COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 89E
5e Chambre
ARRET N°20/855
CONTRADICTOIRE
DU 19 NOVEMBRE 2020
N° RG 19/00458
N° Portalis DBV3-V-B7D-S6V3
AFFAIRE :
SAS RANDSTAD
C/
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES HAUTS-DE-SEINE
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 12 Décembre 2018 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de NANTERRE
N° RG : 14-02291
Copies exécutoires délivrées à :
-Me Jeanne-marie DELAUNAY
-CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES HAUTS-DE-SEINE
Copies certifiées conformes délivrées à :
- SAS RANDSTAD
-CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES HAUTS-DE-SEINE
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE DIX NEUF NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT,
La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
SAS RANDSTAD
Service gestion des A.T
[Adresse 1]
[Localité 2]
représentée par Me Jeanne-marie DELAUNAY, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 100
APPELANTE
****************
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES HAUTS-DE-SEINE
Division du contentieux
[Localité 3]
représentée par Mme [B] [J] (Inspectrice contentieux) en vertu d'un pouvoir spécial
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 17 Septembre 2020, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Olivier FOURMY, Président chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Olivier FOURMY, Président,
Madame Valentine BUCK, Conseiller,,
Madame Marie-Bénédicte JACQUET, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Madame Clémence VICTORIA, greffier placé ,
La Société Randstad (ci-après, la 'Société') a souscrit une déclaration d'accident du travail concernant l'un de ses salariés, M. [Z] [S], mis à la disposition de la société utilisatrice Hilti France SAV, en qualité de mécanicien en maintenance, aux termes de laquelle il est fait mention d'un accident survenu le 18 février 2014 dans les circonstances suivantes : 'en soulevant un colis contenant un coffret de machine outils, M. [S] se serait coincé le pouce dans la poignée du coffre'. Il est précisé concernant le siège et la nature des lésions 'pouce droit' et 'contusion (hématome)'.
Le certificat médical initial daté du 18 février 2014, fait état d'une 'contusion de l'IMCP du pouce droit' (MCP = métacarpophalangienne) et prescrit un arrêt de travail jusqu'au 25 février 2014.
La caisse primaire d'assurance maladie des Hauts-de-Seine (ci-après, la 'CPAM' ou la 'caisse') a pris en charge cet accident au titre de la législation sur les risques professionnels par décision du 30 juin 2014.
M. [S] a été en arrêt de travail du 18 février 2014 au 18 août 2015. Son état de santé a été déclaré consolidé le 10 août 2015 par le médecin conseil de la caisse.
Par notification en date du 28 août 2015, un taux d'incapacité permanente partielle de 6% a été attribué à M. [S].
La Société a saisi la commission de recours amiable (ci-après la 'CRA') de la caisse, aux fins de contester l'imputabilité des soins et arrêts de travail à l'accident déclaré le 18 février 2014.
La CRA a rejeté la demande de la Société.
La Société a alors saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale des Hauts-de-Seine.
Par jugement contradictoire en date du 12 décembre 2018 (14-02291/N), le tribunal a notamment :
- dit la Société recevable en ses demandes ;
- l'a dite mal fondée ;
- débouté la Société ;
- déclaré opposable à la Société les soins et arrêts de travail pris en charge par la caisse primaire d'assurance maladie des Hauts-de-Seine suite à l'accident du travail déclaré par M.[S] le 18 février 2014.
Par déclaration reçue au greffe de la cour le 13 février 2019, la Société a interjeté appel du jugement.
Par conclusions reçues le 6 janvier 2020, la Société demande à la cour de :
- lui déclarer inopposables les arrêts de travail délivrés à M. [S] et qui ne sont pas en relation directe et unique avec l'accident du travail du 18/02/2014 ;
A cette fin, avant dire droit,
- ordonner une expertise médicale judiciaire sur pièces et nommer un expert avec pour mission de :
. retracer l'évolution des lésions de M. [S],
dire si l'ensemble des lésions de M. [S] sont en relation directe et unique avec son accident du travail du 18/02/2014,
. dire si l'évolution des lésions de M. [S] est due à un état pathologique préexistant évoluant pour son propre compte, à un nouveau fait accidentel, ou un état séquellaire,
déterminer quels sont les arrêts de travail et lésions directement et uniquement imputables à l'accident 18/02/2014 dont a été victime M. [S],
. fixer la date de consolidation des lésions dont a souffert M. [S] suite à son accident de travail en date du 18/02/2014,
. dire que l'expert convoquera les parties à une réunion contradictoire, afin de recueilli leurs éventuelles observations sur les documents médicaux,
. dire que l'expert devra en outre communiquer aux parties un pré-rapport et solliciter de ces dernières la communication d'éventuels dires, préalablement à la rédaction du rapport- définitif.
