COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 78F
16e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 06 JUIN 2019
N° RG 18/00534 - N° Portalis DBV3-V-B7C-SD25
AFFAIRE :
Société [Y] [X] [M] ET FILS
C/
Société LIBYAN INVESTMENT AUTHORITY
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 09 Janvier 2018 par le Juge de l'exécution du tribunal de grande instance de NANTERRE
N° chambre :
N° Section :
N° RG : 16/09793
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Mélina PEDROLETTI, avocat au barreau de VERSAILLES
Me Oriane DONTOT de l'AARPI JRF AVOCATS, avocat au barreau de VERSAILLES
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE SIX JUIN DEUX MILLE DIX NEUF,
La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Société [Y] [X] [M] ET FILS agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés audit siège en cette qualité.
[Adresse 1]
[Localité 6] - EGYPTE
Représentant : Me Mélina PEDROLETTI, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : V 626 - N° du dossier 23913
Représentant : Me Rémi BAROUSSE de la SELASU TISIAS, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C2156
APPELANTE
****************
Société LIBYAN INVESTMENT AUTHORITY agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représentant : Me Oriane DONTOT de l'AARPI JRF AVOCATS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 633
Représentant : Me Michel PITRON de l'AARPI GIDE LOYRETTE NOUEL AARPI, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : T03 et Me Harold HERMAN, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : T03 substitué par Me Jean-sébastien BAZILLE, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : T03
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
L'affaire a été débattue à l'audience publique du 10 Avril 2019, Madame Nicollette GUILLAUME, Président ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :
Madame Patricia GRASSO, Président,
Madame Nicolette GUILLAUME, Président,
Madame Marie-Christine MASSUET, Conseiller,
qui en ont délibéré,
Greffier, lors des débats : Madame Catherine CHARPENTIER
FAITS ET PROCEDURE,
Par une sentence arbitrale rendue au Caire le 22 mars 2013 avec l'exécution provisoire de plein droit, la société [Y] [X] [M] et Fils a obtenu la condamnation conjointe et solidaire du Gouvernement de l'Etat libyen, du Ministère de l'économie de Libye, du Conseil Général de Promotion des investissements et de la Privatisation et du Ministère libyen des Finances à lui payer la somme de 936.940.000 dollars US avec intérêt au taux de 4 % à compter du prononcé de la sentence.
Par ordonnance rendue par le délégué du président du tribunal de grande instance de Paris le 13 mai 2013, confirmée par la cour d'appel de Paris le 28 octobre 2014, cette sentence arbitrale a été déclarée exécutoire.
Déclarant agir en vertu de ces décisions, la société [Y] [X] [M] et Fils a fait pratiquer par actes séparés le 11 mars 2016 entre les mains de la société Société Générale Option Europe à Puteaux une saisie-attribution des sommes détenues au nom de l'Etat de Libye ou de la société Libyan Investment Authority, dite la LIA, ainsi qu'une saisie de droits d'associés ou de valeurs mobilières.
Ces saisies ont été dénoncées à l'Etat de Libye le 21 mars 2016 « y compris » la société Libyan Investment Authority le 21 mars 2016.
Par acte d'huissier du 27 juin 2016, la société Libyan Investment Authority a sollicité principalement du juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Nanterre l'annulation de la saisie-attribution et de la saisie de droits d'associés ou de valeurs mobilières du 11 mars 2016 et leur mainlevée.
L'affaire a été enrôlée sous le n°17/09793.
Par conclusions enregistrées au greffe le 28 juin 2016, le Gouvernement de l'État libyen est intervenu à la procédure puis a demandé qu'il soit donné acte de son désistement.
Par décision rendue le 23 janvier 2017, le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Nanterre a :
- constaté le désistement de la société Libyan Investment Authority de sa contestation des deux saisies effectuées le 11 mars 2016 par la société [Y] [X] [M] et Fils entre les mains de la société Crédit Agricole Corporate et Investment Banking à Courbevoie,
- constaté le désistement du gouvernement de l'État libyen de son intervention volontaire et de ses demandes à l'égard de la société [Y] [X] [M] et Fils,
- constaté le dessaisissement de la juridiction et l'extinction de l'instance n°17/1860,
- constaté la disjonction de l'affaire enrôlée sous le n°16/09793 et l'enrôlement sous le n°17/1860 de la contestation par la société Libyan Investment Authority des saisies effectuées le 11 mars 2016 entre les mains de la société Crédit Agricole Corporate et Investment Banking à Courbevoie et de l'intervention volontaire du gouvernement de l'État libyen, l'affaire se poursuivant sous le n°17/09793.
