COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 31C
12e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 12 MARS 2020
N° RG 18/01551 - N° Portalis DBV3-V-B7C-SHC2
AFFAIRE :
[D] [V]
...
C/
SELARL JURISPHARMA (ayant fait l'objet d'une caducité partielle par ordonnance d'incident du 08.11.2018 dans le RG 18/02760)
...
Décision déférée à la cour : Jugement rendu(e) le 15 Février 2018 par le Tribunal de Grande Instance de NANTERRE
N° Chambre : 2
N° Section :
N° RG : 14/14717
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Michèle BRAULT,
Me Jérôme DEPONDT
Me Bertrand CAYOL
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE DOUZE MARS DEUX MILLE VINGT,
La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Monsieur [D] [V]
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentant : Me Michèle BRAULT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : B1170 - N° du dossier B-140044
Monsieur [N] [Z]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentant : Me Michèle BRAULT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : B1170 - N° du dossier B-140044
APPELANTS
****************
SELARL JURISPHARMA
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentant : Me Jérôme DEPONDT de la SCP IFL Avocats, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0042 - N° du dossier 50080
SELARL PHARMACIE DU MARCHE DU POTEAU
N° SIRET : 492 321 443
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentant : Me Bertrand CAYOL, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C0140 par Me LACLAVIERE
INTIMEES
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 23 Janvier 2020 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Mme Véronique MULLER, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Thérèse ANDRIEU, Président,
Madame Florence SOULMAGNON, Conseiller,
Mme Véronique MULLER, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Monsieur [N] GAVACHE,
EXPOSÉ DU LITIGE
Par acte du 14 octobre 2013, la société Pharmacie du Marché du Poteau a promis de céder à la société en formation Pharmacie du Poteau, représentée par Messieurs [Z] et [V] une officine de pharmacie, sous diverses conditions suspensives, et moyennant paiement d'un prix de 1.785.000 euros, hors valeur du stock.
Par acte du 9 janvier 2014, les parties ont constaté la réalisation des conditions suspensives, à l'exception de celle relative à l'obtention du certificat d'inscription autorisant l'exploitation de l'officine, réitérant la promesse sous cette dernière condition suspensive.
Par décision du 20 janvier 2014, le conseil régional de l'ordre des pharmaciens a prononcé une sanction disciplinaire d'interdiction d'exercice de la profession de pharmacien à l'encontre de M. [Z] pour une durée de 7 mois.
Par courrier du 14 février 2014, le conseil régional de l'ordre des pharmaciens a notifié à M. [Z] son refus d'inscription au tableau A, rendant impossible la réalisation de la condition suspensive. M. [Z] a formé un recours contre cette décision devant le conseil national de l'ordre des pharmaciens qui, par décision du 20 mai 2014, a confirmé le refus d'inscription.
Par courrier du 6 juin 2014, la société Pharmacie du Marché du Poteau a sollicité de Messieurs [Z] et [V] le paiement de l'indemnité d'immobilisation prévue au contrat, à hauteur de la somme de 178.500 euros.
Par acte d'huissier du 20 novembre 2014, la société Pharmacie du Marché du Poteau a fait assigner Messieurs [Z] et [V] devant le tribunal de grande instance de Nanterre en paiement de cette somme de 178.500 euros.
Par acte d'huissier du 20 avril 2015, M. [Z] a fait assigner la société Jurispharma, rédacteur de la promesse, ainsi que le conseil de l'ordre des pharmaciens devant le tribunal de grande instance de Nanterre.
La jonction des instances a été prononcée. Par ordonnance du 1° mars 2016, le juge de la mise en état a fait droit à l'exception d'incompétence soulevée par le conseil de l'ordre des pharmaciens au profit de la juridiction administrative, opérant ainsi une disjonction.
Par arrêt du 21 novembre 2016, le conseil d'Etat a annulé la décision du Conseil national de l'ordre des pharmaciens du 20 mai 2014, lui enjoignant de réexaminer la demande d'inscription de M. [Z] dans un délai de 3 mois.
