COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
11e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 08 NOVEMBRE 2018
N° RG 16/03113 - N° Portalis DBV3-V-B7A-QZBS
AFFAIRE :
[M] [J]
C/
SCP [T] [K] [A] [O] NOTAIRES ASSOCIES
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 10 Mai 2016 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANTERRE
Section : Encadrement
N° RG : 15/2731
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
la SELARL SELARL MARRE & [F]
Me Sandrine CALAF
certifiée conforme délivrée à : Pôle Emploi
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE HUIT NOVEMBRE DEUX MILLE DIX HUIT,
La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Madame [M] [J]
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Jean-charles GUILLARD de la SELARL SELARL MARRE & GUILLARD, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E1253
APPELANTE
****************
SCP [T] [K] [A] [O] Notaires associés
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Sandrine CALAF, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 45
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 21 Septembre 2018, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Hélène PRUDHOMME, Président chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Hélène PRUDHOMME, Président,
Monsieur Eric LEGRIS, Conseiller,
Madame Bérangère MEURANT, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Madame Claudine AUBERT,
Le 3 mars 2002, Mme [M] [W] épouse [J] était embauchée par Me [Y] [U] notaire à [Localité 4], en qualité de notaire assistant par contrat à durée indéterminée. Le contrat de travail était régi par la convention collective du notariat. Ce contrat de travail était repris par la SCP Gruel et Moutchouris, notaires associés.
Me [T] Gruel était en arrêt maladie de mars 2011 au 25 avril 2013 tandis que Me [A] [O] était mis en examen le 24 avril 2013 et suspendu de ses fonctions de notaire.
Le 6 janvier 2014, l'employeur convoquait Mme [J] à un entretien préalable en vue de son licenciement. Le 27 janvier 2014, il lui notifiait son licenciement pour faute grave.
Le 24 septembre 2015, Mme [M] [J] saisissait le conseil de prud'hommes de Nanterre pour contester le caractère réel et sérieux de son licenciement.
Vu le jugement du 10 mai 2016 rendu en formation paritaire par le conseil de prud'hommes de Nanterre qui a :
- dit que le licenciement de Mme [J] repose sur une faute grave,
- l'a déboutée de l'intégralité de ses demandes,
- mis les dépens éventuels à la charge de Mme [J].
Vu la notification de ce jugement le 20 mai 2016.
Vu l'appel interjeté par Mme [J] le 08 juin 2016.
Vu les conclusions de l'appelante Mme [J] notifiées le 3 octobre 2017 et soutenues à l'audience par son avocat auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, il est demandé à la cour d'appel de :
- recevoir Mme [M] [J] en son appel et l'y dire bien fondée
- infirmer en toutes ses dispositions le jugement du 10 mai 2016 rendu par le conseil de prud'hommes de Nanterre
Statuant de nouveau :
- dire et juger que les faits invoqués à l'appui du licenciement pour faute grave de Mme [M] [J] sont prescrits
- dire et juger en conséquence son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse
A titre subsidiaire,
- dire et juger que les faits invoqués à l'appui du licenciement pour faute grave de Mme [M] [J] sont faux ou inexacts ou non imputables à la salariée, et en tout état de cause non démontrés par l'employeur
- dire et juger par ailleurs que la SCP Gruel [O] a tardé à licencier Mme [J] ce qui enlève toute gravité aux griefs reprochés
- dire et juger en conséquence son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse
- condamner la SCP Gruel [O] à verser à Mme [M] [J] la somme de 12 552,78 euros à titre d'indemnité de licenciement
- condamner la SCP Gruel [O] à verser à Mme [M] [J] la somme de 14 121,09 euros à titre d'indemnité de préavis
- condamner la SCP Gruel [O] à verser à Mme [M] [J] la somme de 1 412,10 euros à titre de congés payés sur préavis
- condamner la SCP Gruel [O] à verser à Mme [M] [J] la somme de 1 235,60 euros au titre du reliquat dû pour le 13ème mois
- condamner la SCP Gruel [O] à remettre à Mme [M] [J] les bulletins de salaire des mois de janvier, février, mars, avril et mai 2014 conformes, le certificat de travail conforme, l'attestation destinée à Pôle emploi conforme et le reçu pour solde de tout compte conforme, en ce qu'ils doivent indiquer la date du 14 mai 2014 comme date de fin de contrat
- condamner la SCP Gruel [O] à verser à Mme [M] [J] une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse correspondant à deux ans et demi de salaire, soit la somme de 141 210,90 euros
- condamner la SCP Gruel [O] à verser à Mme [M] [J] une indemnité pour préjudice moral distinct du licenciement d'un montant de 4 707,03 euros
- condamner la SCP Gruel [O] à verser à Mme [M] [J] une indemnité de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
- condamner la SCP Gruel [O] aux entiers dépens
Vu les écritures de l'intimé la SCP Gruel [O] notifiées le 10 août 2017 et développées à l'audience par son avocat auxquelles il est aussi renvoyé pour plus ample exposé, il est demandé à la cour d'appel de :
A titre principal,
- confirmer le jugement du conseil de prud'hommes et juger que le licenciement pour faute grave de Mme [J] est justifié ;
En conséquence,
- débouter Mme [J] de l'intégralité de ses demandes.
