COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
21e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 22 MARS 2018
N° 17/75 JOINT AU
N° RG 16/04525
AFFAIRE :
SA EMC COMPUTER SYSTEMS FRANCE
C/
REGIME SOCIAL DES INDEPENDANTS D'ILE DE FRANCE
devenue
CAISSE NATIONALE DELEGUEE POUR LA SECURITE SOCIALE DES TRAVAILLEURS INDEPENDANTS
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 02 avril 2015 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de CERGY PONTOISE
N° RG : 14/00180
Copies exécutoires délivrées à :
la SELAFA CMS BUREAU FRANCIS LEFEBVRE
Me Lionel ASSOUS-LEGRAND
Copies certifiées conformes délivrées à :
SA EMC COMPUTER SYSTEMS FRANCE
REGIME SOCIAL DES INDEPENDANTS D'ILE DE FRANCE
devenue
CAISSE NATIONALE DELEGUEE POUR LA SECURITE SOCIALE DES TRAVAILLEURS INDEPENDANTS
Copie au Ministère Public (1)
le : 23 mars 2018
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT DEUX MARS DEUX MILLE DIX HUIT,
La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
SA EMC COMPUTER SYSTEMS FRANCE
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 1]
représentée par Me Henri BITAR de la SELAFA CMS BUREAU FRANCIS LEFEBVRE, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : 1701 substituée par Me Frédéric BERTACCHI, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : 1701
APPELANTE ET AUTEUR D'UNE QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITE
****************
REGIME SOCIAL DES INDEPENDANTS D'ILE DE FRANCE
devenue
CAISSE NATIONALE DELEGUEE POUR LA SECURITE SOCIALE DES TRAVAILLEURS INDEPENDANTS
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 2]
représentée par Me Lionel ASSOUS-LEGRAND, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : G0759
INTIMÉE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 29 janvier 2018, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Florence MICHON, Conseiller chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Philippe FLORES, Président,
Madame Florence MICHON, Conseiller,
Madame Bérénice HUMBOURG, Conseiller,
En présence du Ministère Public
Greffier, lors des débats : Madame Christine LECLERC,
La société EMC Computer Systems France (la société) est assujettie à la contribution sociale de solidarité des sociétés et à la contribution additionnelle. Le recouvrement de ces contributions (la C3S) est assuré par la caisse nationale du régime social des indépendants, dénommée depuis le 1er janvier 2018 caisse nationale déléguée pour la sécurité sociale des travailleurs indépendants (la caisse).
Le 6 mars 2013, la caisse a informé la société qu'elle faisait l'objet d'une vérification de l'assiette déclarée pour la contribution sociale de solidarité des sociétés et la contribution additionnelle due en 2010 et en 2012. Elle lui a précisé avoir relevé que le montant déclaré par ses soins était inférieur aux éléments communiqués par l'administration fiscale sur la base de ses déclarations.
Par lettres du 3 mai 2013 et du 1er août 2013, la société a justifié la distorsion relevée par la caisse par le fait qu'elle exerçait une activité de commissionnaire à la vente de matériels, logiciels et services pour le compte de son mandant, la société Information Systems International, en sorte qu'elle était redevable de la C3S non pas sur l'ensemble du chiffre d'affaire déclaré, mais sur la seule commission perçue et prévue dans le mandat préalable de commissionnaire.
Par lettre du 23 août 2013, la caisse a fait savoir à la société qu'elle considérait qu'elle ne remplissait pas les conditions pour se voir reconnaître le statut de commissionnaire lui permettant de bénéficier de la réduction de l'assiette des contributions prévue par l'article L. 651-5 du code de la sécurité sociale. Elle lui a notifié qu'était envisagée une rectification à hauteur de 379 104 euros, outre les majorations encourues. Par lettre du 20 septembre 2013, la société a soutenu qu'elle avait la qualité de commissionnaire lui permettant d'asseoir le paiement de la C3S sur sa seule commission. Par lettre du 9 décembre 2013, la caisse a maintenu sa position, estimant que l'opération d'entremise de la société n'était pas exclusivement rémunérée par une commission dont le taux est fixé au préalable d'après le prix, la quantité ou la nature des biens ou des services. Elle a en conséquence maintenue le redressement notifié le 23 août 2013.
