COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 59E
12e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 19 NOVEMBRE 2020
N° RG 19/01483 - N° Portalis DBV3-V-B7D-TAH4
AFFAIRE :
SA GROUPE FLO
C/
S.A.S. LA BRASSERIE DU FINO
Décision déférée à la cour : Jugement rendu(e) le 12 Février 2019 par le Tribunal de Commerce de NANTERRE
N° Chambre :
N° Section :
N° RG : 2017F01310
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Martine DUPUIS
Me Stéphanie TERIITEHAU
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE DIX NEUF NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT,
La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
SA GROUPE FLO
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentant : Me Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625 - N° du dossier 1961299 - Représentant : Me Sandrine RICHARD, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E1820
APPELANTE
****************
S.A.S. LA BRASSERIE DU FINO
N° SIRET : 793 02 8 8 79
[Adresse 3]
[Adresse 3]
Représentant : Me Stéphanie TERIITEHAU de la SELEURL MINAULT TERIITEHAU, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 732 - N° du dossier 20190310
Représentant : Me Valérie NICOD, Plaidant, avocat au barreau de LYON
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 08 Octobre 2020 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Mme Véronique MULLER, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur François THOMAS, Président,
Mme Véronique MULLER, Conseiller,
Monsieur Bruno NUT, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Monsieur Alexandre GAVACHE,
EXPOSE DU LITIGE
Selon contrat de franchise du 17 juin 2013, la société Groupe Flo a confié à la société Brasserie du Fino le droit d'exploiter à [Localité 2] un restaurant sous l'enseigne "comptoir de Maître Kanter" pour une durée de 10 années.
Le 27 janvier 2014, après réalisation des travaux d'aménagement du restaurant, les parties ont conclu un nouveau contrat de franchise se substituant au premier, la seule modification portant sur la dénomination de l'enseigne exploitée, qui est devenue «Taverne de Maître Kanter ».
Le même jour, la société Brasserie du Fino a inauguré le restaurant.
Par courrier du 20 février 2014, le groupe Flo a autorisé la Brasserie du Fino à n'utiliser que l'enseigne «Maître Kanter », sans y adjoindre le mot « Taverne ».
Rapidement après la conclusion du contrat de franchise, les relations entre les parties se sont dégradées et la Brasserie du Fino a unilatéralement et oralement résilié le contrat de franchise.
Par lettre du 4 août 2014, la société Groupe Flo a donné son accord sur la résiliation du contrat, avec effet au 31 août 2014, contestant toutefois le motif oralement invoqué par le franchisé, à savoir : manque d'assistance ou d'accompagnement. Elle a sollicité le règlement du solde du droit d'entrée, indiquant cependant qu'elle ne facturerait aucune royalties sur l'ensemble de la période.
Près de trois ans plus tard, par courrier du 31 mai 2017, le conseil de la Brasserie du Fino a écrit au groupe Flo, en lui indiquant qu'il considérait que le contrat de franchise était "nul pour défaut d'objet et de cause, aucun savoir faire ne lui ayant été transmis". La société Brasserie du Fino sollicitait en conséquence le remboursement des sommes versées au titre du droit d'entrée, outre une somme de 300.000 euros en compensation des travaux réalisés inutilement.
Le Groupe Flo a répondu qu'il n'entendait pas donner suite à cette demande.
Par acte d'huissier du 11 juillet 2017, la Brasserie du Fino a fait assigner le groupe Flo devant le tribunal de commerce de Nanterre, aux fins de voir prononcer la nullité du contrat et d'obtenir la restitution des sommes versées au titre du droit d'entrée et des travaux d'aménagement du restaurant.
Par jugement du 12 février 2019, le tribunal de commerce de Nanterre a :
- déclaré nul, en conséquence d'un dol, le contrat de franchise conclu le 27 janvier 2014 entre les sociétés Groupe Flo et Brasserie du Fino ;
- condamné la société Groupe Flo à restituer à la société Brasserie du Fino :
* la somme de 18 000 € TTC correspondant à la moitié du droit d'entrée, avec intérêts au taux légal à compter du 5 avril 2014 ;
* la somme de 134.981 € à titre de dommages et intérêts en réparation du coût des travaux réalisés pour les seuls besoins du contrat de franchise et du surcoût correspondant d'honoraires de l'architecte ;
* la somme de 1.866,23 € à titre de dommages et intérêts en réparation du surcoût supporté pour la formation spécifique des salariés ;
- débouté la société Brasserie du Fino de ses demandes en dommages et intérêts concernant le retard d'ouverture du restaurant, et pour perte d'une chance d'accéder à une nouvelle clientèle ;
- débouté la société Groupe Flo de sa demande reconventionnelle de paiement du solde du droit d'entrée et de la redevance d'exploitation forfaitaire et pour procédure abusive;
- condamné la société Groupe Flo à payer à la société Brasserie du Fino la somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, déboutant du surplus de la demande ;
- dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire du présent jugement ;
- condamné la société Groupe Flo aux dépens.
