COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 59C
13e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 03 JUILLET 2018
N° RG 16/08445
AFFAIRE :
SAS AZIMUT56
C/
SA ENEDIS
Décision déférée à la cour: Jugement rendu le 16 Octobre 2014 par le Tribunal de Commerce de NANTERRE
N° chambre :
N° Section :
N° RG : 2011F0481
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le : 03.07.18
à :
Me Claire X...,
Me Bertrand Y...,
TC NANTERRE,
M.P
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LE TROIS JUILLET DEUX MILLE DIX HUIT,
La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre:
SAS AZIMUT56
Zone industrielle de Port Louis - Saint Allouestre
[...]
Représenté(e) par Maître Claire X..., avocat postulant au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 622 et par Maître S.MANNA, avocat plaidant au barreau de PARIS
APPELANTE
****************
SA ENEDIS
[...]
[...]
Représenté(e) par Maître Bertrand Y... D... C...-B... Z... AVOCATS, avocat postulant au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 617
et par Maître R.GRANJON, avocat plaidant au barreau de LYON
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
L'affaire a été débattue à l'audience publique du 06 Mars 2018, Madame Sophie E..., présidente ayant été entendue en son rapport, devant la cour composée de :
Madame Sophie E..., Présidente,
Madame Hélène GUILLOU, Conseiller,
Madame Florence DUBOIS-STEVANT, Conseiller,
qui en ont délibéré,
Greffier, lors des débats : Monsieur Jean-François MONASSIER
L'avis du Ministère Public, représenté par Monsieur Fabien BONAN, Avocat Général a été transmis le 10 janvier 2018 au greffe par la voie électronique
Une centrale photovoltaïque composée de 3000 m² de panneaux solaires montés sur 'trackers' a été construite à Saint Allouestre dans le Morbihan et répartie en quatre lots détenus chacun par une société de projet, dont la société Azimut 56. Comme les sociétés An Heol Breizh 1, Sun West et JB Solar, cette société a donné mandat à la société One network energies de prendre en charge le développement du projet et notamment les modalités de raccordement.
Afin de favoriser le développement des énergies renouvelables en France, la loi du 10 février 2000 a organisé les modalités de conclusion des contrats d'achat de l'électricité ainsi produite entre la société Electricité de France (ci-après EDF) et les producteurs de celle-ci.
Cette loi a notamment donné lieu aux décrets d'application du 6 décembre 2000 et du 10 mai 2001 et aux arrêtés des 10 juillet 2006 et 12 janvier 2010 qui fixent les prix d'achat.
Il est ainsi fait obligation à la société EDF de conclure avec les producteurs intéressés un contrat pour l'achat de l'électricité produite par les installations de production d'électricité qui utilisent des énergies renouvelables à un prix supérieur au prix auquel la société EDF vend son énergie aux consommateurs.
Le raccordement de ces installations au réseau de distribution est réalisé par la société Électricité Réseau de France, devenue Enedis (ci-après 'la société Enedis').
Dans le cadre de cette réglementation, la société Azimut 56 a décidé de l'implantation d'une centrale photovoltaïque d'une puissance de 101 kVA. Son projet étant soumis à proposition technique et financière de raccordement au réseau (ci-après 'PTF'), le délai d'instruction de la demande de raccordement était de trois mois à compter de la date de réception de la demande complète.
Elle a ainsi envoyé une demande de raccordement le 26 août 2010, par l'intermédiaire de son mandataire, la société One network energies. La société Enedis en a accusé réception le 3 septembre 2010 et l'a déclarée complète au 26 août 2010.
La PTF a été envoyée par la société Enedis le 29 novembre 2010. Elle a été acceptée par la société Azimut 56 et renvoyée par lettre recommandée postée le 6 décembre 2010 à la société Enedis qui l'a reçue, ainsi que les chèques d'acompte, le 8 décembre 2010.
Le décret du 9 décembre 2010 entré en vigueur le 10 décembre 2010 a suspendu pour une durée de trois mois à compter de son entrée en vigueur l'obligation de conclure un contrat d'achat de l'électricité produite par certaines installations photovoltaïques, aucune demande de contrat d'achat ne pouvant être déposée durant la période de suspension et les demandes suspendues devant faire l'objet, à l'issue de la période de suspension, d'une nouvelle demande complète de raccordement au réseau. Cette suspension ne s'applique toutefois pas aux installations dont le producteur a notifié au gestionnaire de réseau, avant le 2 décembre 2010, son acceptation de la PTF. A l'issue de ce moratoire, un arrêté du 4 mars 2011 a fixé le prix d'achat de cette électricité à des tarifs inférieurs à ceux prévus par les arrêtés antérieurs et exclu du bénéfice de l'obligation d'achat les installations d'une puissance supérieure à 100 kWc, désormais soumises à une procédure d'appel d'offres.
A la fin de la période de suspension, la société Azimut 56, qui avait construit sa centrale, n'a pas déposé de nouvelle demande de raccordement.
Soutenant que la société Enedis avait commis des fautes, la société Azimut 56 l'a fait assigner devant le tribunal de commerce de Nanterre en réparation de son préjudice.
Par jugement contradictoire du 16 octobre 2014, le tribunal de commerce de Nanterre a :
- débouté la société Azimut 56 de toutes ses demandes ;
- condamné la société Azimut 56 à payer à la société Enedis, la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la société Azimut 56 aux dépens.
Par déclaration reçue le 17 novembre 2014, la société Azimut 56 a interjeté appel de cette décision.
Par ordonnance d'incident du 1er mars 2016, le conseiller de la mise en état a sursis à statuer dans l'attente de la décision de la Cour de justice de l'Union européenne saisie dans l'affaire Ombrière Le Bosc.
La CJUE a répondu à la question posée dans le dossier Ombrière Le Bosc par ordonnance du 15 mars 2017 et radié la procédure préjudicielle dans le dossier Green Yellow.
A la demande de la société Azimut 56, l'affaire a été réinscrite au rôle le 29 novembre 2016.
