COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 59C
13e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 03 JUILLET 2018
N° RG 16/06793
AFFAIRE :
SARL ROUX FRERES ENERGIE
C/
Société ENEDIS Anciennement dénommée 'ERDF'
Décision déférée à la cour: Jugement rendu le 16 Octobre 2014 par le Tribunal de Commerce de NANTERRE
N° chambre :
N° Section :
N° RG : 2012F0363
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le : 03.07.18
à :
Me Véronique E...,
Me Bertrand X...,
TC NANTERRE
M.P
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LE TROIS JUILLET DEUX MILLE DIX HUIT,
La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre:
SARL ROUX FRERES ENERGIE
Lestival
[...]
Représentée par Me Véronique E..., Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 462 - Représentant : Me François FERRARI, Plaidant, avocat au barreau de BEZIERS
APPELANTE
****************
Société ENEDIS Anciennement dénommée 'ERDF'
[...]
Représentée par Me Bertrand X... F... D...-C... Y... AVOCATS, avocat postulant au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 617 et Représentée par Me Romain GRANJON, Plaidant, avocat au barreau de LYON
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
L'affaire a été débattue à l'audience publique du 06 Mars 2018, Madame Sophie G..., présidente ayant été entendue en son rapport, devant la cour composée de :
Madame Sophie G..., Présidente,
Madame Hélène GUILLOU, Conseiller,
Madame Florence DUBOIS-STEVANT, Conseiller,
qui en ont délibéré,
Greffier, lors des débats : Monsieur Jean-François MONASSIER
L'avis du Ministère Public, représenté par Monsieur Fabien BONAN, Avocat Général a été transmis le 10 janvier 2018 au greffe par la voie électronique
La société Roux Frères Energie (ci-après 'la société Roux') a pour activité la production d'électricité d'origine renouvelable.
Afin de favoriser le développement des énergies renouvelables en France, la loi du 10 février 2000 a organisé les modalités de conclusion des contrats d'achat de l'électricité ainsi produite entre la société Electricité de France (ci-après EDF) et les producteurs de celle-ci.
Cette loi a notamment donné lieu aux décrets d'application du 6 décembre 2000 et du 10 mai 2001 et aux arrêtés des 10 juillet 2006 et 12 janvier 2010 qui fixent les prix d'achat.
Il est ainsi fait obligation à la société EDF de conclure avec les producteurs intéressés un contrat pour l'achat de l'électricité produite par les installations de production d'électricité qui utilisent des énergies renouvelables à un prix supérieur au prix auquel la société EDF vend son énergie aux consommateurs.
Le raccordement de ces installations au réseau de distribution est réalisé par la société Électricité Réseau de France, devenue Enedis (ci-après 'la société Enedis').
Dans le cadre de cette réglementation, la société Roux a décidé de l'implantation d'une centrale photovoltaïque d'une puissance de 220 kW, sur la commune de Castelnau de Mandailles. Son projet étant soumis à proposition technique et financière de raccordement au réseau (ci-après 'PTF'), le délai d'instruction de la demande de raccordement était de trois mois à compter de la date de réception de la demande complète.
Elle a ainsi envoyé par l'intermédiaire de son mandataire, la société Expert Solaire, une demande de raccordement datée du 13 août 2010. La société Enedis en a accusé réception le 30 août 2010 et l'a déclarée complète au 26 août 2010.
Aucune PTF n'a été reçue par la société Roux.
Le décret du 9 décembre 2010 entré en vigueur le 10 décembre 2010 a suspendu pour une durée de trois mois à compter de son entrée en vigueur l'obligation de conclure un contrat d'achat de l'électricité produite par certaines installations photovoltaïques, aucune demande de contrat d'achat ne pouvant être déposée durant la période de suspension et les demandes suspendues devant faire l'objet, à l'issue de la période de suspension, d'une nouvelle demande complète de raccordement au réseau. Cette suspension ne s'applique toutefois pas aux installations dont le producteur a notifié au gestionnaire de réseau, avant le 2 décembre 2010, son acceptation de la PTF. A l'issue de ce moratoire, un arrêté du 4 mars 2011 a fixé le prix d'achat de cette électricité à des tarifs inférieurs à ceux prévus par les arrêtés antérieurs et exclu du bénéfice de l'obligation d'achat les installations d'une puissance supérieure à 100 kWc, désormais soumises à une procédure d'appel d'offres.
A la fin de la période de suspension, la société Roux a déposé deux nouvelles demandes de raccordement en 2011 et 2012, déclarées incomplètes par la société Enedis, puis a abandonné son projet.
Soutenant que la société Enedis avait commis des fautes, la société Roux l'a fait assigner devant le tribunal de commerce de Nanterre en réparation de son préjudice.
Par jugement contradictoire du 16 octobre 2014, le tribunal de commerce de Nanterre a :
- condamné la société Enedis à payer à la société Roux la somme de 13 000 euros avec intérêts au taux légal à compter de la signification du présent jugement ;
- condamné la société Enedis à payer à la société Roux la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la société Enedis aux entiers dépens ;
- dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire.
Par déclarations reçues les 17 et 18 novembre 2014, la société Roux puis la société Enedis ont interjeté appel de cette décision.
Par ordonnance du 17 mars 2015, le conseiller de la mise en état a joint les deux procédures.
