COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
21e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 16 MAI 2019
N° RG 17/02314
AFFAIRE :
[L] [K]
C/
SAS L'AGENCE DE FAB
Décision déférée à la cour : Décision rendu le 24 avril 2017 par le Conseil de Prud'hommes Formation paritaire de Boulogne Billancourt
N° Section : I
N° RG : f15/02005
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Patricia BERTOLOTTO
la AARPI AD HOC AVOCATS
le : 17 mai 2019
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE SEIZE MAI DEUX MILLE DIX NEUF,
La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Madame [L] [K]
née le [Date naissance 1] 1962
à [Localité 3] (ALGERIE)
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 1]
Comparante en personne
Représentant : Me Patricia BERTOLOTTO, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E1175- substituée par Me DIDIER Stéphane, avocat au barreau de Versailles
APPELANTE SUR LE PRINCIPAL
INTIMEE SUR L'APPEL INCIDENT
****************
SAS L'AGENCE DE FAB
N° SIRET : 424 334 514
[Adresse 2]
[Localité 2]
Représentant : Me Thomas CUQ de l'AARPI AD HOC AVOCATS, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0309
INTIMEE SUR LE PRINCIPAL
APPELANTE SUR L'APPEL INCIDENT
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 12 mars 2019 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Bérénice HUMBOURG, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Philippe FLORES, Président,
Madame Florence MICHON, Conseiller,
Madame Bérénice HUMBOURG, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Madame Christine LECLERC,
Faits et procédure
Mme [L] [K] a été engagée par la société l'Agence de Fab en qualité de couturière plateuse, par contrats à durée déterminée, du 2 juin au 31 juillet 2009, puis du 17 août au 16 octobre 2009. A compter du 17 octobre 2009, la relation de travail s'est poursuivie à durée indéterminée. Elle percevait en dernier lieu un salaire brut mensuel de 2 100 euros, outre une prime de treizième mois.
L'entreprise, qui exerce une activité d'imprimerie, emploie plus de dix salariés et relève de la convention collective de l'imprimerie de labeur et des industries graphiques.
Le 8 février 2013, Mme [K] a été victime d'un accident de trajet. Le 9 juillet 2013, le médecin du travail a préconisé une reprise du travail à temps partiel thérapeutique, ce que la société l'Agence de Fab a refusé par courrier du 1er août 2013. La salariée a été arrêtée jusqu'au 1er octobre 2013.
Le 16 décembre 2014, Mme [K] a été victime d'un accident pris en charge au titre de la législation sur les risques professionnels. A compter de cette date, elle a été placée en arrêt de travail jusqu'au jour de son licenciement.
Le 17 avril 2015, Mme [K] a été convoquée à un entretien préalable fixé au 27 avril 2015.
Le 12 mai 2015, Mme [K] a été licenciée pour cause réelle et sérieuse, en raison de son absence prolongée ayant entraîné la désorganisation de l'entreprise et l'impossibilité de lui substituer un personnel intérimaire en remplacement.
Le préavis, d'une durée de deux mois, a été payé et non effectué.
Par requête du 24 novembre 2015, Mme [K] a saisi le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt afin de contester la rupture de son contrat de travail qu'elle estime nulle, comme discriminatoire en raison de son état de santé et de solliciter le paiement de 122,22 euros au titre des heures supplémentaires effectuées et non réglées pour les années 2011 et 2012.
Par jugement rendu le 24 avril 2017, le conseil (section industrie) a :
- dit que le salaire moyen à prendre en référence est de 2 200 euros mensuel,
- condamné la société l'Agence de Fab à payer à Mme [K] les sommes suivantes:
15 000 euros au titre de dommages et intérêts pour licenciement nul, dépourvu de cause réelle et sérieuse,
900 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté Mme [K] du surplus de ces demandes,
- condamné l'Agence de Fab aux entiers dépens.
Le 28 avril 2017, Mme [K] a relevé appel total de cette décision par voie électronique.
Par ordonnance rendue le 20 février 2019, le conseiller chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l'instruction et a fixé la date des plaidoiries au 12 mars 2019.
Par dernières conclusions écrites du 1er février 2019, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile, Mme [K] demande à la cour, de :
- constater qu'elle a été licenciée durant sa suspension du contrat de travail à la suite d'un accident du travail,
- dire et juger que le licenciement est nul,
- condamner la société l'Agence de Fab à lui payer les sommes de :
88 500 euros (soit trois années de salaire) à titre de dommages et intérêts tous préjudices confondus,
2 688,29 euros d'indemnité légale de licenciement,
122,22 euros au titre des heures supplémentaires effectuées et non réglées pour les années 2011 et 2012,
2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de procédure.