Par ordonnance d'incident du 22 mai 2017, le conseiller de la mise en état a débouté la société Enedis de sa demande de sursis à statuer dans l'attente de la décision de la cour d'appel de Versailles dans le cadre de la procédure venant devant cette juridiction portant le n° RG 16/05166 (affaire CS Ombrière Le Bosc).
Dans ses dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 18 janvier 2018, la société Azimut 56 demande à la cour :
Sur la faute d'Enedis,
- constater que le délai de trois mois imposé à Enedis pour transmettre une PTF à son demandeur est un délai réglementaire et impératif qui constitue une obligation de résultat à charge d'Enedis ;
- constater qu'Enedis manqué à son obligation de résultat en ne transmettant pas la PTF à Azimut dans le délai de trois mois ;
- en conséquence, confirmer le jugement du tribunal de commerce de Nanterre en ce qu'il retient la faute d'Enedis pour avoir manqué à son obligation de transmettre une PTF dans le délai réglementaire de 3 mois ;
- constater que les critères de la force majeure ne sont pas remplis en l'espèce ;
- en conséquence, confirmer le jugement du tribunal de commerce de Nanterre en ce qu'il écarte l'existence d'une cause de force majeure à l'égard d'Enedis ;
Sur le lien de causalité,
- constater qu'ayant réceptionné la PTF le 4 décembre 2010 et l'ayant renvoyée le 6 décembre 2010, le mandataire d'Azimut a renvoyé la PTF acceptée dans le délai d'un jour ouvrable ;
- constater qu'en l'absence de faute d'Enedis, le mandataire d'Azimut aurait pu renvoyer la PTF acceptée avant le 2 décembre 2010 et qu'Azimut aurait pu bénéficier du tarif de l'arrêté du 12 janvier 2010 ;
- en conséquence, infirmer le jugement du tribunal de commerce de Nanterre en ce qu'il considère que la faute d'Enedis n'est pas la cause directe du préjudice subi par Azimut;
- en conséquence, juger que la faute d'Enedis est la cause directe du préjudice subi par Azimut et que le lien de causalité est établi ;
Sur l'argument tiré du droit communautaire des aides d'Etat,
- constater que la notification tardive de l'arrêté du 12 janvier 2010 est sans effet sur le principe du droit d'Azimut à être indemnisé et purement hypothétique en ce qui concerne le quantum de cette indemnisation ;
- en conséquence, rejeter l'argument formulé par Enedis sur le fondement du droit communautaire des aides d'Etat ;
Sur le calcul du préjudice,
- constater que l'exploitation de la centrale d'Azimut sur la base des tarifs post-Moratoire aurait été déficitaire ;
- constater que la méthode de calcul du préjudice présentée par Azimut est suffisamment claire, objective et fiable pur justifier les sommes réclamées ;
- à titre principal, dire et juger que le préjudice subi par Azimut est un préjudice certain et condamner la société Enedis à verser à Azimut la somme de :
- 593 364,00 au titre du dommage futur et certain consistant dans la perte de marge ;
- 668 789,26 euros au titre des frais engagés ;
- 100 000,00 euros au titre du préjudice moral ;
soit au total la somme de 1 362 153,26 euros, outre intérêts au taux légal à compter de l'assignation ;
- à titre subsidiaire, dire et juger que le préjudice subi par Azimut est constitué d'un dommage certain incluant la totalité des frais engagés et le préjudice moral qu'elle a subi ainsi que d'une perte de chance de réaliser sa marge d'exploitation à hauteur de 88% de celle-ci, et condamner la société Enedis à verser à Azimut la somme de:
- 522 160,32 au titre de la perte de chance ;
- 668 789,26 euros au titre des frais engagés ;
- 100 000,00 euros au titre du préjudice moral ;
soit au total la somme de 1 290 949,58 euros, outre intérêts au taux légal à compter de l'assignation ;
- condamner en outre Enedis au paiement de la somme de 40 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;
- ordonner l'exécution provisoire.
Dans ses dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 12 janvier 2018, la société Enedis demande à la cour de :
1) Sur l'absence de faute d'Enedis,
- dire et juger que la société Enedis n'a commis aucune faute dans le traitement de la demande de raccordement de la société Azimut ;
2) Subsidiairement, sur le défaut de lien de causalité,
- dire et juger que la société Azimut ne démontre pas que, en l'absence de retard d'Enedis dans la transmission de la PTF, elle aurait nécessairement matérialisé son accord sur ce document avant le 2 décembre 2010 ;
- dire et juger, en conséquence, qu'il n'existe pas de lien de causalité entre le dépassement du délai de trois mois dans la transmission de la PTF et le préjudice allégué, qui résulte exclusivement de l'application du décret du 9 décembre 2010 au projet ;
3) Plus subsidiairement, sur le caractère non réparable du préjudice allégué,
- dire et juger que l'achat de l'électricité produite par les installations utilisant l'énergie radiative du soleil à un prix supérieur à sa valeur de marché, dans les conditions définies par l'arrêté du 12 janvier 2010, a le caractère d'une aide d'Etat ;
- constater que cet arrêté n'a pas été notifié préalablement à la Commission européenne en violation de l'article 108 paragraphe 3 du TFUE ;
- dire et juger que cet arrêté est illégal et que son application doit, en tout état de cause, être écartée ;
- rejeter, en conséquence, les demandes de la société Azimut fondées sur une cause illicite ;
4) Encore plus subsidiairement, sur la perte de chance inexistante,
- dire et juger que le seul préjudice dont pourrait se prévaloir la société Azimut est la perte d'une chance inexistante et, dès lors, non indemnisable ;
5) A titre infiniment subsidiaire, sur l'assiette de la perte de chance,
- dire et juger que les hypothèses de calcul de l'assiette de préjudice sont totalement injustifiées en leur principe et leur quantum ;
6) En conséquence,
- confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté les demandes de la société Azimut ;
- débouter la société Azimut de l'ensemble de ses demandes et de sa requête d'appel;
- rejeter toutes prétentions contraires ;
- condamner la société Azimut au paiement ;
- de la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile;
- des entiers dépens de l'instance, dont ceux d'appel distraits au profit de l'AARPI Z... Avocats.
