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12/05/2022 | FRANCE | N°19/02974

France | France, Cour d'appel de Versailles, 6e chambre, 12 mai 2022, 19/02974


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80A



6e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 12 MAI 2022



N° RG 19/02974 - N° Portalis DBV3-V-B7D-TLDV



AFFAIRE :



SOGESHOPS





C/

[U] [I]





Décision déférée à la cour : Jugement rendu(e) le 04 Juillet 2019 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANTERRE

N° Chambre :

N° Section : C

N° RG : F 17/02324



Copies ex

écutoires et certifiées conformes délivrées à :



Me Mélina PEDROLETTI



Me Karine PARENT







le : 13 Mai 2022





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE DOUZE MAI DEUX MILLE VINGT DEUX ,

La cour d'appel de Versailles a r...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

6e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 12 MAI 2022

N° RG 19/02974 - N° Portalis DBV3-V-B7D-TLDV

AFFAIRE :

SOGESHOPS

C/

[U] [I]

Décision déférée à la cour : Jugement rendu(e) le 04 Juillet 2019 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANTERRE

N° Chambre :

N° Section : C

N° RG : F 17/02324

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Mélina PEDROLETTI

Me Karine PARENT

le : 13 Mai 2022

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE DOUZE MAI DEUX MILLE VINGT DEUX ,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant,fixé au 24 Mars 2022,puis prorogé au 12 Mai 2022, les parties ayant été avisées, dans l'affaire entre :

SOGESHOPS

N° SIRET : 428 143 226

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représentée par : Me Stéphane BOUILLOT de la SCP HB & ASSOCIES-HITTINGER-ROUX BOUILLOT & ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0497, substitué par Me DELAUTRE Mathilde, avocate au barreau de Paris ; et Me Mélina PEDROLETTI, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 626.

APPELANTE

****************

Monsieur [U] [I]

né le 14 Juillet 1979 à [Localité 6]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représenté par : Me Karine PARENT, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C0321

INTIME

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 03 Février 2022 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Isabelle VENDRYES, Président,

Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller,

Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseiller,

Greffier lors des débats : Mme Elodie BOUCHET-BERT,

Rappel des faits constants

La SARL Sogeshops, dont le siège social est situé à [Localité 5] dans les Hauts-de-Seine en région Île-de-France, est spécialisée dans l'acquisition, l'administration, la gestion et l'exploitation de terrains et d'immeubles, ainsi que la gestion d'opérations mobilières et immobilières. Elle emploie moins de onze salariés et applique la convention collective nationale de l'immobilier, administrateurs de biens, sociétés immobilières, agents immobiliers du 9 septembre 1988.

M. [U] [I], né le 14 juillet 1979, a été engagé par cette société, initialement selon contrat de travail à durée déterminée, du 9 mai 2016 au 8 novembre 2016, en qualité de développeur, moyennant une rémunération brute mensuelle de 3 150 euros.

Le contrat s'est ensuite poursuivi à durée indéterminée.

Par courrier du 15 mai 2017, la société Sogeshops a convoqué M. [I] à un entretien préalable fixé au 23 mai 2017. Une mise à pied conservatoire lui a été notifiée le même jour.

M. [I] ne s'étant pas rendu à cet entretien en raison de son arrêt maladie. Par courrier du 26 mai 2017, la société Sogeshops a convoqué M. [I] à un nouvel entretien préalable fixé au 6 juin 2017 auquel le salarié ne s'est pas rendu.

Puis par courrier du 9 juin 2017, M. [I] s'est vu notifier son licenciement pour faute grave, motifs pris d'un comportement violent au travail et de menaces proférées à l'encontre du gérant de la société Sogeshops.

M. [I] a saisi le conseil de prud'hommes de Nanterre en contestation de son licenciement par requête reçue au greffe le 31 août 2017.

