COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80C
6e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 16 JUIN 2022
N° RG 19/03172 - N° Portalis DBV3-V-B7D-TME7
AFFAIRE :
[S] [T]
C/
SAS AVIS LOCATION DE VOITURES
Décision déférée à la cour : Jugement rendu(e) le 23 Juillet 2019 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANTERRE
N° Chambre :
N° Section : E
N° RG : F18/00728
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Alexia BONNET
Me DUPUIS Martine
le : 17 Juin 2022
Expédition numérique délivrée à Pôle Emploi, le 17 Juin 2022
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE SEIZE JUIN DEUX MILLE VINGT DEUX ,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant,fixé au 07 Avril 2022,puis prorogé au 09 Juin 2022,puis au 16 Juin 2022, les parties ayant été avisées, dans l'affaire entre :
Madame [S] [T]
née le 14 Mai 1975 à [Localité 10]
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par : Me Alexia BONNET, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de PARIS
APPELANTE
****************
SAS AVIS LOCATION DE VOITURES
N° SIRET : 652 023 961
[Adresse 1]
[Adresse 6]
[Localité 3]
Représentée par : Me Déborah ATTALI du PARTNERSHIPS EVERSHEDS Sutherland (France) LLP, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : J014, substituée par Me TOMASZEWSKI Audrey, avocate au barreau de Paris ; et Me Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 18 Février 2022 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Isabelle VENDRYES, Président,
Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller,
Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseiller,
Greffier lors des débats : Mme Elodie BOUCHET-BERT,
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
La SAS Avis Location de Voitures exerce une activité de location de courte durée de voitures et de véhicules automobiles légers. Elle est présente sur tout le territoire français au travers d'agences régionales localisées notamment dans les gares et les aéroports. Elle emploie plus de dix salariés.
Par contrat de travail à durée indéterminée du octobre 1997, Mme [S] [T], née le 14 mai 1975, a été engagé par la société Avis Location de Voitures en qualité d'agent d'opération, statut employé, niveau II, échelon 1, coefficient 170 de la convention collective nationale du commerce et de la réparation de l'automobile, du cycle et du motocycle et des activités connexes, ainsi que du contrôle technique automobile du 15 janvier 1981. Elle a été affectée à l'agence Avis de l'aérogare d'[9].
Après avoir été promue aux fonctions de chef de station le 6 février 2006 puis de chef de projets opérationnels le 1er octobre 2010, elle est devenue city manager [11], statut cadre, niveau II A, à compter du 7 janvier 2013.
En dernier lieu, et depuis le 19 mai 2014, elle occupait le poste de city manager Paris Ville 1 et Paris Ville 2 (sans l'agence de la gare [7]) et percevait un salaire brut mensuel de base de 4 076,92 euros versé sur 13 mois, outre une rémunération variable.
Par courrier du 1er août 2014, Mme [T] s'est vu notifier une mise à pied disciplinaire de cinq jours du 18 au 24 août 2014.
Par courrier du 13 novembre 2014, elle a été convoquée à un entretien préalable qui s'est tenu le 24 novembre 2014. Elle s'est vu notifier son licenciement pour insuffisance professionnelle par lettre du 28 novembre 2014 ainsi rédigée :
« Vous avez été engagée le 25 janvier 2006 en qualité de Station Manager ('chef de station') avec une reprise d'ancienneté au 6 octobre 1997. Vous occupez, depuis le 7 janvier 2013, le poste de City Manager.
Initialement affectée à la City de Roissy, vous êtes, depuis le 12 mai 2014, en charge de la City Paris Ville, sous la direction, pour les 2 postes, de Madame [M] [R], District Manager Paris-Ile de France-Lille.
En qualité de City Manager, vous gérez plusieurs agences avec pour missions prioritaires d'assurer une qualité de service client optimale et la rentabilité des agences du périmètre. Vous devez, à ce titre, être acteur de la mise en 'uvre de la stratégie du Groupe et portez la responsabilité de cette mise en 'uvre au sein de votre City. A cette fin, il vous appartient notamment de participer à l'optimisation de la flotte, accompagner les collaborateurs relevant de votre secteur et assurer le suivi administratif et le reporting de votre secteur.
Au regard de votre expérience au sein de l'entreprise et de l'accompagnement que nous vous avons assuré, nous comptions sur vous pour développer, encadrer et piloter efficacement la City qui vous était confiée. Or, après 22 mois d'exercice de vos fonctions de City Manager, nous sommes contraints de constater de nombreuses insuffisances dans l'exécution de vos tâches, malgré les moyens mis à votre disposition et les mesures prises pour vous accompagner.
Ainsi, vous avez pris vos fonctions en tant que City Manager au sein de la City de Roissy à compter du 3 janvier 2013.