Le ministère public, dans son avis notifié aux parties le 10 janvier 2018, sollicite de la cour qu'elle tire les conséquences de l'ordonnance rendue par la Cour de justice de l'Union européenne le 15 mars 2017 dans l'affaire C-515/16 et adopte les points de droit suivants ' le mécanisme de l'obligation d'achat de l'électricité produite par les installations utilisant l'énergie radiative solaire à un prix supérieur à celui du marché et dont le financement est supporté par les consommateurs finals d'électricité, en application des arrêtés ministériels des 10 juillet 2006 et 12 janvier 2010, doit être considéré comme une intervention de l'Etat ou au moyen de ressources d'Etat. En effet, dès lors qu'il accorde un avantage aux producteurs de cette électricité, cet avantage est susceptible d'affecter les échanges entre Etats membres et d'avoir une incidence sur la concurrence ; sont ainsi réunis les critères de l'aide d'Etat au sens de l'article 107 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Les arrêtés susvisés, pris en méconnaissance de l'obligation de notification préalable à la Commission européenne résultant de l'article 108 paragraphe 3 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, sont entachés d'illégalité, et, dès lors, ne peuvent être appliqués à la présente affaire'. Il s'en rapporte enfin à la sagesse de la cour sur le caractère juridiquement réparable d'un ou de plusieurs préjudices invoqués par l'intimée, qui pourrait reposer sur un fondement autre que les arrêtés ministériels susmentionnés.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 8 février 2018.
Pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, il est renvoyé à leurs dernières écritures signifiées conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
SUR CE,
1- Sur la faute résultant du non respect du délai :
La société Azimut 56 soutient pour l'essentiel que les travaux de construction de la centrale ont été terminés en septembre 2010, que le 26 août 2010 elle a adressé à la société Enedis une demande de raccordement par le biais de son mandataire, que la société Enedis a 'qualifié' sa demande au 26 août 2010 et annoncé l'envoi d'une PTF sous trois mois à compter de cette date, que pourtant, bien qu'éditée le 24 novembre 2010 et accompagnée d'une lettre datée du 25 novembre 2010, la PTF ne lui a été envoyée que le lundi 29 novembre 2010 et ne lui est parvenue que le 4 décembre 2010, en raison d'une erreur commise par la société Enedis sur l'adresse du mandataire, qu'elle a renvoyé la PTF acceptée le premier jour ouvrable suivant soit le 6 décembre 2010. Elle ajoute qu'elle a saisi le comité de règlement des différends et des sanctions (CoRDiS) de la commission de régulation de l'énergie (la CRE) qui a rendu une décision non frappée d'appel, constatant le non-respect par la société ERDF de sa procédure de traitement des demandes de raccordement et sa faute, que le tribunal de commerce de Nanterre a également retenu cette faute mais a rejeté les demandes en l'absence de lien de causalité. Elle fait valoir que la société Enedis lui a adressé une PTF ce qui suffit à démontrer que son dossier était complet, que seul manquait le NIC, pour des raisons techniques qu'elle expose, c'est à dire les 5 derniers chiffres du numéro de SIRET, ce qui n'était pas de nature à retarder l'envoi de la PTF qui a d'ailleurs été adressée, que la transmission de la PTF dans un délai de trois mois revêt un caractère impératif, qu'il débute au jour où la société Enedis a reçu sa demande et se termine au jour où le producteur la réceptionne effectivement, qu'aucune force majeure n'est caractérisée, l'afflux de demande n'ayant pas de caractère imprévisible, la société Enedis sachant que le secteur faisait l'objet d'une inflation réglementaire qui entraînait un afflux de demandes dès que le gouvernement annonçait un changement de tarif, que le caractère d'irrésistibilité n'était pas davantage rempli.
La société Enedis réplique que la centrale a été construite avant toute démarche auprès d'elle et donc dans l'ignorance totale des conditions de raccordement, que cette demande mentionnait l'adresse de la société One network energies comme étant '15 rue Galilée à Lorient' et n'était pas complète en ce sens que le demandeur doit indiquer si le site est déjà raccordé au réseau public de distribution d'électricité et le numéro SIRET de l'établissement concerné par le raccordement, précisions que n'a pas apportées la société One network energies qui s'est contentée d'indiquer qu'il existait un raccordement en provisoire, qu'agissant dans l'intérêt de la société Azimut 56, elle lui a néanmoins transmis à titre exceptionnel par courrier du 29 novembre 2010 une PTF globale pour les quatre dossiers de raccordement à l'adresse mentionnée sur la demande.
La société Enedis conteste tout traitement discriminatoire des demandes de raccordement en répliquant que la décision du 14 février 2013 de l'Autorité de la concurrence n'établit pas un tel traitement et que la société Azimut 56 procède par amalgame avec le 'groupe EDF'.
Il résulte de la délibération de la commission de régulation de l'énergie du 11 juin 2009 portant décision sur les règles d'élaboration des procédures de traitement des demandes de raccordement au réseau public de distribution d'électricité et le suivi de leur mise en oeuvre et de son annexe 1 que la société ERDF, devenue Enedis, avait l'obligation de transmettre aux demandeurs une PTF dans un délai n'excédant pas trois mois à compter de la réception de sa demande de raccordement complète.
L'article 7.2.3 de la procédure de traitement des demandes de raccordement individuel d'Enedis applicable à compter du 3 juillet 2010 (ERDF-PRO-RAC-14E Version V.1) pour les installations d'une puissance supérieure à 36 kVA, prévoit que ' A l'issue de cet examen et lorsque le dossier est complet, la demande de raccordement est qualifiée. La date de qualification de la demande de raccordement est fixée à la date de réception du dossier lorsque celui-ci est complet ou à la date de réception de la dernière pièce manquante. ERDF confirme par courrier postal ou électronique au demandeur que son dossier est complet. A cette occasion, ERDF communique également la date de qualification de sa demande de raccordement...ainsi que le délai d'envoi de l'offre de raccordement'.
