappels de salaire de base à la somme de 17 826 euros outre celle de 1 782,60 euros d'indemnité de congés payés y afférents, sollicite la confirmation de la somme allouée au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et la condamnation de l'employeur à lui payer la somme supplémentaire de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles d'appel. Il demande la fixation de son salaire mensuel brut de base réévalué à la somme de 4 111,01 euros .
Le syndicat Alliance Sociale reprend sa demande en paiement de la somme de 10 000 euros de dommages-intérêts, sollicite la confirmation de la somme accordée pour les frais non compris dans les dépens et sollicite l'allocation de la somme supplémentaire de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles d'appel.
Le GIE Agora demande la condamnation de M. [U] [N] à lui payer la somme de 3 500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile et la société Sogeti France la somme de 1 500 euros pour le même motif.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur le prêt illicite de main d'oeuvre et le marchandage
Considérant qu'aux termes de l'article L 8241-1 du Code du travail, toute opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main-d'oeuvre est interdite sous certaines exceptions ; que selon le dernier alinéa de ce texte, une opération de prêt de main d'oeuvre ne poursuit pas de but lucratif lorsque l'entreprise prêteuse ne facture à l'entreprise utilisatrice, pendant la mise à disposition, que les salaires versés au salarié, les charges sociales afférentes et les frais professionnels remboursés à l'intéressé au titre de la mise à disposition ;
Qu'il n'y a pas de prêt de main-d'oeuvre en cas de recours par le donneur d'ordre à une entreprise tierce pour effectuer une tâche spécifique qu'il n'a pas les moyens d'accomplir ;
Considérant que M. [U] [N] invoque le prêt de main d'oeuvre en faisant valoir que la société Sogeti France a fait un bénéfice en facturant au GIE Agora un coût journalier supérieur au salaire payé, que l'intéressé est resté en mission auprès de la cliente pendant 10 ans sans discontinuer, que les missions données différaient peu, mais ne correspondaient pas au travail effectivement réalisé qui lui-même ne relevait pas d'une expérience et d'un savoir faire particulier, puisqu'il réalisait des tâches de maintenance sous l'autorité de salariés de la cliente, de sorte que la rémunération de la société prestataire se calculait en jours de travail, qu'il organisait ses congés avec la seule cliente et se servait du seul matériel de celle-ci ;
Considérant que la société Sogeti France oppose qu'elle n'a pas le même type d'activité que le GIE Agora, en ce que celui-ci n'a pas vocation à exercer une activité dans le domaine du service numérique, que M. [U] [N] a dû être formé au nouveau système Cognos dont la GIE Agora s'était doté, pour intervenir auprès de celle-ci, en demeurant subordonné à la société Sogeti France à laquelle il faisait parvenir des rapports d'activité, qui assurait sa formation et qui faisait les entretiens d'évaluation ;
Considérant que le GIE Agora reprend l'argumentation de l'entreprise prestataire, précisant que le logiciel Cognos sur lequel travaillait M. [U] [N] permet de récupérer les données de mutuelles afin d'établir des états financiers du marché de prestations sociales, ce qui exigeait une haute technicité sur une longue période ; qu'elle ajoute que cela n'empêchait pas que M. [U] [N] ait eu à effectuer des tâches "périphériques" à sa mission, ni qu'il ait été intégré dans l'équipe au sein de laquelle il travaillait, sans pour cela se trouver sous l'autorité hiérarchique de l'entreprise utilisatrice ;
Considérant que le caractère lucratif du prêt de main d'oeuvre est démontré par le salarié en ce que le coût journalier de son travail est 533,30 euros alors que la journée de travail de M. [U] [N] coûte à la société Sogeti France la somme de 274 euros ; qu'en tout état de cause le caractère lucratif n'est pas contesté et résulte de l'activité même d'un prestataire ;
Considérant qu'il reste à savoir si l'intéressé apportait à l'entreprise utilisatrice un savoir faire spécifique ;