La décision contestée

Par jugement contradictoire rendu le 4 juillet 2019, la section commerce du conseil de prud'hommes de Nanterre a :

- dit que le licenciement de M. [I] ne reposait sur aucune cause réelle et sérieuse,

- condamné la société Sogeshops à verser à M. [I] les sommes suivantes :

. 4 099,72 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

. 409,72 euros brut au titre des congés payés sur préavis,

. 819,94 euros brut à titre d'indemnité de licenciement,

. 3 143,18 euros brut en paiement de la mise à pied conservatoire,

. 3 796,04 euros brut à titre d'indemnité de congés payés,

. 12 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

. 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit que ces sommes produiront intérêts au taux légal à compter de la date de signature de la convocation devant le bureau de conciliation par la partie défenderesse pour les créances salariales et à compter du jugement pour les créances indemnitaires,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire sous réserve des dispositions de l'article R. 1454-28 du code du travail selon lequel la condamnation de l'employeur au paiement des sommes visées par l'article R. 1454-14 2° du code du travail est exécutoire de plein droit dans la limite de neuf mois de salaire calculés sur la moyenne des trois derniers mois de salaire, qui est de 4 099,72 euros,

- débouté M. [I] du surplus de ses demandes,

- ordonné à la société civile Sogeshops de remettre à M. [I] les documents légaux rectifiés sans qu'il soit nécessaire de fixer une astreinte,

- condamné M. [I] à payer à la société civile Sogeshops la somme de 4 781,04 euros au titre de l'indemnité de précarité perçue par erreur,

- débouté la société civile Sogeshops du surplus de ses demandes,

- mis les dépens à la charge de la société civile Sogeshops en application des dispositions des articles 695 et 696 du code de procédure civile comprenant la signification éventuelle du jugement par voie d'huissier de justice ainsi qu'à ses suites.

M. [I] avait demandé au conseil de prud'hommes :

- la requalification du licenciement notifié pour faute grave en licenciement sans cause réelle et sérieuse, et le paiement des sommes suivantes :

- préavis : 4 099,72 euros,

- congés payés sur préavis : 409,72 euros,

- indemnité de licenciement : 819,94 euros,

- indemnité de mise à pied pour perte de salaire du 18 mai au 10 juin 2017 : 3 143,18 euros,

- indemnité compensatrice de congés payés : 3 796,04 euros,

- indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (10 mois) : 40 997,20 euros,

- préjudice moral : 5 000 euros,

- remboursement d'une somme indûment prélevée sur le dernier bulletin de salaire : 4 781,40 euros,

- article 700 du code de procédure civile : 4 000 euros,

- remise des documents légaux rectifiés sous astreinte de 100 euros par jour de retard courant à compter de la notification du jugement à intervenir,

- intérêts au taux légal,

- exécution provisoire,

- dépens à la charge de l'employeur.

La société Sogeshops avait, quant à elle, conclu au débouté du salarié et avait demandé au conseil de prud'hommes de :

- condamner M. [I] à une amende civile sur le fondement de l'article 32-1 du code de procédure civile,

- solde de l'indemnité de précarité perçue par erreur sur le fondement de l'article 1302-1 du code civil : 985 euros,

- à titre subsidiaire, si Sogeshops devait être condamnée au paiement de l'indemnité de congés payés, condamner reconventionnellement M. [I] à l'indemnité de précarité qu'il a perçue par erreur sur le fondement de l'article 1302-1 du code civil : 4 781,04 euros,

- dommages-intérêts pour concurrence déloyale sur le fondement de l'article 1240 du code civil : 10 000 euros,

- article 700 du code de procédure civile : 4 000 euros.

La procédure d'appel

La société Sogeshops a interjeté appel du jugement par déclaration du 19 juillet 2019 enregistrée sous le numéro de procédure 19/02974.

Prétentions de la société Sogeshops, appelante

Par dernières conclusions adressées par voie électronique le 25 mars 2020, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la société Sogeshops demande à la cour d'appel de :

- confirmer la condamnation de M. [I] à lui payer la somme de 4 781,04 euros,

- confirmer le rejet de la demande indemnitaire au titre du prétendu préjudice moral,

- infirmer les autres dispositions du jugement frappé d'appel,

statuant à nouveau,

- débouter M. [I] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions, et notamment de son appel incident particulièrement mal fondé,

subsidiairement,

- réduire les indemnités sollicitées par M. [I] à de plus justes proportions.