Constatant assez rapidement qu'un accompagnement sur la partie management vous était nécessaire dans le cadre de vos nouvelles fonctions, la Société a mis en 'uvre un coaching individuel avec un prestataire extérieur sur la période de juin à novembre 2013 afin de vous permettre d'acquérir les compétences managériales requises pour un tel poste.
Relevant qu'après plusieurs mois d'activité vous rencontriez toujours des difficultés, la Société vous a octroyé des moyens complémentaires tels que notamment :
- des moyens supplémentaires en personnel: 15 ACO supplémentaires entre mars et avril 2014 ;
- la délégation du City Manager de la City de Paris Ville 1 au sein de la City de Roissy durant 3 mois en mars, avril et mai 2014 (au lieu d'un mois et demi initialement prévu) pour vous aider et vous soulager dans l'exécution de certaines tâches telles que le recrutement du personnel, le suivi des travaux, la gestion des projets d'outsourcing des convoyeurs ;
- l'équipe Performance Excellence est restée avec vous pendant 5 mois (janvier à mai 2014) afin de vous aider sur les process turn back (retour des véhicules au constructeur), ldl (suivi des voitures inactives) ;
- l'accompagnement par Monsieur [U] [I], Customer Excellence Leader, sur le site de Roissy de janvier à mai 2014, pour vous aider à mettre en place une procédure sur le suivi du Net Promoter.
Malgré l'accompagnement et les moyens mis à votre disposition, il est apparu, après plus d'un an d'activité, que vous n'aviez pas atteint les objectifs qui vous avaient été fixés et notamment que vous n'aviez pas encore pris la dimension managériale attendue d'un City Manager.
Face à ce constat et soucieux de vous permettre de réaliser à bien vos missions, il a été décidé, avec votre accord, de vous confier la direction de la City Paris Ville. Cette City est en effet moins importante en termes de poids, volume et personnel que la City de Roissy et les chefs de station qui y sont affectés ont plus d'autonomie compte tenu de leur séniorité moyenne, supérieure à celle des autres Citys du District. En outre, nous avons redimensionné le périmètre de cette City en retirant l'agence de la Gare [7] et ce afin de vous permettre d'intervenir et de gérer au mieux une City de taille moins ambitieuse.
Dans ce contexte, nous pensions légitimement que vous seriez en mesure d'exercer efficacement les attributions découlant de votre position de City Manager.
Pourtant, et malgré les nombreux échanges que nous avons eus, nous sommes aujourd'hui contraints de constater que perdurent de nombreuses insuffisances dans l'exécution des tâches qui vous sont confiées, lesquelles ont des conséquences préjudiciables pour l'entreprise.
Ainsi, nous sommes contraints de constater que :
- vous ne parvenez pas à gérer la flotte de manière adéquate dénotant, outre une insuffisance dans l'exécution de cette tâche fondamentale, une absence de collaboration avec vos homologues, les services supports et flotte ;
- vous ne respectez pas les directives de votre Direction impactant de ce fait le développement du business local ;
- vous adoptez un comportement inadapté.
1/ Sur la mauvaise gestion de la Flotte :
En votre qualité de City Manager vous avez notamment pour mission d'optimiser la gestion de la Flotte, en lien avec les autres City Managers.
A ce titre, vous devez notamment assurer la coordination avec vos homologues afin de permettre un approvisionnement adapté des agences en fonction des réservations et en tenant compte des directives de la Direction et process établis.
Or, nous sommes contraints de constater la persistance de nombreuses erreurs et insuffisances dans la gestion de la flotte et des transferts de flotte. De tels dysfonctionnements, à répétition de surcroit, impactent de manière très négative l'activité de la Société et le fonctionnement de tout le District (coût supplémentaire pour la Société, mécontentement des clients et des équipes, mise en échec des Station managers sous votre Direction et perte de clientèle notamment).
Cette situation est d'autant plus incompréhensible que :
- en tant qu'ancien Station Manager, vous avez une expériences en, la matière puisque les Station Managers interviennent également, à leur niveau, sur la gestion de la Flotte. Les problématiques rencontrées ne sont donc pas totalement nouvelles pour vous ;
- vous bénéficiez de l'accompagnement du Responsable de la Flotte (et notamment plusieurs réunions de 3 heures sur les prévisions de flotte pour vous former) et de votre District Manager;
- un Gestionnaire Flotte est à votre disposition si vous rencontrez des difficultés pour analyser les actions à mettre en 'uvre au regard des prévisions d'activités ;
- une réunion hebdomadaire (journalière en haute saison) a lieu avec le District Manager, le responsable de la flotte et les City Managers au cours de laquelle les besoins de chacun sont évoqués ;
- deux fois par jour, chaque City Manager envoie une mise à jour de ses prévisions de départs et arrivées à laquelle vous avez accès.
