COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
17e chambre
ARRÊT N°
CONTRADICTOIRE
DU 18 MAI 2020
N° RG 17/02977
N° Portalis DBV3-V-B7B-RTPF
AFFAIRE :
[R] [N]
C/
SAS MANPOWER FRANCE
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 11 Mai 2017 par le Conseil de Prud'hommes Formation paritaire de NANTERRE
N° Section : AD
N° RG : F 15 /01245
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Eric MOUTET
Me Emilie TOURNIER
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE DIX HUIT MAI DEUX MILLE VINGT,
La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant, fixé au 29 avril 2020 puis prorogé au 18 mai 2020, les parties en ayant été avisées, dans l'affaire entre :
Monsieur [R] [N]
né le [Date naissance 3] 1957 à [Localité 6] (MAROC)
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentant : Me Eric MOUTET, Plaidant/ Constitué avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E0895
APPELANT
****************
SAS MANPOWER FRANCE
N° SIRET : 429 955 297
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représentant : Me Emilie TOURNIER, Plaidant/ Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0312
INTIMÉE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 28 février 2020 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Laurent BABY, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Clotilde MAUGENDRE, Présidente,
Madame Evelyne SIRE-MARIN, Présidente,
Monsieur Laurent BABY, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Madame Dorothée MARCINEK,
Par jugement du 11 mai 2017, le conseil de prud'hommes de Nanterre (section activités diverses) a :
- débouté M. [R] [N] de l'ensemble de ses demandes,
- débouté la société Manpower France de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- mis les dépens à la charge de M. [N].
Par déclaration adressée au greffe le 12 juin 2017, M. [N] a interjeté appel de ce jugement.
Une ordonnance de clôture a été prononcée le 7 janvier 2020.
Par dernières conclusions déposées au greffe le 17 octobre 2019, M. [N] demande à la cour de :
- infirmer le jugement querellé en toutes ses dispositions,
par suite, statuant à nouveau,
- constater la discrimination syndicale dont il a été victime,
en conséquence,
- condamner la société Manpower à lui payer les sommes suivantes :
. 70 000 euros à titre de dommages et intérêts pour discrimination syndicale,
. 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice distinct,
- dire que ces sommes porteront intérêts au taux légal au jour de la saisine,
- ordonner la capitalisation des intérêts,
- condamner la société Manpower à lui payer la somme de 3 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Manpower aux entiers dépens.
Par dernières conclusions déposées au greffe le 29 octobre 2019, la SAS Manpower France demande à la cour de :
- confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Nanterre le 11 mai 2017,
ce faisant,
- dire que les éléments de fait invoqués par M. [N] ne permettent pas de laisser présumer l'existence d'une discrimination syndicale à son égard,
- dire que les éléments qu'elle a apportés contredisent les allégations de M. [N],
en conséquence,
- débouter M. [N] de ses demandes, fins et conclusions,
- condamner M. [N] à lui verser une somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
LA COUR,
La société Manpower est une entreprise de travail temporaire.
M. [R] [N] a bénéficié de diverses missions confiées par la société Manpower en qualité de salarié intérimaire à partir de l'année 1985.
A compter du 9 juin 2007, M. [N] a été investi au sein de la société Manpower de divers mandats de représentation du personnel (délégué du personnel et membre du comité d'établissement, puis délégué syndical, puis membre du CHSCT).
Il n'est pas discuté que le dernier mandat de M. [N] a pris fin le 8 février 2014.
Le 7 avril 2015, M. [N] a saisi le conseil de prud'hommes de Nanterre aux fins d'obtenir la requalification de l'ensemble de sa situation contractuelle en un contrat à durée indéterminée à compter au minimum du 11 mars 2008 et faire juger que la fin des relations contractuelles s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
SUR CE,
Sur la discrimination syndicale :
Il ressort de l'article L. 1132-1 du code du travail qu'aucune personne ne peut faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte notamment en matière de promotion professionnelle en raison de ses activités syndicales.
