COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 58B
12e chambre
ARRET No
CONTRADICTOIRE
DU 28 JANVIER 2021
No RG 19/04143 - No Portalis DBV3-V-B7D-TH5K
AFFAIRE :
Société MUTUELLE D'ASSURANCE DES PHARMACIENS (MADP)
C/
SA ENEDIS
...
Décision déférée à la cour : Jugement rendu(e) le 09 Avril 2019 par le Tribunal de Commerce de NANTERRE
No Chambre :
No Section :
No RG : 2018F00427
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Julie GOURION,
Me Irène FAUGERAS-CARON
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT HUIT JANVIER DEUX MILLE VINGT ET UN,
La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Société MUTUELLE D'ASSURANCE DES PHARMACIENS (MADP)
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentant : Me Julie GOURION, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 51 - No du dossier 219795
Représentant : Me Isabelle DUQUESNE CLERC, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : J135 - par Me SOULIE
APPELANTE
****************
SA ENEDIS
No SIRET : 444 60 8 4 42
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentant : Me Irène FAUGERAS-CARON de la SELARL DES DEUX PALAIS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 068 - No du dossier 190468
Représentant : Me Gilles ROUMENS de la SCP COURTEAUD PELLISSIER, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, par Me GONZALEZ
SA AXA CORPORATE SOLUTIONS ASSURANCE
[Adresse 3]
[Adresse 3]
Représentant : Me Irène FAUGERAS-CARON de la SELARL DES DEUX PALAIS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 068 - No du dossier 190468
Représentant : Me Gilles ROUMENS de la SCP COURTEAUD PELLISSIER, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, par Me GONZALEZ
INTIMEES
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 03 Décembre 2020 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Mme Véronique MULLER, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur François THOMAS, Président,
Mme Véronique MULLER, Conseiller,
Monsieur Bruno NUT, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Monsieur Alexandre GAVACHE,
EXPOSE DU LITIGE
La société Mutuelle d'Assurance des Pharmaciens (ci-après société MADP), est l'assureur de la société Néobio qui exploite un laboratoire d'analyses médicales.
Dans la nuit du 24 au 25 août 2013, le courant électrique alimentant les locaux de la société Néobio a été interrompu suite à la "rupture d'une phase du réseau public d'électricité", entraînant l'arrêt des réfrigérateurs et en conséquence la perte du stock des produits qu'ils contenaient.
La coupure a été réparée par la société Enedis le 26 août 2013.
Le 10 septembre 2013, la société Néobio a déclaré le sinistre auprès de son assureur.
La société MADP a mandaté le cabinet d'expertise Eurexo pour effectuer les constatations et évaluer le préjudice. La société Enedis, régulièrement convoquée à une expertise amiable, n'y a cependant pas assisté.
Le 4 janvier 2014, l'expert a remis son rapport évaluant le préjudice à 21.585,42 €.
Le 16 janvier 2014, la société MADP a adressé à la société Néobio un règlement d'un montant de 21.165,42 € en réparation du préjudice conformément aux conditions du contrat d'assurance.
Par courrier du 20 janvier 2014, la société MADP a demandé à la société Enedis le règlement de l'indemnité versée à la société Néobio en réparation des dommages. La société Enedis s'est opposée à cette demande, au motif qu'elle n'avait commis aucune faute dans l'exploitation du réseau.
Par actes des 23 et 26 février 2018, la société MADP a assigné respectivement les sociétés Enedis et Axa Corporate Solutions Assurance (ci-après Axa) devant le tribunal de commerce de Nanterre aux fins de les voir condamner solidairement au paiement de la somme de 21.165.42 euros au titre de la somme versée à son assurée en indemnisation de son préjudice.
Par jugement du 9 avril 2019, le tribunal de commerce de Nanterre a :
- Rejeté la fin de non-recevoir soulevée par la société Enedis ;
- Dit la société Axa hors de cause ;
- Débouté la société MADP de sa demande en paiement de 21.165,42 € ;
- Condamné la société MADP à payer à la société Enedis la somme de 500 € et à la société Axa la somme de 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamné la MADP aux dépens.