L'article 8.2.1 de ce document précise qu' 'à compter de la date de qualification de la demande de raccordement, le délai de transmission au demandeur de l'offre de raccordement... n'excédera pas trois mois quelque soit le domaine de tension de raccordement'.
Ainsi, sur le fondement des dispositions de l'article 1382, devenu 1240, du code civil, la société Enedis commet une faute délictuelle lorsque le délai de trois mois dont elle dispose pour adresser une PTF à un candidat au raccordement au réseau électrique n'est pas respecté.
Ce délai maximum de trois mois se calcule à partir de la date de la réception par la société Enedis du dossier complet de demande de raccordement et s'apprécie à la date de réception de la PTF par le demandeur.
En l'espèce, il est justifié que la société Azimut 56 a, par l'intermédiaire de la société One network energies, adressé à la société Enedis des 'fiches de collecte de renseignements pour une pré-étude (simple ou approfondie) et pour une offre de raccordement au réseau public de distribution géré par ERDF, d'une installation de production photovoltaïque de puissance supérieure à 36 kVA', datées du 26 août 2010, comportant habilitation de la société la société One network energies pour signer en son nom la PTF.
Selon mail daté du 3 septembre 2010, adressé au mandataire, la société Enedis a déclaré la demande complète à compter du 26 août 2010 de sorte que la PTF devait être reçue par la société Azimut 56 avant le 26 novembre suivant à minuit.
La société Enedis ne peut se prévaloir du caractère incomplet de la demande, puisqu'elle a émis une PTF en connaissance de l'absence de ce numéro SIRET et en précisant le faire 'à titre exceptionnel'. Dès lors que la société Enedis a considéré comme complète la demande de la société Azimut 56 à compter du 26août2010, et qu'elle ne l'a pas remise en cause ultérieurement, le défaut de transmission par la société Enedis d'une PTF avant le 26novembre2010 à minuit est constitutif d'une faute. En y manquant, la société Enedis a, comme l'a également constaté le CoRDIS par décision du 26 septembre 2013, méconnu sa procédure de traitement des demandes de raccordement.
La faute de la société Enedis qui a émis une PTF le 29 novembre 2010 est donc caractérisée.
2- Sur le lien de causalité :
Le lien de causalité doit être recherché avec les préjudices allégués.
La société Azimut 56 soutient que son préjudice est constitué des frais engagés en pure perte, d'un préjudice moral et, à titre principal, de la perte de marge ou, subsidiairement, de la perte d'une chance de réaliser cette marge. Elle prétend que le lien de causalité est établi dès lors que la seule violation du délai de trois mois ouvre droit à réparation et que l'obligation de la société Enedis était une obligation de résultat, que pour déterminer si le producteur était en mesure de retourner la PTF signée avant le 2 décembre 2010 il convient de s'attacher au nombre de jours ouvrables entre le jour où la PTF aurait dû être réceptionnée par le producteur et le jour où la PTF a été acceptée par le producteur et expédiée à la société Enedis, qu'en l'espèce la PTF a été effectivement réceptionnée le samedi 4 décembre et renvoyée dans le délai d'un jour ouvrable après cette réception, qu'elle a démontré à plusieurs reprises avoir été en mesure de renvoyer dans le délai d'un jour ouvrable la PTF acceptée avec le chèque d'acompte que son mandataire était habilité à émettre lui-même pour les 4 sociétés concernées par ce projet, que si elle l'avait reçue le vendredi 26 novembre 2010, elle était donc en mesure de la renvoyer le jour ouvrable suivant, soit le lundi 29 novembre 2010.
La société Enedis réplique que la perte de l'ancien tarif avantageux a pour cause exclusive l'adoption par le gouvernement du décret du 9 décembre 2010 ainsi que les propres choix et imprudences de la société Azimut 56 et de son mandataire. Elle précise qu'elle n'a commis aucune faute en adressant la PTF à Lorient et non à Ploemeur puisque c'est cette adresse qui était mentionnée sur la demande de raccordement tant sur le tampon de la société One network energies que de manière manuscrite, que le délai de transmission entre le 2 décembre et le 4 décembre ne peut en aucun cas lui être reproché, qu'enfin, ainsi que le prévoit l'article 8.3.4 de la procédure de traitement des demandes de raccordement applicable à l'espèce, 'l'accord sur l'offre est matérialisé par la réception de l'exemplaire daté et signé de l'offre de raccordement', que c'est la date de réception de la PTF par la société Enedis qui doit donc être prise en compte.
Elle ajoute que l'imminence d'un moratoire était imprévisible, de même que ses effets rétroactifs au 2 décembre 2010, que la société Azimut 56 n'avait donc aucune raison d'agir dans l'urgence, pensant à cette époque que le tarif d'achat était figé par la date de complétude du dossier, que d'ailleurs l'ensemble des grands groupes ont systématiquement retourné leur PTF à compter du 3 décembre 2010, y compris lorsqu'ils les avaient en leur possession depuis plusieurs semaines, que même si elle était capable de retourner la PTF le lendemain, la société Azimut 56 n'avait aucune raison de le faire avant l'annonce du moratoire par le gouvernement le 2 décembre 2010.
Elle en déduit que la société Azimut 56 ne démontre pas qu'elle aurait retourné la PTF dans les délais alors que les faits démontrent qu'ayant eu la PTF entre les mains le 2 décembre 2010, seule date opposable à la société Enedis compte tenu de l'erreur d'adresse commise par le producteur, elle ne l'a notifiée en retour que le 8 décembre 2010, date de réception de la PTF acceptée, qu'aucun lien de causalité entre sa faute et le préjudice n'est donc caractérisé.