La société appelante sollicite en outre la condamnation du salarié à lui verser une somme de 3 200 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, dont le montant sera recouvré par Me Mélina Pedroletti, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Prétentions de M. [I], intimé

Par dernières conclusions adressées par voie électronique le 3 janvier 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, M. [I] demande à la cour d'appel de :

- dire et juger la société Sogeshops mal fondée en son appel,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Sogeshops à lui payer les sommes suivantes :

. au titre du préavis : 4 099,72 euros,

. au titre des congés payés sur préavis : 409,72 euros,

. au titre de l'indemnité de licenciement : 819,94 euros,

. en paiement des salaires au titre de la mise à pied du 18 mai au 10 juin 2017, soit 23 jours :  3 143,18 euros,

. au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés : 3 796,04 euros,

avec, pour chacune de ces sommes, intérêts légaux à compter de la date de la convocation devant le bureau de conciliation,

- le dire et juger bien fondé en son appel incident,

- infirmer le jugement en ce qu'il a limité l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 12 000 euros,

- infirmer le jugement en ce qu'il l'a condamné à payer à la société Sogeshops la somme de 4 781,04 euros,

- infirmer le jugement en ce qu'il l'a débouté de sa demande de dommages-intérêts au titre du préjudice moral et de sa demande de condamnation sous astreinte d'avoir à lui restituer les documents légaux,

statuant à nouveau,

- condamner la société Sogeshops à lui verser une indemnité de licenciement de 40 997,20 euros, équivalente à 10 mois de salaire, avec intérêts légaux, courant à compter de la convocation devant le bureau de conciliation,

- condamner la société civile Sogeshops à lui payer les intérêts légaux courus sur la somme de 4 781,04 euros,

- condamner la société civile Sogeshops à lui payer la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral,

- condamner la société civile Sogeshops à lui remettre, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, le certificat de travail et l'attestation Assedic rectifiée.

Le salarié intimé sollicite également la capitalisation des intérêts et une somme de 6 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Par ordonnance rendue le 26 janvier 2022, le magistrat chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l'instruction et a fixé la date des plaidoiries au 3 février 2022.

À l'issue des débats, il a été proposé aux parties de recourir à la médiation, ce qu'elles ont décliné.

MOTIFS DE L'ARRÊT

Sur le licenciement

L'article L. 1232-1 du code du travail subordonne la légitimité du licenciement pour motif personnel à l'existence d'une cause réelle et sérieuse.

La faute grave se définit comme la faute qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis.

Il appartient à l'employeur qui entend se prévaloir d'une faute grave du salarié d'en apporter seul la preuve. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

Par courrier du 9 juin 2017, la société Sogeshops a notifié à M. [I] son licenciement pour faute grave dans les termes suivants :

« depuis plusieurs semaines, vous êtes extrêmement préoccupé par votre situation personnelle que vous gérez de façon constante au détriment de vos fonctions, ce qui nous a amené à vous en faire la remarque, à plusieurs reprises, tout en faisant preuve de compréhension.

Vous ne l'avez pas supporté, vous avez fait valoir vous sentir harcelé et avez été arrêté quatre jours, du mardi 9 au vendredi 12 mai dernier par votre psychiatre « pour éviter selon vos propos une dépression nerveuse ».

Vos déclarations nous ont alors interpellés et inquiétés.

Lorsque je suis arrivé au bureau le 15 mai, vous étiez présent et aviez donc repris votre poste mais je vous ai, de nouveau, trouvé en train de photocopier des documents, toujours pour les besoins de vos affaires personnelles.

J'ai donc souhaité m'entretenir avec vous de la situation et vous ai demandé de venir dans mon bureau.

Lorsque je vous ai indiqué que je souhaitais que vous restiez concentré sur l'exécution de vos fonctions et que vous cessiez maintenant de gérer vos dossiers personnels sur le lieu et au temps de travail, vous êtes devenu instantanément agressif et m'avez provoqué en m'indiquant que vous aviez organisé de me poursuivre pour harcèlement afin de me faire « cracher » de l'argent.