Par jugement du 15 février 2018, le tribunal de grande instance de Nanterre a :
- condamné in solidum M. [V] et M. [Z] à payer à la Pharmacie du Marché du Poteau la somme de 178.500 euros au titre de l'indemnité d'immobilisation, outre intérêts au taux de 1% par mois à compter du 9 juin 2014,
- condamné in solidum M. [Z] et la société Jurispharma à payer à la société Pharmacie du Marché du Poteau une somme de 5.000 € en réparation du préjudice moral,
- débouté les parties du surplus de leurs demandes,
- condamné in solidum M. [V] et M. [Z] ainsi que la société Jurispharma à payer à la société Pharmacie du Marché du Poteau la somme de 4.000 euros au titre des frais irrépétibles,
- condamné in solidum M. [V] et M. [Z] ainsi que la société Jurispharma aux dépens,
- ordonné l'exécution provisoire.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Vu l'appel interjeté le 5 mars 2018 par M. [Z], et l'appel interjeté le 19 avril 2018 par M. [V].
Vu l'ordonnance d'incident du 8 novembre 2018 par laquelle le conseiller de la mise en état a prononcé la caducité de la déclaration d'appel de M. [V] à l'encontre de la société Jurispharma.
Vu l'ordonnance d'incident du 9 mai 2019 par laquelle le conseiller de la mise en état a ordonné la jonction des deux instances et déclaré recevables les conclusions signifiées par M. [Z] le 4 décembre 2018.
Vu les dernières conclusions notifiées le 4 décembre 2018 par lesquelles M. [Z] demande à la cour de :
- Infirmer le jugement du 15 février 2018,
Statuant à nouveau :
Au principal,
- Constater que la clause C) insérée dans l'article « Conventions spéciales ' indemnité contractuelle » est une clause pénale,
- Constater que Monsieur [Z] n'a commis aucun manquement fautif au sens de la clause C)
- Débouter la société Pharmacie du Marché du Poteau de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions au titre de cette clause,
- Ordonner la restitution de toutes sommes perçues par voie de saisies,
- Débouter la société Pharmacie du Marché du Poteau de sa demande de réparation de préjudices,
- La condamner à verser la somme de 10 000 euros à Monsieur [N] [Z] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner la société Jurispharma à verser la somme de 5000 euros à Monsieur [N] [Z] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner solidairement les intimées aux dépens de première instance et d'appel.
Subsidiairement,
- faire application du pouvoir modérateur pour réduire le montant manifestement excessif de la clause pénale,
- Ordonner la restitution de toutes sommes trop perçues par voie de saisies,
- Débouter la société Pharmacie du Marché du Poteau de sa demande de réparation de préjudices,
- Constater que la société Jurispharma a manqué à son obligation de conseil et d'information et la condamner à garantir Monsieur [N] [Z] de toutes condamnations qui pourraient être mises à sa charge,
- Condamner la société Jurispharma à verser la somme de 5000 euros à Monsieur [N] [Z] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner solidairement les intimées aux dépens de première instance et d'appel.
Vu les dernières conclusions notifiées le 16 mai 2018 au terme desquelles M. [V] demande à la cour de :
- Infirmer le jugement du 15 février 2018,
Statuant à nouveau :
Au principal,
- Constater que la clause C) insérée dans l'article « Conventions spéciales ' indemnité contractuelle » est une clause pénale,
- Constater que Monsieur [Z] n'a commis aucun manquement fautif au sens de la clause C)
- Débouter la société Pharmacie du Marché du Poteau de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions au titre de cette clause,
- Ordonner la restitution de toutes sommes perçues par voie de saisies,
- Débouter la société Pharmacie du Marché du Poteau de sa demande de réparation de préjudices,
- La condamner à verser la somme de 15 000 euros à Monsieur [V] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner la société Jurispharma à verser la somme de 5000 euros à Monsieur [V] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner solidairement les intimées aux dépens de première instance et d'appel.
Subsidiairement,
- constater qu'aucune faute ne peut être retenue à l'encontre de M. [V],
- Ordonner la restitution de toutes sommes trop perçues par voie de saisies,
- Débouter la société Pharmacie du Marché du Poteau de sa demande de réparation de préjudices,
- Constater que la société Jurispharma a manqué à son obligation de conseil et d'information et la condamner à garantir Monsieur [V] de toutes condamnations qui pourraient être mises à sa charge, (demande irrecevable compte tenu de la caducité de l'appel prononcée le 8 novembre 2018)
- Condamner la société Jurispharma à verser la somme de 5000 euros à Monsieur [V] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, (demande irrecevable compte tenu de la caducité de l'appel prononcée le 8 novembre 2018)
- Condamner solidairement les intimées aux dépens de première instance et d'appel.