Par déclaration du 1er Mars 2019, la société Groupe Flo a interjeté appel du jugement.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par dernières conclusions notifiées le 24 juin 2020, la société groupe Flo demande à la cour de :
- Infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Nanterre en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a :
* débouté la Brasserie du Fino de sa demande de dommages et intérêts concernant le retard d'ouverture du restaurant et pour perte d'une chance d'accéder à une nouvelle clientèle ;
En conséquence,
- débouter la société la Brasserie du Fino de toutes ses demandes et de son appel incident,
- Condamner la société la Brasserie du Fino au paiement de la somme de 10.000 euros au titre de la procédure abusive engagée, et de la somme de 3.000 euros au titre d'une amende civile,
- Condamner la société la Brasserie du Fino au paiement de la somme de 18.000 euros au titre du solde du droit d'entrée,
- Condamner la société la Brasserie du Fino au paiement de la somme de 12.500 euros à la société Groupe Flo au titre de la redevance d'exploitation forfaitaire,
Et statuant à nouveau,
- Condamner la société Brasserie du Fino au paiement de la somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code procédure civile,
- Condamner la société Brasserie du Fino aux entiers dépens.
Par dernières conclusions notifiées le 25 juin 2020, la société Brasserie du Fino demande à la cour de :
Confirmer le jugement du 12 février 2019 en ce qu'il a :
- déclaré nul, en conséquence d'un dol, le contrat de franchise conclu le 27 janvier 2014entre les sociétés Groupe Flo et Brasserie du Fino ;
- condamné la société Groupe Flo à restituer à la société Brasserie du Fino la somme de 18.000 euros TTC correspondant à la moitié du droit d'entrée, avec intérêts au taux légal à compter du 5 avril 2014,
- condamné la société Groupe Flo à payer à la société Brasserie du Fino la somme de 134.981euros à titre de dommages et intérêts en réparation du coût des travaux réalisés pour les seuls besoins du contrat de franchise et du surcoût correspondant aux honoraires de l'architecte ;
- condamné la société Groupe Flo à payer à la société Brasserie du Fino la somme de 1.866,23 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du surcoût supporté pour la formation spécifique des salariés ;
- débouté la société Groupe Flo de sa demande reconventionnelle pour procédure abusive,
- débouté la société Groupe Flo de sa demande reconventionnelle de paiement du solde du droit d'entrée et de la redevance d'exploitation forfaitaire,
- condamné la société Groupe Flo à payer à la société Brasserie du Fino la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et l'a débouté du surplus de sa demande,
- condamné la société Groupe Flo aux dépens ;
Infirmer le jugement du 12 février 2019 en ce qu'il a :
- débouté la société Brasserie du Fino de sa demande en dommages et intérêts concernant le retard dans l'ouverture du restaurant et pour perte d'une chance d'accéder à une nouvelle clientèle,
Et statuant à nouveau :
- Recevoir la société la Brasserie du Fino en son appel incident ;
- Dire et juger que le contrat de franchise conclu entre la société la Brasserie du Fino et la société Groupe Flo est nul et non avenu ;
- Condamner la société Groupe Flo à réparer le préjudice subi par la société La Brasserie du Fino à hauteur de :
* 157.718 € à titre de dommages et intérêts en réparation des frais financiers générés par le surcoût imposé par le Groupe Flo ;
* 189.203 € à titre de dommages et intérêts en réparation de la perte d'exploitation résultant du retard dans l'ouverture du restaurant du fait des travaux importants réalisés pour se conformer aux exigences du franchiseur ;
* 97.464 € à titre de dommages et intérêts en réparation de la perte de chance de ne pas avoir pu bénéficier de l'attrait d'une enseigne nationale ;
- Dire et juger que les sommes mises à la charge du Groupe Flo porteront intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 31 mars 2017 ;
- Ordonner la capitalisation des intérêts échus pour plus d'une année entière dans les termes de l'article 1343-2 du Code civil ;
En toute hypothèse,
- Débouter la société Groupe Flo de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
- Condamner la société Groupe Flo à payer à la société Brasserie du Fino la somme de 15.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;- Condamner la société Groupe Flo aux entiers dépens dont distractionconformément aux dispositions de l'article 699 du CPC.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 25 juin 2020.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions déposées par les parties et au jugement dont appel.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1 - sur la demande en nullité du contrat de franchise du fait d'une erreur ou d'un dol
Il résulte de l'article 1110 du code civil, dans sa version applicable au présent litige, que l'erreur n'est une cause de nullité de la convention que lorsqu'elle tombe sur la substance même de la chose qui en est l'objet.