Le 23 janvier 2014, la caisse a mis en demeure la société de payer la somme totale de 472 584 euros, soit 379 104 euros au titre des contributions restant dues, 68 924 euros au titre des majorations pour retard de paiement et 24 556 euros au titre des majorations pour rectification notifiée dans le cadre d'un contrôle sur pièces.
Le 4 février 2014, la société a réglé le principal pour un montant de 379 104 euros, tout en maintenant sa contestation sur le fond du redressement.
Par courrier du 17 février 2014, la caisse lui a indiqué qu'elle restait lui devoir une somme de 93 480 euros au titre des majorations.
Le 7 février 2014, la société a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale du Val d'Oise pour qu'il juge infondée la rectification d'assiette des contributions de 2010 et 2012 liée au rejet par le RSI de l'application de l'article L.651-5 alinéa 2 du code de la sécurité sociale, et qu'il annule en conséquence et à due concurrence la lettre de notification d'observations en date du 23 août 2013 ainsi que la mise en demeure du 23 janvier 2014 ( recours enregistré sous les numéros 14-00172/P et 14-00180/P)
La caisse a demandé au tribunal de déclarer la société mal fondée en ses demandes, de l'en débouter, et de la condamner à lui verser la somme de 3 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.
Par jugement rendu le 2 avril 2015, le tribunal des affaires de sécurité sociale du Val d'Oise a :
- ordonné la jonction des dossiers ouverts sous les numéros 14-00180/P et 14-00172/P,
- dit la société recevable mais non fondée en son recours,
- dit la caisse bien fondée à opérer le redressement notifié par lettres du 23 août 2013 et du 9 décembre 2013 ainsi que la mise en demeure du 23 janvier 2014, que celui ci ne saurait être annulé,
- condamné la société à verser à la caisse la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Le 4 juin 2015, la société a interjeté appel du jugement susvisé, à elle notifié le 7 mai 2015.
Le 30 octobre 2017, elle a déposé une question prioritaire de constitutionnalité (dossier d'appel n° 17/00075), dans un mémoire distinct et motivé.
Par conclusions écrites soutenues oralement à l'audience, la société EMC Computer Systems France demande à la cour :
- d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes et en ce qu'il l'a condamnée à verser à la caisse la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- de juger qu'en tant que commissionnaire, elle n'est redevable de la contribution sociale de solidarité des sociétés que sur sa seule commission,
- d'ordonner à la caisse de procéder au remboursement à son profit de la somme de 379 104 euros ainsi que des majorations mises à sa charge s'élevant à 68 924 euros (majorations pour retard de paiement) et à 24 556 euros (majorations pour rectification notifiée dans le cadre d'un contrôle sur pièces), l'ensemble portant intérêt au taux légal à compter de la saisine du tribunal,
- d'annuler la décision de redressement notifiée par la caisse du 23 août 2013,
- de condamner la caisse au paiement de la somme de 15 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions écrites soutenues oralement à l'audience, la caisse demande à la cour :
- de dire et juger mal fondé l'appel de la société,
- de confirmer le jugement déféré,
- de condamner la société à lui verser les sommes restant dues au titre des majorations pour les années 2010 et 2012,
- de condamner la société à lui verser la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- de condamner la société aux entiers dépens.
Pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour renvoie aux conclusions déposées et soutenues à l'audience, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
Motifs
Sur la jonction des procédures :
Dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, il convient de prononcer la jonction des affaires inscrites au répertoire général de la cour respectivement sous les numéros 16/04525 et 17/00075 et de dire qu'elles seront suivies désormais sous le seul numéro 16/04525.
Sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation :
La société demande à la cour de transmettre à la Cour de cassation la question prioritaire de constitutionnalité aux fins de voir le Conseil constitutionnel statuer sur l'atteinte portée au principe constitutionnel de l'égalité devant les charges publiques, d'atteinte à la liberté d'entreprendre et de non-discrimination par l'alinéa 2 de l'article L.651-5 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue de l'article 28, paragraphes II et III de la loi n°92-1476 du 31 décembre 1992 de finances rectificatives pour 1992 ainsi que de l'article 273 octies du code général des impôts. La disposition contestée est applicable au litige, la requête soumise à l'appréciation de la cour ayant pour objet d'obtenir la restitution de la contribution mise à sa charge sur le fondement de l'alinéa 2 de l'article L.651-5 du code de la sécurité sociale, qui renvoie expressément aux dispositions de l'article 273 octies du code général des impôts. Elle n'a pas été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif par une décision du Conseil Constitutionnel, qui n'a pas eu l'occasion de se prononcer sur leur conformité à la Constitution, les dispositions qui ont été soumises à son appréciation concernant le calcul de la C3S 2013 et non
celui de la C3S 2010 et 2012. En toute hypothèse, un changement de circonstances est apparu entre la prétendue déclaration de conformité évoquée par la caisse et la date à laquelle le Conseil Constitutionnel a été saisi. Selon la société, la condition posée par l'article 273 octies du code général des impôts, pour qu'un commissionnaire puisse soustraire du montant du chiffre d'affaires
servant d'assiette à la contribution la valeur des biens ou des services qu'il est réputé acquérir ou recevoir et n'être imposable que sur sa seule commission, tenant au fait que 'l'opération d'entremise est rémunérée exclusivement par une commission dont le taux est fixé au préalable d'après le prix, la quantité ou la nature des biens ou des services' doit être regardée comme
contraire à la Constitution. La distinction opérée entre les commissionnaires, selon les modalités de fixation de leur commission, n'a pas de justification objective, et en opérant une telle distinction, l'article L.651-5 du code de la sécurité sociale crée une discrimination contraire au principe d'égalité devant la loi énoncé à l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, et d'égalité devant l'impôt visé à l'article 13. Cette différence de traitement porte atteinte à la liberté d'entreprendre découlant de l'article 4 de la Déclaration, sans qu'une telle atteinte puisse être justifiée par l'intérêt général : toutes dispositions, telles que celles attaquées, qui conduisent à limiter les modalités de rémunération des commissionnaires doivent être regardées comme contraires à la liberté d'entreprendre, une telle limitation conduisant à instaurer des contraintes telles sur la gestion de l'entreprise qu'elles ne sauraient trouver aucune justification dans l'intérêt général. Enfin, l'alinéa 2 de l'article L.651-5, qui conduit à imposer un chiffre d'affaires fictif, aboutit à une imposition qui excède les facultés contributives des commissionnaires et présente un caractère confiscatoire, et porte en conséquence atteinte au principe d'égalité devant les charges publiques.
Le Ministère public, oralement, conclut à la recevabilité de la question prioritaire de constitutionnalité et à ce qu'il ne soit pas fait droit à la demande de transmission.
La caisse conclut au rejet de la question prioritaire de constitutionnalité. En premier lieu, la disposition législative en cause a déjà été déclarée conforme à la Constitution. L'article L.651-5 alinéa 2 du code de la sécurité sociale a fait l'objet d'une réécriture, à droit constant, par l'article 12 de la loi n°2012-1404 du 17 décembre 2012 de financement de la sécurité sociale pour 2013, les alinéa 6 à 8 de l'article L.651-5 énonçant désormais de façon strictement identique les quatre conditions antérieurement énumérées à l'article 273 octies du code général des impôts, et le Conseil Constitutionnel, saisi par 60 sénateurs, a spécialement examiné le dit article 12 et l'a déclaré conforme à la Constitution, dans son intégralité et sans aucune réserve. En second lieu, la question posée est dépourvue de caractère sérieux. La différence de traitement instituée n'est pas contraire aux articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Elle est justifiée par une différence de situation en rapport direct avec les objectifs propres à l'assiette de la C3S, et est pleinement justifiée par des raisons d'intérêt général en rapport direct avec la loi. De plus, le législateur a prévu l'application de conditions cumulatives fondées sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il s'est assignés. Les dispositions litigieuses n'ont par ailleurs ni pour objet ni pour effet de porter atteinte à la liberté d'entreprendre qui découle de l'article 4 de la Déclaration : les critères auxquels est subordonné le bénéfice de l'assiette réduite du commissionnaire n'ont en aucun cas pour objet ni pour effet d'empêcher l'exercice de l'activité de commissionnaire, et n'ont pas plus pour effet d'empêcher les commissionnaires de choisir librement les modalités de leur rémunération. Ceci vient d'être expressément confirmé par la Cour de cassation dans un arrêt du 14 décembre 2017, qui dans un litige strictement similaire a considéré que la question prioritaire de constitutionnalité n'apparaissait pas sérieuse et qu'il n'y avait pas lieu de la renvoyer au Conseil Constitutionnel.