Que les missions données au salarié portaient sur les points suivants :
- de janvier 2000 à janvier 2003 : maintenance corrective et évolutive en environnement grands systèmes dans le domaine de la paye ;
- de janvier 2003 à janvier 2005 : maintenance corrective et évolutive en environnement système ouvert dans le domaine de la paye ;
- de janvier 2005 à janvier 2009 : féria : entretien suivi du référentiels et restitution sous outils Cognos. Rapport Cognos, Programme Cobol, documentation ;
- à compter de janvier 2009 : application feria : maintenance corrective Java et Cobol création et maintenance des états Cognos ;
Qu'il ne ressort pas de cet énoncé l'absence de savoir faire spécifique, alors que les logiciels en cause peuvent relever d'un haut niveau de technicité ;
Considérant que si M. [U] [N] a pu participer à d'autres activités de moindre niveau au sein du GIE Agora, il ne démontre pas pour autant n'avoir pas apporté à titre principal des connaissances que n'avait pas l'entreprise utilisatrice ;
Considérant que son intégration dans celle-ci supposait qu'il soit soumis à ses horaires, qu'il utilise un badge pour entrer ou sortir, ce qui ne manifeste pas nécessairement un contrôle des horaires et peut résulter de simples exigences de sécurité ;
Considérant que ses prises de congés supposaient un accord avec l'utilisatrice puisque son activité devait être coordonnée avec celle du donneur d'ordre ;
Qu'il n'en demeure pas moins que les évaluations étaient faites par l'entreprise prestataire, que les rapports d'activité lui étaient envoyés, que cette société assurait sa formation permanente ;
Que la longueur de la période de travail au sein de la GETIMA ne suffit pas à exclure l'apport d'une activité spécifique ;
Qu'il n'est pas démontré qu'au-delà de la nécessaire concertation entre M. [U] [N] et l'entreprise au sein de laquelle il était en mission, il était soumis à un lien de subordination à son égard ;
Que le salarié procède par voie d'affirmation ; que dans ces conditions la demande de reconnaissance du prêt de main d'oeuvre doit être rejetée ;
Considérant que le délit de marchandage doit être écartée de la même manière, dès lors qu'il existe un savoir faire spécifique apporté par la prestataire ;
Sur l'égalité de traitement
Considérant que M. [U] [N] soutient avoir perçu un salaire insuffisant au regard du principe "à travail égal salaire égal" et invoque à l'appui que :
- alors qu'il est titulaire d'un diplôme en ingénierie système d'information et cumule 27 ans d'expérience, outre une expérience de 8 ans comme architecte, son titre d'architecte urbaniste classé au grade D a été modifié en ce qu'il n'est plus qualifié sur ses bulletins de salaire que d'architecte urbaniste classé seulement au grade C, quoique il n'ait pas changé de fonctions ;
- entre 2001 et 2008 son salaire a baissé à plusieurs reprises ;
- son salaire annuel entre 2008 et 2014 est parmi les plus bas d'après les rémunérations annuelles moyennes telles qu'elles ressortent des bilans sociaux de l'UES ;
- la comparaison de son niveau de revenus avec celui des salariés figurant dans l'éventail d'architectes urbanistes et ingénieurs concepteurs, fourni par l'employeur en exécution d'une injonction du bureau de conciliation révèle que l'intéressé a l'un des plus bas salaires ;
Considérant que la société Sogeti France objecte que les comparaisons effectuées par M. [U] [N] ne sont pas opérantes en ce que :
- la comparaison avec les salariés de l'UES qui regroupent quatre métiers différents n'est pas pertinente ;
- l'absence d'évolution du salaire de l'intéressé s'explique par un gel des salaires au sein de l'UES en raison de la récession touchant à cette époque l'informatique, alors qu'au surplus le salaire moyen de M. [U] [N] est supérieur au salaire moyen en ce qui concerne l'année 2010 ;
- les personnes auxquelles se compare le salarié et tirées du tableau versé aux débats par l'employeur en exécution de l'ordonnance du bureau de conciliation n'occupent pas les mêmes fonctions que lui ;