Vu les dernières conclusions notifiées le 28 juin 2018 à l'encontre d'une part de M. [Z], d'autre part de M. [V], au terme desquelles la société Pharmacie du Marché du Poteau demande à la cour de :
I. Sur l'acquisition de l'indemnité d'immobilisation au bénéfice de la société Pharmacie du Marché du Poteau :
- confirmer le jugement en toutes ses dispositions,
- dire que les intérêts porteront capitalisation conformément aux dispositions de l'article 1154 du Code civil, ce à compter du 9 juin 2015 ;
- condamner le cabinet d'avocats Jurispharma, ès qualités de rédacteur unique de l'acte de cession, à garantir à la société Pharmacie du Marché du Poteau le paiement de l'indemnité d'immobilisation s'élevant la somme de 178.500,00 euros, augmentée des intérêts au taux de un pour cent par mois à compter du 9 juin 2014;
- débouter Messieurs [Z] et [V] de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ;
- débouter le cabinet d'avocats Jurispharma de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
II. Sur la responsabilité des consorts [Z] et [V] et du cabinet d'avocats Jurispharma et l'indemnisation des préjudices de la société Pharmacie du Marché du Poteau :
- confirmer le jugement en ce qu'il juge que M. [Z] a fait preuve de mauvaise foi dans la conclusion et l'exécution de l'acte en date du 9 janvier 2014 et, partant, a engagé sa responsabilité à l'égard de la société Pharmacie du Marché du Poteau ;
- dire que Monsieur [V] a fait preuve de mauvaise foi dans la conclusion et l'exécution de l'acte en date du 9 janvier 2014 et, partant, a engagé sa responsabilité à l'égard de la société Pharmacie du Marché du Poteau ;
- confirmer le jugement en ce qu'il juge que le cabinet d'avocats Jurispharma, ès qualités de rédacteur unique d'acte, a manqué à son devoir d'information et de conseil et n'a pas assuré l'efficacité de son acte, de sorte qu'il a engagé sa responsabilité à l'égard de la société Pharmacie du Marché du Poteau ;
En conséquence,
- condamner solidairement ou à défaut, in solidum, Messieurs [V] et [Z] et le cabinet d'avocats Jurispharma à payer à la société Pharmacie du Marché du Poteau la somme de 85.000,00 euros au titre de dommages et intérêts correspondant à la différence entre le prix de cession de 1.785.000 euros prévu aux termes de l'acte de cession en date du 9 janvier 2014 et le prix de cession de 1.700.000 euros prévu aux termes l'acte de cession en date du 4 mars 2015 ;
- condamner solidairement ou à défaut, in solidum, Messieurs [V] et [Z] et le cabinet d'avocats Jurispharma à payer à la société Pharmacie du Marché du Poteau la somme de 100.000,00 euros au titre de dommages et intérêts du fait de leur mauvaise foi, déloyauté, inconséquence et résistance abusive ;
- débouter Monsieur [Z] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
- débouter le cabinet d'avocats Jurispharma de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
Ce faisant,
- condamner solidairement ou à défaut, in solidum, Messieurs [V] et [Z] et le cabinet d'avocats Jurispharma la somme de 25.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner solidairement ou à défaut, in solidum, Messieurs [V] et [Z] et le cabinet d'avocats Jurispharma aux entiers dépens, en ce compris les frais engagés au titre des mesures d'exécution et la totalité des frais et honoraires d'huissier, en ce compris tout droit proportionnel lui revenant, en application des dispositions des articles A. 444-31 et A-444.32 du code de commerce, dont distraction conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
Vu les dernières conclusions notifiées le 17 juillet 2018 au terme desquelles la société Jurispharma prie la cour de :
- déclarer Monsieur [Z] mal fondé en son appel principal,
En conséquence, L'en débouter,
- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Monsieur [Z] de son appel en garantie à l'encontre de la société Jurispharma,
- Recevoir la société Jurispharma en son appel incident,
Y faisant droit,
- Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il est entré en voie de condamnation à l'encontre de la société Jurispharma et l'a débouté de son appel en garantie à l'encontre de Monsieur [Z],