- condamner Mme [J] à verser à la SCP Gruel [O] la somme de 4000 euros au titre de l'article 700 du CPC.
A titre subsidiaire
- juger que le licenciement de Mme [J] repose sur une cause réelle et sérieuse ;
En conséquence,
- débouter Mme [J] de sa demande au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- débouter Mme [J] de sa demande au titre de l'indemnité pour préjudice moral ;
A titre infiniment subsidiaire
- réduire à de plus justes proportions la demande de dommages et intérêts de Mme [J]
Vu la lettre de licenciement
SUR CE,
Sur la rupture du contrat de travail :
Il résulte de la lettre de licenciement que la SCP Gruel-[O] lui a reproché d'avoir, à de multiples reprises, mis en danger l'Etude, tant sur le plan du respect de la discipline inhérente au notariat que sur le plan de la gestion de ses dossiers et surtout quant au respect des règles applicables à l'acte authentique.
Mme [J] soulève la prescription de l'action entamée le 6 janvier 2014 par l'employeur au motif que les fautes reprochées étaient antérieures de plus de 2 mois à l'introduction de la procédure disciplinaire ; elle en conteste enfin la réalité.
L'employeur reproche donc et tout d'abord des erreurs consistant dans le non-respect des règles internes ; absence de prévisionnel hebdomadaire, absence d'information du notaire titulaire de la charge des dates de rendez-vous et signatures pour viser deux dossiers dans lesquelles ces règles internes n'avaient pas été respectées : les dossiers [X]/[C] et succession [V]. Il reproche ensuite des fautes dans la gestion des dossiers [V], [P], SCI Aldegner, SCI Beth Serroussi et enfin [D], consistant en un manque de diligences ou de formalités à accomplir, de nombreuses erreurs, dans le fait que certains dossiers terminés n'étaient pas soldés depuis plusieurs années, des absences de réponse aux questions des clients, une telle gestion des dossiers montrant qu'elle n'effectuait pas ses fonctions avec les diligences requises et qu'elle mettait sciemment l'Etude en danger en omettant de respecter les règles de process internes indispensables .
Cependant, les erreurs et omissions reprochées constituent en l'espèce une exécution défectueuse de la prestation de travail ; un tel grief ne saurait être retenu dans le cadre d'un licenciement disciplinaire que si l'employeur démontre l'abstention volontaire de sa salariée à respecter lesdites règles professionnelles ou sa mauvaise volonté délibérée à s'y conformer. Or, ni dans l'exposé des griefs ni dans leur illustration, la SCP Gruel-Mouchtouris ne soutient, et a fortiori n'établit, que telle aurait été l'attitude de la salariée. Ce premier grief ne peut dès lors être qualifié de faute disciplinaire et l'employeur ne pouvait retenir la faute grave pour traduire ces erreurs.
S'agissant enfin du non-respect des règles applicables à l'acte authentique, la SCP Gruel-[O] invoque dans la lettre de licenciement le fait que la salariée a reçu, en pleine connaissance de cause, deux actes authentiques (le 7 décembre 2012 en ce qui concerne le dossier [Z] et le 24 avril 2013 en ce qui concerne le dossier Cidrac) alors que le seul notaire titulaire, Me Moutchouris, était absent de l'Etude, que Mme [J] n'était pas titulaire d'une habilitation et, à considérer qu'elle en disposait d'une, elle ne l'avait pas mentionné dans l'acte, ce qui rendait celui-ci nul tandis que « ces faits sont pénalement répréhensibles et mettent en danger la survie de l'Etude ».