Par déclaration du 5 juin 2019, la société MADP a interjeté appel du jugement.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par dernières conclusions notifiées le 7 février 2020, la société MADP demande à la cour de :
- Débouter la société Enedis de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
- Déclarer recevable et fondé l'appel interjeté par la société MADP;
Y faisant droit,
- Dire et Juger la société MADP bien fondée en l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
- Réformer le jugement rendu le 9 avril 2019 en ce qu'il a :
- Débouté la société Madp de sa demande en paiement de la somme de 21.165,42 euros,
- Condamné la société Madp à payer à la société Enedis la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamné la Madp à payer à la société Axa la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamné la société Madp aux entiers dépens ;
- Le confirmer en ce qu'il a jugé que l'action introduite par la société Madp relève des articles 1134 et 1147 anciens du code civil et de la responsabilité contractuelle et délictuelle de la société Enedis, et débouté cette dernière de sa fin de non-recevoir tirée de la prescription ;
Puis, statuant de nouveau :
- Condamner la société Enedis à rembourser à la société Madp la somme de 21.165,42 euros versée à la société Neobio en indemnisation de son préjudice ;
- Condamner la société Enedis à verser à la société Madp la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner la société Enedis aux entiers dépens et dire qu'ils pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Par dernières conclusions notifiées le 2 décembre 2019, les sociétés Enedis et Axa demandent à la cour de :
1 -Concernant l'appel dirigé contre la société Axa :
- Constater que la société Axa n'a pas la qualité d'assureur de la société Enedis mais n'est intervenue qu'en tant que gestionnaire du dossier ainsi que cela a été explicité à la société MADP,
- Confirmer le jugement du 9 avril 2019 en ce qu'il a mis la société Axa purement et simplement hors de cause et a condamné la société MADP à lui payer une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner la société MADP à payer à la société Axa une indemnité complémentaire de 1.500 € au titre des frais d'instance qu'elle a dû exposer pour défendre à l'appel interjeté,
2 – Concernant l'appel dirigé contre la société Enedis :
Vu les articles 1245 et suivants du code civil (anciennement 1386-1 et suivants),
- Dire que seul le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux doit être retenu pour l'action de la MADP,
- Dire que l'assignation a été délivrée le 23 février 2018, soit plus de 3 ans après l'établissement du rapport de l'expert missionné par la MADP,
En conséquence,
- Infirmer le jugement du 9 avril 2019,
- Déclarer l'action de la MADP irrecevable comme prescrite,
Très subsidiairement,
Vu les conditions générales de vente liant le laboratoire Neobio à la société Enedis,
- Dire et juger que la société Enedis n'est tenue, concernant la continuité de fourniture
d'électricité, que d'une obligation de moyens,
- Constater que l'interruption de l'alimentation électrique étant due à une panne dont il n'est pas établi qu'elle pouvait être évitée par des moyens spécifiques ou qu'elle résulterait d'un défaut d'entretien ou de conception du réseau, étant surabondamment
souligné que la société Enedis a mis en œuvre tous les moyens propres à remédier à
l'incident et à rétablir l'alimentation électrique dans les meilleurs délais et conditions,
- Dire et juger qu'en conséquence, la société MADP ne justifie d'aucun manquement d'Enedis à ses obligations contractuelles,
- Dire qu'en revanche, il n'est pas justifié que le laboratoire Neobio se soit, quant à lui,
conformé aux obligations résultant tant des conditions générales du contrat le liant à Enedis que de celles prévues par le contrat d'assurance le liant à la MADP,
En conséquence,
- Confirmer le jugement du 9 avril 2019 en ce qu'il a débouté la société MADP de toutes ses demandes, fins et conclusions, y compris en ce qui concerne l'indemnité sollicitée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- La condamner, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, à payer à la société Enedis la somme de 7.000 €,
- Condamner la société MADP aux entiers dépens tant de première instance que d'appel et autoriser Maître Irène Faugeras-Caron, avocat au barreau de Versailles, à se prévaloir des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 22 octobre 2020.
Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties ainsi que cela est prescrit à l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1 - sur la demande de mise hors de cause de la société Axa
La société Axa rappelle qu'elle n'est pas l'assureur de la société Enedis, mais uniquement le gestionnaire du sinistre, de sorte qu'elle sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il l'a mise hors de cause.
La société MADP fait valoir que le rôle de la société Axa n'était pas explicitement indiqué dans les échanges de courrier, de sorte qu'elle ne pouvait imaginer avoir assigné à tort la société Axa. Elle soutient donc que la mise en cause d'Axa était justifiée, ajoutant qu'elle a abandonné ses demandes lorsqu'elle a compris son simple rôle de gestionnaire du sinistre.
Il ressort des courriers de la société Axa qu'elle a toujours indiqué intervenir en qualité de "prestataire de gestion de sinitres" et non pas d'assureur de la société Enedis, de sorte que sa mise en cause n'était pas justifiée, ce que la société MADP admet d'ailleurs aujourd'hui. Le jugement sera confirmé en ce qu'il a mis hors de cause la société Axa, et en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles au profit de cette société.
2 - Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action exercée par la société MADP
Il résulte des articles 1386-1, 1386-3 et 1386-4 anciens du code civil, applicables en l'espèce, que "l'électricité est considérée comme un produit", que "le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit", et qu'un "produit est défectueux au sens du présent titre lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre. Dans l'appréciation de la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, il doit être tenu compte de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l'usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation."