Il résulte de l'article 1116 du même code que le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manoeuvres pratiquées par l'une des parties sont telles qu'il est évident que, sans ces manoeuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté. Il ne se présume pas et doit être prouvé.
En l'espèce, la société Brasserie du Fino soulève la nullité du contrat de franchise au motif d'un dol ou d'une erreur, résultant d'une part de l'absence d'informations pré-contractuelles, d'autre part de l'absence d'objet et de cause du contrat de franchise, ce qui est contesté par la société Groupe Flo qui soutient qu'elle n'a nullement manqué à ses obligations, et que la preuve d'un dol ou d'une erreur n'est pas rapportée.
* sur l'absence d'informations pré-contractuelles
Il résulte de l'article L. 330-3 du code de commerce que toute personne qui met à la disposition d'une autre personne un nom commercial, une marque ou une enseigne, en exigeant d'elle un engagement d'exclusivité ou de quasi-exclusivité pour l'exercice de son activité, est tenue, préalablement à la signature de tout contrat conclu dans l'intérêt commun des deux parties, de fournir à l'autre partie un document donnant des informations sincères, qui lui permette de s'engager en connaissance de cause. Ce document, dont le contenu est fixé par décret (article R.330-1 du même code), précise notamment l'ancienneté et l'expérience de l'entreprise, l'état et les perspectives de développement du marché concerné, l'importance du réseau d'exploitants, la durée, les conditions de renouvellement, de résiliation et de cession du contrat ainsi que le champ des exclusivités. (...) Le document prévu au premier alinéa (appelé DIP, ou document d'information précontractuel) ainsi que le projet de contrat sont communiqués vingt jours minimum avant la signature du contrat.
En l'espèce, la société Brasserie du Fino soutient que la société Groupe Flo ne lui a remis aucun élément d'information précontractuelle, indiquant que cela a "évidemment vicé" son consentement en ce qu'elle s'est engagée sur des informations qu'elle avait "glanées mais qui étaient insuffisantes".
La société Groupe Flo affirme avoir remis à la société Brasserie du Fino le DIP visé à l'article précité, et soutient que la société Brasserie du Fino ne rapporte pas la preuve qui lui incombe que son consentement ait été vicié. Elle ajoute que le président de la société Brasserie du Fino est un professionnel aguerri des affaires et qu'il était parfaitement apte à apprécier les risques et opportunités du contrat de franchise, de sorte qu'il ne peut invoquer aucun vice du consentement.
****
Le contrat de franchise précise en page 3, dans "l'exposé préalable", au point F : "le franchisé reconnaît avoir pris connaissance du Document Précontractuel, conformément à la loi et aux dispositions réglementaires et législatives, qui lui a été remis par le franchiseur (...). C'est donc en pleine connaissance de cause et après avoir pris tous conseils utiles que le franchisé s'engage aux obligations exprimées dans le présent contrat."
En dépit de cette affirmation, aucune des parties, et notamment pas la société Groupe Flo n'est en mesure de produire le DIP, ni aucun autre document d'information précontractuel qui aurait été remis à la société Brasserie du Fino.
Contrairement à ce que soutient la société Groupe Flo, le fait qu'elle laisse chaque année à disposition de tous, sur son site internet, un "document de référence" n'est absolument pas conforme aux dispositions édictées à l'article L.330-3 précité. En effet, outre le fait que la preuve de la remise de ce document 20 jours avant la signature du contrat n'est pas rapportée dès lors qu'il est simplement consultable en ligne, ce document ne répond nullement aux prescriptions de l'article L. 330-3. Les informations données sont principalement des informations relatives au groupe Flo, et non pas à l'enseigne "Taverne de Maître Kanter". Il ne comporte notamment aucune information quant à l'état général et local du marché concerné, aucune liste des entreprises faisant partie du réseau avec indication des dates de conclusion ou de renouvellement ou de cessation des contrats, aucune présentation du réseau d'exploitants....