Vous m'avez ensuite physiquement menacé en cherchant à me porter un coup que j'ai esquivé, ce qui vous a déséquilibré et fait tomber. Et vous semblez vous-même en profiter pour servir votre dessein.

En tout état de cause, nous vous avons immédiatement mis à pied et convoqué à un entretien préalable.

Votre attitude générale au travail, votre comportement violent et vos menaces sont inexplicables, gravement fautifs et ne peuvent, en aucun cas être tolérés.

L'absence d'explication de votre part, volontaire et assumée, ne nous permet pas de considérer autrement la situation.

Nous vous notifions donc, par la présente, votre licenciement pour faute grave."

A l'appui de la procédure de licenciement qu'elle a engagée, la société Sogeshops donne la version des faits suivante :

Le 15 mai 2017, un incident a éclaté entre M. [B], gérant de la société, et son salarié, M. [I]. L'origine de l'incident réside dans le fait que M. [I] utilisait son temps de travail pour gérer ses affaires personnelles, notamment d'ordre privé. Ce salarié animait par ailleurs une société AINSOF ayant pour objet le « conseil pour les affaires et autres conseils de gestion », qui avait son siège social à son domicile et dont il était le gérant et l'associé unique. Cette situation avait d'ailleurs amené son employeur à lui rappeler ses obligations contractuelles à plusieurs reprises. Ce jour, M. [I] n'a pas accepté la remarque de son supérieur hiérarchique et a réagi de manière agressive, en le menaçant. Celui-ci a tenté de porter un coup à M. [B], que ce dernier a réussi à esquiver. Cette altercation d'une grande violence a conduit M. [M], salarié de l'entreprise, à intervenir.

M. [I] conteste les faits qui lui sont reprochés et donne sa version dans les termes suivants :

Depuis quelques mois, la société Sogeshops exerçait sur lui un contrôle très oppressant et injustifié, épiant ses moindres faits et gestes, à toute heure de la journée, au point que ses conditions de travail s'en sont trouvées fortement dégradées. Dans un souci d'apaisement, le 15 mai 2017, il a demandé un entretien à son employeur, afin d'envisager à l'amiable la rupture de son contrat de travail. La société Sogeshops, en la personne de son gérant, M. [B], l'a reçu mais au cours de l'entretien, celui-ci a perdu tout contrôle et l'a frappé avec violence au point qu'il a été accueilli aux urgences de l'hôpital [4] et qu'il présentait des lésions de la paroi thoracique. Une incapacité totale de travail a été retenue pour six jours. La procédure pénale a été classée sans suite. Aucun témoin n'a souhaité être entendu. De surcroît, il a été mis à pied le même jour, avec envoi d'une convocation à un entretien préalable suivie d'un licenciement pour faute grave.

La société Sogeshops, sur qui pèse la charge de la preuve de la faute grave, produit la main-courante que M. [B] a déposée au commissariat de police de [Localité 5] le 16 mai 2017 à 9h10, dont il ressort : « Constatons que se présente devant nous M. [B] [E] qui nous déclare : je suis l'employeur de M. [I] [U], depuis le 9 mai 2016. Cet homme a des problème privés concernant sons ex-femme et depuis environ un mois cela pose des problèmes dans son travail : le mardi 9 mai 2017, il a eu un arrêt de travail de quatre jours pour troubles psychiatriques. Le 15 mai 2017 vers 9h, alors que je le voyais faire, encore une fois, des photocopies de documents concernant sa vie privée, je lui ai demandé de venir dans mon bureau afin que l'on parle de cette situation. Pendant notre échange, il m'a dit « tais-toi, je parle », « tu me fais du harcèlement moral », « je vais te faire une procédure et je vais te prendre de l'argent ». Sans prévenir, il a fait un geste brusque en ma direction, sans me toucher, et il est tombé, sans que je le touche. » (pièce 7 de l'employeur).

Cette main-courante, qui confirme la version défendue par l'employeur, ne constitue cependant qu'une simple déclaration sans élément de preuve à l'appui.