Enfin elle fait valoir que c'est la société Azimut 56 qui a décidé de bâtir la centrale avant même de faire sa demande de raccordement, que c'est ce choix d'une part d'engager des frais de construction sans avoir la certitude d'un raccordement et d'autre part de ne déposer sa demande de raccordement qu'en août 2010 alors qu'elle ou son mandataire pouvait le faire bien avant qui a entraîné sa soumission au moratoire.
La procédure de traitement des demandes de raccordement n'imposant ni n'interdisant aucune construction de l'installation photovoltaïque avant la demande de raccordement, le fait que la société Azimut 56 y ait procédé avant et pendant l'instruction de sa demande de PTF n'a aucune incidence sur l'appréciation du lien de causalité entre la faute commise par la société Enedis et les préjudices dont elle demande réparation. Cette circonstance sera envisagée avec l'appréciation des préjudices dont elle demande réparation.
L'article 1er du décret du 9 décembre 2010 a suspendu l'obligation de conclure un contrat d'achat à compter de l'entrée en vigueur de ce décret, soit le 10 décembre 2010. L'article 3 écarte l'application de cette suspension pour les producteurs ayant notifié leur acceptation de la PTF avant le 2 décembre 2010.
La faute de la société Enedis n'est constituée qu'à l'expiration du délai de trois mois dont elle disposait pour envoyer une PTF, soit le vendredi 26 novembre 2010 minuit au plus tard.
En l'absence de retard de la société Enedis dans l'envoi de la PTF, la société Azimut 56 aurait dû renvoyer la PTF complétée de l'acompte avant le mercredi 1er décembre 2010 à minuit pour échapper au moratoire et ne pas subir le préjudice allégué. Elle aurait donc disposé de cinq jours pour procéder à cette formalité. Elle justifie qu'elle aurait été en mesure de le faire puisqu'ayant reçu effectivement la PTF le samedi 4 décembre 2010, elle l'a renvoyée le lundi 6 décembre suivant, l'erreur commise par le producteur sur l'adresse véritable de son mandataire qu'il a domicilié sur la fiche de collecte de renseignements à Lorient au lieu de Ploemeur n'ayant eu à ce titre aucune incidence.
Le lien de causalité entre la faute de la société Enedis et les préjudices invoqués par la société Azimut 56 est donc établi.
3- Sur les préjudices :
* sur les frais engagés :
Soutenant devoir être indemnisée des frais d'étude et de développement, d'achat des matériaux, des coûts de la construction, des coûts financiers et de la garantie qu'elle a dû contracter pour obtenir les prêts nécessaires, ainsi que des frais de démontage, la société Azimut 56 fait valoir que la centrale est bâtie et en attente de raccordement mais qu'elle ne peut être mise en service car elle serait déficitaire ; qu'en outre le cadre réglementaire ayant changé elle n'était plus éligible à l'obligation d'achat, la centrale ayant une puissance supérieure à 100 kW, que la CRE a précisé que la procédure d'appel d'offres ne s'appliquait pas aux centrales photovoltaïques au sol d'une puissance comprise entre 100 et 250 kW mais que celles-ci bénéficieraient du tarif T5 fixé dans l'arrêté du 4 mars 2011, que ce tarif est inférieur de 80% au tarif dont aurait bénéficié le projet si la société Enedis avait répondu dans les délais, que le projet aurait été déficitaire sur toute la durée du contrat d'achat (- 593 364 euros), que ce n'est donc pas par convenance personnelle qu'elle n'a pas poursuivi le projet et se trouve contrainte de faire démonter les installations et recycler le matériel.
Elle expose que lorsqu'elle s'est lancée dans ce projet la réglementation était stable et que le 'décret' du 12 janvier 2010 disposait que les tarifs seraient inchangés jusqu'au 31 décembre 2011, qu'en construisant la centrale avant d'avoir obtenu l'assurance du 'T0" qui cristallisait le prix d'achat de l'électricité elle ne prenait donc aucune décision générant un risque économique inconsidéré, que l'obtention préalable d'une PTF n'était en rien obligatoire, qu'il n'y avait aucun risque sur la faisabilité du raccordement, que les projets doivent être construits avant de signer le contrat d'achat, que la société Enedis ne peut lui reprocher d'avoir construit la centrale avant de demander la PTF alors que dans d'autres affaires elle reproche aux producteurs de ne pas avoir de projet certain et financé.
La société Enedis réplique que la société Azimut 56 ne peut demander réparation à la fois des dépenses engagées en pure perte et de la perte de marge sur 20 ans ces deux postes constituant un doublon, qu'en outre la société Azimut 56 ne produit aucun document et notamment le bail signé avec la SCI Juxel qui permettrait de démontrer qu'elle allait bien exploiter la centrale sur 20 ans en son nom et en récolter les bénéfices et qu'elle indique elle-même avoir eu pour objectif de céder le projet pour en financer d'autres, qu'elle ne comptait donc pas l'exploiter pendant la durée de l'obligation d'achat. La société Enedis ajoute que le moratoire n'a en outre ni annulé ni interdit le projet de la société Azimut 56, qu'il en a interrompu l'instruction afin de le soumettre à un nouveau tarif d'achat et au mécanisme des appels d'offres lancés par l'Etat et par la CRE, mécanismes dont les centrales sur trackers n'étaient nullement exclues, que le premier appel d'offres a donné lieu à un prix moyen pondéré de 22,88 cts€/kWh qui permettait la rentabilité du projet, qu'ayant abandonné son projet pour des raisons qui relèvent de sa seule discrétion elle ne peut en faire assumer les conséquences financières à la société Enedis, qu'elle ne démontre pas le lien existant entre les coûts financiers et de garantie et les faits reprochés à la société Enedis.
Les frais engagés dont la société Azimut 56 demande réparation sont les frais d'étude et de développement, le coût de la construction (443716 euros), les frais financiers (124 267,49 euros) compte tenu des emprunts finançant le projet à hauteur de 80%, le coût de la garantie Oseo (13637,77 euros), le coût du démontage et du recyclage (87168 euros) , soit un coût total de 668 789,26 euros.