Par dernières conclusions écrites du 12 septembre 2017, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile, la société l'Agence de Fab demande à la cour de :
- débouter Mme [K] de sa demande relative à la requalification en licenciement nul de son licenciement intervenu pour cause réelle et sérieuse,
- à titre subsidiaire, faire une juste appréciation du préjudice de Mme [K] de ce chef,
- dire et juger irrecevable la demande de rappel d'heures supplémentaires de Mme [K] ou du moins l'en débouter.
MOTIFS
Sur le licenciement
La lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, est ainsi libellée :
'Dès lors, nous avons le regret de vous notifier votre licenciement pour cause réelle et sérieuse, votre absence prolongée entraînant de véritables perturbations dans le fonctionnement de L'AGENCE DE FAB.
Nous avons souhaité créer un centre de compétence couture au sein de la société afin de développer un savoir-faire spécifique, mais également de construire au jour le jour une offre de nouveaux produits à destination de nos clients (...).
Cependant, depuis le 16 décembre 2014, vous êtes en arrêt maladie en raison d'un accident de travail, sachant que vous étiez déjà précédemment en arrêt de travail, pour un accident de trajet, du 08/02/2013 au 01/10/2013.
Pour pallier votre absence nous avons eu recours jusqu'alors à des couturiers recrutés en intérim.
Cependant, cette solution de remplacement par des salariés en intérim entraîne d'importantes perturbations dans le fonctionnement de l'entreprise, car nous constatons que le centre de compétence couture souffre depuis plusieurs mois d'une désorganisation récurrente due à la rotation des personnes assurant ce rôle (...).
Votre absence rend donc malheureusement impossible le maintien de votre contrat de travail, ce qui nous met dans l'obligation de procéder à votre remplacement définitif (...).'
La salariée estime que son employeur ne pouvait procéder à son licenciement pour absence perturbant le fonctionnement de l'entreprise alors qu'elle était arrêtée pour un accident de travail, ce motif n'étant pas étranger à son accident.
La société rétorque que la salariée ne conteste pas la désorganisation entraînée par son absence, ni la nécessité de la licencier et que les dispositions de l'article L. 1226-9 du code du travail sont respectées, notamment en ce que l'impossibilité de maintenir le contrat est fondée sur un motif étranger à l'accident, en l'occurrence le besoin de bénéficier d'une façon pérenne d'une couturière ce qui n'est pas possible par l'emploi d'intérimaires qui occasionne une désorganisation de l'entreprise.
Il résulte des dispositions combinées des articles L. 1232-6 et L. 1226-9 du code du travail que l'employeur, au cours des périodes de suspension du contrat de travail pour accident du travail ou maladie professionnelle, ne peut résilier le contrat de travail à durée indéterminée que s'il justifie d'une faute grave ou de l'impossibilité où il se trouve, pour un motif non lié à l'accident ou à la maladie, de maintenir ce contrat ; qu'il est tenu de préciser dans la lettre de licenciement, le ou les motifs caractérisant cette impossibilité. Le licenciement notifié pendant la période de suspension du contrat, en dehors des cas précités, est nul en application de l'article L.1226-13 du code du travail.
La lettre de licenciement mentionne expressément que l'absence de Mme [K] rend impossible le maintien de son contrat de travail et nécessaire son remplacement définitif, ce qui constitue un motif directement lié à son accident du travail. Par conséquent, faute pour la société de justifier de l'impossibilité où elle se trouve, pour un motif non lié à l'accident, de maintenir le contrat, le licenciement est nul et le jugement sera confirmé en ce sens.
En outre, la société, qui avait déjà procédé au remplacement de la salariée arrêtée pour cause d'accident du travail, par le biais de contrats d'intérim, ne justifie pas de la nécessité de pourvoir à son remplacement définitif. En effet, la rotation de personnel invoquée dans la lettre de licenciement résulte des choix de gestion de l'employeur dans la durée des contrats de remplacement successivement conclus par lui et il n'est pas justifié qu'il était impossible de procéder au remplacement par le biais d'un contrat conclu pour la période d'absence qui aurait assuré une stabilité du personnel et prévenu une telle rotation. L'employeur ne justifie donc pas davantage de l'impossibilité de maintenir le contrat de travail pour un motif extérieur à l'accident de travail de la salariée.
Le salarié dont le licenciement est nul et qui ne demande pas sa réintégration, a droit, d'une part, aux indemnités de rupture, d'autre part, à une indemnité réparant intégralement le préjudice résultant du caractère illicite du licenciement, d'un montant au moins égal aux salaires des six derniers mois.