L'article L.651-5 alinéa 2 du code de la sécurité sociale issu de la loi n° 92-1476 du 31 décembre 1992 dispose :
'Le chiffre d'affaires des intermédiaires mentionnés au V de l'article 256 et au III de l'article 256 bis du code général des impôts, et qui bénéficient des dispositions de l'article 273 octies du même code, est diminué de la valeur des biens ou des services qu'ils sont réputés acquérir ou recevoir. Dans le cas d'entremise à la vente, les commettants des intermédiaires auxquels cette disposition s'applique majorent leur chiffre d'affaires du montant des commissions versées.'
L'article 273 octies du code général des impôts, dans sa rédaction issue de la loi n°93-1420 du 31 décembre 1993, dispose :
'Pour les intermédiaires mentionnés au V de l'article 256 et au III de l'article 256 bis, la déduction de la taxe sur la valeur ajoutée [*TVA*] afférente aux biens ou aux services qui font l'objet des opérations d'entremise et que ces personnes sont réputées avoir personnellement acquis ou reçus est effectuée par imputation sur la taxe due au titre du mois pendant lequel le droit à déduction a pris naissance, sous réserve que les conditions suivantes soient simultanément remplies :
1. L'opération d'entremise est rémunérée exclusivement par une commission dont le taux est fixé au préalable d'après le prix, la quantité ou la nature des biens ou des services ;
2. Il est rendu compte au commettant du prix auquel l'intermédiaire a traité l'opération avec l'autre contractant ;
3. L'intermédiaire qui réalise ces opérations d'entremise doit agir en vertu d'un mandat préalable et ne jamais devenir propriétaire des biens ;
4. Il ne s'agit pas d'opérations :
a) Qui sont effectuées en vertu d'un contrat de commission à l'achat ou à la vente portant sur des déchets neufs d'industrie ou des matières de récupération ;
b) Ou qui aboutissent à la livraison de produits imposables par des personnes qui ne sont pas redevables de la taxe, à l'exception des opérations portant sur les objets d'occasion et les animaux vivants de boucherie et de charcuterie ;
c) Ou qui sont réalisées par des personnes établies en France qui s'entremettent dans la livraison de biens ou l'exécution des services par des redevables qui n'ont pas établi dans la Communauté européenne le siège de leur activité, un établissement stable, leur domicile ou leur résidence habituelle.'
Les dispositions législatives critiquées sont susceptibles de recevoir application dans le présent litige, lesquelles n'ont pas fait l'objet d'une décision du Conseil Constitutionnel les déclarant conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif de la décision.
La question posée ne se rapporte pas à l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil Constitutionnel n'a pas encore eu l'occasion de faire application, en sorte qu'elle ne constitue pas une question nouvelle.
Les dispositions critiquées ayant pour objet de rétablir, entre les différentes catégories de redevables, l'équilibre des règles d'assiette de la contribution sociale de solidarité des sociétés, il ne peut être sérieusement soutenu qu'elles créent une rupture caractérisée du principe d'égalité devant les charges publiques, ou une discrimination. Par ailleurs, la société ne justifie pas que les dispositions attaquées instaurent des contraintes telles qu'elles constituent une atteinte à la liberté d'entreprendre.
Il en découle que la question posée est dépourvue de caractère sérieux et il n'y a pas lieu de la transmettre à la Cour de cassation.