Par jugement contradictoire du 9 janvier 2018, le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Nanterre a :
- ordonné la mainlevée de la saisie-attribution et de la saisie des droits d'associés ou de valeurs mobilières pratiquées le 11 mars 2016 auprès de la société Société Générale option Europe par la société [Y] [X] [M] et Fils à l'encontre de la société Libyan Investment Authority,
- débouté la société [Y] [X] [M] et Fils de l'ensemble de ses demandes,
- condamné la société [Y] [X] [M] et Fils aux dépens,
- rejeté les demandes au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- rappelé que l'exécution provisoire est de droit.
Par déclaration en date du 24 janvier 2018, la société [Y] [X] [M] et Fils a relevé appel de ce jugement.
Aux termes de ses conclusions au fond transmises le 8 avril 2019, la société [Y] [X] [M] et Fils, appelante, demande à la cour de :
- réformer le jugement du juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Nanterre rendu le 9 janvier 2018,
et statuant à nouveau, à titre principal,
- déclarer irrecevables les demandes de la société Libyan Investment Authority en raison de l'autorité de la chose jugée de la sentence arbitrale internationale du 22 mars 2013 bénéficiant de l'exequatur en France,
à titre subsidiaire,
- débouter la société Libyan Investment Authority de sa demande de mainlevée des saisies,
- condamner la société Libyan Investment Authority à lui payer la somme de 50.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens de première instance et d'appel dont le montant sera recouvré par Maître Mélina Pedroletti, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
Aux termes de ses conclusions au fond transmises le 5 avril 2019, la société Lybian Investment Authority, intimée, demande à la cour de :
à titre liminaire,
- juger sa demande de mainlevée recevable,
à titre principal,
- dire que la société [Y] [X] [M] et Fils ne justifie d'aucun titre exécutoire à son encontre,
- juger qu'elle-même n'est pas une émanation de l'Etat libyen,
en conséquence,
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement dont appel,
à titre subsidiaire,
- juger qu'elle-même bénéficie de l'immunité d'exécution,
en conséquence,
- de confirmer en toutes ses dispositions le jugement dont appel,
à titre infiniment subsidiaire,
- surseoir à statuer sur la demande de mainlevée qu'elle forme dans l'attente de l'issue du recours en tierce-opposition formé contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 28 octobre 2014,
en tout état de cause,
- condamner la société [Y] [X] [M] et Fils à lui payer la somme de 30.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens.
MOTIFS DE LA DÉCISION
En vertu de l'alinéa 1 de l'article L. 211-1 du code des procédures civiles d'exécution, « tout créancier muni d'un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut, pour en obtenir le paiement, saisir entre les mains d'un tiers les créances de son débiteur portant sur une somme d'argent ».
La saisie des avoirs de la société Libyan Investment Authority n'est recherchée qu'en tant qu'elle constitue une émanation de l'Etat libyen, de sorte que le fait qu'elle ne soit pas condamnée aux termes de la sentence arbitrale est indifférent à la solution du litige.
Or la société [Y] [X] [M] et Fils ne conteste pas, dès la page 5 de ses conclusions, que l 'Etat libyen a bien été condamné aux termes de la sentence arbitrale rendue au Caire le 22 mars 2013. Il existe donc un titre.
La décision d'exequatur confère à la décision étrangère, sur le territoire français, l'autorité de chose jugée.
La société [Y] [X] [M] et Fils prétend que l'autorité de chose jugée s'attache également aux motifs de la sentence arbitrale qui caractérisent le lien d'intégration de l'Autorité Libyenne d'investissement à l'Etat libyen, et demande à voir déclarer irrecevables les demandes de la société Libyan Investment Authority.
