COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
6e chambre
ARRÊT N° 00604
CONTRADICTOIRE
DU 08 NOVEMBRE 2018
N° RG 15/04802
N° Portalis : DBV3-V-B67-QFQZ
AFFAIRE :
[B] [Q]
C/
[K] [F] [V]
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 09 Octobre 2015 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANTERRE
Section : Commerce
N° RG : 13/03219
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées le 09 Novembre 2018 à :
- Me Jean-Philippe MARIANI
- Me Christine DUMET- BOISSIN
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE HUIT NOVEMBRE DEUX MILLE DIX HUIT,
La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant, fixé au 13 septembre 2018, puis prorogé au 18 octobre 2018 et au 08 novembre 2018, les parties en ayant été avisées, dans l'affaire entre :
Monsieur [B] [Q]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représenté par Me Jean-Philippe MARIANI, avocat au barreau des HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : 287
APPELANT
****************
Madame [K] [F] [V]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentée par Me Christine DUMET-BOISSIN de la SELARL DUMET-BOISSIN & ASSOCIES, avocate au barreau des HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : 760
INTIMÉE
****************
Composition de la cour :
L'affaire a été débattue à l'audience publique du 15 Mai 2018, Madame Sylvie BORREL, conseiller, ayant été entendue en son rapport, devant la cour composée de :
Monsieur Jean-François DE CHANVILLE, Président,
Madame Sylvie BORREL, Conseiller,
Monsieur Patrice DUSAUSOY, Conseiller,
qui en ont délibéré,
Greffier, lors des débats : Monsieur Nicolas CAMBOLAS
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Mme [V] a été embauchée par M. [B] [Q], exploitant en son nom personnel une activité de gestionnaire de biens en location avec moins de 10 salariés, à la même adresse à [Localité 1] que la SARL [M] [Q] syndic de copropriété, selon un contrat à durée déterminée pour 7 mois à compter du 16 mars 2009 pour remplacer une salariée en congé maternité, en qualité d'employée administrative, moyennant un salaire de 1 800 euros brut/mois (39h).
Est applicable la convention collective de l'immobilier.
Mme [V] est partie en congés du 1er au 16 août 2009, alors qu'elle n'aurait pas eu l'autorisation de son employeur, lequel soutient avoir été contraint de trouver un remplaçant pendant son absence.
M.[B] [Q] allègue que Mme [V] aurait accepté verbalement de régulariser une rupture amiable de son contrat à son retour de congés.
Toutefois, elle se serait présentée au bureau le 17 août 2009 pour reprendre son travail ; victime d'une intoxication alimentaire, elle se trouvait en arrêt-maladie le 18 août. Le 19 août elle se présentait à son travail mais se voyait refuser l'entrée.
Faute de rupture amiable, M. [B] [Q], par lettre du 28 août 2009, initiait une procédure de licenciement pour faute grave, en convoquant Mme [V] à un entretien préalable fixé au 10 septembre, et en prononçant dans le même temps sa mise à pied à titre conservatoire.
Par lettre du 14 septembre 2009, il la licenciait pour faute grave pour absence non autorisée perturbant le fonctionnement de l'entreprise et déloyauté contractuelle.
La salariée a contesté son licenciement devant le conseil de prud'hommes par requête contre la société [B] [Q].
Par jugement du 9 octobre 2015 le conseil de prud'hommes de Nanterre requalifiait le licenciement pour faute grave de Mme [V] en licenciement sans cause réelle et sérieuse, et condamnait la société anonyme [B] [Q] administrateur de biens à payer à Mme [V] les sommes suivantes:
'' 1 350 euros à titre de rappel de salaires sur mise à pied, outre les congés payés afférents,
'' 766,87 euros à titre de rappel de salaires d'août 2009, outre les congés payés afférents,
'' 1 093,15 euros à titre d'indemnité de fin de contrat à durée déterminée,
'' 3 600 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive,
'' 1 000 euros au titre des frais irrépétibles.