Il résulte enfin de l'article 1386-18 ancien du code civil que les dispositions du présent titre (responsabilité du fait des produits défectueux) ne portent pas atteinte aux droits dont la victime d'un dommage peut se prévaloir au titre du droit de la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle ou au titre d'un régime spécial de responsabilité. Le producteur reste responsable des conséquences de sa faute et de celle des personnes dont il répond.
En application de ces dispositions, la victime d'un dommage ne peut se prévaloir d'une responsabilité contractuelle, qu'à condition que sa demande repose sur un fondement différent de la défectuosité du produit, tel notamment qu'une faute.
En l'espèce, la société Enedis fait valoir que le sinistre relève d'un défaut de l'électricité distribuée, de sorte que l'action ne peut être fondée que sur les dispositions des articles 1386-1 et suivants du code civil, invoquant le caractère exclusif de ce régime de responsabilité du fait des produits défectueux, soumis à une prescription triennale.
La société MADP soutient au contraire que le sinistre n'est pas dû à un défaut imputable à l'électricité en elle-même, mais à une interruption d'électricité résultant de la rupture d'une phase du réseau, c'est à dire une absence d'alimentation en électricité. Elle indique ainsi que l'interruption d'électricité n'engage pas la responsabilité de la société Enedis sur le fondement des produits défectueux, mais résulte d'une simple inexécution contractuelle, de sorte que son action est valablement fondée sur le droit commun de la responsabilité contractuelle, à savoir l'article 1147 ancien du code civil.
***
Il ressort du rapport d'expertise de la société Eurexo daté du 3 janvier 2014 que la cause du sinistre est la suivante : "lors des intempéries du week end du 25 août 2013, le courant électrique s'est interrompu suite à la rupture d'une phase du réseau public d'électricité. Les appareils branchés sur cette phase n'ont plus été alimentés. La température dans les réfrigérateurs s'est alors réchauffée pour atteindre la température ambiante, constatée le lundi 26 août 2013 (...)."
Force est de constater, d'une part qu'aucun défaut d'entretien du réseau n'est allégué, d'autre part que le point de départ et la cause du sinistre sont une "rupture d'une phase du réseau public", soit la rupture d'un élément appartenant au réseau de distribution du produit, sans qu'aucune faute ne soit jamais imputée à la société Enedis.
Il apparaît ainsi que le dysfonctionnement du réseau d'électricité, par la rupture d'une phase, caractérise bien un défaut de sécurité du produit "électricité" dès lors qu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, à savoir une fourniture régulière et continue. Il existe bien une atteinte à l'usage qui peut être raisonnablement attendu du produit "électricité" au sens des dispositions précitées, de sorte que la responsabilité de la société Enedis ne peut être recherchée que sur le fondement du régime spécial des produits défectueux, soumis à la prescription triennale de l'article 1386-17 du code civil ancien.
Il résulte de cet article 1386-17 du code civil que l'action en réparation fondée sur les dispositions du présent titre se prescrit dans un délai de trois ans à compter de la date à laquelle le demandeur a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage, du défaut et de l'identité du producteur.
En l'espèce, la connaissance du dommage et de la défectuosité du produit peut être fixée au 3 janvier 2014, date du rapport d'expertise, de sorte que l'action devait être initiée au plus tard le 3 janvier 2017.
Force est ici de constater que la société MADP a attendu le 23 février 2018 pour engager son action à l'encontre de la société Enedis, de sorte que celle-ci est prescrite. Le jugement sera infirmé de ce chef.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :
Le jugement sera confirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens.
La société MADP qui succombe, sera condamnée aux dépens exposés en appel.
Il est équitable d'allouer à la société Enedis une indemnité de procédure complémentaire de 1.500 euros.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
Infirme le jugement du tribunal de commerce de Nanterre du 9 avril 2019 en ce qu'il a rejeté la fin de non-recevoir soulevée par la société Enedis du fait de la prescription, et en ce qu'il a débouté la société Mutuelle d'Assurances des Pharmaciens de sa demande,
Statuant à nouveau de ces chefs,
Déclare prescrite l'action exercée par la société Mutuelle d'Assurances des Pharmaciens à l'encontre de la société Enedis,
Confirme le jugement pour le surplus,
Rejette toutes autres demandes,
Condamne la société Mutuelle d'Assurances des Pharmaciens à payer à la société Enedis la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société Mutuelle d'Assurances des Pharmaciens aux dépens de la procédure d'appel qui pourront être recouvrés directement par les avocats qui en ont fait la demande, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
signé par Monsieur François THOMAS, Président et par Monsieur GAVACHE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier, Le président,