Il a été rappelé que la société Azimut 56 a construit la centrale avant de déposer sa demande de raccordement, ces frais ont donc été engagés en connaissance des évolutions réglementaires rapides dans ce domaine. L'arrêté du 12 janvier 2010 prévoit non pas la stabilité des tarifs jusqu'au 31 décembre 2011 mais seulement une indexation des tarifs au 1er janvier de chaque année à compter du 1er janvier 2012, indexation qui était déjà prévue par le précédent arrêté du 10 juillet 2006. En outre la réflexion sur l'impossibilité de maintenir des tarifs très élevés était déjà engagée depuis la fin de l'année 2009 et, comme le rappelle la société Enedis, une mission pour en étudier les conséquences et déterminer les remèdes a été confiée en mars 2010 au Conseil général de l'industrie, de l'énergie et des technologies.
Aucune garantie sur une pérennité des tarifs ni aucune espérance légitime dans le maintien de ces conditions ne peuvent donc être invoquées.
Pour démontrer qu'elle n'avait plus intérêt à demander le raccordement de la centrale, la société Azimut 56 produit une analyse financière de son projet établie sur la base de 12 cts d'euros le kWh.
Cette analyse, si elle apparaît déficitaire pour un tel tarif, ne tient pas compte de la possibilité de souscrire à un appel d'offres et d'obtenir, si la candidature est retenue, un tarif qui s'est avéré très supérieur au tarif hors appel d'offres pour des centrales de plus de 100 kWc, puisqu'il a évolué entre août 2011 et décembre 2012 entre 22,88 cts d'euros et 20,03 cts d'euros et que le projet aurait dans ce cas été rapidement bénéficiaire. Surtout elle ne permet pas d'expliquer pourquoi alors que la centrale était déjà construite, les emprunts déjà souscrits et les frais déjà engagés, l'abandon du projet était contraint.
L'investissement en pure perte des coûts liés à l'édification de la centrale et à son financement est donc le résultat tant de la faute de la société Enedis que des décisions prises par la société Azimut 56 qui ne peut réclamer à la société Enedis la totalité du préjudice qu'elle a subi. L'indemnisation de son préjudice sera donc limitée à 50% des frais de construction et de financement de la centrale en ce compris le coût de la garantie OSEO laquelle est, au vu des justificatifs versés aux débats de 13 416,70 euros et non 13637,77 euros comme indiqué par erreur.
En revanche il ne sera pas fait droit à la demande relative au coût de démantèlement et du recyclage de la centrale, la société Azimut 56 ayant indiqué qu'elle avait pour objectif initial de vendre la centrale et ces frais, qui ne tiennent pas compte du produit qu'elle pourrait retirer d'une vente de la centrale ou de ses matériaux et équipements, étant dès lors hypothétiques.
Il sera donc fait droit à sa demande à hauteur de 290 700,10 euros (443716 + 124 267,49 + 13416,70 X 50%).
* sur le préjudice moral :
La société Azimut 56 rappelle qu'une personne morale peut subir un préjudice moral, qu'elle avait été créée dans l'objectif de réaliser plusieurs centrales photovoltaïques, que le projet de Saint Allouestre était le premier et destiné à financer d'autres projets par la suite l'objectif étant de céder ses projets au fil du temps et de les remplacer par d'autres, que la faute de la société Enedis l'a empêchée d'exercer cette activité, causant une atteinte irréversible à son image, que, ne portant qu'un seul projet photovoltaïque non raccordé, elle n'a pu donner aux tiers l'image d'un véhicule pour d'autres projets, que depuis huit années, elle s'est limitée à se battre pour faire aboutir son projet puis pour se faire indemniser.
La société Enedis réplique que la société Azimut 56 n'avait jamais affirmé jusqu'à présent et ne démontre pas aujourd'hui qu'elle entendait développer son activité de production et d'exploitation de centrales à la suite du projet de Saint-Allouestre et qu'elle n'est qu'une société de projet au capital infime de 10000 euros.
La société Azimut 56 ne justifie pas avoir dû abandonner certains projets ni même avoir eu l'intention de réaliser d'autres projets, qui auraient d'ailleurs été soumis à des conditions financières moins favorables, pas plus qu'elle ne justifie de la perte de crédibilité dont elle se prévaut.
Elle sera donc déboutée de sa demande de dommages-intérêts pour préjudice moral.
* sur le préjudice résultant de la perte de marge :
La société Azimut 56 ne conteste pas que le régime de soutien de l'Etat aux producteurs d'électricité photovoltaïque constitue une aide d'Etat, et ce quelque soit le prix d'achat mais fait valoir que c'est seulement au stade de l'analyse de la compatibilité avec le TFUE que le niveau de prix de rachat peut avoir un impact, que les arrêtés de 2006, 2010 et 2011 ont été notifiés à la Commission européenne qui ne s'est prononcée que sur l'arrêté de 2011 et se prononcera à l'avenir sur les deux autres arrêtés ; qu'une distinction doit être faite entre illégalité et incompatibilité de l'aide, une aide illégale pour défaut de notification pouvant finalement être jugée compatible, que la tardiveté de la notification ne suffit donc pas à priver de fondement la demande d'indemnisation formée par la société Azimut 56, qu'elle est sans incidence sur les contrats en cours ou un droit à réparation pour n'avoir pas pu conclure de tels contrats, que la Commission européenne n'a prononcé aucune sanction et n'a ordonné aucune récupération des intérêts, et que chaque arrêté annulé a donné lieu à un nouvel arrêté permettant le maintien du tarif et la continuité des contrats en cours.