Considérant qu'il résulte du principe "à travail égal salaire égal", dont s'inspirent les articles L 1242-14, L 1242-15, L 2261-22.9, L 2271-1.8° et L 3221-2 du Code du travail, que tout employeur est tenu d'assurer, l'égalité de rémunération entre tous ses salariés placés dans une situation identique et effectuant un même travail ou un travail de valeur égale ;
Que sont considérés comme ayant une valeur égale par l'article L.3221 - 4 du Code du travail, les travaux qui exigent des salariés un ensemble comparable de connaissances professionnelles consacrées par un titre, un diplôme ou une pratique professionnelle, des capacités découlant de l'expérience acquise, de responsabilités et de charge physique nerveuse ;
Qu'en application de l'article 1315 du Code civil, il appartient salarié qui invoque une atteinte au principe « à travail égal salaire égal » de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de caractériser une inégalité de rémunération, il incombe à l'employeur de rapporter la preuve d'éléments objectifs pertinents et matériellement vérifiables justifiant cette différence ;
Considérant que le salarié apparaît comme analyste sur les feuilles de paie du 31 août 2006, puis ingénieur concepteur sur celles de 2007 à 2012, puis expert technique sur celles de 2013 à 2016 ; qu'il ne figure pas comme il le laisse entendre comme architecte urbaniste ; que ces différences d'appellation ne permettent pas au vu des documents produits de déceler une hiérarchie entre eux ; que ce critère de différence de traitement doit donc être écarté ;
Considérant que la comparaison du salaire de l'intéressé avec la moyenne des salaires au sein de l'UES pour le même coefficient que lui, n'est pas pertinente, dans la mesure où cette dernière entité regroupe des activités très différentes à travers le monde entier, qu'il s'agisse selon les rapports du groupe Capgémini versés aux débats :
- du "consulting" qui offre des prestations de conseil en stratégie et en transformation des entreprises ;
- de "l'intégration de systèmes"qui propose des activités aussi variées que l'architecture de système d'informations, la mise en oeuvre de progiciels, le développement d'applications, le conseil en technologies de l'information et la création de solutions innovantes ;
- des services informatiques de proximité qui comprennent la société Sogeti dont est salarié M. [U] [N] et qui fait du conseil dit "higt tech", de la gestion des applicatifs ou de la gérance des systèmes informatiques ;
- ou de l'infogérance qui gère cinq lignes de service, selon les contrats le système d'information ou certaines fonctions opérationnelles de ses clients ;
Qu'ainsi ces moyennes de l'UES ne sont pas un reflet de rémunérations correspondant à un ensemble comparable aux fonctions de M. [U] [N] et plus précisément requérant des connaissances professionnelles consacrées par un titre, un diplôme ou une pratique professionnelle, de capacités découlant de l'expérience acquise, de responsabilités et de charge physique nerveuse comparable aux siennes ;
Considérant que par ordonnance du 5 avril 2012, le bureau de conciliation du conseil des prud'hommes a ordonné à la société Sogeti France de produire la liste des salariés occupant l'emploi d'ingénieur concepteur et les fonctions d'architecte urbaniste avec leur âge, leur niveau de diplôme, leur expérience dans l'emploi et la fonction, l'ancienneté dans l'entreprise, la rémunération annuelle brute moyenne médiane avec indicateur des extrêmes de l'ensemble de ces salariés au titre de la période 2008, 2009, 2010 et 2011 et l'évolution de la carrière depuis l'ensemble ainsi que les augmentations individuelles et leur coefficient ;
Considérant que la société soutient que la liste qu'elle a produite comportant 13 noms n'est pas significative, en ce que les personnes en cause n'occupent pas le même emploi que le salarié, puisque M. [E] est "practice leader", M. [M] de même, M. [H] est architecte SI et Mme [D] est concepteur développeur, M. [B] [C] est "practice manager" et M. [X] [C] est administrateur application ;