L'article L. 2141-5 prévoit qu'il est interdit à l'employeur de prendre en considération l'appartenance à un syndicat ou l'exercice d'une activité syndicale pour arrêter ses décisions en matière notamment de recrutement, de conduite et de répartition du travail, de formation professionnelle, d'avancement, de rémunération et d'octroi d'avantages sociaux, de mesures de discipline et de rupture du contrat de travail. Un accord détermine les mesures à mettre en 'uvre pour concilier la vie professionnelle avec la carrière syndicale et pour prendre en compte l'expérience acquise, dans le cadre de l'exercice de mandats, par les représentants du personnel désignés ou élus dans leur évolution professionnelle.
Sur le terrain de la preuve, il n'appartient pas au représentant du personnel ou au délégué syndical qui s'estime victime d'une discrimination d'en prouver l'existence. Suivant l'article L. 1134- 1, il doit seulement présenter des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte. Au vu de ces éléments, il incombe à l'employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
En l'espèce, M. [N] expose ainsi les éléments qui, selon lui, laissent supposer qu'il a fait l'objet d'un traitement discriminatoire :
. le fait que sa situation d'élu a été dénoncée, par la SAS Manpower France, auprès des sociétés utilisatrices,
. le fait qu'il s'est vu interdire l'accès à la salle de dépouillement des élections professionnelles,
. le fait qu'il a fait l'objet d'insultes et d'intimidations dans le cadre de son mandat et que la SAS Manpower France n'a pas réagi,
. le fait que son taux horaire a baissé,
. le fait qu'il a été exclu de la prime de fidélisation,
. le fait qu'à compter de 2007, il a cessé de recevoir des propositions de mission de la part de la SAS Manpower France.
Sur la dénonciation de la situation d'élu de M. [N] auprès des sociétés utilisatrices :
M. [N] reproche à la SAS Manpower France d'avoir fait savoir aux entreprises utilisatrices Tecumseh Europe et Eda qu'il avait des mandats syndicaux dans le but de nuire à sa carrière professionnelle.
S'agissant de la société EDA, au sein de laquelle travaillait l'épouse de M. [N], la SAS Manpower France ne conteste pas qu'interrogée par cette société ' entreprise utilisatrice ' sur une intervention de M. [N], elle avait précisé qu'il intervenait en tant que délégué du personnel Manpower France. Ce fait est corroboré par le courriel que le DRH de la SAS Manpower France a adressé à M. [N] le 16 juillet 2012 (cf. pièce 2 du salarié).
Le fait suivant lequel la SAS Manpower France a avisé la société EDA de la qualité de M. [N] est donc établi.
En revanche, à l'égard de Tecumseh Europe, au sein de laquelle M. [N] travaillait ' soit en qualité de travailleur intérimaire, soit sous couvert d'un contrat de travail à durée déterminée directement passé entre lui et cette société ' les faits allégués par le salarié ne sont pas établis.
Sur l'interdiction de l'accès à la salle de dépouillement des élections professionnelles :
M. [N] reproche à la SAS Manpower France de lui avoir refusé l'accès à la salle de dépouillement des élections professionnelles du 11 septembre 2012.
Ce fait est établi :
. par l'attestation de M. [S] (un collègue) dont il ressort que « les camarades [N] et [K] (') se sont vus refuser de pénétrer au scrutin le 11 septembre 2012 par M. [V]. » (pièce 5 du salarié),
. et par le courrier que la SAS Manpower France ' en la personne de son DRH, M. [V] ' a adressé à M. [N] le 26 septembre 2012 et indiquant : « Ensuite et compte tenu du contexte d'extrême tension entre vous-même et votre organisation syndicale, je vous ai conseillé, ainsi qu'à M. [K], de différer votre accès à la salle de dépouillement afin d'éviter tout incident et de préserver la sérénité du scrutin » (pièce 4 du salarié).
Sur les insultes et intimidations :
M. [N] rappelle avoir interpellé par courrier le directeur des relations sociales de la société Manpower à propos du traitement qu'il recevait de la part du secrétaire général de la CGT Manpower également secrétaire du CCE Manpower ; qu'en dépit de la gravité des insultes qui lui étaient adressées, le directeur des relations sociales a renvoyé M. [N] et la CGT à régler leurs problèmes entre eux sans prendre aucune mesure.