Sur le redressement :
La société souligne que sa qualité de commissionnaire n'est pas contestée et du reste pas contestable, et rappelle qu'un commissionnaire n'est qu'un prestataire de services, qui n'achète ni ne revend les marchandises pour lesquelles il s'entremet à la vente. Elle conteste l'interprétation faite par la caisse de la condition tenant au mode de détermination de la rémunération du commissionnaire pour l'application des règles d'assiette particulières de l'article L.651-5 du code de la sécurité sociale, reprise à tort par le tribunal, qui estime également que la commission versée par la société EMC Information Systems International en vertu du contrat de commissionnaire ne respecterait pas les conditions fixées par l'article 273 octies du code général des impôts. Elle s'est vu remettre en cause la possibilité de soustraire de l'assiette de la C3S le montant du chiffre d'affaires fictif résultant de sa qualité de commissionnaire au sens fiscal, au seul motif que sa commission ne serait pas déterminée 'préalablement d'après le prix, la quantité ou la nature des biens ou des services'. Elle exclut, par ailleurs, toute contradiction dans la détermination du montant de sa commission : c'est à tort que le tribunal a considéré qu'il existait une 'divergence' entre le montant de sa commission au titre de l'année 2009 annoncé par la société et celui attesté par son président et en a déduit que sa rémunération n'était pas déterminée préalablement, ni
même déterminable, dès lors que le montant évoqué par le président correspond à la marge nette tandis que la société se réfère à la marge brute (soit le montant de la commission nette augmenté des remboursements des frais exposés par le commissionnaire). Enfin, l'application stricte des conditions tenant à la commission posées par l'article 273 octies du code général des impôts est contraire aux dispositions des dispositions de l'article 14 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et à l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention. L'application combinée de ces dispositions conduit à constater que la différence de traitement des commissionnaires au regard des modalités selon lesquelles sont fixées leur
rémunération présente un caractère discriminatoire portant atteinte au droit au respect des biens. La différence de traitement entre les commissionnaires, selon leur mode de rémunération, ne repose sur aucune justification objective et ne poursuit aucun but légitime. La question de la rémunération n'est pas un critère pertinent, l'article L.651-5 du code de la sécurité sociale se limitant à renvoyer à un texte fiscal existant. La disposition introduit en outre une différence de traitement entre les prestataires de services, selon la nature de la prestation qu'ils réalisent, la position retenue par le RSI conduisant à rendre le commissionnaire imposable non seulement sur sa commission facturée à un client étranger mais également sur un chiffre d'affaires qui ne lui appartient pas. Enfin, la différence de traitement des commissionnaires au regard du mode de calcul de leur rémunération porte atteinte au droit au respect des biens. Le commissionnaire n'est juridiquement rémunéré que par une commission, le chiffre d'affaires réalisé au titre de l'opération dans laquelle il s'est entremis ne constitue aucunement le sien, et en l'imposant sur cette somme, l'article L. 651-5 du code de la sécurité sociale porte manifestement atteinte à ses capacités contributives et par suite au droit au respect de ses biens. La jurisprudence rendue sur le terrain de l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention concorde avec celle du Conseil Constitutionnel.
En réplique, la caisse fait valoir que la notion de commissionnaire au sens du code de la sécurité sociale répond à des conditions de forme et de fond strictes. Les dispositions de l'alinéa 2 de l'article L.651-5, qui dérogent à l'assiette de droit commun de la C3S telle que prévue par l'alinéa 1, doivent être appliquées strictement. Seuls sont visés par ce texte les commissionnaires mentionnés au code général des impôts qui, agissant en leur nom propre mais pour le compte d'autrui, s'entremettent dans une livraison de biens ou une prestation de services, ou dans une acquisition intracommunautaire, et qui remplissent toutes les conditions énumérées par l'article 273 octies. Par conséquent, l'activité éligible à la réduction d'assiette doit s'analyser strictement comme une activité d'entremise et en outre l'entreprise doit pouvoir justifier d'un mandat préalable de commissionnaire et cette activité doit être rémunérée par une commission fixée selon les paramètres de l'article 273 octies, ce qui présuppose que le taux de la commission doit lui-même être fixé préalablement d'après le prix ou la quantité des biens ou des services qui font l'objet de l'opération d'entremise. En l'espèce, au vu des stipulations du contrat de commissionnaire produit par l'appelante au cours des opérations de contrôle, la rémunération de la société ne répond pas aux exigences de l'article 273 octies : le taux de la commission n'est pas fixé de façon certaine en pourcentage du prix des ventes réalisées par