Cependant, compte tenu de la date de la signature de ces actes, et alors que la salariée a agi à la demande et pour le compte de son employeur, celui-ci avait connaissance des conditions dans lesquelles avaient été reçus ces deux actes authentiques et ainsi, la SCP Gruel-[O], employeur et signataire de la lettre de licenciement ne pouvait utilement reprocher à Mme [J] ces faits antérieurs de plus de 2 mois à l'introduction de la procédure disciplinaire.
En conséquence, le licenciement est sans cause réelle et sérieuse ; il convient d'infirmer de ce chef le jugement rendu.
Ceci ouvre droit au versement, par la SCP [I], de la somme de 14 121,09 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés y afférents, de la somme de 12 552,07 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement,, ainsi que celle de 4 707,03 euros au titre de la mise à pied conservatoire et 1 235,60 euros au titre de la régularisation du reliquat du 13ème mois, dont les montants, tels que réclamés, ne sont pas contestés dans leur quantum par l'employeur.
Mme [J] sollicite en plus des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et pour préjudice moral ; compte tenu des éléments connus (âge de la salariée lors de la rupture, 42 ans, de son ancienneté dans l'entreprise, quasiment 12 ans et du montant de son salaire mensuel, 4 707,03 euros) et alors que Mme [J] indique avoir été victime de conditions de travail déplorables dans les mois qui ont précédé son licenciement (suppression de sa boîte mail, mise eu placard, humiliations, suppression de relation téléphonique avec les clients) et a été dans l'obligation de s'inscrire à Pôle emploi pour rechercher un nouveau travail et être restée très longtemps au chômage, il apparaît que si la salariée ne peut être indemnisée pour le comportement reproché de l'employeur « dans les mois qui ont précédé son licenciement » par cette indemnité, elle justifie de son inscription à Pôle emploi dès février 2014 et de la perception des indemnités d'aide au retour à l'emploi de mars 2014 à octobre 2015 et du préjudice tant matériel que moral subi du fait de cette procédure abusive de sorte que la cour évalue à la somme de 47 000 euros le montant des dommages et intérêts destinés à réparer les dits préjudices.
Sur le remboursement par l'employeur à l'organisme des indemnités de chômage
En application de l'article L. 1235-4 du code du travail, il convient d'ordonner d'office le remboursement par l'employeur à l'organisme concerné, du montant des indemnités de chômage éventuellement servies au salarié du jour de son licenciement au jour du prononcé de l'arrêt dans la limite de six mois d'indemnités ;
Sur la régularisation des documents de fin de contrat :
Mme [J] demande la rectification de la date de fin de contrat comportant la date du 14 mai 2014 comme étant celle de sa sortie de l'entreprise ; il convient d'y faire droit.
Sur les intérêts
Les intérêts au taux légal portant sur les condamnations de nature salariale seront dus à compter de la réception de la convocation de l'employeur devant le bureau de conciliation. S'agissant des créances de nature indemnitaire, les intérêts au taux légal seront dus à compter de la décision les ayant prononcées ;
Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
Compte tenu de la solution du litige, la décision entreprise sera infirmée de ces deux chefs et par application de l'article 696 du code de procédure civile, les dépens d'appel seront mis à la charge de la SCP [I] ;
La demande formée par Mme [J] au titre des frais irrépétibles sera accueillie à hauteur de 3 000 euros.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
statuant publiquement et contradictoirement
Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Et statuant à nouveau,
Dit sans cause réelle et sérieuse le licenciement de Mme [M] [J] ;
en conséquence,
Condamne la SCP [I] à payer à Mme [J] les sommes suivantes :
14 121,09 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et 1412,11 euros au titre des congés payés y afférents,
12 552,07 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement,
4 707,03 euros au titre de la mise à pied conservatoire
1 235,60 euros au titre de la régularisation du reliquat du 13ème mois
47 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Ordonne à la SCP [I] de remettre à Mme [J] dans le mois de la notification du jugement le certificat de travail, l'attestation Pôle emploi rectifiés et un bulletin de salaire récapitulatif des sommes allouées ;
Ordonne le remboursement par la SCP [I], aux organismes concernés, des indemnités de chômage versées à Mme [J] dans la limite de 6 mois d'indemnités en application des dispositions de l'article L. 1235-4 du code du travail ;
Dit que les sommes à caractère salarial produiront intérêts au taux légal à compter de de la convocation de l'employeur en conciliation et celles à caractère indemnitaire produiront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;
Condamne la SCP [I] aux dépens de première instance et d'appel ;
Condamne la SCP [I] à payer à Mme [J] la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
Signé par Mme Hélène PRUDHOMME, président, et Mme Claudine AUBERT, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le GREFFIERLe PRESIDENT