La SAS Manpower France explique qu'alors qu'il était affilié à la CGT jusqu'en 2012, M. [N] en a par la suite été exclu et a alors entretenu avec ses membres une relation conflictuelle. Dans ce contexte, la SAS Manpower France explique que la difficulté rencontrée par M. [N] résultant de son rapport avec la CGT ne relevait pas du pouvoir hiérarchique de l'employeur.
Il ressort des pièces et des débats que les insultes litigieuses émanent de la CGT Manpower, laquelle a « fait courir le bruit » que M. [N] appartenait au Front national et l'a traité de « fasciste ». Le contenu des insultes n'est pas discuté.
Il n'est pas davantage discuté que, comme le soutient M. [N], la SAS Manpower France n'a pas réagi, cette dernière considérant n'avoir pas à le faire.
Sur la baisse du taux horaire :
M. [N] expose que son salaire était calculé sur un taux horaire de 13,78 euros et qu'à compter du 7 janvier 2013, son taux horaire a baissé à 12,72 euros.
En réplique, la SAS Manpower France soutient que c'est le taux retenu à 13,78 euros qui constituait une erreur.
La baisse du revenu horaire de M. [N] en janvier 2013 n'est donc pas discutée et doit donc être considérée comme établie.
Sur l'exclusion de la prime de fidélisation :
M. [N] expose qu'il a d'abord été exclu de la prime de fidélisation alors qu'il remplissait auparavant tous les critères pour pouvoir y prétendre. Il affirme que, par la suite, s'il a cessé de remplir les conditions pour y prétendre, c'est en raison de ce que la société ne lui proposait plus la moindre mission.
Pour sa part, la SAS Manpower France explique que les dispositions du « projet de fidélisation intérimaire » sont entrées en vigueur au mois d'octobre 2014 ; qu'à compter d'octobre 2014, M. [N] s'est effectivement vu retirer sa prime de fidélisation en raison de ce qu'il n'en remplissait plus les conditions. La SAS Manpower France, invoquant le principe de concomitance, fait observer qu'au mois d'octobre 2014, M. [N] n'était plus titulaire d'aucun mandat syndical et ce depuis le 9 février 2014, de sorte que le non paiement de la prime de fidélisation à compter d'octobre 2014 ne peut de toute évidence présenter de lien avec les mandats du salarié.
Il n'est pas discuté que les trois conditions cumulatives devant être remplies par les salariés pour prétendre à la prime de fidélisation étaient les suivantes :
. un certain nombre d'heures rémunérées depuis l'immatriculation au sein de la SAS Manpower France,
. la totalisation de 455 heures rémunérées (CP inclus) par la SAS Manpower France sur les 12 mois calendaires précédant la date de franchissement du seuil,
. la totalisation de 910 heures rémunérées (CP inclus) par la SAS Manpower France sur les 18 mois calendaires précédant la date de franchissement du seuil.
Ainsi, l'éligibilité ou non à la prime de fidélisation dépend au moins pour partie des heures réalisées par le salarié au cours des 12 et 18 mois précédents, et donc des heures proposées par la société Manpower, c'est-à-dire à une époque où M. [N] était encore investi d'un mandat syndical. Il y a de ce chef concomitance entre les faits de discrimination allégués et les mandats syndicaux du salarié.
La perte de la prime de fidélisation est établie.
Sur l'absence de propositions de mission :
M. [N] affirme qu'à compter de 2007, date à laquelle il a été élu délégué du personnel et représentant du personnel suppléant au comité d'entreprise, il a cessé de recevoir des propositions de mission pour le compte de la société Tecumseh Europe de la part de la SAS Manpower France ; que jusqu'en 2011, il a effectué ses prestations auprès de la société Tecumseh Europe par ses propres moyens grâce à des contacts internes ; qu'il a été dénoncé par la SAS Manpower France auprès de la société Tecumseh Europe et que par la suite, il n'a plus été sollicité par la société Tecumseh Europe ; que la SAS Manpower France ne lui a adressé aucune proposition de mission ou à tout le moins aucune proposition de mission adaptée.