l'intermédiaire, mais, notamment, selon les charges d'exploitation du commissionnaire et les frais engagés, et est soumis à des variations constantes puisqu'il doit être revu périodiquement et modifié si nécessaire selon les changements les plus importants sur le marché. La société n'est même pas en mesure de déterminer sa propre rémunération, comment le montrent les divergences flagrantes dans les montants qu'elle annonce et ceux qu'annonce son président. Enfin, contrairement à ce que répète la société, le chiffre d'affaires dont il est question dans le litige n'est pas fictif, puisqu'il a régulièrement été déclaré à la TVA à l'administration fiscale. Par ailleurs, ni les dispositions de l'article L.651-5 alinéa 2 du code de la sécurité sociale ni leur application par la caisse ne violent la Convention européenne des droits de l'homme. Les dispositions contestées ne contreviennent pas aux dispositions de l'article 1 du Protocole additionnel à la Convention, dès lors que le législateur français a entendu, en vertu du large pouvoir d'appréciation et d'ingérence dans le droit au respect des biens qui lui est conféré concilier l'objectif de contribution de l'ensemble des sociétés opérant dans le secteur concurrentiel à l'équilibre des divers régimes de protection sociale obligatoires, avec la reconnaissance du statut spécifique d'intermédiaire opaque, lequel ne saurait être identifié qu'à l'aide de critères objectifs et rationnels. Elles ne contreviennent pas non plus à l'article 1 du protocole n°1 combiné avec l'article 14 de la Convention, dès lors que d'une part les intermédiaires transparents et les intermédiaires opaques se trouvent dans une situation différente en sorte qu'ils peuvent faire l'objet de traitements distincts, et que, d'autre part, la mise en oeuvre de conditions strictes de nature à identifier les intermédiaires opaques trouve une
justification objective et raisonnable dans le but que s'est assigné le législateur de faire contribuer l'ensemble des sociétés opérant dans le secteur concurrentiel à l'équilibre des divers régimes de protection sociale obligatoires. Il appartient à la société de rapporter la preuve qu'elle réunit les conditions nécessaires au bénéfice de l'assiette réduite, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, l'appelante ne produisant aucun élément de preuve, notamment aucune facture ni reddition de compte, permettant de déterminer la part que représenteraient les prétendues opérations de commissionnaire de nature à justifier une exonération totale de C3S. Enfin, contrairement à ce que prétend l'appelante, elle ne s'est jamais acquittée des majorations, par conséquent sa demande de remboursement à ce titre est totalement infondée.
L'article L.651-5 alinéa 2 du code de la sécurité sociale applicable au litige dispose :
'Le chiffre d'affaires des intermédiaires mentionnés au V de l'article 256 et au III de l'article 256 bis du code général des impôts, et qui bénéficient des dispositions de l'article 273 octies du même code, est diminué de la valeur des biens ou des services qu'ils sont réputés acquérir ou recevoir. Dans le cas d'entremise à la vente, les commettants des intermédiaires auxquels cette disposition s'applique majorent leur chiffre d'affaires du montant des commissions versées.'
L'article 273 octies du code général des impôts, qui conserve ses effets pour la détermination des bases de la contribution en cause même s'il est devenu sans objet en ce qui concerne les impôts, taxes et contributions régies par le code général des impôts, dispose :
'Pour les intermédiaires mentionnés au V de l'article 256 et au III de l'article 256 bis, la déduction de la taxe sur la valeur ajoutée [*TVA*] afférente aux biens ou aux services qui font l'objet des opérations d'entremise et que ces personnes sont réputées avoir personnellement acquis ou reçus est effectuée par imputation sur la taxe due au titre du mois pendant lequel le droit à déduction a pris naissance, sous réserve que les conditions suivantes soient simultanément remplies :
1. L'opération d'entremise est rémunérée exclusivement par une commission dont le taux est fixé au préalable d'après le prix, la quantité ou la nature des biens ou des services ;
2. Il est rendu compte au commettant du prix auquel l'intermédiaire a traité l'opération avec l'autre contractant ;
3. L'intermédiaire qui réalise ces opérations d'entremise doit agir en vertu d'un mandat préalable et ne jamais devenir propriétaire des biens ;
4. Il ne s'agit pas d'opérations :
a) Qui sont effectuées en vertu d'un contrat de commission à l'achat ou à la vente portant sur des déchets neufs d'industrie ou des matières de récupération ;
b) Ou qui aboutissent à la livraison de produits imposables par des personnes qui ne sont pas redevables de la taxe, à l'exception des opérations portant sur les objets d'occasion et les animaux vivants de boucherie et de charcuterie ;
c) Ou qui sont réalisées par des personnes établies en France qui s'entremettent dans la livraison de biens ou l'exécution des services par des redevables qui n'ont pas établi dans la Communauté européenne le siège de leur activité, un établissement stable, leur domicile ou leur résidence habituelle.'