Par arrêt avant-dire-droit du 15 mars 2016, la cour d'appel de Versailles a :
- sursis à statuer dans l'attente de la décision à intervenir sur la question préjudicielle posée dans la procédure numéro 14/2549 ;
- réservé tous les moyens et demandes ;
- dit que l'affaire sera retirée du rôle de la cour et qu'elle sera rétablie à la requête de la partie la plus diligente après que le secrétariat greffe de cette chambre aura adressé aux parties la copie de la décision précitée ;
- réservé les dépens.
Dans ses dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 10 janvier 2018, la société Roux demande à la cour de :
- jugeant que le propre de la responsabilité civile est de replacer la victime dans la situation qui aurait été la sienne si la faute n'avait pas été commise et, par voie de conséquence, en l'absence d'annulation des contrats en cours, que la concluante aurait obtenu un contrat d'achat insusceptible d'être remis en cause ;
- jugeant que par sa validation législative du 12 juillet 2010, l'arrêté du 12 janvier 2010 n'a plus le caractère réglementaire ;
- jugeant l'impossibilité pour le tribunal de commerce puis la cour de remettre en cause une disposition législative ;
- jugeant l'absence de démonstration de la réunion des trois critères de l'aide d'Etat exclus par la CJUE au visa de l'article 9 du code de procédure civile ;
- constatant que Enedis comme ses assureurs n'invoquent pas que les contrats en cours soient annulables ;
- jugeant que même une illégalité de l'arrêté ne peut avoir pour effet de remettre les contrats conclus en cause et que le contrat d'achat aurait nécessairement été conclu en 2011 sans difficulté puisque l'arrêté du 12 janvier 2010 ne fait l'objet d'aucun recours et qu'il est définitif ;
- jugeant que même dans l'hypothèse d'une invalidation de l'arrêté du 12 janvier 2010, celle-ci ne peut être rétroactive au vu de la jurisprudence de la CJUE et du nombre de contrats impactés;
- en tout état de cause, jugeant la conformité avec le droit européen de l'aide d'Etat apportée aux énergies renouvelables et au secteur photovoltaïque en particulier excluant que l'arrêté du 12 janvier 2010 puisse être invalidé, même s'il devait être considéré comme une aide d'Etat et avait organisé la CSPE ;
- constatant que la demande ne consiste pas à obtenir un contrat d'achat en application de l'arrêté du 12 janvier 2010 ;
- constatant que si l'arrêté du 12 janvier 2010 devait être écarté, l'arrêté du 10 juillet 2006 s'appliquerait avec un tarif de 60,176 cts/kWh en lieu et place des 42 ou 50 cts revendiqués;
- jugeant la faute d'Enedis consistant en l'absence de transmission dans le délai réglementaire de trois mois d'une proposition technique et financière et en la violation de l'obligation d'instruction des dossiers de manière non-discriminatoire ;
- jugeant l'existence du lien de causalité aussi bien sur la causalité adéquate que sur l'équivalence des conditions ;
- constatant l'absence d'une quelconque pièce venant démontrer l'augmentation prétendue par la seule Enedis des demandes de raccordements durant la dernière semaine d'août 2010 ;
- rappelant que nul ne peut se constituer de preuve à soi-même et qu'il appartenait donc à Enedis de produire la file d'attente des dossiers de demande de raccordement ;
- jugeant qu'Enedis est soumise à une obligation de résultat par l'absence d'aléa sur la réalisation de sa prestation ;
- constatant qu'Enedis n'a pas même respecté une obligation de moyens en embauchant uniquement 18 intérimaires à l'automne 2010 alors que la période était prétendument critique;
- constatant la parfaite connaissance par Enedis du problème des retards dans le traitement des demandes de raccordement excluant toute imprévisibilité et toute extériorité, et par voie de conséquence toute force majeure ;
- constatant la baisse très importante des demandes de raccordement en soutirage et l'application de la même documentation technique aux demandes de raccordement en injection, excluant toute irrésistibilité, et par voie de conséquence toute force majeure ;
- constatant l'aveu d'Enedis devant l'Autorité de la concurrence de ne pas avoir traité les dossiers dans l'ordre chronologique, fait constitutif de discrimination ;
- rejeter toute conséquence du défaut de notification de l'arrêté du 12 janvier 2010 ;
- rejeter l'argument de l'illégitimité et de l'illicéité de la demande ;
- confirmer le jugement en ce qu'il a retenu la faute commise par Enedis et la responsabilité de celle-ci ;
- constatant la pérennité du tarif d'achat et la fiabilité de la technologie photovoltaïque ;
- constatant la fiabilité des prévisions de production d'énergie par la transmission de pièces afférentes à plusieurs dizaines de centrales en fonctionnement ;
- jugeant que la jurisprudence indemnise dans une telle hypothèse (contrat d'achat obligatoire à un tarif connu pour une durée déterminée) la perte de marge sur le contrat perdu ;
- constatant que même l'application de la théorie de la perte de chance aboutit à l'indemnisation de près de 100% de la perte de marge ;
- infirmer partiellement le jugement en ce qu'il a limité le quantum de l'indemnisation à une quote-part du préjudice démontré ;
- par voie de conséquence, condamner la société Enedis à payer à la société Roux une indemnité sur la base de la somme de 1 288 465 euros outre intérêts au taux légal à compter de l'assignation;
- à titre subsidiaire, si la méthode de la VAN devait être retenue, condamner la société Enedis à payer à la société Roux une indemnité sur la base de la somme de 1 338 675 euros;
- jugeant qu'en tout état de cause, si l'arrêté du 12 janvier 2010 ne pouvait servir de base au calcul de l'indemnisation, la cour peut valablement l'évaluer à titre forfaitaire et non plus consécutivement au calcul lié à l'arrêté, à la somme 1 288 465 euros ;
- condamner en outre la société Enedis au paiement de la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, distraits au profit de la SCP Buquet-Roussel-de Carfort.