La société Sogeshops tire ensuite argument de la production par le salarié de l'extrait Kbis de la société AINSOF duquel il ressort que cette société, dont l'unique dirigeant était M. [I] et dont l'activité était l'assistance et le conseil en entreprise, était active pendant la durée du contrat de travail liant les parties (pièce 35 du salarié) et des attestations de Mme [O] et de M. [Z], lesquelles font état du fait que M. [I] bénéficiait dans le cadre de son travail de l'accès à des bases de données payantes, pour soutenir que son salarié gérait en réalité ses affaires personnelles sur son temps de travail.

Ces pièces, si elles fixent des éléments de contexte, ne sont toutefois pas de nature à établir le comportement agressif reproché à M. [I] lors de l'entretien du 15 mai 2017.

Aucune pièce utile n'est par ailleurs produite par la société Sogeshops pour démontrer que le salarié faisait des photocopies personnelles au travail, ni qu'il adoptait un mauvais comportement général au travail, tel qu'il est reproché au salarié, ni qu'il a proféré les menaces qui lui sont imputées.

Les dires attribués à M. [M] ne résultent d'aucune pièce versée aux débats.

Dès lors, M. [I] oppose à juste titre que la société Sogeshops n'étaye pas le prétendu comportement violent qu'elle lui reproche, ni ne démontre qu'il aurait réglé ses problèmes personnels sur son temps de travail.

Le salarié soutient par ailleurs avec pertinence qu'il n'a pas été licencié pour exercice d'une activité concurrentielle.

Ces éléments conduisent à retenir que la société Sogeshops ne démontre pas la matérialité du grief qu'elle oppose à M. [I] dans le cadre de la lettre de licenciement.

Dans ces conditions, le licenciement doit être dit dépourvu de cause réelle et sérieuse, par confirmation du jugement entrepris.

Sur l'indemnisation du salarié

Au vu de ses bulletins de paie, le salaire de référence de M. [I] doit être fixé à la somme de 4 099,72 euros et son ancienneté arrêtée à 1 an et 2 mois.

Conséquence du licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, le salarié peut prétendre à différentes indemnités.

Indemnité compensatrice de mise à pied

Il est dû à M. [I] à ce titre la somme de 3 143,18 euros correspondant au salaire qui aurait dû lui être versé entre le 18 mai et le 10 juin 2017, soit pendant 23 jours. Le jugement sera confirmé sur ce point.

Indemnité compensatrice de préavis

L'article L. 1234-1 du code du travail dispose : « Lorsque le licenciement n'est pas motivé par une faute grave, le salarié a droit :

1° S'il justifie chez le même employeur d'une ancienneté de services continus inférieure à six mois, à un préavis dont la durée est déterminée par la loi, la convention ou l'accord collectif de travail ou, à défaut, par les usages pratiqués dans la localité et la profession ;

2° S'il justifie chez le même employeur d'une ancienneté de services continus comprise entre six mois et moins de deux ans, à un préavis d'un mois ;

3° S'il justifie chez le même employeur d'une ancienneté de services continus d'au moins deux ans, à un préavis de deux mois.

Toutefois, les dispositions des 2° et 3° ne sont applicables que si la loi, la convention ou l'accord collectif de travail, le contrat de travail ou les usages ne prévoient pas un préavis ou une condition d'ancienneté de services plus favorable pour le salarié ».

L'indemnité due à M. [I] s'élève ici à 4 099,72 euros, outre les congés payés afférents, par confirmation du jugement entrepris.

Indemnité de licenciement

Conformément aux dispositions de la convention collective, l'indemnité due à M. [I] s'élève ici à 819,94 euros, par confirmation du jugement entrepris.

Indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

En application des dispositions de l'article L. 1235-5 du code du travail dans sa version applicable à l'espèce, M. [I] qui avait moins de deux ans d'ancienneté, peut prétendre, en cas de licenciement abusif, à une indemnité correspondant au préjudice subi.

M. [I] fait valoir un préjudice financier important. Il prétend que son employeur a tardé à lui remettre ses documents de fin de contrat, ce qui a retardé sa prise en charge par l'assurance chômage. Il réclame une somme de 40 997,20 euros à titre d'indemnisation, qu'il indique être inférieure au préjudice qu'il a réellement subi. Il précise qu'il n'a retrouvé un emploi que le 28 mai 2019.