Pour sa part, la SAS Manpower France conteste avoir cessé de proposer des missions à M. [N]. Elle distingue deux périodes :
. entre 2007 et le 8 février 2014 : la SAS Manpower France expose que dès la saisine du conseil de prud'hommes, M. [N] a reconnu avoir bénéficié de propositions de missions d'intérim tout en exerçant ses mandats représentatifs ; qu'entre 2007 et 2011, l'exercice des mandats de M. [N] l'occupait quasiment à temps plein et qu'il n'avait alors pas sollicité la société pour qu'elle lui propose des missions ; que cependant, la SAS Manpower France lui a adressé 23 propositions de missions entre avril 2013 et décembre 2013.
. à compter du 9 février 2014 : M. [N] ayant perdu ses mandats, la discrimination syndicale alléguée est sans fondement ; qu'en tout état de cause, la SAS Manpower France a convié le salarié à un entretien prévu le 23 janvier 2014 pour l'accompagner dans son employabilité après la fin de ses mandats ; que cependant le salarié a d'abord annulé cet entretien et s'est ensuite laissé convaincre d'y assister, de telle sorte que l'entretien s'est tenu le 11 février 2014.
La SAS Manpower France dénombre ensuite les propositions qu'elle a adressées au salarié de la façon suivante :
. 23 propositions entre avril 2013 et décembre 2013,
. 10 propositions de juin 2015 au 22 juillet 2016,
. 17 SMS de propositions de missions et deux courriels entre le 22 juillet 2016 et le 30 novembre 2016,
. 55 SMS de propositions de missions entre 2017 et mai 2018.
Au total, entre avril 2013 et septembre 2019, elle recense 187 missions proposées à M. [N] et affirme que M. [N] n'a répondu qu'à 11 de ces 187 propositions de mission. Elle ajoute que M. [N] a effectué plusieurs missions, du 28 juillet 2014 au 1er août 2014 au sein de CLGM Consultants, du 26 au 29 septembre 2017 au sein de la société Ere Plastique, le 23 novembre 2017 au sein de la société [Adresse 7], et du 6 au 8 février 2019 au sein de la société Decortes.
De fait, la cour relève que par ses pièces 14, 16, 19 et 30, la SAS Manpower France établit avoir adressé à M. [N] de nombreuses propositions de travail entre avril 2013 et mai 2018. Cependant, sur la période utile, c'est-à-dire durant la période au cours de laquelle M. [N] était investi de mandats représentatifs, la SAS Manpower France ne justifie avoir adressé de propositions à l'appelant qu'entre avril 2013 et décembre 2013. Ainsi n'est-il justifié par la société d'aucune proposition de poste entre 2007 et le mois d'avril 2013 puis entre janvier 2014 et février 2014.
La SAS Manpower France se réfère aux écritures de M. [N] de première instance dont il ressort : « si dans un premier temps, M. [N] alternait des missions auprès d'entreprises utilisatrices et l'exercice de ses mandats, il n'y a plus eu de mission à partir de 2011. M. [N] à compter de l'année 2011, n'était plus payé que dans le cadre de ses mandats puisqu'il les exerçait à hauteur d'un temps plein. De fait, M. [N] n'a effectué que de rares missions d'intérim pour le compte de la société Manpower France. » (pièce 29 de la société). A juste titre la société voit dans ces déclarations le fait que M. [N] reconnaît avoir bénéficié de propositions de missions d'intérim tout en exerçant des mandats syndicaux, à tout le moins jusqu'à 2011.
Ainsi, il apparaît que ce n'est qu'à partir de 2011 et jusqu'à avril 2013, puis pour janvier 2014 que M. [N] parvient à démontrer l'absence de proposition de missions.