Dans ses dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 2 janvier 2018, la société Enedis demande à la cour de :
1) Sur l'absence de discrimination dans le traitement du dossier,
- dire et juger que les accusations de discrimination formulées à l'encontre d'Enedis ne sont ni démontrées ni fondées ;
2) Sur le défaut de lien de causalité,
- dire et juger que la société Roux ne démontre pas que, en l'absence de retard d'Enedis dans la transmission de la PTF, elle aurait nécessairement matérialisé son accord sur ce document avant le 2 décembre 2010 ;
- dire et juger, en conséquence, qu'il n'existe pas de lien de causalité entre le dépassement du délai de trois mois dans la transmission de la PTF et le préjudice allégué, qui résulte exclusivement de l'application du décret du 9 décembre 2010 au projet ;
3) Subsidiairement, sur le caractère non réparable du préjudice allégué
- dire et juger que l'achat de l'électricité produite par les installations utilisant l'énergie radiative du soleil à un prix supérieur à sa valeur de marché, dans les conditions définies par l'arrêté du 12 janvier 2010, a le caractère d'une aide d'Etat ;
- constater que cet arrêté n'a pas été notifié préalablement à la commission européenne en violation de l'article 108 paragraphe 3 du TFUE ;
- dire et juger que cet arrêté est illégal et que son application doit, en tout état de cause, être écartée ;
- au besoin, écarter l'application de l'article 88 de la loi du 12 juillet 2010 en raison de sa contrariété avec l'article 108 paragraphe 3 du TFUE ;
- rejeter, en conséquence, les demandes de la société Roux fondées sur une cause illicite;
4) Plus subsidiairement, sur la perte de chance inexistante,
- dire et juger que le seul préjudice dont pourrait se prévaloir la société Roux est la perte d'une chance (i) d'avoir pu matérialiser son accord sur une PTF avant le 1er décembre 2010 minuit (ii) puis d'avoir obtenu un contrat d'achat après avoir réalisé et mis en service sa centrale dans un délai de 18 mois et (iii) enfin d'avoir pu exploiter sur 20 ans sa
centrale virtuelle ; que cette perte de chance est inexistante et, dès lors, non indemnisable;
5) Encore plus subsidiairement, sur l'assiette de la perte de chance,
- dire et juger que les hypothèses de calcul de l'assiette de préjudice sont totalement injustifiées en leur principe et leur quantum ;
6) En conséquence,
- infirmer le jugement querellé ;
Et, statuant de nouveau,
- débouter la société Roux de l'ensemble de ses demandes ;
- débouter la société Roux de ses appels effectués à titre principal et incident ;
- rejeter toutes autres prétentions contraires ;
A titre infiniment subsidiaire et à tous le moins,
- confirmer le jugement ;
- condamner la société Roux au paiement de la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civileet des entiers dépens de l'instance, dont ceux d'appel distraits au profit de l'AARPI Y... Avocats.
Le ministère public, dans son avis notifié aux parties le 10 janvier 2018, sollicite de la cour qu'elle tire les conséquences de l'ordonnance rendue par la Cour de justice de l'Union européenne le 15 mars 2017 dans l'affaire C-515/16 et adopte les points de droit suivants ' le mécanisme de l'obligation d'achat de l'électricité produite par les installations utilisant l'énergie radiative solaire à un prix supérieur à celui du marché et dont le financement est supporté par les consommateurs finals d'électricité, en application des arrêtés ministériels des 10 juillet 2006 et 12 janvier 2010, doit être considéré comme une intervention de l'Etat ou au moyen de ressources d'Etat. En effet, dès lors qu'il accorde un avantage aux producteurs de cette électricité, cet avantage est susceptibled'affecter les échanges entre Etats membres et d'avoir une incidence sur la concurrence ; sont ainsi réunis les critères de l'aide d'Etat au sens de l'article 107 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Les arrêtés susvisés, pris en méconnaissance de l'obligation de notification préalable à la Commission européenne résultant de l'article 108 paragraphe 3 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, sont entachés d'illégalité, et, dès lors, ne peuvent être appliqués à la présente affaire'. Il s'en rapporte enfin à la sagesse de la cour sur le caractère juridiquement réparable d'un ou de plusieurs préjudices invoqués par l'intimée, qui pourrait reposer sur un fondement autre que les arrêtés ministériels susmentionnés.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 15 janvier 2018.
Pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, il est renvoyé à leurs dernières écritures signifiées conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
SUR CE,
1- Sur les fautes
La société Roux soutient pour l'essentiel que sa demande de raccordement déclarée complète au 26 août 2010 n'a pas été instruite dans les délais et que la société Enedis ne lui a pas transmis de PTF dans le délai de trois mois, soit avant le 26 novembre 2010, comme elle y était obligée; que sans cette faute que la société Enedis ne conteste pas elle aurait pu retourner son accord sur la PTF avant l'entrée en vigueur du moratoire de sorte que la société Enedis a engagé sa responsabilité.