Outre que de tels dysfonctionnements portent atteinte à l'image de la Société, ils dénotent d'un manque de professionnalisme et de communication avec les équipes et sont d'autant moins admissibles que vous n'avez pris aucune action pour tenter de régler ces difficultés récurrentes, reportant la responsabilité de ces erreurs sur vos équipes ou sur le département Flotte.
Autre exemple, non exhaustif, de vos manquements dans la gestion de la Flotte, nous sommes contraints de constater que vous n'anticipez pas les échanges de véhicules dans le cadre de la gestion des contrats de location longue durée (dits 'mensuels').
Non seulement cette absence d'anticipation est préjudiciable au bon fonctionnement de l'entreprise mais elle démontre, là encore, un manque de communication avec les autres City Managers et une absence d'adaptation aux responsabilités que comporte votre poste de City Manager. Vous n'apportez, en effet, pas le soutien requis par votre fonction à vos Station Managers et vous faites peser la responsabilité de cette gestion sur le service Flotte. Vous demandez ainsi à vos Station Managers de gérer ce sujet directement avec le service flotte.
Or, comme cela vous a été rappelé à plusieurs reprises, il vous appartient de sensibiliser vos Station Managers et de mettre en 'uvre des procédures afin qu'ils anticipent les besoins et trouvent, au sein de leur agence, les véhicules pouvant être donnés au client en échange. A défaut de véhicule disponible au sein de l'agence, il vous revient de contacter les autres City Managers du District afin de trouver un véhicule. Ce n'est qu'en dernier lieu que la Flotte doit être sollicitée.
Nous constatons qu'à ce jour, et malgré nos échanges, aucune action n'a été mise en place.
2/ Sur le non-respect des directives de votre Direction
Dans le cadre de vos fonctions de City Manager, l'une de vos missions prioritaires est d'assurer une qualité de service client optimale. A ce titre, nous attendons de vous que vous portiez la stratégie de l'entreprise et suiviez les directives qui vous sont données. Or, nous sommes contraints de constater que ces directives ne sont pas suivies.
Ainsi, dans le cadre de l'accompagnement de votre activité et dans un souci d'amélioration de la qualité du service, il vous a notamment été demandé :
- de revoir les plannings des agences afin de tenir compte des niveaux d'activité propre à chacune d'elle. Nous attendions votre retour sur ce point pour le mois de septembre. Or, à ce jour, et malgré nos relances, nous sommes contraints de constater que vous n'avez pas avancé sur ce sujet. La seule proposition que vous avez faite concerne l'agence de Boulogne. Or, la proposition formulée n'était pas satisfaisante compte tenu du potentiel commercial attendu sur cette agence. Nous vous l'avons indiqué et sommes encore, à ce jour, dans l'attente d'une proposition modifiée pour cette agence ;
- d'adapter l'organisation des lignes managériales des agences à leur volume d'activité. Ainsi, notamment, il vous a été demandé, expressément et à plusieurs reprises, qu'un seul Station Manager soit présent à [Localité 8] et non deux. Malgré les demandes réitérées en ce sens depuis le mois de juin, nous sommes contraints de constater que vous vous obstinez à ne pas appliquer cette directive ;
- de mettre en place une organisation afin de gérer l'activité de livraison et reprise sur site pour nos clients B to B de manière centralisée et non en Front office. Nous attendions une proposition de plan d'action à mi-septembre. A ce jour aucune proposition n'a été faite.
Plutôt que de suivre les directives de votre supérieure hiérarchique, et vous permettre ainsi de réaliser vos missions de façon satisfaisante, vous avez choisi de ne pas les respecter, faisant preuve d'un désengagement réel dans l'exécution de vos fonctions et d'une opposition à l'égard de votre hiérarchie. Or, en votre qualité de City Manager, nous attendons de vous que vous conduisiez et développiez le business local en conformité avec la stratégie mise en 'uvre par le Groupe.
Outre qu'une telle attitude n'est pas compatible avec vos fonctions de City Manager, elle a des répercussions sur le fonctionnement de votre City et impacte directement la qualité du service que nous offrons à nos clients, point qui doit être votre point d'attention prioritaire.
3/ Comportement inadapté
La situation est d'autant plus inadmissible, qu'au-delà du fait que vous ne mettez pas en 'uvre les actions attendues pour faire face à vos manquements et insuffisances, vous adoptez une attitude incompatible avec votre poste de City Manager.
A titre d'exemples non exhaustifs :
- vous ne vous investissez absolument pas dans les réunions mensuelles de revue des performances qui sont organisées avec votre supérieur hiérarchique et votre responsable des ressources humaines (annulation ou retard aux réunions, absence de préparation...) ;
- vous ne vous investissez pas plus dans l'accompagnement managérial de vos Station Managers. Ainsi, nous avons dû vous rappeler, par exemple, la nécessité d'accompagner un Station Manager dans le cadre de la conduite d'une procédure disciplinaire à l'encontre d'un ACO pour utilisation indue d'un profil preferred.