Considérant que cette affirmation dénuée d'explication plus ample n'est pas suffisante pour disqualifier un élément de comparaison fourni par l'employeur lui-même, à raison de la qualité commune des personnes visées qui est celle d'architecte concepteur ; que n'est pas plus opérante, la comparaison que fait la société entre le salaire de M. [U] [N] en 2010 et 2011, et celui d'autres salariés de la société Sogeti France occupant des fonctions d'ingénieur concepteur, en l'absence de plus grande précision ;
Considérant qu'il ressort dudit tableau que M. [U] [N], quoique travaillant en région parisienne, contrairement à neuf autres, ainsi que l'explique sans être contredit le salarié, quoique nettement plus ancien que les autres pour être entré dans la société le 15 septembre 1997, l'ancienneté des autres s'étageant entre le 1er janvier 2005 et le 12 septembre 2011, ne bénéficie que d'un salaire médian moyen de 49 735,01 euros, alors que les autres bénéficient d'un salaire compris pour six d'entre eux entre 50 050 euros et 60 008 euros et pour les six autres entre 41 974,27 euros et 48 737,74 euros ; que la différence de salaire entre le sien et ceux de salariés qui, moins anciens que lui, gagnent plus, caractérise une inégalité de traitement que l'employeur ne justifie pas ;
Considérant que la société ne conteste pas le mode de calcul adopté par le salarié consistant à prendre la différence entre le salaire moyen ressortant des éléments fournis par l'employeur au vu de l'ordonnance du bureau de conciliation et le salaire de M. [U] [N] en le divisant par deux et en le multipliant par le nombre de mois écoulés entre la date à laquelle remonte le délai de prescription, soit juillet 2006, et le mois d'octobre 2017 ; qu'il lui sera dès lors accordé la somme de 17 826 euros, outre la somme de 1 782 euros d'indemnité de congés payés y afférents ; que le salaire brut dû du fait de cette réévaluation, dont le calcul n'est pas plus remis en cause, sera fixé à la somme de 4 111,01 € brut ;
Sur la demande de rappel de salaire pour heures supplémentaires
Considérant que M. [U] [N] sollicite la condamnation de son employeur à lui verser la somme de 10 335,80 euros en rémunération d'heures supplémentaires outre la somme de 1 033,60 euros d'indemnité de congés payés y afférents, au motif qu'il aurait effectué en application de l'accord passé au sein de l'UES le 3 février 2000, 36 heures 40 par semaine, ce qui lui donne droit à 1 heure 40 de RTT par semaine ; qu'il aurait bien accompli de tels horaires, sans contrepartie, sous forme de rémunération ou de repos compensateur ; qu'il calcule le rappel de salaire, dû selon lui en conséquence, en tenant compte de la réévaluation de son salaire découlant de l'inégalité de traitement rappelée plus haut ;
Considérant que la société Sogeti France objecte que l'intéressé a bénéficié de jours de RTT en compensation, que de telles heures supplémentaires n'ont pas été autorisées, ce qui serait d'autant moins le cas, que les compte-rendus d'activité envoyés à la société Sogeti France n'en faisaient pas état ;
Considérant qu'aux termes de l'article L 317-4 du Code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail effectuées, l'employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié ; que le juge forme sa conviction au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles ;
Considérant que si la preuve des horaires de travail effectuées n'incombe spécialement à aucune des parties et si l'employeur doit être en mesure de fournir des éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés, il appartient cependant à ce dernier de fournir préalablement au juge des éléments de nature à étayer sa demande ;
Considérant que les ordres de mission figurant au dossier fixent une durée hebdomadaire de travail de 38 heures 30 minutes avant la mise en oeuvre de l'accord collectif sur les 35 heures et à 36 heures 50 au-delà ;
Que cet accord prévoyait une compensation sous la forme de 9 jours de RTT en contrepartie des 1 heures 30 supplémentaires effectuées par semaine ;
Qu'ainsi M. [U] [N] étaye sa demande ;