Et statuant à nouveau,
- Dire que la société Jurispharma n'a pas commis de faute à l'égard de Monsieur [Z], ou de la société Pharmacie du Marché du Poteau,
- Débouter Monsieur [Z] et la société Pharmacie du Marché du Poteau de l'intégralité de leurs demandes, fins et prétentions dirigées contre la société Jurispharma,
- Condamner le cas échéant Monsieur [Z] à garantir et relever indemne la société Jurispharma de toutes condamnations éventuellement prononcées à son encontre,
- Condamner tout succombant à verser à la société Jurispharma une somme de 6.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner tout succombant aux entiers dépens dont distraction sur le fondement de l'article 699 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 7 novembre 2019.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions déposées par les parties et au jugement dont appel.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1 - Sur la demande en paiement de l'indemnité d'immobilisation
L'acte de cession d'officine de pharmacie du 9 janvier 2014 précise en page 30 : "la présente vente est faite sous la seule condition suspensive de l'obtention par la société Pharmacie du Poteau, acquéreur, de l'enregistrement de la déclaration d'exploitation qu'elle est tenue de faire auprès du Conseil Régional de l'Ordre des Pharmaciens compétent, en application de l'article L. 5125-16 du code de la Santé Publique."
L'article "conventions spéciales - indemnité contractuelle" est ainsi rédigé : "les parties conviennent en conséquence que si la condition suspensive n'est pas réalisée dans le délai de 5 mois de ce jour pour quelque cause que ce soit, les présentes deviendront ipso facto nulles et non avenues. Elles seront alors considérées comme inexistantes, sans qu'aucune des parties ait une quelconque formalité à remplir. En conséquence, les fonds éventuellement versés par l'acquéreur lui seront restitués (sauf en ce qui est convenu au B in fine et C ci-après (...)".
Le C est ainsi rédigé : "si cette non-réalisation provient d'un fait, soit imputable à l'acquéreur, soit autre que l'un des deux énoncés au B ci-dessus (...), l'acquéreur deviendra débiteur envers le vendeur d'une indemnité égale à 178.500 euros".
Les deux cas visés au B sont, d'une part le décès involontaire de l'acquéreur, d'autre part son incapacité physique ou mentale involontaire et supérieure à 70%.
* sur la demande en paiement formée à l'encontre de Messieurs [Z] et [V]
La société Pharmacie du Marché du Poteau sollicite confirmation du jugement en ce qu'il a condamné in solidum Messieurs [V] et [Z] au paiement de l'indemnité d'immobilisation.
Messieurs [V] et [Z] soutiennent, à titre principal, qu'ils n'ont commis aucun manquement fautif au sens des dispositions contractuelles, de sorte qu'ils ne sont pas redevables de l'indemnité d'immobilisation, sollicitant, à titre subsidiaire, qu'il soit fait application du pouvoir modérateur de la cour, en réduisant le montant de l'indemnité qu'ils qualifient de clause pénale.
Il résulte de l'article C précité que l'indemnité d'un montant de 178.500 euros est due si la non-réalisation de la condition suspensive provient d'un fait : " soit imputable à l'acquéreur, soit autre que l'un des deux énoncés au B" (décès involontaire de l'acquéreur, ou incapacité physique ou mentale de l'acquéreur supérieure à 70%).
En l'espèce, il est constant que la non-réalisation de la condition suspensive provient du fait que le conseil de l'ordre des pharmaciens a refusé d'accorder à l'acquéreur l'enregistrement de sa déclaration d'exploitation.
A supposer même que la non-réalisation de la condition suspensive ne soit pas imputable à M. [Z], comme le soutient ce dernier, il apparaît que cette non-réalisation est en tout état de cause autre que le fait du décès ou de l'incapacité de l'acquéreur, de sorte que cette indemnité est due par Messieurs [V] et [Z], sans qu'il y ait lieu à ce stade de rechercher si le fait à l'origine de la non-réalisation leur est imputable.