L'ensemble de ces manquements et insuffisances, qui persiste sans que l'on constate une réelle volonté d'amélioration de votre part, impacte de manière négative le fonctionnement de votre City.
Ainsi notamment:
- vos Station Managers sont mis dans une situation d'échec du fait de votre absence de prise de responsabilité et de mise en place de plans d'actions pour résoudre les difficultés rencontrées ;
- des tensions se créent avec les autres services (flotte et logistique) du fait des erreurs et manquements commis dans la gestion de la flotte.
La persistance et l'accumulation de ces insuffisances professionnelles après 22 mois passés au poste de City Manager, malgré les moyens mis à votre disposition et l'accompagnement suivi de votre supérieure hiérarchique, dénotent votre incapacité à vous adapter à vos responsabilités de City Manager.
Nous constatons aujourd'hui une détérioration inextricable de notre relation de travail, la qualité de vos prestations ne répondant pas aux performances attendues d'un cadre de votre niveau de compétences et d'expérience. Au regard de ceci, et compte tenu de l'impact sur l'activité de la Société, nous sommes contraints de vous notifier, par la présente, votre licenciement pour insuffisance professionnelle, cette dernière rendant impossible la poursuite de votre contrat de travail. »
Par requête reçue au greffe le 6 février 2015, Mme [T] a saisi le conseil de prud'hommes de Nanterre aux fins de contester son licenciement et sa mise à pied, et de voir condamner la société Avis Location de Voitures au versement de diverses sommes indemnitaires et salariales.
Par jugement rendu le 23 juillet 2019, le conseil de prud'hommes de Nanterre a :
- dit et jugé que le licenciement de Mme [T] pour insuffisance professionnelle est justifié mais que la mise à pied disciplinaire de Mme [T] du 1er aout n'est pas justifiée,
- annulé la mise à pied disciplinaire du 1er aout 2014,
- condamné la SAS Avis Location de Voitures à verser à Mme [T] les sommes de :
* 1 019,23 euros à titre de rappel de salaire,
* 101,92 euros à titre de congés payés afférents,
avec intérêts au taux légal à compter du 6 février 2015,
* 2 500 euros à titre de dommages et intérêts avec intérêts au taux légal à compter du jugement,
- condamné la SAS Avis Location de Voitures à verser à Mme [T] la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté Mme [T] du surplus de ses demandes,
- condamné la SAS Avis Location de Voitures aux éventuels dépens.
Mme [T] a interjeté appel de la décision par déclaration du 4 août 2019.
Par conclusions adressées par voie électronique le 2 novembre 2019, elle demande à la cour de :
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit et jugé que le licenciement de Mme [T] pour insuffisance professionnelle est justifié,
statuant à nouveau,
- juger que le licenciement de Mme [T] est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
- condamner, en conséquence, la SAS Avis Location de Voitures à verser à Mme [T] :
' à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 110 000 euros,
' à titre de dommages et intérêts en raison des conditions vexatoires de la rupture : 25 000 euros,
En toute hypothèse,
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Mme [T] de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral et manquement à l'obligation de sécurité,
statuant à nouveau,
- juger que la SAS Avis Location de Voitures a, par ses actes répétés, dégradé les conditions de travail et nuit à la dignité de la salariée, ce qui la rend pleinement fautive au titre des dispositions relatives à la prohibition des actes de harcèlement moral,
- condamner, en conséquence, la SAS Avis Location de Voitures à verser à Mme [T] à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral et manquement à l'obligation de sécurité la somme de 25 000 euros,
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a annulé la mise à pied disciplinaire du 1er aout 2014 et condamné la SAS Avis Location de Voitures à verser à Mme [T] les sommes suivantes :
' à titre de rappel de salaire : 1 019,23 euros,
' à titre de congés payés afférents : 101,92 euros,
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a limité le quantum des dommages-intérêts alloués à Mme [T] en réparation du préjudice né de la mise à pied disciplinaire injustifiée à la somme de 2 500 euros,
statuant à nouveau sur le quantum des dommages-intérêts,
- condamner la SAS Avis Location de Voitures à verser à Mme [T] à titre de dommages et intérêts la somme de 4 906,40 euros,
- prononcer l'intérêt au taux légal à compter de la réception de la demande par la société intimée,
- condamner la société Avis Location de Voitures à verser à Mme [T] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Par conclusions adressées par voie électronique le 28 janvier 2020, la société Avis Location de Voitures demande à la cour de :
- la déclarer recevable et bien fondée en ses conclusions,
- dire et juger le licenciement pour insuffisance professionnelle de Mme [T] fondé,
- dire et juger que les demandes de Mme [T] sont infondées,
- débouter Mme [T] de l'ensemble de ses demandes,
en conséquence,
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
* dit et jugé que le licenciement de Mme [T] pour insuffisance professionnelle était justifié,
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
* annulé la mise à pied disciplinaire du 1er août 2014,
* condamné la société Avis Location de Voitures à verser à Mme [T] les sommes suivantes :
' 1 019,23 euros à titre de rappel de salaire,
' 101,92 euros à titre de congés payés afférents,
' 2 500 euros à titre de dommages et intérêts au taux légal à compter du jugement en date du 23 juillet 2019,
' 1 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner Mme [T] au paiement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner Mme [T] aux entiers dépens d'instance.