En synthèse :
En synthèse de ce qui précède, apparaissent établis les faits suivants :
. le fait suivant lequel la SAS Manpower France a avisé la société EDA de la qualité de délégué syndical de M. [N],
. le fait que M. [N] s'est vu interdire l'accès à la salle de dépouillement des élections professionnelles de septembre 2012,
. le fait que la hiérarchie de la SAS Manpower France n'a pas réagi aux insultes et insinuations dirigées contre M. [N] par des membres de la CGT,
. le fait que le taux horaire de M. [N] a baissé en janvier 2013,
. le fait que M. [N] a été exclu du bénéfice de la prime de fidélisation à compter du mois d'octobre 2014,
. l'absence de propositions de missions entre 2011 et avril 2013 puis pour janvier 2014.
Ces faits laissent supposer l'existence d'une discrimination. Il incombe dès lors à l'employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. C'est l'objet des points suivants.
Sur la dénonciation de la situation d'élu de M. [N] auprès des sociétés utilisatrices :
Par courriel du 6 juillet 2012, le DRH de la SAS Manpower France, s'adressant à M. [N], lui expliquait : « nous avions été sollicités il y a deux ans, par l'entreprise utilisatrice au sein de laquelle votre femme travaillait, sur le fait de savoir à quel titre vous aviez été amené à intervenir pour une salariée intérimaire en mission chez eux. Nous leur avions indiqué que vous interveniez en tant que délégué du personnel de Manpower France. »
Cette explication, crédible, est étrangère à toute discrimination.
Sur l'interdiction de l'accès à la salle de dépouillement des élections professionnelles :
Il ressort des explications de la société, non contestées par M. [N], que les relations entre ce dernier et son organisation syndicale ' la CGT ' étaient extrêmement tendues. Il se déduit du courrier que la SAS Manpower France a adressé à M. [N] le 26 septembre 2012 (pièce 4 du salarié) que c'est à dessein de préserver la sérénité du scrutin que M. [N] a été empêché de se rendre au dépouillement.
La décision de l'employeur est donc étrangère à toute discrimination.
Sur les insultes et intimidations :
Le fait, pour la SAS Manpower France, de ne pas être intervenue dans les relations entre M. [N] et certains membres de la CGT qui l'insultaient est étranger à toute discrimination, étant rappelé que M. [N] n'était pas le salarié de la SAS Manpower France ni cette dernière son employeur.
Sur la baisse du taux horaire :
Il n'est pas contesté que l'article 1, section 3 chapitre 1, titre 4 de l'accord d'entreprise relatif au référentiel du dialogue social au sein de Manpower France conclu le 16 juillet 2012,stipule « le salarié qui exerce un mandat lors d'une période d'intermission est rémunéré sur la base du taux horaire de la dernière mission effectuée. »
Il ressort de la pièce 9 du salarié qu'au mois de janvier 2013, ses heures de délégation ont été payées sur la base d'un taux horaire de 12,72 euros par heure.
Toujours sur la pièce 9, il apparaît que la dernière mission effectuée par le salarié lui avait été rémunérée sur la base d'un taux horaire de 12,72 euros par heure.
Il s'ensuit que la décision de l'employeur visant à ramener le taux horaire du salarié à 12,72 euros par heure est justifiée par une raison étrangère à toute discrimination.
Sur l'absence de propositions de mission :
Il a été admis que l'employeur avait cessé de proposer des missions d'intérim à M. [N] entre 2011 et le mois d'avril 2013 puis en janvier 2014.
La SAS Manpower France expose que les exigences de M. [N] limitaient son employabilité. Elle se réfère en cela à la pièce 18 du salarié (dossier candidat intérimaire) dont il ressort (p.3) que M. [N] exigeait que ses missions aient lieu à moins de 30 minutes de son domicile, selon un rythme en 2x8, qu'il exigeait encore de ne pas réaliser de travail de nuit, et qu'il souhaitait une rémunération minimale de 10,50 euros. La SAS Manpower France prend ensuite plusieurs exemples montrant que la SAS Manpower France a refusé des missions ou qu'il n'a pas émis de souhait en matière de formation.
Toutefois, saisie d'une demande fondée sur une discrimination syndicale, la cour ne doit examiner que les absences de propositions de missions afférentes à la période durant laquelle M. [N] était investi de mandats de représentation. Or, les exemples cités par la SAS Manpower France sur des refus de mission montrant prétendument que les exigences du salarié étaient trop importantes, sont tous postérieurs au mois de février 2014 de telle sorte que la société n'apporte en réalité aucune explication sur les raisons pour lesquelles, entre 2011 et avril 2013 puis en janvier 2014, elle a cessé de proposer des missions au salarié.