C'est ainsi à bon droit que le premier juge a dit que Messieurs [Z] et [V] étaient redevables de l'indemnité prévue à l'article C précité.
Messieurs [Z] et [V] soutiennent à titre subsidiaire que la clause relative au versement de l'indemnité serait une clause pénale susceptible de réduction. Ils soutiennent que l'indemnité n'est due que dans l'hypothèse où l'acquéreur est fautif, ce qui correspond à une clause pénale.
Il a toutefois été démontré que l'indemnité litigieuse n'était pas uniquement due en cas de faute de l'acquéreur, mais également si la non-réalisation de la condition suspensive provient d'un fait autre que le décès involontaire ou l'incapacité physique ou mentale supérieure à 70% de l'acquéreur, de sorte que l'indemnité correspond bien à une indemnité d'immobilisation, et non pas à une clause pénale. Elle n'est donc pas susceptible de réduction.
C'est ainsi à bon droit que le premier juge a condamné in solidum Messieurs [V] et [Z] à payer à la société Pharmacie du Marché du Poteau la somme de 178.500 euros.
Il était en outre prévu au contrat que : « si la somme due n'est pas payée à la date convenue, le débiteur devra en outre les intérêts au taux de 1% par mois (...) ».
Ainsi que le font observer Messieurs [V] et [Z], cette stipulation d'intérêts à un taux de 1% par mois, soit 12 % par an, constitue bien une clause pénale qui paraît manifestement excessive en ce qu'elle représente près de 4 fois le taux d'intérêt légal, de sorte que la cour réduira ce taux d'intérêt au taux légal, les intérêts étant dûs à compter du 9 juin 2014.
Conformément à la demande de la société Pharmacie du Marché du Poteau, il convient d'ordonner la capitalisation des intérêts.
*sur l'appel en garantie formé par Messieurs [V] et [Z] à l'encontre de la société Jurispharma
Messieurs [V] et [Z] soutiennent que la société Jurispharma a manqué à ses obligations contractuelles à leur égard, et sollicitent sa garantie pour toute condamnation qui pourrait être mise à leur charge.
Ils lui reprochent d'avoir engagé M. [Z] à signer, le 9 janvier 2014, l'acte de cession, ainsi qu'une déclaration sur l'honneur selon laquelle : « il n'existe aucune instance pouvant donner lieu à condamnation ou sanction susceptible d'avoir des conséquences sur l'inscription au Tableau du Conseil Régional », alors même que M. [Z] était attrait devant le conseil de discipline, ce que la société Jurispharma ne pouvait ignorer dès lors qu'elle l'avait assisté dans la procédure l'opposant à une consoeur. Ils ajoutent que, même si la société Jurispharma ignorait la saisine de la chambre de discipline, elle connaissait l'existence du différend et aurait dû se renseigner sur ses suites et l'aviser du risque quant à la réalisation de la condition suspensive.
La société Jurispharma réplique qu'elle n'a eu connaissance que de la phase de conciliation devant le Conseil de l'ordre en 2012, faisant observer qu'elle n'assistait plus M. [Z] dans la phase de procédure disciplinaire qui s'est ouverte en juin 2013. Elle ajoute que l'avocat rédacteur de l'acte n'était pas celui ayant assisté M. [Z] dans la phase de conciliation devant le conseil de l'ordre, et que M. [Z] n'a pu se méprendre sur la portée de ses déclarations.
****
Il ressort de la décision de la chambre de discipline du Conseil Régional de l'Ordre des Pharmaciens (CROP) du 20 janvier 2014 que la procédure intentée contre M. [Z] a démarré en avril 2012 avec le dépôt d'une plainte d'une consoeur, pour aboutir, en juin 2013 à son renvoi en chambre de discipline et enfin à la décision du 20 janvier 2014.
S'il résulte des documents produits que le cabinet d'avocats Jurispharma, en la personne de Maître [H], assistait M. [Z] dans la phase de conciliation en 2012, il n'est nullement établi que ce même cabinet ait eu connaissance du renvoi de M. [Z] en chambre de discipline, ce dernier ayant changé de conseil en cours de procédure puisqu'il était ensuite assisté d'un autre avocat.