Par ordonnance rendue le 19 janvier 2022, le magistrat chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l'instruction et a fixé la date des plaidoiries au 18 février 2022.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.
MOTIFS
Sur la mise à pied
Mme [T] sollicite l'annulation de la mise à pied disciplinaire de cinq jours qui lui a été notifiée le 1er août 2014 et la condamnation de la société Avis Location de Voitures (ci-après Avis) à lui verser la somme de 1 019,23 euros à titre de rappel de salaire, outre les congés payés afférents, ainsi que la somme de 4 906,40 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice né de cette mise à pied qu'elle estime injustifiée.
L'employeur s'y oppose, faisant valoir que cette sanction était justifiée eu égard au manque de loyauté de la salariée et au non-respect par elle du code de conduite de la société.
Par courrier du 1er août 2014, la société Avis a notifié à Mme [T] une mise à pied disciplinaire de cinq jours, du 18 au 22 août 2014, au motif qu'elle n'a pas fait preuve du professionnalisme attaché à sa fonction de city manager en quittant le 2 juillet 2014 une réunion européenne des city managers prévue sur trois jours, sans prévenir sa hiérarchie. Il est également reproché à la salariée d'avoir procédé à un enregistrement audio des échanges durant la réunion des city managers du district Ile-de-France/Lille du 18 juin 2014.
Mme [T] explique cependant que sa valise contenant des médicaments indispensables a été égarée à l'aéroport de Londres et qu'elle a dû rentrer en urgence, n'étant pas en mesure de se passer de son traitement, qu'elle a prévenu ses collègues le matin de son départ ainsi que sa supérieure hiérarchique, Mme [R], ainsi qu'elle en justifie en produisant ses courriels des 2 et 3 juillet 2014 ainsi que le courriel du 6 août 2014 aux termes duquel elle a contesté la sanction dont elle avait fait l'objet en apportant des explications circonstanciées. Elle communique également le bulletin de situation établissant qu'elle a été hospitalisée quelques jours plus tard, le 18 juillet 2014.
S'agissant de l'enregistrement audio, la salariée en conteste la réalité, ce que l'attestation versée aux débats par l'employeur est insuffisante à contredire, outre que, à supposer même que cet enregistrement ait été réalisé, la société Avis ne démontre pas que l'intéressée en aurait fait un usage abusif.
La mise à pied du 1er août 2014 sera annulée et la société Avis sera condamnée, par confirmation du jugement entrepris, à verser à Mme [T] la somme de 1 019,23 euros à titre de rappel de salaire, outre les congés payés afférents.
Le jugement entrepris sera également confirmé en ce qu'il a condamné la société Avis à verser à Mme [T] la somme de 2 500 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice né de la mise à pied disciplinaire injustifiée.
Sur le harcèlement
Mme [T] soutient qu'elle a été victime d'un harcèlement moral de la part de sa supérieure hiérarchique, Mme [M] [R], et sollicite à ce titre la condamnation de la société Avis à lui verser la somme de 25 000 euros à titre de dommages-intérêts.
Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
L'article L. 1154-1 du même code, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2018-1088 du 8 août 2016 applicable en la cause en raison de la date des faits dénoncés, prévoit qu'en cas de litige, le salarié établit des faits permettant de présumer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe alors à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
En l'espèce, Mme [T] fait valoir que sa supérieure hiérarchique a régulièrement employé des propos hostiles, dénigrants et agressifs à son égard. Les courriels qu'elle verse aux débats au soutien de ce grief sont toutefois adressés, pour la majorité d'entre eux, à l'ensemble des city managers d'Ile-de-France et au responsable de flotte. En outre, si les messages de Mme [R] apparaissent sans aucun doute directifs, la cour n'y relève aucun propos hostile, dénigrant ou agressif à l'encontre de sa subordonnée. En sa qualité de district manager, Mme [R] était légitime à donner des instructions aux city managers qui lui étaient hiérarchiquement rattachés.