Que les feuilles de paie de l'intéressé font cependant état du paiement d'heures supplémentaires et de l'octroi de jours de RTT très régulièrement ; qu'ainsi il apparaît que l'accord d'entreprise en cause a bien été appliqué et les heures supplémentaires effectuées prises en compte ; que dans ces conditions, le salarié n'a pas droit à une rémunération complémentaire ; qu'il sera débouté de sa demande en ce sens ;
Sur le non respect de l'obligation de formation
Considérant que M. [U] [N] sollicite le paiement de la somme de 5 000 € en réparation de l'absence de formation adéquate pendant 10 ans, alors qu'il demandait depuis 2008 à évoluer en qualité d'architecte SOA, sans que l'entreprise ne l'écoute ;
Considérant que la société Sogeti France répond que le salarié a suivi de multiples formations ;
Considérant qu'il est démontré par les pièces fournies par l'employeur que M. [U] [N] a suivi des formations, notamment CFP en 2007, management en 2006, et Wordpress en décembre 2014 ;
Qu'il est également établi que lors de son entretien du 1er septembre 2008, en architecture SOA, il a sollicité une formation et qu'il a renouvelé sa demande en 2008 ; que lors de son entretien d'évaluation du 9 décembre 2009, il lui a été fixé pour l'avenir à titre d'objectif une formation sur les concepts SOA ;
Considérant qu'aux termes de l'article L 6321-1 du Code du travail, l'employeur assure l'adaptation des salariés à leur poste de travail, veille au maintien de leur capacité à occuper un emploi au regard notamment de l'évolution des emplois, des technologies et des organisations, et peut proposer des formations qui participent au développement des compétences ;
Qu'ainsi une formation destinée seulement au développement des compétences, mais non utile pour le poste occupé n'est pas obligatoire ;
Qu'il peut seulement être relevé qu'il n'a pas suivi la formation en qualité d'architecte qui lui avait été fixée à titre d'objectif, ce qui manifestait une reconnaissance de la nécessité pour l'employeur de l'assurer ; qu'en réparation, la société Sogeti France sera condamnée à lui payer la somme de 1 500 € ;
Sur la demande de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail
Considérant que M. [U] [N] sollicite le paiement de la somme de 20 000 euros à raison de la déloyauté qu'aurait manifesté l'employeur dans l'exécution du contrat, en ce que le salarié n'aurait pas bénéficié de l'évolution de salaire à laquelle il pourrait prétendre, en ce que l'employeur n'a pas fourni tous les éléments utiles en exécution de l'ordonnance du bureau de conciliation, ce qui aurait conduit le salarié à limiter sa demande de rappel de salaire et de revalorisation de sa rémunération mensuelle, en ce que la société Sogeti France l'aurait aussi maintenu en intercontrat pendant plus de sept années, sauf intervention d'urgence sur certains projets, malgré les propositions du salarié, tout en lui imposant une rétrogradation par l'intitulé de son poste qui d'architecte urbaniste est devenu expert technique ;
Considérant que la société Sogeti France objecte que l'intéressé a pu se perfectionner pendant la période d'inter contrat, mais qu'aucune mission n'a pu être trouvée, qu'il ne pouvait bénéficier du titre d'architecte, qui en tout état de cause n'est pas une fonction inférieure à celle d'expert technique ; que l'employeur relève que le salarié a refusé de nombreuses missions notamment au motif qu'elle ne correspondaient pas à son plan de carrière ; que l'employeur ajoute que M. [U] [N] n'a pas été retenu pour celles qu'il demandait jusqu'à la mission pour SFR pour laquelle il a travaillé effectivement ;
Considérant que le salarié a obtenu au titre de l'inégalité de traitement ce qu'il demandait ; qu'il lui était loisible de demander plus, en expliquant en quoi l'employeur aurait méconnu l'obligation que lui avait faite le bureau de conciliation de communiquer des éléments de comparaison ;