S'il est certain que le rédacteur de l'acte a une obligation d'information et de conseil, il ne peut toutefois délivrer un conseil s'il ne dispose pas des informations utiles. Il n'est pas établi en l'espèce que la société Jurispharma ait eu connaissance du renvoi de M. [Z] en chambre de discipline, de sorte qu'elle ne pouvait fournir aucune information, ni conseil dans le cadre de la cession signée en janvier 2014.
La société Jurispharma pouvait d'autant moins imaginer l'existence d'une procédure disciplinaire et d'un risque de non-réalisation de la condition suspensive que M. [Z] lui a remis, le jour de la signature de l'acte de cession, une déclaration sur l'honneur tout à fait explicite dans laquelle il atteste que : « aucune instance pouvant donner lieu à condamnation ou sanction susceptible d'avoir des conséquences sur l'inscription au Tableau du Conseil Régional n'est en cours ».
M. [Z] ne peut sérieusement soutenir qu'il se serait mépris sur la portée de son engagement, alors même qu'il s'agit d'une attestation sur l'honneur destinée au même organisme que celui chargé d'instruire la procédure disciplinaire le concernant, la cour observant au surplus qu'il avait déposé un mémoire, trois jours plus tôt, le 6 janvier 2014, devant cette chambre de discipline du Conseil de l'Ordre, ainsi que cela ressort de la décision prononcée le 20 janvier.
Dès lors que M. [Z] affirmait lui-même sur l'honneur, et de manière parfaitement claire, qu'aucune instance n'était en cours pouvant avoir des conséquences sur son inscription au Tableau du Conseil Régional, la société Jurispharma n'avait aucune raison de mettre en doute cette affirmation, ni de l'avertir d'un éventuel risque de non-réalisation de la condition suspensive.
Il n'est ainsi justifié d'aucun manquement de la société Jurispharma à ses obligations contractuelles, de sorte que l'appel en garantie formé par Messieurs [V] et [Z] à son encontre sera rejeté, le jugement étant confirmé de ce chef.
* sur l'appel en garantie formé par la société Pharmacie du Marché du Poteau à l'encontre de la société Jurispharma
La société Pharmacie du Marché du Poteau demande à être garantie par la société Jurispharma, rédacteur de l'acte de cession, du paiement de l'indemnité d'immobilisation. Elle ne précise toutefois pas le fondement juridique de cette demande, étant observé qu'aucune disposition contractuelle ne permet de mettre à la charge du rédacteur de l'acte le paiement de l'indemnité d'immobilisation. Il sera en outre démontré plus avant que la société Jurispharma n'a commis aucun manquement à ses obligations à l'égard de la société Pharmacie du Marché du Poteau, de sorte que la demande en garantie ne peut prospérer.
2 ' sur les demandes indemnitaires formées par la société Pharmacie du Marché du Poteau
La société Pharmacie du Marché du Poteau reprend en cause d'appel les demandes indemnitaires formées en première instance, sollicitant la condamnation solidaire (ou in solidum) de Messieurs [V] et [Z], outre de la société Jurispharma, au paiement d'une somme de 85.000 euros correspondant à la différence entre le prix fixé à l'acte et le montant de la vente qu'elle a finalement conclu. Elle sollicite également paiement d'une somme de 100.000 euros en réparation de son préjudice du fait de leur mauvaise foi et déloyauté.
2-1- la responsabilité de Messieurs [Z] et [V]
La société Pharmacie du Marché du Poteau reproche à Messieurs [Z] et [V] des déclarations mensongères dans l'acte du 9 janvier 2014, notamment en ce que M. [Z] a déclaré ne pas avoir fait l'objet de condamnations pour infraction à la législation pharmaceutique, et ne pas avoir été l'objet d'une telle procédure, ce qui s'est avéré inexact.
M. [Z] conteste avoir fait des déclarations mensongères et affirme qu'il remplissait les conditions requises à l'article L. 5125-9 du code de la santé publique. Il admet l'existence d'une procédure disciplinaire à son encontre, mais soutient n'avoir jamais été condamné « pour infraction à la législation pharmaceutique ».