Mme [T] indique ensuite que Mme [R] a refusé de la recevoir en entretien annuel d'évaluation, annulant celui-ci à six reprises. Si elle justifie en effet du report de cet entretien à cinq reprises, la cour observe néanmoins que les motifs invoqués pour annuler les rendez-vous étaient d'ordre professionnel et que l'entretien d'évaluation a finalement eu lieu le 15 avril 2014, un compte-rendu en étant dressé qui est produit par l'employeur.
La salariée fait encore valoir qu'à compter du mois de juin 2014, elle a été confrontée à une charge de travail devenue quasi insoutenable, Mme [R] l'obligeant à travailler le week-end, sans aucune contrepartie financière, ce qui a mis en danger sa santé dès lors qu'elle ne pouvait jamais faire de véritables coupures avec son travail et ce qui n'a pas manqué non plus d'affecter très lourdement son mariage.
Pour démontrer sa surcharge de travail, Mme [T] se limite cependant à communiquer des courriels reçus ou adressés par elle le week-end entre juin et novembre 2014, sans autre élément sur ses plannings de travail hebdomadaires, la cour observant que selon son contrat de travail, les horaires de la salariée pouvaient être aménagés ou modifiés sur décision de la direction de manière à répondre aux variations de l'activité de prestataire de la société, ce qui était susceptible d'entraîner pour l'intéressée des horaires décalés et/ou un roulement, y compris les dimanches et jours fériés.
Si elle justifie avoir contacté, le 27 septembre 2014, le dispositif d'écoute et de soutien psychologique, elle ne produit aucun élément médical de nature à établir une dégradation de son état de santé.
En l'état des explications et des pièces fournies, la matérialité d'éléments de fait précis et concordants laissant supposer l'existence d'un harcèlement moral n'est pas démontrée, le seul fait que la cour ait considéré comme injustifiée la mise à pied disciplinaire notifiée le 1er août 2014 ne permettant pas de présumer l'existence d'un harcèlement moral.
La demande de dommages-intérêts au titre d'un harcèlement moral doit par conséquent être rejetée, par confirmation du jugement entrepris.
Sur le licenciement
L'article L. 1232-1 du code du travail subordonne la légitimité du licenciement pour motif personnel à l'existence d'une cause réelle et sérieuse.
L'article L. 1235-1 du même code dispose qu'en cas de litige, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute persiste, il profite au salarié.
L'insuffisance professionnelle est constituée par l'incapacité du salarié à remplir correctement ses missions du fait d'une inadaptation à l'emploi ou d'une incompétence. Elle constitue, en tant que telle, une cause réelle et sérieuse de licenciement.
L'appréciation des aptitudes professionnelles du salarié et de son adaptation à l'emploi relève du pouvoir de l'employeur. Néanmoins, l'insuffisance professionnelle alléguée à son encontre pour fonder un licenciement doit être justifiée par des éléments précis et concrets de nature à perturber la bonne marche de l'entreprise ou le fonctionnement du service et être constatée sur une période suffisamment longue pour ne pas apparaître comme passagère ou purement conjoncturelle, être directement imputable au salarié et non la conséquence d'une conjoncture économique difficile ou du propre comportement de l'employeur.
Il appartient à l'employeur d'établir que l'insuffisance professionnelle reprochée au salarié repose sur des éléments objectifs, précis et imputables à celui-ci.
Il est ici est opposé à la salariée de nombreuses insuffisances dans l'exécution de ses tâches, en particulier une mauvaise gestion de la flotte, un non-respect des directives de la direction et un comportement inadapté.
L'employeur expose que Mme [T] a occupé le poste de city manager au sein du secteur Roissy-Charles de Gaulle à compter du 7 janvier 2013, qu'il a constaté qu'elle avait des carences en management, raison pour laquelle il a mis en place, de juin à novembre 2013, un dispositif de soutien particulier par le biais d'un coaching individuel auprès d'un prestataire extérieur, que malgré ce soutien individuel, il n'a pu que constater la persistance des difficultés de la salariée, qu'il a donc mis en place des moyens supplémentaires en affectant, aux mois de mars et avril 2014, 15 agents 'ACO' auprès des agences gérées par Mme [T], que celle-ci a également pu bénéficier de l'aide de M. [G] [E], city manager de Paris Ville 1, durant les mois de mars, avril et mai 2014, que l'équipe performance Excellence a travaillé avec elle pendant les mois de janvier à mai 2014 sur les process de turn back (retour des véhicules au constructeur) et Idl (suivi des voitures inactives), que malgré les moyens mis à sa disposition, Mme [T] n'a pas su s'adapter à ses responsabilités de city manager, qu'elle n'a pas atteint ses objectifs, raison pour laquelle il a été décidé de l'affecter, avec son accord, sur le secteur Paris Ville à compter du 19 mai 2014, soit sur un périmètre moins important en termes de volume de clients et de personnel, que cependant les carences professionnelles de la salariée ont persisté.