M. [B] [Q] interjetait appel de ce jugement le 25 octobre 2015, alors qu'il n'était pas formellement partie à l'instance.
Le dossier était audiencé devant la cour à l'audience de juge rapporteur du 30 janvier 2017, date à laquelle l'affaire était renvoyée à l'audience de juge rapporteur du 25 septembre 2017, afin que les parties s'expliquent sur la qualité d'employeur de M. [B] [Q] et saisissent le cas échéant le conseil en rectification d'erreur matérielle, le conseil ayant, semble-t-il par erreur, mentionné que l'employeur était la société anonyme [B] [Q].
Entre-temps, Mme [V] saisissait sur ce point le conseil de prud'hommes d'une requête en rectification d'erreur matérielle ; le conseil lui disait qu'il ne pouvait statuer puisque la cour était saisie.
A l'audience du 25 septembre 2017, l'avocat de M. [B] [Q] sur interpellation de la cour, indiquait oralement se désister de son appel, dans la mesure où il n'était pas partie au litige, tandis que l'avocate de Mme [V] faisait savoir oralement qu'elle acquiesçait à ce désistement.
Par arrêt avant-dire droit la cour ordonnait la réouverture des débats et renvoyait l'affaire à l'audience collégiale du 28 novembre 2017, afin que les parties s'expliquent sur l'erreur matérielle du jugement dans la dénomination sociale de l'employeur de l'intimée.
A l'audience de plaidoiries du 15 mai 2018, les parties ont conclu comme suit :
M. [B] [Q] conclut in limine litis à l'irrecevabilité de son propre appel, car le jugement a été rendu contre la SA [B] [Q] qui n'existe pas, l'employeur de Mme [V] étant lui-même, M. [B] [Q] personne physique.
A titre subsidiaire il conclut à l'infirmation du jugement et au rejet de toutes les demandes de Mme [V], outre sa condamnation à lui payer la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles.
Mme [V] conclut à la confirmation du jugement en ce que le conseil a requalifié son licenciement pour faute grave en licenciement sans cause réelle et sérieuse, mais son infirmation pour le surplus, sollicitant la condamnation de M. [B] [Q] à lui payer les sommes suivantes :
'' 766,87 euros au titre des congés payés du 1er au 16 août 2009, outre celle de 76,69 euros au titre des congés payés afférents,
'' 1 891,60 euros à titre de rappel de salaires sur mise à pied, outre les congés payés afférents,
'' 1 093,15 euros à titre d'indemnité de fin de contrat à durée déterminée,
'' 9 800 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive,
'' 2 000 euros au titre des frais irrépétibles.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la rectification d'erreur matérielle du jugement et la recevabilité de l'appel
Le désistement n'est pas parfait dans la mesure où il repose sur la mention erronée du jugement sur la dénomination d'une partie.
En effet, il apparaît que l'employeur est non pas la société anonyme [B] [Q], comme le jugement l'a mentionné, mais M. [B] [Q] administrateur de biens en son nom personnel, lequel s'est présenté volontairement devant le conseil en tant qu'employeur en déposant des conclusions, et apparaît clairement comme l'employeur de Mme [V] dans le contrat de travail ; cette intervention couvre donc l'erreur d'appellation, étant précisé que la société [B] [Q] n'existe pas. Le conseil a omis de rectifier lors des débats devant lui puis dans son jugement cette erreur pourtant couverte par la comparution en son nom propre de l'employeur personne physique.
S'agissant d'une simple erreur matérielle du conseil, il convient de rectifier le jugement en remplaçant les mentions "SA [B] [Q]" par les mentions "[B] [Q] en son nom personnel", ce qui rend l'appel recevable car formé régulièrement par M. [B] [Q].
Sur le licenciement pour faute grave
L'article L.1235-1 du code du travail dispose que le juge doit apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, au vu des éléments fournis par les parties, étant précisé que la faute grave est celle qui non seulement empêche la poursuite de la relation contractuelle mais rend également impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la période de préavis de par la perturbation importante que son maintien en activité apporte au fonctionnement de l'entreprise.