La société Sogeshops rétorque que M. [I] ne justifie pas de recherches actives d'emploi, ce qui s'explique selon elle par le fait que le salarié exerçait une activité au sein d'une nouvelle société, Covered Capital, dont il était dirigeant. Elle souligne également que la perte de salaire revendiquée par M. [I] procède d'un raisonnement erroné.

Au vu des pièces et des explications fournies, compte tenu des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération mensuelle moyenne de base versée à M. [I] (4 099,72 euros), de son âge, de son ancienneté, de son retour à l'emploi le 28 mai 2019, les premiers juges ont fait une juste appréciation du préjudice que le salarié a subi en condamnant la société Sogeshops à lui régler la somme de 12 000 euros à titre indemnitaire.

Il convient de confirmer le jugement de ce chef.

Sur le préjudice moral

M. [I] fait valoir à ce titre que la société Sogeshops a monté de toute pièce un scenario impossible dans le seul but de tenter d'exonérer son gérant de toute responsabilité et de générer des économies pour l'entreprise. Il indique qu'il a été traumatisé par cette douloureuse expérience et qu'il a de ce fait tardé à retrouver un emploi.

La société Sogeshops s'oppose à la demande.

Il est constant que le salarié licencié peut prétendre à des dommages-intérêts en réparation d'un préjudice distinct de celui résultant de la perte de son emploi et cumuler une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et des dommages-intérêts pour licenciement vexatoire, à la condition de justifier d'une faute de l'employeur dans les circonstances entourant le licenciement de nature brutale ou vexatoire.

Faute toutefois ici pour M. [I] de justifier d'un préjudice distinct de ceux déjà indemnisés, il sera débouté de cette demande, par confirmation du jugement entrepris.

Sur l'indemnité compensatrice de congés payés

M. [I] sollicite l'allocation d'une somme de 3 796,04 euros à ce titre, sans donner d'explications précises au sujet de cette demande.

Le bulletin de paie d'avril 2017 mentionnant 24 jours de congés payés acquis et non pris (pièce 9 du salarié), la cour retient qu'il est dû à M. [I] à ce titre la somme non contestée de 3 796,04 euros, par confirmation du jugement entrepris.

Sur la prime de précarité

La société Sogeshops a sollicité devant le conseil de prud'hommes la condamnation de M. [I] à lui payer la somme de 4 781,04 euros en remboursement de l'indemnité de précarité qui lui avait été versée à tort.

Les parties s'accordent pour confirmer que le salarié a continué à percevoir une indemnité de précarité de 10% prévue par l'article L. 1243-8 du code du travail, alors que le CDD initialement conclu s'est poursuivi sous la forme d'un CDI, générant une créance au profit de l'employeur d'un montant de 4 781,04 euros.

Le conseil de prud'hommes a donc condamné M. [I] à payer à la société Sogeshops la somme de 4 781,04 euros à ce titre.

Devant la cour, il est formulé les demandes suivantes :

- par la société appelante : confirmer la condamnation de M. [I] à lui payer la somme de 4 781,04 euros,

- par le salarié intimé : infirmer le jugement en ce qu'il l'a condamné à payer à la société Sogeshops la somme de 4 781,04 euros et condamner la société civile Sogeshops à lui payer les intérêts légaux courus sur la somme de 4 781,04 euros.

M. [I] fait en effet valoir que la somme de 4 781,04 euros avait déjà été retenue sur son dernier salaire de sorte que le conseil des prud'hommes ne pouvait le condamner à payer cette somme à son employeur, qu'il y a donc lieu à infirmation.

Le salarié ajoute qu'au mois de septembre 2019, dans le cadre de l'exécution du jugement, l'employeur a, malgré cela, opéré une compensation entre les condamnations réciproques des parties, de sorte qu'il a en réalité payé deux fois cette condamnation.

La société Sogeshops conteste avoir opéré une compensation arbitraire et injustifiée.