Mme [T] conteste l'ensemble des manquements invoqués au soutien du licenciement, dont le motif n'est selon elle ni réel ni sérieux, la véritable cause du licenciement étant ailleurs. Elle prétend qu'en réalité, après deux plans de sauvegarde successifs en 2011 et en 2013, ce sont des raisons de nature structurelle qui ont motivé son licenciement, l'employeur ayant procédé à une réorganisation de son schéma d'agences qui a conduit à la suppression de postes de city managers et à la création de nouveaux postes à moindres responsabilités. Elle indique que quatre autre city managers se sont vu licenciés au cours du dernier trimestre 2014, dont trois pour insuffisance professionnelle, et qu'un nouveau plan de sauvegarde de l'emploi a été déclenché à la fin de l'année 2015.
Si elle reconnait avoir bénéficié d'un coaching, elle indique que celui-ci avait pour objet, non pas de pallier de prétendues carences en management comme le soutient l'employeur, mais de lui apporter des compétences supplémentaires dans la perspective de la mise en place d'une nouvelle organisation opérationnelle en ligne avec la stratégie du groupe américain ABG, qui avait racheté fin 2011 les parts du groupe Avis Europe. La salariée fait d'ailleurs justement observer que la société Avis se limite à fournir, pour justifier son propos, l'accord commercial conclu avec la société de coaching ainsi que la facture correspondante, qui corroborent le fait que Mme [T] a bénéficié d'un coaching mais qui ne permettent pas d'éclairer la cour sur l'objet de ce coaching.
Mme [T] réfute avoir reçu le renfort de 15 agents 'ACO' en mars et avril 2014 et soutient qu'elle a supporté une situation de forte baisse des effectifs dès son arrivée en poste en 2013, ceux-ci étant ensuite restés stables jusqu'à son départ pour le secteur de Paris. Outre que la société Avis n'étaye pas son allégation, la salariée produit un tableau chiffré qui démontre que la productivité de l'agence a augmenté de 15% entre 2012 et 2013 et de 6,9% entre 2013 et 2014 alors que les effectifs en équivalents temps plein ont diminué de 14% entre 2012 et 2014.
S'agissant de l'aide que lui aurait prétendument apportée M. [E], city manager de Paris, elle justifie que celui-ci n'était là, en mars, avril et mai 2014, que pour coordonner les projets 'CDG Review', qui ne relevaient pas des missions de Mme [T].
S'agissant enfin du soutien de l'équipe performance Excellence (PEX), la société Avis ne communique aucun élément et ce, tandis que la salariée verse aux débats un tableau recensant les projets réalisés par cette équipe, parmi lesquelles ne figure pas un quelconque soutien qui aurait été apporté à la city manager du secteur de Roissy-Charles de Gaulle.
De plus, la salariée communique un tableau faisant état de l'atteinte de ses objectifs 2013, qui n'est pas autrement discuté par l'employeur.
Il convient ensuite d'examiner les manquements invoqués au soutien du licenciement :
- sur la mauvaise gestion de la flotte
L'employeur reproche à la salariée son incapacité à gérer efficacement la flotte de véhicules afin de permettre un approvisionnement adapté des agences en fonction des réservations, son incapacité à gérer les priorités, son absence d'anticipation et de communication avec les autres city managers, et ce alors qu'elle a bénéficié de l'accompagnement du responsable de la flotte et de sa district manager, que des réunions hebdomadaires (journalières en haute saison) avaient lieu avec ces derniers et avec les city managers au cours desquelles les besoins de chacun étaient évoqués, que la salariée pouvait en outre s'appuyer sur les mises à jour des prévisions de départs et arrivées, effectuées par chaque city manager. Il expose qu'à plusieurs reprises, M. [J] [V], responsable de la flotte de Paris, a constaté des erreurs au départ des agences gérées par Mme [T], des lots incomplets, des annulations sans prévenir, ce qui a engendré des coûts supplémentaires pour la société.
Mme [T] conteste tout manquement professionnel dans la gestion de la flotte, faisant valoir qu'elle n'a pas été formée sérieusement sur ces questions nouvelles et qu'elle n'avait aucun soutien, une seule réunion ayant eu lieu avec le responsable de la flotte le 6 septembre 2014, soit deux mois avant le licenciement, et ce en dépit de ses sollicitations, comme elle en justifie en produisant ses différents courriels à M. [V].
Ainsi qu'elle le fait en outre justement observer, la société Avis se limite à verser aux débats deux courriels des 12 et 16 septembre 2014 de M. [V], qui constate des erreurs de chargement, ainsi qu'un courriel du 24 septembre 2014 de Mme [M] [R], district manager, qui lui reproche de ne pas anticiper les échanges de véhicules dans le cadre de la gestion des contrats de location de longue durée (dits 'mensuels').