Il est ainsi démontré que la société Groupe Flo n'a pas satisfait à l'obligation légale de remettre au franchisé le DIP visé à l'article L. 330-3 précité.
Il appartient toutefois à la société Brasserie du Fino de démontrer que ce manquement caractérise un dol ayant vicié son consentement. Sur ce point, la société Brasserie du Fino invoque la réticence dolosive de la société Groupe Flo. Elle précise qu'elle n'avait aucune expérience dans la restauration, et fait valoir que l'information précontractuelle aurait été déterminante pour lui permettre de projeter son activité sur la base des expériences des autres franchisés. Elle ajoute qu'en l'absence d'information, elle n'a pas pu mesurer le risque qu'elle prenait et indique que l'intention dolosive est établie dans la mesure où le franchisé lui a volontairement fait croire qu'elle bénéficierait d'un concept spécifique censé améliorer ses performances. Elle affirme que si elle avait été mieux informée, elle aurait pu "choisir en connaissance de cause s'il était pertinent d'intégrer le réseau de franchise".
Si l'on peut admettre, comme le soutient la société Brasserie du Fino, que le non-respect par la société Groupe Flo de son obligation légale d'information précontractuelle - ayant eu pour effet de dissimuler au franchisé des informations relatives au marché et au réseau - caractérise une forme de réticence dolosive, il n'est toutefois pas établi, ni même allégué, que sans cette réticence la société Brasserie du Fino n'aurait évidemment pas contracté, cette dernière n'évoquant nullement une telle éventualité, et affirmant simplement qu'elle aurait alors "pu choisir en connaissance de cause s'il était pertinent d'intégrer le réseau de franchise", cette formulation laissant au contraire entrevoir que - même en possession de l'information précontractuelle - la société Brasserie du Fino aurait peut-être choisi d'intégrer le réseau de franchise, de sorte que le caractère déterminant de l'absence d'information n'est pas établi.
Faute pour la société Brasserie du Fino d'établir le caractère déterminant qu'a pu avoir l'absence d'information précontractuelle sur son consentement, la demande de nullité du contrat sur le fondement du dol doit être rejetée. Le jugement sera infirmé de ce chef.
S'agissant de l'erreur également invoquée par la société Brasserie du Fino, cette dernière se contente d'affirmer que les omissions du Groupe Flo l'ont "induite en erreur en la privant de la possibilité d'apprécier la réalité des perspectives économiques attendues". S'il est certain l'information précontractuelle était inexistante, cela ne suffit pas à caractériser l'existence d'une erreur consécutive qui aurait pu être commise par la société Brasserie du Fino portant sur la substance même de la chose, étant observé que cette dernière n'invoque aucune difficulté, ni erreur - qu'il s'agisse de ses perspectives de développement, ou encore de sa situation financière au regard du budget prévisionnel qu'elle avait établi et dont il n'est pas allégué qu'il ait été impossible à réaliser - dans l'exploitation de son restaurant avant qu'elle ne décide de procéder oralement à la résiliation du contrat pour des motifs qui restent inconnus. Il n'est ainsi nullement précisé quelle erreur aurait pu être la conséquence de l'absence d'information précontractuelle.
Le seul fait que la société Brasserie du Fino n'ait pas pu disposer des informations habituellement contenues dans le DIP est dès lors insuffisant à démontrer l'existence d'une erreur portant sur la substance même de la chose.
La demande en nullité du contrat pour erreur sur la chose sera dès lors rejetée.
2 - sur la demande en nullité du contrat de franchise pour défaut d'objet et de cause
Il résulte de l'article 1104 du code civil, dans sa version applicable au présent litige, que quatre conditions sont essentielles pour la validité d'une convention, parmi lesquelles : un objet certain qui forme la matière de l'engagement et une cause licite.
La société Brasserie du Fino soutient que la transmission du savoir-faire, qui constitue la cause principale du contrat de franchise, était inexistante dans le contrat souscrit avec la société Groupe Flo, de sorte que sa nullité doit être prononcée. Elle fait notamment valoir que la société Groupe Flo lui a successivement vendu trois concepts distincts, à savoir : Comptoir de Maître Kanter, puis Taverne de Maître Kanter et enfin Maître Kanter, sans que cela donne lieu à aucune modification, qu'il s'agisse des lieux, de l'identité visuelle, des contrats.... Elle ajoute que le savoir faire n'est pas original dès lors qu'il se rattache à plusieurs enseignes différentes. Elle soutient enfin que le contrat était dépourvu d'objet, invoquant l'inexistence ou la quasi inexistence des réseaux de franchise " comptoir de Maître Kanter" ou "Taverne de Maître Kanter".