La société ne caractérise aucune violation de la Convention européenne des droits de l'homme. Les différences de traitement entre les commissionnaires instaurées par les textes contestés reposent sur la différence de situation résultant des conditions de l'activité et de la rémunération des commissionnaires. La seule différence de modalités de calcul de la cotisation contestée en fonction de la nature de l'activité ne permet pas de caractériser un effet confiscatoire de la cotisation ni une atteinte au droit au respect des biens reconnu par le Premier protocole additionnel, le législateur ayant, dans le cadre de sa marge de manoeuvre, fixé, conformément à l'intérêt général, les cotisations sociales dues par chaque catégorie de commissionnaire. L'invocation de la jurisprudence du Conseil constitutionnel est inopérante, la question prioritaire de constitutionnalité déposée par l'appelante ayant été écartée.
Il incombe à celui qui sollicite le bénéfice d'un allégement de son obligation au paiement de charges sociales de rapporter la preuve qu'il réunit les conditions lui permettant de l'obtenir. En l'espèce, la société ne justifie pas qu'elle réunit les conditions posées par les textes susvisés ouvrant droit à la dérogation prévue par l'article L.651-5 du code de la sécurité sociale. En particulier, elle ne démontre pas qu'elle est rémunérée conformément aux exigences de l'article 273 octiès du code général des impôts. Le seul contrat de commissionnaire qui est versé aux
débats, par la caisse, prévoit que la rémunération du commissionnaire est constituée d'un montant égal aux charges d'exploitation du commissionnaire et à ses frais engagés dans la commercialisation et le support des produits et dans la réalisation des prestations annexes sur le territoire pendant chaque trimestre civil, net de tout produit généré et facturé localement', plus ' une commission de 1,5% du produit des ventes et prestations facturées pendant chaque trimestre civil à partir de chaque vente et/ou licence des produits et de la fourniture des prestations par le commissionnaire sur le territoire (net de tous remboursements ou indemnités accordés pendant le trimestre), plus '5% du produit des ventes résultant pendant chaque trimestre civil de chaque vente et/ou licence des produits par des partenaires sur le territoire.' Il précise que 'le taux de commission sera revu périodiquement et modifié si nécessaire, selon les changements les plus importants sur le marché'. La rémunération du commissionnaire, aux termes de ce texte, n'est donc pas constituée exclusivement d'une commission, et le taux de celle-ci révisable et modifiable périodiquement, selon les changements du marché, n'est pas fixé préalablement.
Il en découle que, ne satisfaisant pas aux conditions légales d'allégement de la C3S, la société ne peut y prétendre. En conséquence, le redressement notifié par la caisse, qui n'est pas autrement critiqué, est bien fondé. Le jugement déféré doit donc être confirmé.
La société doit en outre être condamnée à payer à la caisse la somme de 93 480 euros correspondant au montant des majorations, qu'elle ne justifie pas avoir réglées à la caisse, et déboutée de sa demande de remboursement.
Sur les frais irrépétibles et les dépens :
La société, partie perdante, doit être condamnée à payer à la caisse une somme que l'équité commande de fixer à 1 500 euros au titre des frais exposés en cause d'appel, en application de l'article 700 du code de procédure civile. Elle doit en outre être déboutée de sa propre demande à ce titre.
Il n'y a pas lieu de statuer sur les dépens, la procédure étant gratuite et sans frais.
Par ces motifs,
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
Ordonne la jonction des affaires inscrites au répertoire général de la cour respectivement sous les numéros 16/04525 et 17/00075 sous le seul numéro 16/04525,
Rejette la demande de transmission à la Cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité,
Confirme le jugement déféré,
Y ajoutant,
Condamne la société EMC Computer Systems France à payer à la caisse nationale du régime social des indépendants, devenue la caisse nationale déléguée pour la sécurité sociale des travailleurs indépendants, la somme de 93 480 euros au titre des majorations restant dues,
Condamne la société EMC Computer Systems France à payer à la caisse nationale du régime social des indépendants, devenue la caisse nationale déléguée pour la sécurité sociale des travailleurs indépendants, la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,
Dit n'y avoir lieu à statuer sur les dépens, la procédure étant gratuite et sans frais.
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
Signé par Monsieur Philippe FLORES, Président, et par Madame Christine LECLERC, Greffier, auquel le magistrat signataire a rendu la minute.
Le GREFFIER,Le PRÉSIDENT,