Dans la lettre de licenciement du 14 septembre 2009, M. [B] [Q] reproche à Mme [V] d'avoir pris des congés non autorisés, du 1er au 16 août 2009, et d'avoir été déloyale en sollicitant une rupture amiable puis en la rétractant, selon les termes suivants :
"Je fais suite à notre entretien préalable du 10 septembre dernier et suis au regret de vous indiquer que nos échanges ne m'ont pas permis de modifier ma perception des évènements qui nous opposent.
Nous avons en effet conclu le 16 mars 2009 un contrat de travail pour une durée déterminée à effet immédiat et un terme fixé au 15 octobre 2009.
Vous avez unilatéralement suspendu son exécution, pour la période du 1er au 16 août 2009 malgré ma ferme opposition car j'avais instamment besoin de vos services durant l'été. Vous invoquiez alors d'impérieuses contingences familiales et vous m'avez proposé dans ces conditions de rompre par anticipation nos relations contractuelles. Je vous ai confirmé mon assentiment à cette rupture anticipée et proposé de l'officialiser à votre retour de congés, dès que j'aurai pu vous remplacer.
Par courrier du 19 août, je vous ai confirmé mon acceptation et proposé de fixer d'un commun accord la fin de nos relations contractuelles au lundi 17 août au soir.
Entre-temps vous averz changé d'avis et vous m'avez également écrit le 19 août en vous étonnant de ce que l'accès à votre poste de travail vous était refusé...
Je ne vois pas d'autres solutions que de rompre votre contrat pour faute grave aux motifs suivants :
'' prise de congés non autorisés malgré l'opposition expresse de la direction,
'' déloyauté contractuelle puisque vous avez formulé une proposition de rupture amiable afin d'éviter la sanction de votre départ intempestif de l'entreprise en plein mois d'août, proposition que vous vous êtes dépêchée de rétracter dès votre retour...."
Mme [V] soutient qu'elle a obtenu l'accord verbal de M. [B] [Q] pour prendre ses congés du 1er au 16 août 2009, ce qui expliquerait qu'il ne lui ait pas enjoint dès le début du mois d'août de reprendre son travail pendant cette période, s'étant organisé pour trouver un remplaçant, M. [Y], du 3 au 18 août.
Elle précise que depuis le début de son contrat en mars 2009 elle n'avait pas pris de vacances.
Comme l'a justement indiqué le conseil, la charge de la preuve de la faute grave incombe à l'employeur, M. [B] [Q], qui échoue à rapporter la preuve de son opposition aux congés de Mme [V], n'évoquant cette opposition que dans sa lettre du 28 août 2009 par laquelle il convoque son employée à l'entretien préalable.
L'attestation de M. [Y], datée du 29 octobre 2015, soit 6 ans après les faits, est insuffisante à établir cette preuve, puisque le témoin ne fait que rapporter ce qui lui a été dit par M. [Q], en indiquant : "Je certifie qu'en juillet 2009 Monsieur [B] [Q] m'a sollicité afin de remplacer un membre de son personnel occupant le poste de chargé d'accueil/secrétaire, parti en vacances sans l'avoir préalablement prévenu et le laissant dans une situation délicate quant à la gestion et l'accueil des clients au cabinet. Etant disponible, puisqu'en vacance étudiante, j'ai occupé le poste préablement cité du 3 au 18 août 2009."
M. [B] [Q] n'établit pas non plus la déloyauté de Mme [V], car le fait de rechercher une rupture amiable, dont il n'est d'ailleurs pas établi que Mme [V] en est l'initiatrice et dont M. [Q] n'a jamais donné les termes exacts par écrit (aucun document préparatoire n'étant produit), de l'accepter verbalement puis de la refuser, ne constitue pas une faute, le salarié ayant le droit de changer d'avis avant de signer une rupture conventionnelle.