Elle soutient également que la société Enedis a violé son obligation légale d'instruire les dossiers sans discrimination, que dans un audit réalisé par elle-même la société Enedis reconnaît que le traitement des demandes a répondu à d'autres règles que leur date d'enregistrement, que ces éléments ont conduit l'Autorité de la concurrence à poursuivre son enquête sur les pratiques de la société Enedis, qu'alors que sa propre demande n'a pas été instruite dans les trois mois une autre société a obtenu une PTF en moins de cinq semaines et qu'ainsi le principe de sa demande est justifié sur ce seul fondement.
La société Enedis ne conteste pas le caractère fautif du dépassement du délai d'envoi d'une PTF au producteur.
Elle réfute tout traitement discriminatoire des demandes de raccordement répliquant que la décision du 14 février 2013 de l'Autorité de la concurrence ne permet pas d'en tirer des conclusions, que celle du 17décembre 2013 concerne les sociétés EDF et EDF EN et un autre sujet, que le Conseil d'Etat ne l'a pas sanctionnée dans un arrêt du 28novembre2012 qui a annulé un arrêté le tarif d'utilisation du réseau de distribution d'électricité dont la détermination relève du Gouvernement et non de la société Enedis.
* Sur le non respect du délai
Il résulte de la délibération de la commission de régulation de l'énergie du 11 juin 2009 portant décision sur les règles d'élaboration des procédures de traitement des demandes de raccordement au réseau public de distribution d'électricité et le suivi de leur mise en oeuvre et de son annexe 1 que la société ERDF, devenue Enedis, avait l'obligation de transmettre aux demandeurs une PTF dans un délai n'excédant pas trois mois à compter de la réception de sa demande de raccordement complète.
L'article 7.2.3 de la procédure de traitement des demandes de raccordement individuel de la société Enedis applicable à compter du 3 juillet 2010 (ERDF-PRO-RAC-14E Version V.1) pour les installations d'une puissance supérieure à 36 kVA, prévoit que ' A l'issue de cet examen et lorsque le dossier est complet, la demande de raccordement est qualifiée. La date de qualification de la demande de raccordement est fixée à la date de réception du dossier lorsque celui-ci est complet ou à la date de réception de la dernière pièce manquante. ERDF confirme par courrier postal ou électronique au demandeur que son dossier est complet. A cette occasion, ERDF communique également la date de qualification de sa demande de raccordement...ainsi que le délai d'envoi de l'offre de raccordement'.
L'article 8.2.1 de ce document précise qu'à 'compter de la date de qualification de la demande de raccordement, le délai de transmission au demandeur de l'offre de raccordement ....n'excédera pas trois mois quel que soit le domaine de tension de raccordement'.
Ainsi, sur le fondement des dispositions de l'article 1382, devenu 1240, du code civil, la société Enedis commet une faute délictuelle lorsque le délai de trois mois dont elle dispose pour adresser une PTF à un candidat au raccordement au réseau électrique n'est pas respecté.
Ce délai maximum de trois mois se calcule à partir de la date de la réception par la société Enedis du dossier complet de demande de raccordement et s'apprécie à la date de réception de la PTF par le demandeur.
En l'espèce, il est justifié que la société Roux a adressé à la société Enedis une demande de raccordement au réseau public de distribution géré par ERDF, d'une installation de production photovoltaïque de puissance supérieure à 36 kVA, datée du 13 août 2010, comportant habilitation de la société ExpertSolaire, représentée par M. ou Mme Z... A..., pour assurer tout ou partie du suivi de la demande de raccordement.
Il n'est pas contesté que la société Enedis n'a pas envoyé de PTF à la société Roux dans le délai de trois mois ayant commencé à courir le 26août2010, date à laquelle la société Enedis a considéré par courriel du 30 août 2010 que la demande de raccordement était complète.
Dès lors, en manquant à son obligation d'adresser une PTF à la société Roux dans le délai de trois mois prévu par les textes, soit avant le 26 novembre 2010 minuit au plus tard, la société Enedis a commis une faute.
* Sur le traitement discriminatoire
La décision du 17 décembre 2013 de l'Autorité de la concurrence rappelée par la société Enedis sanctionne la société EDF et non la société Enedis pour avoir favorisé de manière abusive sa filiale EDF ENR en mettant à sa disposition divers moyens non reproductibles par la concurrence et ce pour des faits qui, tout en étant relatifs au marché photovoltaïque, ne concernent pas le traitement par la société Enedis des demandes de raccordement.
La décision du 14 février 2013 concerne des pratiques reprochées à la société ERDF dans le traitement des demandes de raccordement des installations photovoltaïques et des pratiques de favoritisme de la société ERDF vis à vis de la société EDF EN, et, au vu des éléments recueillis, n'exclut pas que 'lors de la période ayant précédé le moratoire, les filiales ERDF et RTE qui reçoivent les demandes de raccordement aient pu favoriser le traitement des projets portés par les filiales photovoltaïques du groupe de manière à ce que ces dernières puissent bénéficier des tarifs d'achat pré-moratoire beaucoup plus avantageux au plan économique'. Elle en conclut que l'instruction au fond doit être poursuivie. Aucune preuve de ce que cette instruction ait finalement abouti à mettre en évidence de telles pratiques n'est cependant rapportée et cette décision est en outre insusceptible de caractériser une discrimination dont la société Roux aurait été elle-même victime.