****
Il est mentionné en page 27 de l'acte de cession du 9 janvier 2014 que les acquéreurs déclarent : « qu'ils remplissent toutes les conditions requises, notamment celles prévues à l'article L. 5125-9 du code de la santé publique, et qu'ils ne sont frappés d'aucune incapacité pour exercer le commerce de pharmacie ('.), qu'ils n'ont jamais été condamnés pour infraction à la législation pharmaceutique, ni été l'objet d'une telle procédure ('.), qu'en résumé, rien ne s'oppose à l'acquisition de l'officine objet des présentes en ce qui les concerne ('). »
Il est constant que le 20 janvier 2014 le Conseil Régional de l'Ordre des Pharmaciens (CROP) a prononcé une sanction disciplinaire à l'encontre de M. [Z], consistant en une interdiction d'exercice de la profession durant 7 mois à compter de mai 2014, et ce en raison d'agissements de M. [Z] à l'égard d'une de ses consoeurs dans le cadre de la reprise d'une pharmacie.
Au moment de la signature de l'acte de cession, le 9 janvier 2014, M. [Z] n'était donc frappé d'aucune incapacité d'exercer le commerce de pharmacie. Il n'en reste pas moins qu'il était parfaitement informé de la procédure disciplinaire engagée à son encontre depuis le mois d'avril 2012.
Contrairement à ce que soutient M. [Z], aucun élément ne permet de réduire l'expression « législation pharmaceutique » aux seules infractions pénales, à l'exclusion des infractions disciplinaires. L'expression « législation pharmaceutique » est au contraire une dénomination générale englobant l'ensemble des dispositions légales ou réglementaires relatives à l'exercice de la profession de pharmacien, telles qu'elles résultent du code de la santé publique, y compris celles relatives à la déontologie et la discipline des pharmaciens. C'est d'ailleurs au visa des dispositions de ce code que le CROP a prononcé une sanction à l'encontre de M. [Z].
Les déclarations de M. [Z] selon lesquelles il n'a jamais été l'objet d'une procédure pour infraction à la législation pharmaceutique, alors même qu'une telle procédure était en cours à son encontre, caractérisent ainsi des déclarations mensongères, constituant un manquement fautif à l'égard de la société Pharmacie du Marché du Poteau.
Aucune fausse déclaration n'est imputée à M. [V], la société Pharmacie du Marché du Poteau lui reprochant toutefois les mêmes agissements que M. [Z], du seul fait qu'ils étaient tous deux associés dans l'acquisition de l'officine.
Force est toutefois de constater que les déclarations des acquéreurs ont été faites par Messieurs [V] et [Z] : « agissant chacun tant en son nom personnel, qu'au nom de la SELAS Pharmacie du Poteau ». M. [V] n'a ainsi fait de déclaration qu'en son nom personnel et non pas au nom de M. [Z]. Il n'est pas démontré, ni même allégué que M. [V] était informé de la procédure disciplinaire en cours à l'encontre de son associé, et qu'il ait ainsi agi de manière déloyale à l'encontre de la société Pharmacie du Marché du Poteau, de sorte qu'aucun manquement n'est caractérisé à son encontre.
2-2 ' la responsabilité de la société Jurispharma
La société Pharmacie du Marché du Poteau reproche à la société Jurispharma, en sa qualité de rédacteur de l'acte, un manquement à son devoir d'information et de conseil. Elle fait ainsi valoir que la société Jurispharma avait assisté M. [Z] dans la phase amiable de sa procédure disciplinaire, de sorte qu'elle en avait pleinement connaissance et ne pouvait ni s'abstenir d'en faire mention, ni laisser M. [Z] faire une déclaration erronée. Elle lui reproche également d'avoir fait obstruction au recouvrement des sommes dues, en ce que le billet à ordre prévu pour le séquestre s'est révélé irrecouvrable : il ne pouvait être libéré qu'à condition que la cession intervienne, et la date d'échéance était fixée au 31 mars 2014.
Il a été démontré que la société Jurispharma n'avait commis aucun manquement à son devoir d'information et de conseil, dès lors, d'une part qu'elle n'était pas informée de la phase disciplinaire de la procédure intentée contre M. [Z], d'autre part que M. [Z] avait lui-même attesté sur l'honneur que : « aucune instance pouvant donner lieu à condamnation ou sanction susceptible d'avoir des conséquences sur l'inscription au Tableau du Conseil Régional n'est en cours ».