S'agissant de l'indemnité de licenciement de 2 688,29 euros, mentionnée sur l'attestation Pôle emploi, il ressort de la fiche de paie du mois de juillet 2015 et du solde de tout compte qu'elle a bien été versée à la salariée, qui a perçu un chèque de 6 665,95 euros la comprenant.
S'agissant du préjudice subi, Mme [K] fait valoir qu'elle percevait au titre des indemnités journalières sur la base d'un accident de travail la somme de 55,14 euros par jour et que jusqu'à son licenciement, elle bénéficiait du maintien de son salaire, que le 28 juin 2015, elle a été déclarée consolidée par l'assurance maladie et a perçu le RSA au mois d'octobre 2015, qu'âgée de 54 ans, ses possibilités de retravailler sont très limitées surtout avec les séquelles de son accident de travail. Elle produit des pièces sur sa situation postérieure au licenciement et notamment des attestations de la CPAM et de la CAF.
Eu égard également à son ancienneté et à la rémunération qui lui était versée, son préjudice sera évalué à la somme de 20 000 euros brut et le jugement infirmé sur le montant alloué.
Sur la demande au titre des heures supplémentaires
La salariée sollicite le paiement des heures supplémentaires réalisées en 2011 et 2012 qui n'ont pas été comptabilisées au taux en vigueur. Elle produit un décompte détaillé des heures supplémentaires et se réfère aux articles 310 et 311 de la convention collective.
La société rétorque que les dispositions de la convention collective concernant les ouvriers sont inapplicables à Mme [K], qui relevait de la catégorie des agents d'exécution, que les articles 310 et 311 ont été édictés en 1976 et stipulent que la majoration de 33% des deux premières heures supplémentaires s'entend au-delà de l'horaire légal qui était alors de quarante heures, que le temps de travail de Mme [K] étant sur une base légale de trente-cinq heures, c'est avec justesse qu'elle a majoré les heures supplémentaires de sa salariée à 25%, qu'enfin, sa demande ayant été formulée pour la 1ère fois lors du bureau de conciliation du 4 janvier 2016, elle n'est pas recevable à solliciter le moindre rappel de salaire pour une période antérieure au 4 janvier 2013.
L'article L.3245-1 du code du travail, dans sa rédaction résultant de la loi n°2013-504 du 14 juin 2013, énonce que 'l'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour, ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat'. Selon l'article 21 V de la loi n°2013-504, ces dispositions s'appliquent aux prescriptions en cours à compter de la date de promulgation de ladite loi, sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure, soit 5 ans en application de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008.
Mme [K] ayant saisi le conseil de prud'hommes le 24 novembre 2015 et l'interruption du délai de prescription s'appliquant à l'ensemble des demandes dérivant du même contrat de travail, même présentées en cours de procédure, la demande de rappel de salaire pour les années 2011 et 2012 n'est pas prescrite puisque portant sur une période postérieure au 24 novembre 2010.
Il résulte de l'accord paritaire étendu du 29 janvier 1999 pour la mise en oeuvre de la réduction et de l'aménagement du temps de travail dans l'industrie de labeur et les industries graphiques, applicable au litige, que seules les heures effectuées dans la limite du quota d'heures de modulation et non compensées en fin de période annuelle seront considérées comme heures supplémentaires majorées à 33 %. En l'absence, dans cet accord de branche, de disposition spécifique relative au traitement des 36e à 39e heures hebdomadaires de travail, et en l'absence d'accord d'entreprise sur la modulation du temps de travail, les dispositions de l'article L. 212-1, devenu L. 3121-22 du code du travail, s'appliquent pour la majoration des heures supplémentaires accomplies entre la 36e à la 39e heure.
La salariée, qui a travaillé dans le cadre d'un horaire s'inscrivant dans la durée légale de trente-cinq heures et n'invoque aucun accord de modulation, ne pouvait donc prétendre au bénéfice des majorations prévues par les articles 310 et 311 de la convention collective.
Le jugement sera confirmé.
Sur les autres demandes
Partie condamnée, la société devra supporter les dépens et sera condamnée à payer à la salariée la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en sus de celle allouée en première instance.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Confirme le jugement déféré, sauf sur le montant de l'indemnité pour licenciement nul,
Statuant à nouveau sur ce chef et y ajoutant,
Déclare recevable la demande de rappel de salaire,
Condamne la société l'Agence de Fab à payer à Mme [K] les sommes de :
20 000 euros brut à titre d'indemnité pour licenciement nul,
1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Rejette la demande afférente à l'indemnité de licenciement,
Condamne la société l'Agence de Fab aux dépens.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Monsieur Philippe FLORES, Président et par Madame LECLERC, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier,Le président,