Les deux dossiers cités par cette dernière pour étayer ses allégations de traitement discriminatoire ne sont pas plus probants. L'un concerne la société Hélios production dont la demande a été déclarée complète le 28 octobre 2010 mais qui n'a pas échappé au moratoire. L'autre concerne la proposition de raccordement adressée le 23 novembre 2010 au GAEC de Coatyliven, dépendant de l'agence de l'Ouest d'Enedis à Laval, différente de celle ayant traité la demande de la société Roux et qui mentionne que la demande a été déclarée recevable le 30 août 2010.
La seule remise à un producteur d'une PTF dans les délais requis ne caractérise pas davantage la discrimination alléguée, mais seulement la capacité d'Enedis à traiter certaines des demandes dans le délai maximum qui lui était imparti.
Aucun traitement discriminatoire n'est donc caractérisé.
2 - Sur le lien de causalité
La société Roux prétend que le lien de causalité entre la faute de la société Enedis et son préjudice, constitué d'une perte de chance assise sur la perte de marge sur l'exploitation de la centrale pendant vingt ans, est établi dès lors que la seule violation du délai de trois mois ouvre droit à réparation, que l'obligation de la société Enedis était une obligation de résultat, que ni l'abandon du projet, dû au fait qu'en application de l'arrêté du 4mars2011 la centrale, d'une puissance supérieure à 100 kWc, ne bénéficiait pas de l'obligation d'achat, ni le moratoire décidé par le Gouvernement, intervenu après l'écoulement du délai d'instruction, ne sont la cause de son préjudice et que le caractère sériel du contentieux, retenu par la société Enedis elle-même, permet de considérer comme acquis automatiquement le lien de causalité.
La société Enedis conteste tout lien de causalité entre le dépassement du délai de trois mois et le préjudice allégué. Soulignant que le projet n'a pas été réalisé, elle soutient que la suspension du projet et la perte de marge ont pour cause exclusive le décret du 9 décembre 2010, sans lequel le dépassement du délai pour transmettre la PTF n'aurait eu aucune des conséquences invoquées par la société Roux, que l'envoi de la PTF dans le délai ne lui aurait pas assuré d'échapper au moratoire, qu'il était quasiment impossible, ou, au mieux, extrêmement improbable pour la société Roux, si elle avait reçu la PTF le 26 novembre 2010 avant minuit, de matérialiser son accord avant l'entrée en vigueur du moratoire et ce d'autant que la PTF devait d'abord transiter par son mandataire, la société Expert Solaire, que dès lors qu'elle disposait d'un nouveau délai de trois mois pour accepter la PTF, elle ne démontre pas avec certitude qu'elle aurait analysé et renvoyé la PTF accompagnée d'un chèque d'acompte au plus tard le 1er décembre2010 alors que le moratoire n'a été annoncé que le 2 décembre 2010, qu'au contraire pour un autre de ses projets de centrale, la société Roux n'a retourné sa PTF acceptée qu'un mois après sa transmission par la société Enedis.
L'article 1er du décret du 9 décembre 2010 a suspendu l'obligation de conclure un contrat d'achat à compter de l'entrée en vigueur de ce décret, soit le 10 décembre 2010. L'article 3 écarte l'application de cette suspension pour les producteurs ayant notifié leur acceptation de la PTF avant le 2 décembre 2010.
La faute de la société Enedis n'est constituée qu'à l'expiration du délai de trois mois dont elle disposait pour envoyer une PTF, soit le vendredi 26 novembre 2010 minuit au plus tard.
En l'absence de retard de la société Enedis dans l'envoi de la PTF, la société Roux aurait dû renvoyer la PTF complétée de l'acompte avant le mercredi 1er décembre 2010 minuit pour échapper au moratoire et ne pas subir le préjudice allégué. Elle aurait donc disposé de cinq jours, délai a priori suffisant pour procéder à cette formalité et aucun élément ne permet d'affirmer qu'elle n'aurait pas été en mesure de le faire.
La société Enedis rappelle que dans un autre projet porté par la société Roux, cette dernière n'a retourné sa PTF acceptée qu'un mois après sa transmission par la société Enedis. Cette seule constatation ne permet cependant pas d'écarter le lien de causalité.
Le lien de causalité entre cette faute et le préjudice allégué par la société Roux est donc établi.
En ne lui adressant pas la PTF dans le délai qui lui était imparti, la société Enedis a donc privé la société Roux d'une chance de pouvoir lui notifier son acceptation de celle-ci avant le 1er décembre 2010 minuit et d'échapper ainsi au moratoire.
3- Sur le préjudice
La société Roux expose que n'ayant pas reçu de PTF dans le délai imparti son préjudice correspond à au moins 80% de la différence, sur une durée de 20 ans, de la marge entre les anciens et les nouveaux tarifs d'achat d'électricité résultant de l'arrêté du 4 mars 2011, qu'elle aurait mené à bien son projet, que son préjudice est réel, le financement de la centrale étant démontré et aucun problème de construction n'étant susceptible d'apparaître, qu'aucun aléa n'affectait la conclusion du contrat d'achat, le prix d'achat ne pouvant en particulier être revu avant la signature du contrat, et qu'un retard de construction aurait eu pour seul effet la réduction de la durée du contrat conformément à l'article 5 de l'arrêté du 12janvier2010.