Dès lors, la cour confirmera le conseil qui a requalifié le licenciement pour faute grave en licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur les indemnités réclamées
M. [B] [Q] ne conteste pas le calcul des indemnités de congés payés et de la période de mise à pied et la cour, au vu des calculs présentés par Mme [V], confirmera le conseil, lequel a fait droit à sa demande de rappel de salaire pour la période du 1er au 16 août 2009 pour un montant de 766,87 euros outre les congés payés afférents.
Devant le conseil Mme [V] a réclamé le paiement de la somme de 3 150 euros, pour la période du 1er août au 21 septembre 2009, en distinguant le rappel du au titre de la période de mise à pied conservatoire (du 1er au 21 septembre), soit la somme de 1 350 euros, de la période de rappel de salaire antérieure tout le mois d'août (les congés payés du 1er au 16 août et la période de salaire impayé du 17 au 31 août), soit la somme de 1 800 euros pour tout le mois d'août.
En effet, la période de mise à pied a commencé le 1er septembre 2009, vu la notification à Mme [V] le 31 août de la lettre recommandée datée du 28 août décidant de la mise à pied ; elle s'est terminée le 21 septembre date de la lettre de licenciement.
Le conseil n'a pris en compte que la somme de 1 350 euros pour la période du 28 août au 20 septembre 2009, tout en indiquant qu'il était du la somme de 1 891,60 euros.
Mme [V] est restée à la disposition de son employeur pendant la période du 19 au 31 août 2009 inclus, sans que ce dernier ne l'autorise à venir travailler, comme cela ressort de la lettre recommandée de Mme [V] en date du 19 août 2009, aux termes de laquelle cette dernière indique que le 19 août Melle [M], collaboratrice de M. [Q], lui a enjoint de quitter les locaux, faits non contestés par l'employeur. Il s'agit là d'une mise à pied verbale.
M. [B] [Q] ayant empêché Mme [V] de travailler doit être condamné à lui payer ce rappel de salaire pour cette période de mise à pied conservatoire verbale du 18 au 31 août 2009 inclus.
La cour confirmera donc partiellement le conseil, puisqu'il n'a pas pris en compte la période du 18 au 27 août inclus.
En conséquence, M. [B] [Q] sera condamné à payer à Mme [V] la somme de 1 891,60 euros et celle de 189,16 euros euros à titre de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire du 18 août au 21 septembre 2009.
L'indemnité de fin de contrat, soit la somme de 1 093,15 euros étant due, la cour confirmera le conseil de ce chef.
Le conseil a justement fixé à la somme de 3 600 euros, soit 2 mois de salaire brut, l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse, en mentionnant que Mme [V] avait rapidement retrouvé du travail, ce que cette dernière ne dément pas, ne produisant en appel aucun élément sur son préjudice.
La somme de 1 000 euros sera allouée à Mme [V] pour ses frais irrépétibles en cause d'appel, la cour confirmant le conseil qui lui a alloué la même somme en première instance.
M. [B] [Q] sera condamné aux dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS,
La Cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort :
RECTIFIE le jugement du conseil de prud'hommes de Nanterre en date du 9 octobre 2015, en remplaçant sur toutes ces 8 pages les termes "la SA [B] [Q]" par les termes "Monsieur [B] [Q] en son nom personnel" ;
DIT que cette mention sera portée sur la minute du jugement ;
DÉCLARE recevable l'appel formé par Monsieur [B] [Q] en son nom personnel ;
CONFIRME le jugement, sauf en ce qui concerne les sommes allouées au titre de la mise à pied conservatoire ;
Statuant à nouveau,
CONDAMNE Monsieur [B] [Q] à payer à Mme [V] la somme de 1 891,60 euros brut et celle de 189,16 euros brut à titre de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire du 18 août au 21 septembre 2009 ;
LE CONDAMNE à payer à Mme [V] la somme 1 000 euros pour ses frais irrépétibles d'appel ;
CONDAMNE M. [B] [Q] aux dépens d'appel ;
Arrêt prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, et signé par Monsieur Jean-François DE CHANVILLE, Président, et par Monsieur Nicolas CAMBOLAS, Greffier.
Le GREFFIER,Le PRÉSIDENT,