Elle fait valoir que l'Autorité Libyenne d'investissement est une émanation de l'Etat libyen et qu'en tant que telle, les saisies de ses comptes et de ses avoirs sont régulières, d'autant qu'elle ne peut invoquer aucune immunité d'exécution, les biens saisis ne pouvant être rattachés à l'une ou l'autre des catégories de biens qui bénéficieraient d'une présomption de souveraineté et l'Etat libyen ayant valablement renoncé à son immunité.
L'Autorité Libyenne d'investissement s'oppose à ce que l'autorité de chose jugée soit attachée à la qualification juridique de ses liens vis-à-vis de l'Etat libyen par la sentence arbitrale du 22 mars 2013. Elle estime que cette sentence ne crée aucune obligation à son encontre et que le passage de la sentence du 22 mars 2013 la qualifiant de « partie intégrante » de l'Etat libyen ne lui est pas opposable.
L'intimée estime qu'elle jouit d'une autonomie, exclusive de la qualification d'émanation, et au surplus, que les arguments soulevés par l'appelante relativement à la qualification d'émanation de l'Etat libyen sont inopérants puisqu'elle bénéficie de l'immunité d'exécution de l'Etat libyen.
Sur la recevabilité des demandes et sur l'autorité de chose jugée de la sentence arbitrale
Aux termes de l'article 1355 du Code civil « l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité ».
Cette condition est reprise à l'article 1484 du Code de procédure civile spécifiquement applicable en matière d'arbitrage international qui dispose que « la sentence arbitrale a, dès qu'elle est rendue, l'autorité de la chose jugée relativement à la contestation qu'elle tranche ».
Il ressort des motifs de la sentence arbitrale en page 249 que « l'Autorité Libyenne d'Investissement demeure une partie intégrante de l'État libyen (auquel la sentence arbitrale est applicable en toutes ses administrations et institutions, même non appelées en cause) ».
Cette disposition est précédée de cette phrase : « le tribunal arbitral rejette la demande de mise en cause de l'Autorité Libyenne d'Investissement dans la mesure où elle n'est pas concernée par cet arbitrage. Il confirme néanmoins qu'abstraction faite du lieu de ses investissements, qu'ils soient effectués en Libye ou à l'étranger, l'Autorité Libyenne d'Investissement demeure une partie intégrante ... ».
Elle est suivie par la liste des parties à qui la clause compromissoire est opposable au nombre desquelles l'Autorité Libyenne d'investissement ne figure pas explicitement, et par le rejet dans des termes qui suivent de :
« la demande de mise en cause de l'Autorité Libyenne d'Investissement (tout en confirmant qu'elle est partie intégrante de l'État libyen auquel la sentence arbitrale est applicable en toutes ses administrations et institutions) »,
et de « l'allégation de la partie défenderesse « relative arguant » de l'inopposabilité de la clause compromissoire ».
A la page précédente, il est indiqué que la société [Y] [X] [M] et Fils demandait, en effet, « la mise en cause de l'Autorité Libyenne d'Investissement pour que la sentence arbitrale lui soit opposable », et précisait « qu'elle sout(enai)t, à cet effet, qu'elle fai(sai)t partie des administrations et institutions gouvernementales et est financée par le budget de l'Etat ».
Les parties en défense répondaient sur la participation de l'Autorité Libyenne d'Investissement à l'opération immobilière litigieuse et sur l'opposabilité à cette même entité de la clause compromissoire qui figure au contrat.
Les contestations tranchées (par la négative) sont donc seulement relatives à la mise en cause de l'Autorité Libyenne d'Investissement et à l'inopposabilité de « la clause copromissoire » à cette entité et ne concernent donc pas la notion d'émanation de l'Etat libyen qui pourrait avoir une incidence sur la solution du litige, cette question restant de la compétence de la cour. Il n'est pas contesté que l'Autorité Libyenne d'Investissement est mise hors de cause et que la société [Y] [X] [M] et Fils n'a pas de titre à faire valoir directement à son encontre. Pour autant, compte tenu des termes du litige qui visent à voir condamner l'Autorité Libyenne d'Investissement en tant qu'émanation de l'Etat libyen, l'autorité de chose jugée sera écartée et aucune irrecevabilité ne sera retenue.