Sur ce, il est constant que M. [I] était redevable d'une somme de 4 781,04 euros.

Il est justifié que l'employeur a opéré paiement par prélèvement sur le dernier salaire de M. [I] ainsi qu'il le reconnaît aux termes de sa lettre officielle adressée à son confrère le 20 février 2020 (pièce 36 du salarié) et que cela résulte du bulletin de salaire de juin 2017.

Il y a donc lieu d'infirmer le jugement du conseil de prud'hommes en ce qu'il a condamné le salarié a payer une somme, certes due, mais dont il est justifié du paiement à l'initiative de l'employeur, avant la date du prononcé du jugement.

M. [I] peut de surcroît légitimement prétendre, conformément à sa demande, aux intérêts courus sur cette somme entre la date de réception par l'employeur de la convocation devant le Bureau de Conciliation et d'Orientation et le 20 février 2020, incluant la majoration de 5 points, sans que la cour n'ait à procéder à leur liquidation.

Sur les intérêts moratoires

Le créancier peut prétendre aux intérêts de retard calculés au taux légal, en réparation du préjudice subi en raison du retard de paiement de sa créance par le débiteur. Les condamnations prononcées produisent intérêts au taux légal à compter de la date de réception par l'employeur de la convocation devant le Bureau de Conciliation et d'Orientation pour les créances contractuelles et à compter du jugement qui en fixe le principe et le montant pour les créances indemnitaires.

Sur la remise des documents de fin de contrat de travail conformes au présent arrêt

M. [I] est bien fondé à solliciter la remise par la société Sogeshops d'un certificat de travail et d'une attestation destinée à Pôle emploi, ces documents devant être conformes au présent arrêt.

Il n'y a pas lieu, en l'état des informations fournies par les parties, d'assortir cette obligation d'une astreinte comminatoire. Il n'est en effet pas démontré qu'il existe des risques que la société Sogeshops puisse se soustraire à ses obligations.

Sur les dépens et les frais irrépétibles de procédure

La société Sogeshops, qui succombe dans ses prétentions, supportera les dépens en application des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile.

Elle sera en outre condamnée à payer à M. [I] une indemnité sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, que l'équité et la situation économique respective des parties conduisent à arbitrer à la somme de 3 000 euros.

La société Sogeshops sera déboutée de sa demande présentée sur le même fondement.

Le jugement de première instance sera confirmé en ses dispositions concernant les dépens et les frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

CONFIRME le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Nanterre le 4 juillet 2019, excepté en ce que M. [U] [I] a été condamné à payer à la SARL Sogeshops la somme de 4 781,04 euros au titre du remboursement de l'indemnité de précarité,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

DÉBOUTE la SARL Sogeshops de sa demande au titre du remboursement de l'indemnité de précarité,

CONDAMNE la SARL Sogeshops à payer à M. [U] [I] les intérêts de retard au taux légal sur la somme de 4 781,04 euros entre la date de réception par l'employeur de la convocation devant le Bureau de Conciliation et d'Orientation et le 20 février 2020,

CONDAMNE la SARL Sogeshops à payer à M. [U] [I] les intérêts de retard au taux légal à compter de la date de réception par l'employeur de la convocation devant le Bureau de Conciliation et d'Orientation sur les créances contractuelles et à compter du jugement sur les créances indemnitaires,

ORDONNE à la SARL Sogeshops de remettre à M. [U] [I] un certificat de travail et une attestation destinée à Pôle emploi conformes au présent arrêt,

DÉBOUTE M. [I] de sa demande d'astreinte,

CONDAMNE la SARL Sogeshops à payer à M. [U] [I] une somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

DÉBOUTE la SARL Sogeshops de sa demande présentée sur le même fondement,

CONDAMNE la SARL Sogeshops au paiement des entiers dépens.

Arrêt prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour,les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code procédure civile et signé par Madame Isabelle VENDRYES, Président, et par Madame BOUCHET-BERT Elodie,Greffière,auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 6e chambre
Numéro d'arrêt : 19/02974
Date de la décision : 12/05/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-05-12;19.02974 ?
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