La société Groupe Flo soutient qu'il n'existe qu'un seul concept "Maître Kanter" exploité successivement sous deux marques légèrement distinctes, ce qui ne permet pas de caractériser l'inexistence du savoir faire qui existe depuis plus de 20 ans. Elle affirme au contraire l'existence de ce savoir faire original défini au contrat de franchise, en particulier à l'annexe 8 détaillant le sommaire du Manuel du savoir faire. Elle ajoute que les connaissances issues du Manuel de savoir faire ont en outre été consolidées, pour chacun des salariés de la société Brasserie du Fino par des cycles de formation. Elle invoque enfin divers services fournis aux franchisés, notamment service marketing, assistance, accompagnement à l'ouverture.
Le fait que la société Groupe Flo propose deux enseignes distinctes à ses franchisés, à savoir "comptoir de Maître Kanter" et "Taverne de Maître Kanter" est insuffisant à caractériser l'absence de savoir faire ou d'originalité de celui-ci, rien n'empêchant de décliner un même concept original en deux enseignes légèrement distinctes.
S'il est exact que le manuel de Savoir Faire n'est pas communiqué aux débats, il ressort de l'article 6.2 du contrat de franchise que ce document contient les secrets commerciaux et techniques dont le franchisé n'est que dépositaire et qui lui ont été révélés à titre confidentiel, ce qui explique cette absence de communication.
En tout état de cause, la société Groupe Flo a annexé au contrat de franchise le sommaire de ce manuel, ce qui permet d'attester de la réalité de ce savoir faire portant notamment sur l'aménagement et la décoration du restaurant, les modes opératoires en salle et en cuisine, la communication avec le client, l'hygiène, les fiches techniques mises à jour au gré de la carte, avec les modes de fabrication de chaque plat (ingrédients, mode de préparation, photo de la présentation). En outre, la société Brasserie du Fino ne peut sérieusement soutenir que ce manuel opératoire n'existe pas, alors même qu'il résulte des termes du contrat que ce savoir faire est "communiqué au franchisé", ce dernier s'engageant en outre "à suivre fidèlement les instructions du franchiseur contenues dans les manuels de savoir-faire".
Outre ce manuel de savoir faire, la société Brasserie du Fino admet elle-même qu'elle a participé à des cycles de formation. La société Groupe Flo justifie enfin de son assistance régulière à la société Brasserie du Fino, notamment au moment de l'ouverture et de la mise au point des cartes et menus saisonniers, ainsi que cela ressort des échanges de courriels (en pièces 5 et 6 de la société Groupe Flo).
La société Brasserie du Fino ne peut en outre sérieusement soutenir que le réseau Taverne de Maitre Kanter était inexistant, alors même que la société Groupe Flo justifie que ce dernier comptait 33 restaurants en France en 2014.
Au regard de l'ensemble de ces éléments, il apparaît que la société Groupe Flo justifiait bien, au moment de la souscription du contrat en janvier 2014, d'un réseau de franchisés, et qu'elle a bien transmis son savoir faire à la société Brasserie du Fino, de sorte que la demande de nullité du contrat pour défaut d'objet et de cause sera rejetée.
Les demandes de nullité du contrat étant rejetées, il n'y a pas lieu de faire droit aux diverses demandes formées par la société Brasserie du Fino en restitution de sommes qu'elle a versées ou en paiement de dommages et intérêts en raison du préjudice causé par la nullité du contrat de franchise. Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a condamné la société Groupe Flo au paiement de diverses sommes au profit de la société Brasserie du Fino.
3 - sur les demandes reconventionnelles formées par la société Groupe Flo
Il résulte de l'article 11 du contrat de franchise que : "en contrepartie de la communication initiale du savoir faire, de l'utilisation de la marque, de l'exclusivité territoriale et de l'assistance à l'ouverture telle que définie dans l'annexe 4, le Franchisé s'engage à verser au franchiseur un droit d'entrée d'un montant de trente mille euros HT. Pendant toute la durée du contrat en contrepartie du droit d'utiliser la marque et de l'assistance fournie par le franchiseur, le franchisé s'engage à verser au franchiseur une redevance d'exploitation forfaitaire de 6.250 euros HT par trimestre, y compris la participation à la publicité nationale."