ordonner au service médical de la Caisse primaire de communique l'ensemble de documents médicaux constituant le dossier de M. [S] à l'expert qui sera désigné par va soins.
Par conclusions reçues au greffe de la cour le 20 janvier 2020, la CPAM demande à la cour de :
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 12 décembre 2018 par le tribunal des affaires de sécurité sociale des Hauts-de-Seine ;
Y ajoutant,
- condamner la société Randstad aux entiers dépens d'appel.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions et pièces déposées et soutenues à l'audience.
MOTIFS
La Société sollicite avant dire droit une expertise afin de vérifier la relation de causalité entre l'accident du travail initial et les arrêts de travail successifs de M. [S] dans la mesure où elle considère que l'ensemble des éléments relevés par son médecin conseil, le docteur [U], laisse apparaître une réelle question d'ordre médical que seule une expertise permettra de trancher.
La caisse expose que la présomption d'imputabilité s'applique aux soins et arrêts de travail postérieurs à l'accident du travail, jusqu'à la guérison ou la consolidation de l'état de la victime, pour toute lésion invoquée dès lors qu'il existe une continuité de symptômes et de soins depuis l'accident, l'employeur devant prouver une absence complète de lien entre les arrêts prescrits et l'accident du travail.
La CPAM soutient rapporter la preuve d'une continuité de soins et de symptômes pendant toute la durée de l'incapacité de travail précédant la consolidation, permettant de faire application de la présomption d'imputabilité, celle-ci n'étant pas détruite par l'employeur.
La caisse considère ainsi que la demande d'expertise doit être rejetée dans la mesure où la Société ne produit aucun élément probant de nature à établir l'absence de lien entre les arrêts de travail et l'accident du travail, une mesure d'instruction ne pouvant être ordonnée pour pallier la carence de la Société dans l'administration de la preuve.
Sur ce
Aux termes de l'article L. 411-1 du code de la sécurité sociale, le salarié victime d'un accident du travail bénéficie d'une présomption d'imputabilité au travail de l'ensemble des soins et arrêts de travail en relation avec les lésions résultant de cet accident. Cette présomption s'étend jusqu'à la guérison ou la consolidation de la victime, que celle-ci soit déterminée avec ou sans séquelle.
Il est constant qu'il ne s'agit que d'une présomption simple, que l'employeur peut anéantir en apportant des éléments de preuve suffisants.
En l'espèce, la Caisse ne peut feindre d'ignorer que la situation médicale de M. [S] présentait, au moins, des particularités justifiant d'un examen approfondi de sa situation et non de la reconduction systématique de la prise en charge des soins et arrêts de travail qui pouvaient être ordonnés par tel ou tel médecin.
En effet, M. [S] a été arrêté pendant 537 jours, ce qui est sans aucune commune mesure avec le traumatisme initial, s'agissant d'une entorse du pouce (encore a-t-elle été qualifiée initialement de 'contusion'), à supposer même qu'une opération se soit révélée nécessaire.
La cour doit relever que le premier arrêt de travail de M. [S] prévoyait une durée de sept jours.
La Société a pris le soin de solliciter un médecin-conseil, le docteur [U].
Celui-ci rappelle les données médicales connues en matière d' 'entorse' du pouce, rappelant notamment que le certificat médical initial n'alerte pas quant à une entorse grave.
Le docteur [U] prend cependant la peine de distinguer l'entorse bénigne de l'entorse grave, où le ligament latéral est rompu; ce qui nécessite une intervention chirurgicale dans des délais rapides, la récupération fonctionnelle pouvant aller, selon lui, jusqu'à six mois.