Elle ajoute que le refus d'indemnisation des producteurs victimes d'une faute de la société Enedis serait incompréhensible dès lors que les producteurs non victimes de cette faute continuent de percevoir ces aides sans être inquiétés, que si la cour devait sanctionner le défaut de notification préalable par la récupération de tout ou partie de l'aide, elle devrait appliquer la sanction à tous les contrats en cours sauf à opérer une discrimination contraire à l'objectif fixé par la jurisprudence communautaire, que le risque de récupération d'une aide versée est donc purement hypothétique en son principe et indéterminable en son montant.
Elle soutient , que le manque à gagner qui constitue le préjudice de la société Azimut 56 doit être calculé sur la perte de marge brute escomptée sur 20 ans.
La société Enedis soutient que le préjudice fondé sur l'application, au profit des producteurs, de l'arrêté tarifaire du 12 janvier 2010 repose sur une cause illicite et ne peut donner lieu à réparation qu'il a en effet le caractère d'une aide d'Etat, illégale au regard du droit de l'Union européenne pour défaut de notification préalable à la Commission européenne. Elle rappelle les critères d'une aide d'Etat et soutient qu'il incombe au juge national de déclarer illégal l'acte administratif ayant institué le régime d'aide d'Etat dont l'illégalité s'apprécie indépendamment de son éventuelle compatibilité avec le marché commun.
Rappelant les décisions intervenues quant au mécanisme d'obligation d'achat d'électricité d'origine éolienne financé par la contribution au service public de l'électricité (la CSPE), elle fait valoir que, par analogie, l'illégalité de l'arrêté du 12 janvier 2010 est certaine et que le juge national doit en tirer les conséquences sur les prétentions du producteur.
Répondant aux moyens adverses, elle conteste que la Commission européenne ait été saisie de l'arrêté du 12 janvier 2010 et soutient que l'illégalité résultant du défaut de notification s'apprécie indépendamment de sa compatibilité avec le marché commun.
Subsidiairement, la société Enedis fait valoir que le seul préjudice dont pourrait se prévaloir le producteur serait une perte de chance qui ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée, qui est ici infime, s'agissant d'un simple projet, très incomplet et compte tenu des multiples aléas pouvant encore l'affecter tant dans sa réalisation que quant au tarif et aux nouvelles conditions exigées pour en bénéficier. Encore plus subsidiairement elle considère que l'assiette du préjudice allégué est injustifiée.
La perte de marge que la société Azimut 56 sollicite au titre de l'indemnisation de son préjudice est estimée par rapport à la perte du tarif d'achat de l'électricité fixé par l'arrêté tarifaire du 12janvier 2010.
Or la perte d'un avantage dont l'obtention aurait été contraire au droit ne peut être considéré comme un préjudice réparable. Rétablir, comme c'est le propre de la responsabilité civile, 'l'équilibre détruit par le dommage et de replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si l'acte dommageable ne s'était pas produit' ne peut conduire à reconstituer un avantage illicite.
Tel est le cas d'un régime d'aide contraire au droit de l'Union européenne. En effet, le juge national chargé d'appliquer les dispositions du droit de l'Union a l'obligation d'en assurer le plein effet en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition contraire et le juge judiciaire doit appliquer le droit de l'Union dans le cas où serait en cause devant lui, à titre incident, la conformité d'un acte administratif au droit de l'Union européenne.
Il convient, par conséquent, de rechercher si tel est le cas de l'arrêté tarifaire du 12 janvier 2010 fixant les conditions d'achat de l'électricité produite par les installations utilisant l'énergie radiative du soleil.
L'article 107 alinéa 1 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) dispose que sont incompatibles avec le marché intérieur, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d'État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions.
En son alinéa 2, l'article 107 précise que peuvent être considérées comme compatibles avec le marché intérieur (...) c) les aides destinées à faciliter le développement de certaines activités ou de certaines régions économiques, quand elles n'altèrent pas les conditions des échanges dans une mesure contraire à l'intérêt commun.
L'article 108 du même traité fonde le pouvoir de contrôle de la Commission européenne pour procéder à l'examen permanent des régimes d'aides d'Etat, proposer des évolutions, déclarer compatibles ou non avec le marché les aides d'Etat et la nécessité de lui notifier les projets d'aides préalablement à leur mise en oeuvre.
Il se déduit de ces dispositions que toute aide d'Etat qui n'a pas été soumise à la Commission européenne préalablement à sa mise à exécution est présumée illégale jusqu'à ce qu'elle ait statué.
En suite des deux questions préjudicielles qui lui ont été posées par la présente cour dans le litige opposant les sociétés Enedis et Axa à la SAS Ombriere le Bosc, la CJUE a, par ordonnance du 15 mars 2017, dit s'agissant de la première question que :
1) L'article 107, paragraphe 1, TFUE doit être interprété en ce sens qu'un mécanisme, tel que celui instauré par la réglementation nationale en cause au principal, d'obligation d'achat de l'électricité produite par les installations utilisant l'énergie radiative solaire à un prix supérieur à celui du marché et dont le financement est supporté par les consommateurs finals d'électricité doit être considéré comme une intervention de l'État ou au moyen de ressources d'État ;
et s'agissant de la seconde question, après avoir précisé qu'il appartenait à la juridiction de renvoi de déterminer préalablement si la mesure nationale en cause au principal constitue une aide d'Etat en vérifiant si les trois autres conditions visées à l'article 107 sont remplies, que
2) L'article 108, paragraphe 3, TFUE doit être interprété en ce sens que, en cas de défaut de notification préalable à la Commission européenne d'une mesure nationale constituant une aide d'État, au sens de l'article 107, paragraphe 1, TFUE, il incombe aux juridictions nationales de tirer toutes les conséquences de cette illégalité, notamment en ce qui concerne la validité des actes d'exécution de cette mesure.