Elle soutient que la prétendue illégalité au regard du droit européen de l'arrêté du 12janvier2010 est sans incidence sur le litige dès lors que l'indemnisation du préjudice, même illicite, est acquise, que l'arrêté n'a jamais été attaqué par voie d'action, que sa demande ne porte pas sur l'obtention d'un contrat en vertu de cet arrêté, que les contrats conclus par les autres producteurs ne peuvent être remis en cause, qu'elle ne s'est pas placée elle-même dans une situation illicite, qu'elle aurait pu sans la faute de la société Enedis bénéficier d'un contrat d'achat insusceptible d'être remis en cause puisque l'article 88 de la loi du 12 juillet2010 a validé l'arrêté du 12janvier2010, que ces dispositions légales ont été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil d'Etat et ne peuvent être contrôlées par le juge judiciaire et que dans le secteur de l'énergie éolienne les contrats en cours n'ont pas été remis en cause malgré une décision d'annulation d'un arrêté tarifaire.
Elle fait valoir qu'à supposer que l'arrêté tarifaire soit déclaré aide d'Etat et illégal, il est compatible avec le droit de l'Union, que la Commission européenne a déclaré tel le régime d'aide à l'énergie photovoltaïque dans une décision du 10février 2017, ne s'est pas saisie de l'arrêté du 12janvier2010 et ne l'a pas déclaré incompatible
avec le marché intérieur, que la seule illégalité de l'aide ne remet pas en cause une action indemnitaire eu égard à sa compatibilité avec le droit de l'Union, qu'en cas d'illégalité pour défaut de notification seuls les intérêts sur les subventions reçues doivent être restitués par le bénéficiaire de l'aide, qu'en l'espèce aucune subvention n'ayant été reçue faute de poursuite du projet le défaut de notification n'a donc aucune incidence. La société Roux prétend en outre que la Cour de justice de l'Union européenne a rejeté la qualification d'aide d'Etat et que les sommes en jeu sont trop faibles pour que l'aide soit qualifiée d'aide d'Etat.
La société Roux soutient également que si l'arrêté du 12janvier2010 devait être déclaré illégal, l'arrêté du 10juillet2006 serait applicable, que ce dernier arrêté, qui fixe un tarif supérieur à celui du 12janvier2010, ne peut plus être remis en cause compte tenu de la prescription décennale prévue en matière de récupération d'une aide et qu'enfin si l'arrêté tarifaire ne pouvait fonder le calcul de son préjudice, ce dernier serait déterminé forfaitairement à un montant identique.
La société Enedis répond que le préjudice fondé sur l'application, au profit des producteurs, de l'arrêté tarifaire du 12 janvier 2010 repose sur une cause illicite et ne peut donner lieu à réparation, qu'il a en effet le caractère d'une aide d'Etat, illégale au regard du droit de l'Union européenne pour défaut de notification préalable à la Commission européenne, qu'il incombe au juge national de relever cette illégalité qui s'apprécie indépendamment de son éventuelle compatibilité avec le marché commun.
Rappelant les décisions intervenues quant au mécanisme d'obligation d'achat d'électricité d'origine éolienne financé par la contribution au service public de l'électricité ( la CSPE), elle fait valoir que, par analogie, l'illégalité de l'arrêté du 12 janvier 2010 est certaine et que le juge national doit en tirer les conséquences sur les prétentions du producteur.
Répondant aux moyens adverses, elle affirme que même réclamé sur le fondement de l'article 1240 du code civil, le préjudice se base sur ce tarif qui n'a pas été validé par la loi ou le Conseil d'Etat, la validation législative n'ayant tendu qu'à la régularisation d'un vice de procédure, qu'en tout état de cause, même cette validation ne dispense pas le juge judiciaire d'écarter l'application d'une loi par la voie de l'exception d'inconventionalité. Elle soutient enfin que le régime instauré ne peut être qualifié d'aide 'de minimis', notion qui ne peut concerner que les aides ponctuelles octroyées à une seule entreprise sur une période de trois ans.
Subsidiairement, la société Enedis fait valoir que le seul préjudice dont pourrait se prévaloir le producteur serait une perte de chance qui ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée, qui est ici infime, s'agissant d'un simple projet, très incomplet et compte tenu des multiples aléas pouvant encore l'affecter tant dans sa réalisation que quant au tarif et aux nouvelles conditions exigées pour en bénéficier, rappelées dans la circulaire du 1er juillet 2010. Encore plus subsidiairement elle conteste l'assiette du préjudice estimant qu'il n'est tenu aucun compte des marges annuelles qui auraient été dégagées si la centrale avait été construite, de l'actualisation des sommes revendiquées sur 20 ans, de la rentabilisation des fonds propres investis dans le projet, des charges et coûts divers, des risques et aléas portant sur le matériel.
La perte de marge que la société Roux sollicite au titre de l'indemnisation de son préjudice est estimée par rapport à la perte du tarif d'achat de l'électricité fixé par l'arrêté tarifaire du 12janvier 2010.
Or la perte d'un avantage dont l'obtention aurait été contraire au droit ne peut être considéré comme un préjudice réparable. Rétablir, comme c'est le propre de la responsabilité civile, 'l'équilibre détruit par le dommage et de replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si l'acte dommageable ne s'était pas produit' ne peut conduire à reconstituer un avantage illicite.
Tel est le cas d'un régime d'aide contraire au droit de l'Union européenne. En effet, le juge national chargé d'appliquer les dispositions du droit de l'Union a l'obligation d'en assurer le plein effet en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition contraire et le juge judiciaire doit appliquer le droit de l'Union dans le cas où serait en cause devant lui, à titre incident, la conformité d'un acte administratif au droit de l'Union européenne.