L'employeur n'apporte donc pas sur ce point d'explication propre à caractériser le fait que sa décision de cesser de proposer des missions à M. [N] est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
Sur l'exclusion de la prime de fidélisation :
Il a été jugé que M. [N] établissait avoir été, à compter du mois d'octobre 2014, privé de la prime de fidélisation.
Il n'est pas discuté que la prime de fidélisation dépend de l'activité du salarié au profit de la SAS Manpower France au titre des mois précédents.
Plus précisément, comme rappelé plus haut, la prime litigieuse était due aux conditions cumulatives suivantes (cf. pièce 12 du salarié) :
. un certain nombre d'heures rémunérées depuis l'immatriculation au sein de la SAS Manpower France (condition satisfaite par le salarié),
. la totalisation de 455 heures rémunérées (CP inclus) par la SAS Manpower France sur les 12 mois calendaires précédant la date de franchissement du seuil (condition non satisfaite par le salarié),
. la totalisation de 910 heures rémunérées (CP inclus) par la SAS Manpower France sur les 18 mois calendaires précédant la date de franchissement du seuil (condition non satisfaite par le salarié).
Sur les 12 mois calendaires précédant le mois d'octobre 2014 (c'est-à-dire la période d'octobre 2013 à octobre 2014), et sur les 18 mois calendaires précédant le mois d'octobre 2014 (c'est-à-dire la période d'avril 2013 à octobre 2014), les propositions de missions de la SAS Manpower France ont été réduites à 23 propositions (pièce 14 de la société) qui, si elles avaient toutes été accordées à M. [N], ne lui auraient pas permis de satisfaire aux deux dernières conditions de la prime.
Il a été jugé que sur ces périodes de 12 ou 18 mois avant octobre 2014, l'employeur n'apportait pas d'explication propre à montrer que sa décision de ne pas proposer de missions à M. [N] était étrangère à toute discrimination.
L'absence de mission a eu pour effet d'exclure M. [N] du bénéfice de la prime de fidélisation, fait qui, dès lors, n'est pas expliqué par un motif étranger à toute discrimination.
En synthèse de ce qui précède :
Sur les six faits retenus par la cour comme faisant présumer une discrimination, quatre d'entre eux ont été justifiés par l'employeur comme résultant d'une décision qui y était étrangère.
En revanche, pour les deux derniers faits (l'absence de propositions de missions entre 2011 et le mois d'avril 2013 puis en janvier 2014 et l'exclusion de la prime de fidélisation à compter d'octobre 2014), l'employeur n'a pas prouvé que sa décision était justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
La discrimination est donc établie.
Ajoutant au jugement, il conviendra de condamner la SAS Manpower France à payer à M. [N] la somme de 6 000 euros en réparation de son préjudice. Cette somme ayant une vocation indemnitaire, elle produira intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.
Sur la demande indemnitaire du chef du préjudice distinct :
Au soutien de sa demande indemnitaire du chef d'un préjudice distinct, M. [N] expose :
. que n'ayant plus de proposition de mission à compter de 2010, il ne touchait que ses heures de délégation,
. qu'à cela s'ajoutait la perte consécutive à l'abaissement de son taux horaire depuis janvier 2013 et l'exclusion de la prime de fidélisation,
. qu'il a été victime d'un accident du travail le 28 avril 2016 pour lequel il n'a pas été payé, la société refusant de communiquer les éléments demandés afin qu'il soit pris en charge,
. qu'enfin, la révélation de son engagement syndical au sein de la société où travaillait son épouse depuis 1978 a engendré un malaise au sein de son couple.
Sur son préjudice, M. [N] expose qu'aujourd'hui âgé de 60 ans, il se retrouve sans emploi et sans perspective ; qu'il ne touche pas d'indemnisation Pôle Emploi, pas d'ASS ni de RSA et vit grâce au salaire de son épouse ; que tout cela a engendré pour lui de très fortes anxiétés, de la dépression, un ulcère et des troubles du sommeil.