Sur le fond
A ce stade du raisonnement, il convient d'observer que, dans l'hypothèse où cette notion d'émanation de l'Etat libyen serait établie, aux termes de l'article L. 111-1-3, des mesures conservatoires ou des mesures d'exécution forcée ne peuvent être mises en oeuvre sur les biens, y compris les comptes bancaires, utilisés ou destinés à être utilisés dans l'exercice des fonctions de la mission diplomatique des Etats étrangers ou de leurs postes consulaires, de leurs missions spéciales ou de leurs missions auprès des organisations internationales, que dans le cas d'une disparition de l'immunité d'exécution des Etats concernés.
C'est donc cette hypothèse d'une renonciation de l'Etat libyen à son immunité d'exécution que la cour doit d'abord examiner, étant entendu qu'en application des dispositions de l'article 954 du Code de procédure civile, elle ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et que les « dire que» ou « juger que » ne sont pas des prétentions, mais des rappels des moyens invoqués à l'appui des demandes, ne conférant pas -hormis les cas prévus par la loi- de droit à la partie qui les requiert, de sorte qu'il n'y a pas lieu de statuer sur ces points et qu'il convient de ne statuer sur lesdits moyens que s'ils ont une incidence sur la solution du litige.
La société [Y] [X] [M] et Fils soutient que les biens saisis ne sont pas couverts par l'immunité et elle prétend subsidiairement, que l'État libyen a renoncé à trois reprises à son immunité :
- en adhérant à la Convention Unifiée pour l'Investissement des Capitaux Arabes dans les pays arabes signée le 26 novembre 1980,
- en signant la clause compromissoire visant la Convention,
- en acceptant le règlement de procédure du Centre Régional d'Arbitrage du Commerce International du Caire.
L'Autorité Libyenne d'Investissement estime que l'immunité d'exécution de l'État libyen fait obstacle aux saisies querellées.
L'article L 111-1-2 du Code des procédures civiles d'exécution énumère les biens qui bénéficient d'une présomption de souveraineté.
La question se pose notamment, pour un produit financier dénommé EMTN (Euro Medium Term Note).
Les Etats étrangers bénéficient en effet, par principe, d'une immunité d'exécution. Il en est autrement lorsque les biens concernés se rattachent, non à l'exercice d'une activité de souveraineté, ce qui signifie que les biens sont utilisés ou sont destinés à être utilisés à des fins publiques, mais à une opération économique, commerciale ou civile relevant du droit privé qui donne lieu à la demande en justice.
Or il n'est pas contesté que l'Autorité Libyenne d'Investissement a été créée en 2006 afin de gérer les fonds souverains détenus par la Libye.
Ainsi, l'appelante reconnaît elle-même en page 29 de ses conclusions que les biens concernés sont « utilisés ou destinés à être utilisés pour réaliser par la LIA une activité d'investissement ou de réinvestissement conformément à la mission que lui a été confiée la loi ».
C'est encore l'appelante qui rappelle les termes de l'article 4 de la loi n'205/1374, selon lequel l'Autorité Libyenne d'Investissement, « a pour objet d'investir et de faire fructifier les fonds que lui attribue le Comité Populaire Général (le gouvernement) conformément aux dispositions de la présente décision aux fins de fructifier ces fonds, fournir des apports financiers adéquats et diversifier les sources de revenus nationaux de manière à augmenter les rentrées annuelles du Trésor public et limiter l'impact des fluctuations des revenus et ressources pétrolières ». De même, ceux de l'article 5 qui indique que « l'autorité a pour objet l'investissement, directement ou indirectement, des fonds affectés à l'investissement à l'étranger en se basant sur la faisabilité économique et ce dans les différents domaines économiques, de sorte à contribuer au développement et à la diversification des ressources de l'économie nationale, à réaliser les meilleurs rendements financiers soutenant ainsi le Trésor public et assurant le futur des générations à venir, et à limiter les effets des fluctuations en termes de revenus et autres recettes de l'État. (') L'autorité se chargera de la réception des fonds affectés à l'investissement et sera responsable de leur investissement et réinvestissement pour le compte de l'État afin de recueillir les ressources financières nécessaires pour favoriser le développement économique du peuple libyen et maintenir son bien-être et sa prospérité économique dans l'avenir ».