Il convient, par conséquent, de rechercher si tel est le cas des arrêtés tarifaires du 10 juillet 2006 et du 12 janvier 2010 fixant les conditions d'achat de l'électricité produite par les installations utilisant l'énergie radiative du soleil.
L'article 107 alinéa 1 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) dispose que sont incompatibles avec le marché intérieur, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d'État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions.
En son alinéa 2, l'article 107 précise que peuvent être considérées comme compatibles avec le marché intérieur (...) c) les aides destinées à faciliter le développement de certaines activités ou de certaines régions économiques, quand elles n'altèrent pas les conditions des échanges dans une mesure contraire à l'intérêt commun.
L'article 108 du même traité fonde le pouvoir de contrôle de la Commission européenne pour procéder à l'examen permanent des régimes d'aides d'Etat, proposer des évolutions, déclarer compatibles ou non avec le marché les aides d'Etat et la nécessité de lui notifier les projets d'aides préalablement à leur mise en oeuvre.
Il se déduit de ces dispositions que toute aide d'Etat qui n'a pas été soumise à la Commission européenne préalablement à sa mise à exécution est présumée illégale jusqu'à ce qu'elle ait statué.
En suite des deux questions préjudicielles qui lui ont été posées par la présente cour dans le litige opposant les sociétés Enedis et Axa à la SAS Ombriere le Bosc, la CJUE a, par ordonnance du 15 mars 2017, dit s'agissant de la première question que :
1) L'article 107, paragraphe 1, TFUE doit être interprété en ce sens qu'un mécanisme, tel que celui instauré par la réglementation nationale en cause au principal, d'obligation d'achat de l'électricité produite par les installations utilisant l'énergie radiative solaire à un prix supérieur à celui du marché et dont le financement est supporté par les consommateurs finals d'électricité doit être considéré comme une intervention de l'État ou au moyen de ressources d'État ;
et s'agissant de la seconde question, après avoir précisé qu'il appartenait à la juridiction de renvoi de déterminer préalablement si la mesure nationale en cause au principal constitue une aide d'Etat en vérifiant si les trois autres conditions visées à l'article 107 sont remplies, que
2) L'article 108, paragraphe 3, TFUE doit être interprété en ce sens que, en cas de défaut de notification préalable à la Commission européenne d'une mesure nationale constituant une aide d'État, au sens de l'article 107, paragraphe 1, TFUE, il incombe aux juridictions nationales de tirer toutes les conséquences de cette illégalité, notamment en ce qui concerne la validité des actes d'exécution de cette mesure.
La CJUE ayant ainsi répondu que l'obligation d'achat de l'électricité produite par les installations utilisant l'énergie radiative solaire à un prix supérieur à celui du marché et dont le financement est supporté par les consommateurs finals d'électricité est une intervention de l'Etat ou au moyen de ressources de l'Etat, il convient de rechercher si les trois autres conditions de l'aide d'Etat sont réunies, étant précisé qu'elle a également indiqué que le mécanisme relatif au tarif photovoltaïque instauré par la loi 2000-108 est identique à celui en cause dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt du 19 décembre 2013 (C-262/12, EU:C/2013:851) en matière éolienne à la suite duquel le Conseil d'Etat, dans un arrêt du 28mai2014 n°324852, a considéré que l'achat de l'électricité produite par les installations utilisation l'énergie mécanique du vent à un prix supérieur à sa valeur de marché, dans les conditions définies par les arrêtés attaqués, a le caractère d'une aide d'Etat.
La Commission de régulation de l'énergie, dans son avis consultatif préalable à l'adoption de l'arrêté du 4mars2011 qui fixait les tarifs d'achat à des niveaux moindres que ceux des arrêtés du 10 juillet 2006 et du 12 janvier 2010, a considéré que 'les tarifs proposés induisaient des rentabilités comparables ou supérieures au coût moyen pondéré du capital de référence' estimé à 5,1 % sur la base du coût du capital moyen d'un échantillon d'entreprises du secteur des énergies renouvelables.
Dans son rapport de juillet 2013 portant sur la politique de développement des énergies renouvelables, la Cour des comptes a considéré que 'la situation qu'a connue la filière solaire photovoltaïque durant la période 2010 à 2011 pouvait être qualifiée de 'bulle photovoltaïque, provoquée par une déconnexion entre les tarifs d'achat et la réalité des coûts' de production.
La Commission européenne a également relevé dans sa décision du 27 mars 2014 que pour 'le photovoltaïque en France, le tarif offrait des rentabilités excédant la rentabilité normale des capitaux'. Le succès du mécanisme d'achat dans le secteur photovoltaïque a été tel qu'il a de fait obligé le Gouvernement à revoir les tarifs applicables à la baisse.
Il est ainsi démontré que les arrêtés du 12 janvier 2010 et du 10 juillet 2006 permettant d'acquérir l'électricité produite par les installations utilisant l'énergie radiative solaire à un prix supérieur à sa valeur de marché accordaient un avantage aux seuls producteurs de cette électricité.
En garantissant un prix d'achat supérieur au prix du marché, ces dispositions législatives et réglementaires étaient de nature à fausser la concurrence et donc à avoir une incidence sur celle-ci.