En réplique, la SAS Manpower France conclut au débouté de la demande, laquelle ne repose sur aucun fondement juridique.
En invoquant un préjudice distinct, M. [N] présente un fondement juridique à sa demande.
Il reste à déterminer s'il est ou non établi.
Le préjudice qui résulte de l'absence de proposition de mission et celui découlant de l'exclusion de la prime de fidélisation ont été réparés par l'octroi de dommages et intérêts au titre de la discrimination syndicale. Il n'y a donc de ce chef aucun préjudice distinct.
Le préjudice qui résulte, selon M. [N], du fait qu'il ne touchait que ses heures de délégation n'est pas établi dès lors qu'il apparaît que durant la période comprise entre 2007 et 2014, il a perçu en moyenne 17 500 euros par an ne correspondant en définitive qu'à des heures de délégation, et dès lors que sur une période identique antérieure (entre 1999 et 2006), il avait perçu de la SAS Manpower France en moyenne une rémunération de 15 606,91 euros.
Il a été jugé que l'abaissement du taux horaire de M. [N] ne résultait pas d'une décision discriminatoire. Il n'y a donc pas de faute de ce chef.
En ce qui concerne l'accident du 28 avril 2016, M. [N] produit en pièce 35 un courrier de la CPAM par lequel cette dernière notifie au salarié, le 27 juillet 2016, son refus de prise en charge de l'accident du 28 avril 2016, le motif du refus n'étant nullement une carence déclarative de l'employeur, mais une carence déclarative de M. [N] lui-même. En effet, le courrier de la CPAM, adressé nominativement à M. [N], est ainsi rédigé : « Monsieur, je vous informe que l'accident cité en références déclaré être survenu pendant un trajet en relation avec votre travail, ne peut être pris en charge dans le cadre de la législation relative aux risques professionnels.
En effet, cet accident n'entre pas dans le champ d'application de l'article L. 411-2 du code de la sécurité sociale pour le motif suivant : En ne répondant pas aux demandes de précisions qui vous ont été adressées concernant les causes et circonstances du fait accidentel invoqué, vous avez placé votre organisme dans l'impossibilité d'en apprécier la matérialité. »
Enfin, il n'est pas établi que la révélation de son engagement syndical à la société où travaillait son épouse depuis 1978 a, comme il le prétend, engendré un malaise au sein de son couple.
Ainsi, les fautes présentées par le salarié comme étant à l'origine de son prétendu préjudice distinct ne sont pas établies, ce qui conduit, ajoutant au jugement, à débouter M. [N] de ce chef de demande.
Sur la demande tendant à la capitalisation des intérêts :
L'article 1343-2 du code civil (dans sa nouvelle rédaction) dispose que les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produisent intérêt si le contrat l'a prévu ou si une décision de justice le précise.
La demande ayant été formée par M. [N] et la loi n'imposant aucune condition pour l'accueillir, il y a lieu, en application des dispositions de l'article 1343-2 du code civil, d'ordonner la capitalisation des intérêts. Celle-ci portera sur des intérêts dus au moins pour une année entière.
Sur les dépens et les frais irrépétibles :
Succombant, la SAS Manpower France sera condamnée aux dépens.
Il conviendra de condamner la SAS Manpower France à payer à M. [N] une indemnité de 1000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS:
Statuant publiquement et par arrêt contradictoire, la cour :
CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions,
Y ajoutant
CONDAMNE la SAS Manpower France à payer à M. [N] la somme de 6 000 euros à titre de dommages et intérêts pour discrimination syndicale, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,
ORDONNE la capitalisation des intérêts dus pour une année entière,
DÉBOUTE M. [N] de sa demande au titre du préjudice distinct,
DÉBOUTE les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,
CONDAMNE la SAS Manpower France à payer à M. [N] la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la SAS Manpower France aux dépens.
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Clotilde MAUGENDRE, Présidente et par Madame Dorothée MARCINEK, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière La Présidente
Dorothée MARCINEKClotilde MAUGENDRE