Qu'il a été relevé que le salarié a suivi des formations variées utiles aux tâches qui lui étaient confiées ; qu'ainsi il a eu des formations à Unix, à Cognos, aux progiciels de paye et comptabilité du client Pléiade, à Java ; qu'il n'est pas établi que la désignation de l'intéressé comme "expert technique", plutôt qu'architecte urbaniste ait été de nature à lui nuire ; que différents courriels établissent que M. [U] [N] a eu des offres d'affectation entre 2012 et 2014 et qu'il en a refusé une dizaine, même s'il a postulé pour d'autres pour lesquelles il n'avait pas été retenu, qu'il a été invité à des réunions d'intercontrats, qu'il a été invité à des rendez-vous et qu'il a finalement été affecté à SFR ;
Qu'ainsi le salarié ne démontre pas la mauvaise foi alléguée et sera débouté de sa demande de dommages-intérêts ;
Sur la demande de dommages-intérêts du syndicat pour atteinte à l'intérêt collectif de la profession
Considérant que le syndicat Alliance Sociale sollicite le paiement par l'employeur de la somme de 10 000 euros en réparation de l'atteinte portée à l'intérêt collectif de la profession du fait du prêt illicite de main d'oeuvre et du marchandage ; que ces derniers n'ayant pas été retenus, le syndicat sera débouté de sa demande ;
Sur les intérêts
Considérant que les sommes allouées de nature salariale portent intérêts à compter de la réception de la convocation de la société Sogeti France devant le bureau de conciliation soit du 11 juillet 2013 et les autres à compter de la décision qui les accordent ;
Sur l'application de l'article 700 du Code de procédure civile et les dépens
Considérant qu'il apparaît équitable au regard de l'article 700 du Code de procédure civile de condamner la société Sogeti France à payer à M. [U] [N] la somme de 1 200 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et de 1 500 € au titre des frais irrépétibles d'appel ; qu'en revanche le salarié sera débouté de ses demandes à ce titre orientées contre le GIE Agora ;
Considérant qu'il convient de débouter le GIE Agora de sa demande d'indemnité au titre des frais irrépétibles ;
Considérant que la société qui succombe sera déboutée de ses demandes de ce chef et devra assumer les dépens, à l'exception de ceux afférents à la mise en cause infondée du GIE Agora qui demeureront à la charge de M. [U] [N] ;
PAR CES MOTIFS,
La Cour, statuant publiquement, par arrêt mise à disposition au greffe, contradictoirement et en dernier ressort ;
CONFIRME le jugement déféré, mais uniquement sur les demandes de M. [U] [N] contre la société Sogeti France en paiement d'une indemnité de travail dissimulé et d'une indemnité au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et sur la demande de la société Sogeti France et du GIE Agora en paiement d'une indemnité au titre des frais irrépétibles ;
INFIRME pour le surplus ;
CONDAMNE la société Sogeti France à payer à M. [U] [N] la somme de 17 826 euros de rappel de salaire à raison de la violation du principe "à travail égal, salaire égal", outre 1 782 euros d'indemnité de congés payés y afférents avec intérêts au taux légal à compter du 12 juillet 2013 et la somme de 1 500 euros au titre de l'obligation de formation ;
DÉBOUTE M. [U] [N] de ses demandes en paiement de rappel de salaire pour heures supplémentaires, d'indemnité de congés payés y afférents, de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation d'exécution du contrat de travail de bonne foi, de dommages-intérêts pour prêt illicite de main d'oeuvre et marchandage ;
FIXE le salaire mensuel moyen brut de M. [U] [N] à la somme de 4 111,01 euros ;
DÉBOUTE le syndicat Alliance Sociale de sa demande de dommages-intérêts et d'indemnité au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
DÉBOUTE M. [U] [N] de sa demande d'indemnité formée contre le GIE Agora au titre des frais irrépétibles ;
Y ajoutant,
CONDAMNE la société Sogeti France à payer à M. [U] [N] la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles d'appel ;
DÉBOUTE la société Sogeti France, le GIE Agora de leurs demandes au titre des frais irrépétibles d'appel ;
CONDAMNE la société Sogeti France aux dépens, à l'exception de ceux afférents à la mise en cause du GIE Agora qui demeureront à la charge de M. [U] [N].
Arrêt prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, et signé par Monsieur Jean-François DE CHANVILLE, Président, et par Monsieur Nicolas CAMBOLAS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le GREFFIER,Le PRÉSIDENT,