S'agissant du non-respect de l'obligation de séquestre, et comme le fait observer la société Jurispharma, la garantie ne figurait qu'à la promesse signée le 14 octobre 2013, et elle a pris fin par la signature de l'acte de cession du 9 janvier 2014.
En signant la promesse initiale, la société Pharmacie du Marché du Poteau avait connaissance du fait que la date d'échéance du séquestre était fixée au plus tard au 31 mars 2014, ce qu'elle a accepté, de sorte qu'elle n'est pas fondée à rechercher la responsabilité de la société Jurispharma à ce titre.
2-3 ' le préjudice subi par la société Pharmacie du Marché du Poteau
La société Pharmacie du Marché du Poteau fait valoir qu'elle a finalement cédé son officine pour un prix inférieur de 85.000 euros au prix initialement fixé avec Messieurs [V] et [Z]. Elle soutient dès lors que son préjudice résulte de ce manque à gagner à hauteur de cette somme. Elle sollicite également paiement d'une somme de 100.000 euros à titre de dommages et intérêts du fait de la mauvaise foi, de la déloyauté et de la résistance abusive de Messieurs [V] et [Z].
S'agissant du manque à gagner allégué, M. [Z] soutient qu'il ne lui est pas imputable, car il n'est pas responsable des actions réalisées par la société Pharmacie du Marché du Poteau postérieurement à la caducité de l'acte de cession.
Il n'est pas établi que le manquement reproché au seul M. [Z], tenant à ses déclarations inexactes quant à l'absence de procédure pour infraction à la législation pharmaceutique, ayant entraîné son refus d'inscription par l'Ordre des Pharmaciens, soit en lien de causalité directe avec le manque à gagner subi par la société Pharmacie du Marché du Poteau, de sorte que la demande indemnitaire à ce titre sera rejetée.
S'agissant de la demande indemnitaire complémentaire, la société Pharmacie du Marché du Poteau soutient que l'indemnisation allouée par le premier juge à hauteur de 5.000 euros est nettement insuffisante, en ce que la caducité de la cession a entraîné une désorganisation générale de l'officine, une démotivation de son personnel et des difficultés avec la clientèle.
Si l'on peut admettre l'existence d'un préjudice moral subi par la société Pharmacie du Marché du Poteau du fait de la caducité de la cession, force est toutefois de constater que cette dernière ne produit aucun élément permettant d'attester de la désorganisation générale qu'elle invoque, de sorte que le jugement sera confirmé en ce qu'il a limité à la somme de 5.000 euros le préjudice allégué, cette indemnisation étant uniquement imputable à M. [Z] dès lors que la responsabilité de la société Jurispharma a été écartée.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :
Le jugement sera infirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens.
M. [Z], succombant seul pour l'essentiel, sera condamné aux dépens de première instance et d'appel.
Il sera en outre condamné à payer à la société Pharmacie du Marché du Poteau une somme globale de 7.000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel.
Il sera également condamné à payer à la société Jurispharma la somme de 3.000 euros au titre de ses frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement du tribunal de grande instance de Nanterre du 15 février 2018 en ce qu'il a condamné in solidum M. [V] et M. [Z] à payer à la Pharmacie du Marché du Poteau une somme principale de 178.500 euros au titre de l'indemnité d'immobilisation,
L'infirme pour le surplus,
Et statuant à nouveau,
Dit que les intérêts sur la somme de 178.500 euros sont dûs au taux légal à compter du 9 juin 2014,
Dit que les intérêts dus pour une année entière produiront eux-mêmes intérêts,
Condamne M. [N] [Z] à payer à la société Pharmacie du Marché du Poteau la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral,
Rejette toutes autres demandes,
Condamne M. [N] [Z] à payer à la société Pharmacie du Marché du Poteau la somme de 7.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne M. [N] [Z] à payer à la société Jurispharma la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
Condamne M. [N] [Z] aux dépens de première instance et d'appel, en ce compris les frais engagés au titre des mesures d'exécution dans les limites fixées au code des procédures civiles d'exécution, avec droit de recouvrement direct, par application de l'article 699 du code de procédure civile.
prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
signé par Madame Thérèse ANDRIEU, Président et par Monsieur GAVACHE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier, Le président,