Enfin, il n'est pas indifférent de relever ainsi qu'il est dit par l'appelante, que les biens et avoirs détenus par l'Autorité Libyenne d'Investissement ont expressément fait l'objet d'un gel par l'adoption de la résolution 1973 du 17 mars 2011 du Conseil de sécurité de l'ONU, le paragraphe 20 de cette résolution, prévoyant que le Conseil de Sécurité « se déclare résolu à veiller à ce que les avoirs gelés en application du paragraphe 17 de la résolution 1970 (2011) soient à une étape ultérieure, dès que possible, mis à la disposition du peuple de la Jamahiriya arabe libyenne et utilisés à son profit »
Les biens appartenant à l'Autorité Libyenne d'Investissement, quelque soit le produit financier de placement, sont donc bien utilisés ou destinés à être utilisés à des fins publiques ce qui exclut qu'ils puissent être l'objet d'une saisie, sauf renonciation par l'Etat libyen.
Or dans le cas d'espèce, au regard des exigences de la matière, s'agissant de la souveraineté d'un Etat, cette renonciation par la Libye à son immunité d'exécution ne peut être directement déduite de son adhésion à la Convention Unifiée pour l'Investissement des Capitaux Arabes dans les pays arabes signée le 26 novembre 1980 ou de l'acceptation du règlement de procédure du Centre Régional d'Arbitrage du Commerce International du Caire, étant précisé qu'il n'est nullement allégué ou établi que la sentence arbitrale fasse elle-même référence à une quelconque renonciation ou encore à un engagement de l'Etat à l'exécution de la sentence arbitrale.
L'article 29 du contrat passé entre la société [M] et l'État de Libye est en effet rédigé dans les termes qui suivent : « en cas de naissance d'un différend relatif à l'interprétation ou à l'exécution du contrat pendant la période où il a cours, il doit être procédé à sa résolution à l'amiable, et en cas d'impossibilité d'un tel règlement, il doit être recouru à l'arbitrage conformément aux dispositions de la Convention unifiée pour l'investissement des capitaux arabes dans les pays arabes signée le 26 novembre 1980 ».
Mais l'annexe de la convention Unifiée pour l'Investissement des Capitaux Arabes dans les pays arabes signée le 26 novembre 1980 intitulée « Conciliation et Arbitrage », en son article 2-8 qui prévoit que « la sentence arbitrale rendue conformément aux provisions de cet article sera définitive et liera les parties qui doivent s'y soumettre et qui doivent l'exécuter immédiatement à moins que le tribunal n'ait fixé un délai pour l'exécution de tout ou partie de ladite sentence. La sentence arbitrale ne peut faire l'objet d'aucune voie de recours » n'est pas visée par la clause compromissoire.
L'article 34.2 du règlement de procédure du Centre Régional d'Arbitrage du Commerce International du Caire qui dispose que «toutes les sentences sont rendues par écrit. Elles sont définitives et s'imposent aux parties. Les parties exécutent sans délai toutes les sentences», n'est pas non plus visée et ne constitue pas davantage la preuve d'un engagement de l'Etat à l'exécution de la sentence arbitrale dans le cas d'espèce.
Faute d'être plus précise quant à ses références et à la portée de l'engagement souscrit, celui pris par l'Etat libyen, signataire de la clause d'arbitrage, n'est donc pas un acte de renonciation à son immunité d'exécution.
En l'absence d'autres éléments, la notion de bonne foi dans l'exécution des conventions ou l'absence de recours possible qui s'imposent aux parties à la lecture des dispositions, de la sentence arbitrale ne sont d'aucun secours pour caractériser une telle renonciation.
En conséquence, en l'absence de renonciation expresse de l'Etat libyen à son immunité d'exécution sur les biens concernés par les saisies litigieuses, le jugement qui en a ordonné la mainlevée sera confirmé.
Compte tenu de la solution adoptée, il n'y a pas lieu d'examiner la demande de sursis à statuer.
La société [Y] [X] [M] et Fils qui succombe sera condamnée aux dépens.
L'équité et la situation respective des parties justifient le rejet des demandes fondées sur l'article 700 du Code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La Cour statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort
Déclare recevables les demandes de la société Libyan Investment Authority,
Confirme le jugement entrepris,
Y ajoutant,
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées par les parties,
Rejette toute autre demande,
Condamne la société [Y] [X] [M] et Fils aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile par les avocats qui en ont fait la demande.
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Patricia GRASSO, Président et par Mme COLAS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier,Le président,