La CJUE ayant ainsi répondu que l'obligation d'achat de l'électricité produite par les installations utilisant l'énergie radiative solaire à un prix supérieur à celui du marché et dont le financement est supporté par les consommateurs finals d'électricité est une intervention de l'Etat ou au moyen de ressources de l'Etat, il convient de rechercher si les trois autres conditions de l'aide d'Etat sont réunies, étant précisé qu'elle a également indiqué que le mécanisme relatif au tarif photovoltaïque instauré par la loi 2000-108 est identique à celui en cause dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt du 19 décembre 2013 (C-262/12, EU:C/2013:851) en matière éolienne à la suite duquel le Conseil d'Etat, dans un arrêt du 28mai2014 n°324852, a considéré que l'achat de l'électricité produite par les installations utilisation l'énergie mécanique du vent à un prix supérieur à sa valeur de marché, dans les conditions définies par les arrêtés attaqués, a le caractère d'une aide d'Etat.
La Commission de régulation de l'énergie, dans son avis consultatif préalable à l'adoption de l'arrêté du 4mars2011 qui fixait les tarifs d'achat à des niveaux moindres que ceux des arrêtés du 10 juillet 2006 et du 12 janvier 2010, a considéré que 'les tarifs proposés induisaient des rentabilités comparables ou supérieures au coût moyen pondéré du capital de référence' estimé à 5,1 % sur la base du coût du capital moyen d'un échantillon d'entreprises du secteur des énergies renouvelables.
Dans son rapport de juillet 2013 portant sur la politique de développement des énergies renouvelables, la Cour des comptes a considéré que 'la situation qu'a connue la filière solaire photovoltaïque durant la période 2010 à 2011 pouvait être qualifiée de 'bulle photovoltaïque, provoquée par une déconnexion entre les tarifs d'achat et la réalité des coûts' de production.
La Commission européenne a également relevé dans sa décision du 27 mars 2014 que pour 'le photovoltaïque en France, le tarif offrait des rentabilités excédant la rentabilité normale des capitaux'. Le succès du mécanisme d'achat dans le secteur photovoltaïque a été tel qu'il a de fait obligé le Gouvernement à revoir les tarifs applicables à la baisse.
Il est ainsi démontré que les arrêtés du 12 janvier 2010 et du 10 juillet 2006 permettant d'acquérir l'électricité produite par les installations utilisant l'énergie radiative solaire à un prix supérieur à sa valeur de marché accordaient un avantage aux seuls producteurs de cette électricité.
En garantissant un prix d'achat supérieur au prix du marché, ces dispositions législatives et réglementaires étaient de nature à fausser la concurrence et donc à avoir une incidence sur celle-ci.
Enfin, cet avantage était susceptible d'affecter les échanges entre Etats membres en raison de la libéralisation du secteur de l'électricité au niveau de l'Union européenne.
Il se déduit de ces éléments que le mécanisme d'obligation d'achat par la société EDF de l'électricité d'origine photovoltaïque à un prix supérieur à celui du marché et mis à exécution par l'arrêté du 12 janvier 2010 et celui du 10 juillet 2006 constitue une aide d'Etat.
Il est établi par la réponse apportée par le secrétaire d'Etat auprès du ministère des affaires étrangères et du développement international, chargé des affaires européennes sur le régime d'aides accordées aux producteurs d'électricité d'origine photovoltaïque, à la question écrite de M. A... du 27 septembre 2016 que l'arrêté du 12 janvier 2010 n'a pas été notifié à la Commission européenne.
Il en est de même de l'arrêté du 10 juillet 2006.
Ces deux arrêtés ayant été remplacés depuis aucune régularisation n'est possible.
Si les juridictions nationales sont compétentes pour apprécier le respect par les Etats membres de la procédure de notification, seule la Commission européenne est compétente pour statuer sur la compatibilité d'une aide d'État avec le marché intérieur. Dès lors, la cour ne peut se substituer à elle dans cette appréciation, même si ultérieurement, la Commission européenne a, à plusieurs reprises, décidé que les mécanismes d'aide mis en place par la France en matière de production d'électricité photovoltaïque après le moratoire étaient compatibles avec le marché intérieur, étant en outre observé que ces décisions postérieures de la Commission européenne ont porté sur des mécanismes d'aide différents, plus contraignants, et qui instauraient des tarifs bien inférieurs à ceux promulgués par les arrêtés des 10juillet2006 et 12 janvier 2010.
Le seul défaut de notification à la Commission européenne préalablement à leur mise en oeuvre rend les arrêtés du 10juillet 2006 et du 12janvier2010 non conformes au droit de l'Union et, par suite, illicite et non réparable le préjudice sollicité qui correspond à au moins 88% de la différence, sur une durée de 20 ans, de la marge entre les tarifs d'achat d'électricité résultant des arrêtés du 12 janvier 2010 et du 4 mars 2011, soit à la perte d'un avantage résultant d'une aide illégale.
Le sort des contrats en cours, l'absence de toute action en récupération d'une aide susceptible d'être considérée comme contraire au droit de l'Union et les modalités d'une telle action en récupération sont sans incidence sur le caractère licite de l'indemnisation sollicitée sur le fondement de l'article 1240 du code civil.
La société Azimut 56 doit donc être déboutée de sa demande d'indemnisation de son préjudice résultant de la perte de marge née de la perte du tarif fixé par l'arrêté du [...].
Il y a lieu par conséquent d'infirmer le jugement.
PAR CES MOTIFS,
La cour statuant contradictoirement,
Infirme le jugement en toutes ses dispositions,
et, statuant à nouveau,
Dit que la société Enedis a commis une faute à l'égard de la société Azimut 56,
Dit que le lien de causalité entre cette faute et le préjudice allégué par la société Azimut 56 est établi,
Condamne la société Enedis à payer à la société Azimut 56 la somme de 290 700,10 euros à titre de dommages-intérêts au titre des frais engagés,
Déboute la société Azimut 56 du surplus de ses demandes,
Condamne la SA Enedis à payer à la société Azimut 56 la somme de 10 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SA Enedis aux dépens de pemière instance et d'appel avec droit de recouvrement au profit des avocats pouvant y prétendre conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Sophie E..., Présidente et par Monsieur MONASSIER, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier,La présidente,