Or, en l'espèce, l'intervention chirurgicale n'a été pratiquée que le 12 novembre 2014, soit près de neuf mois après l'accident.
Bien plus, le médecin-conseil de la Société souligne que le médecin de la caisse a noté une atteinte du tendon extenseur du pouce, lequel n'est pas intéressé par une entorse MCP (ligament latéral).
La caisse ne produit aucun document pertinent de son service médical.
Les certificats médicaux qu'elle soumet à l'attention de la cour montrent, au contraire, que, dans un premier temps, à l'exception du premier certificat médical de prolongation (ce n'est pas le certificat médical initial, la cour le souligne) qui fait état d'une 'entorse', les certificats médicaux délivrés à M. [S] font état d'un 'traumatisme du pouce de la main droite'.
Dès le 2 juin 2014, M. [S] montrait un 'Début de récupération pince' et le médecin écrit : 'poursuite Kiné'.
Ce n'est que le 14 août 2014 qu'il va être, pour la première fois, à nouveau fait mention d'une 'entorse', expression abandonnée dès le 13 octobre 2014, pour celle de 'traumatisme'.
De surcroît, la ligamentoplastie effectuée en novembre 2014 n'est mentionnée, pour la première fois, que dans un certificat médical de prolongation du 17 avril 2015, soit près de six mois après l'intervention.
Bien plus, les avis médicaux des médecins conseils de la caisse ne comportent aucune mention, notamment médicale. Le médecin-conseil se contente d'écrire que l'arrêt de travail est justifié et, lorsqu'il fixe une date de consolidation (avec séquelles indemnisables), il n'en précise pas davantage les motifs.
La cour doit souligner qu'aucun des avis du médecin-conseil de la caisse ne fait même mention de la ligamentoplastie dont a bénéficié M. [S].
De plus, il est remarquable que ce soit le médecin-conseil de la Société qui permette à la cour de savoir que la ligamentoplastie serait intervenue le 12 novembre 2014 : le certificat médical délivré à M. [S] le même jour n'en fait même pas état.
La seule mention médicale utile dans les documents de la CPAM est celle qui figure sur la notification de la décision relative au taux d'incapacité permanente. Il y est fait état d'une 'Atteinte de l'extenseur traitée chirurgicalement'.
Le docteur [U] écrit, sans être contredit, que le tendon extenseur n'est pas 'intéressé par une entorse MCP'.
Enfin, tout au long de ses arrêts de travail, M. [S] a bénéficié de sorties libres et aucun des certificats médicaux produits ne fait état de l'interdiction d'une activité quelconque.
En d'autres termes, rien ne peut justifier une prise en charge allant au-delà de la constatation faite par le médecin de M. [S], le 2 juin 2014, d'un début de récupération de la 'pince' avec poursuite des soins de kinésithérapie.
La CPAM se trouvant totalement défaillante dans l'administration de la preuve contraire à celle apportée par la Société, la cour dira n'y avoir lieu à expertise et fixera à cette date la limite de l'opposabilité de la prise en charge des arrêts de travail à la suite de l'accident déclaré le 18 février 2014.
Sur les dépens
La Caisse, qui succombe à l'instance, supportera les dépens éventuellement exposés depuis le 1er janvier 2019.
PAR CES MOTIFS
La cour, après en avoir délibéré, statuant par arrêt contradictoire,
Infirme le jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale des Hauts-de-Seine (14-02291/N) en date du 12 décembre 2018 en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a posé le principe de l'opposabilité de la décision de la caisse primaire d'assurance maladie de prendre en charge l'accident déclaré pour M. [Z] [S] le 18 février 2014 ;
Infirme la décision de la commission de recours amiable de la caisse primaire d'assurance maladie des Hauts de Seine, prise en sa séance du 18 décembre 2014 ;
Décide que sont inopposables à la société Randstad les arrêts de travail prescrits à M. [Z] [S] à compter du 2 juin 2014 ;
Condamne la caisse primaire d'assurance maladie des Hauts-de-Seine aux dépens ;
Déboute les parties de toute demande autre, plus ample ou contraire.
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Monsieur Olivier Fourmy, Président, et par Madame Morgane Baché, Greffier, auquel le magistrat signataire a rendu la minute.
Le GREFFIER, Le PRESIDENT,