En application de ces dispositions, la société Groupe Flo forme des demandes reconventionnelles en paiement, d'une part du solde du droit d'entrée à hauteur de la somme de 18.000 euros, d'autre part des redevances d'exploitation pour la période du 27 janvier au 31 août 2014 à hauteur de 12.500 euros.
La société Brasserie du Fino s'oppose à ces demandes, au motif que le contrat de franchise doit être annulé, et qu'elle n'a pas utilisé la marque "Taverne de Maître Kanter" ni bénéficié des services de la société Groupe Flo. Elle rappelle enfin que la société Groupe Flo n'avait formulé aucune demande à ce titre lors de la résiliation du contrat en août 2014.
Dans son courrier du 4 août 2014, la société Groupe Flo a confirmé son accord sur la résiliation du contrat de franchise au 31 août 2014. Elle indiquait alors : "nous ne vous facturerons aucune royalties sur l'ensemble de la période, mais comme convenu, attendrons le règlement du solde de votre droit d'entrée."
Ce courrier contient ainsi une renonciation non équivoque de la société Groupe Flo à solliciter paiement de royalties sur l'ensemble de la période du contrat, cette renonciation entraînant extinction de la dette de la société Brasserie du Fino sur le fondement de l'article 1234 du code civil qui prévoit notamment que les obligations s'éteignent par la remise volontaire de la dette. La demande en paiement des redevances d'exploitation sera donc rejetée.
S'agissant de la demande en paiement du solde du droit d'entrée, la société Brasserie du Fino ne peut sérieusement soutenir qu'elle n'a pas utilisé la marque "Taverne de Maître Kanter" ni bénéficié des services de la société Groupe Flo alors qu'il ressort au contraire des pièces communiquées qu'elle a utilisé l'enseigne sur les premiers mois de l'année 2014 jusqu'à ce qu'elle manifeste le souhait de résilier le contrat. En application de l'article 11 précité, la cour condamnera dès lors la société Brasserie du Fino au paiement de la somme de 18.000 euros au titre du solde du droit d'entrée. Le jugement sera infirmé de ce chef.
4 - sur la demande en paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive
La société Groupe Flo sollicite paiement d'une somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, outre 3.000 euros au titre d'une amende civile.
Les parties à un litige n'ont aucun intérêt au prononcé d'une amende civile qui ne peut profiter qu'à l'Etat, de sorte que la société Groupe Flo est irrecevable à en solliciter paiement.
S'agissant de la demande en paiement de dommages et intérêts, la société Groupe Flo soutient que la société Brasserie du Fino a abusé de son droit d'ester en justice, dès lors qu'elle a quitté le réseau moins de 8 mois après le début du contrat et qu'elle a attendu près de 3 années avant d'agir en justice sur des griefs qu'elle n'avait jamais formulés auparavant. Elle affirme subir un préjudice moral du fait de la procédure engagée, dont le but était uniquement de faire pression à son égard.
La société Groupe Flo qui a accepté la résiliation anticipée du contrat de franchise, moins de 8 mois après sa signature, en renonçant en outre à sa créance au titre des royalties, n'est pas fondée à en faire le reproche à la société Brasserie du Fino. S'il est exact que cette dernière a attendu près de 3 ans pour formuler des griefs à l'encontre de la société Groupe Flo et agir en justice, cette attitude, bien que surprenante, est insuffisante à elle seule pour caractériser un abus du droit d'ester en justice, de sorte que la demande formulée à ce titre sera rejetée.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :
Le jugement sera infirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens.
La société Brasserie du Fino qui succombe, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.
Il est équitable d'allouer à la société Groupe Flo une indemnité de procédure de 4.000 euros.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
Infirme en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de commerce de Nanterre du 12 février 2019,
Et statuant à nouveau,
Rejette les demandes de nullité du contrat de franchise conclu entre les sociétés Groupe Flo et Brasserie du Fino,
Déboute la société Brasserie du Fino de l'ensemble de ses demandes,
Condamne la société Brasserie du Fino à payer à la société Groupe Flo la somme de 18.000 euros au titre du solde du droit d'entrée,
Déboute la société Groupe Flo du surplus de ses demandes,
Condamne la société Brasserie du Fino à payer à la société Groupe Flo la somme de 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société Brasserie du Fino aux dépens de première instance et d'appel.
prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
signé par Monsieur François THOMAS, Président, et par Monsieur GAVACHE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier, Le président,