Enfin, cet avantage était susceptible d'affecter les échanges entre Etats membres en raison de la libéralisation du secteur de l'électricité au niveau de l'Union européenne.
Il se déduit de ces éléments que le mécanisme d'obligation d'achat par la société EDF de l'électricité d'origine photovoltaïque à un prix supérieur à celui du marché et mis à exécution par l'arrêté du 12 janvier 2010 et celui du 10 juillet 2006 constitue une aide d'Etat, qui ne peut pas justifier l'application de l'exception de minimis au sens du règlement n°1407/2013 du 18 décembre 2013 au regard du montant des aides très supérieures à 200 000 € par entreprise sur trois années.
Il est établi par la réponse apportée par le secrétaire d'Etat auprès du ministère des affaires étrangères et du développement international, chargé des affaires européennes sur le régime d'aides accordées aux producteurs d'électricité d'origine photovoltaïque, à la question écrite de M. B... du 27 septembre 2016 que l'arrêté du 12 janvier 2010 n'a pas été notifié à la Commission européenne.
Selon les écritures des parties, il en est de même de l'arrêté du 10 juillet 2006.
Ces deux arrêtés ayant été remplacés depuis aucune régularisation n'est possible. Contrairement à ce qui est vainement soutenu par la société Roux le IV de l'article 88 de la loi du 12 juillet2010 n'a validé l'arrêté du 12janvier2010 qu'en tant qu'il serait contesté par des moyens tirés d'une part, d'une irrégularité de consultation, laquelle ne peut viser que les consultations du Conseil supérieur de l'énergie et de la Commission de régulation de l'énergie et d'autre part, de l'application immédiate de nouvelles règles tarifaires aux demandes de contrat d'achat formulées sous l'empire de l'ancienne tarification de l'arrêté du 10 juillet 2006 et non au regard de l'obligation de notification préalable d'une aide d'Etat à la Commission en application de l'article 108 du TFUE, ce que la loi n'aurait au demeurant pas pu faire sauf à compromettre l'effectivité du droit de l'Union.
Si les juridictions nationales sont compétentes pour apprécier le respect par les Etats membres de la procédure de notification, seule la Commission européenne est compétente pour statuer sur la compatibilité d'une aide d'État avec le marché intérieur. Dès lors, la cour ne peut se substituer à elle dans cette appréciation, même si ultérieurement, la Commission européenne a, à plusieurs reprises, décidé que les mécanismes d'aide mis en place par la France en matière de production d'électricité photovoltaïque après le moratoire étaient compatibles avec le marché intérieur, étant en outre observé que ces décisions postérieures de la Commission européenne ont porté sur des mécanismes d'aide différents, plus contraignants, et qui instauraient des tarifs bien inférieurs à ceux promulgués par les arrêtés des 10juillet2006 et 12 janvier 2010.
Le seul défaut de notification à la Commission européenne préalablement à leur mise en oeuvre rend les arrêtés du 10juillet 2006 et du 12janvier2010 non conformes au droit de l'Union et, par suite, illicite et non réparable le préjudice sollicité qui correspond à au moins 80% de la différence, sur une durée de 20 ans, de la marge entre les tarifs d'achat d'électricité résultant des arrêtés du 12 janvier 2010 et du 4 mars 2011, soit à la perte d'un avantage résultant d'une aide illégale.
Le sort des contrats en cours, l'absence de toute action en récupération d'une aide susceptible d'être considérée comme contraire au droit de l'Union et les modalités d'une telle action en récupération, dont les règles de prescription définies par le règlement n°659/1999 du 22 mars1999 du Conseil de l'Union européenne, sont sans incidence sur le caractère licite de l'indemnisation sollicitée sur le fondement de l'article 1240 du code civil.
La société Roux doit donc être déboutée de sa demande d'indemnisation de son préjudice résultant de la perte de marge née de la perte du tarif fixé par l'arrêté du [...].
Elle doit également l'être de sa demande subsidiaire d'une indemnisation forfaitaire évaluée à un montant identique. En effet, sous couvert d'une telle demande, le producteur sollicite en réalité la réparation du même préjudice forfaitairement évalué 'à un montant identique à celui découlant de l'arrêté tarifaire inapplicable'.
Or le fait d'évaluer forfaitairement ce même préjudice ne le rend pas plus réparable, étant précisé au surplus que le principe de réparation intégrale du préjudice sans perte ni profit pour la victime permet à celle-ci de demander la réparation de tout son préjudice mais seulement de son préjudice et s'oppose à ce qu'il puisse lui être alloué des dommages-intérêts forfaitairement évalués.
Il y a lieu par conséquent d'infirmer le jugement sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens des parties.
PAR CES MOTIFS,
La cour statuant contradictoirement,
Dit que la SA Enedis a commis une faute à l'égard de la SARL Roux Frères Energie ;
Dit que le lien de causalité entre cette faute et le préjudice allégué par la SARL Roux Frères Energie est établi ;
Dit que le préjudice sollicité n'est pas réparable ;
En conséquence, infirme le jugement ;
Statuant à nouveau,
Déboute la société Roux Frères Energie de ses demandes ;
Condamne la société Roux Frères Energie à payer à la SA Enedis la somme de 8 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société Roux Frères Energie aux dépens de première instance et d'appel avec droit de recouvrement au profit des avocats pouvant y prétendre conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Sophie G..., Présidente et par Monsieur MONASSIER, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier,La présidente,