Sachant que la procédure de licenciement a été engagée le 13 novembre 2014, l'insuffisance alléguée dans la gestion de la flotte n'a pas été constatée sur une période assez longue pour pouvoir être ici retenue, la cour observant à cet égard que l'employeur ne produit aucun élément de nature à établir que Mme [T] aurait fait preuve d'insuffisance à ce titre dans le cadre de ses précédentes fonctions de city manager du secteur Roissy-Charles de Gaulle.
Il n'est enfin pas démontré que les dysfonctionnements dont se prévaut la société Avis ont engendré, comme elle le prétend, le mécontentement des clients et une perte de clientèle.
- sur le non-respect des directives de la direction
L'employeur reproche ensuite à la salariée de ne pas avoir suivi les directives données par ses supérieurs hiérarchiques.
Il indique en premier lieu qu'il a été demandé à Mme [T] de revoir les plannings des agences afin de tenir compte des niveaux d'activité de chacune d'entre elles, un retour étant attendu pour le mois de septembre 2014, que cependant la salariée n'a fait qu'une seule proposition sur l'agence de [Localité 5], laquelle n'était pas satisfaisante, et qu'elle n'a pas transmis de proposition modifiée.
Or, Mme [T] justifie avoir adressé à Mme [R] le 11 septembre 2014, soit dans le délai fixé, une proposition de modification des horaires de l'agence de [Localité 5], qui n'a toutefois reçu une réponse de sa supérieure hiérarchique que le 13 octobre suivant. L'envoi le 27 octobre 2014 d'une modification des horaires de l'agence de [Localité 12] contredit également l'affirmation de la société Avis selon laquelle une unique proposition aurait été faite, la société étayant au demeurant son argumentation par un courrier du 17 mars 2014 sans rapport avec le sujet du planning des agences et concernant l'agence de Roissy-Charles de Gaulle.
L'employeur indique en second lieu que la salariée n'a pas appliqué la consigne, répétée à plusieurs reprises depuis juin 2014, de n'avoir qu'un seul station manager sur l'agence de [Localité 8], et non deux.
Outre cependant qu'il ne rapporte pas la preuve qu'une telle consigne aurait été donnée dès le mois de juin 2014, Mme [T] justifie que Mme [R] était informée depuis cette date qu'un second station manager (SM) de renfort était affecté à l'agence de [Localité 8], qu'elle a reçu le 29 juillet 2014 le compte-rendu de la réunion au cours de laquelle a été abordé le sujet 'Définition des rôles et responsabilités des deux SM' de [Localité 8], que le 22 septembre 2014, elle a émis une première critique sur l'organisation mise en place sans toutefois demander le retrait du second station manager, Mme [T] lui expliquant alors pourquoi elle avait mis en place cette organisation, et que c'est seulement dans un courriel du 3 octobre 2014 que Mme [R] a explicitement formulé sa demande d'un seul station manager à [Localité 8].
L'employeur invoque en troisième et dernier lieu l'absence de proposition à la mi-septembre d'un plan d'action concernant la mise en place d'une organisation destinée à gérer l'activité de livraison et reprise sur site pour les clients professionnels. Faute cependant de produire le moindre élément au soutien de son allégation, et ce tandis que Mme [T] soutient qu'une telle demande n'a jamais été portée à sa connaissance, ce manquement ne peut qu'être écarté.
- sur le comportement inadapté
La société Avis énonce enfin que l'attitude de Mme [T] était en contradiction avec son poste de manager, qu'ainsi elle ne s'investissait pas dans les réunions mensuelles de revue des performances organisées par sa supérieure hiérarchique et le responsable des ressources humaines, qu'elle ne s'investissait pas non plus dans l'accompagnement managérial des station managers de ses équipes, qu'elle n'anticipait pas les congés des station managers, qu'elle a dû lui rappeler la nécessité d'accompagner un station manager dans la conduite d'une procédure disciplinaire à l'encontre d'un ACO, que les carences de la salariée ont créé des difficultés pour les station managers et des situations de tensions avec les autres services.
Ce faisant, la société intimée procède par affirmations, sans produire aucun élément utile au soutien de ce manquement.
Au vu de l'ensemble de ces constatations, le licenciement de Mme [T] apparait dépourvu de cause réelle et sérieuse, contrairement à ce qu'ont décidé les premiers juges, dont la décision sera infirmée.
Au vu des pièces et des explications fournies, compte tenu des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à l'appelante, de son âge, de son ancienneté depuis le 6 octobre 1997, de sa perception d'allocations Pôle emploi dans les termes des pièces produites aux débats et des conséquences de la rupture à son égard, la société Avis sera condamnée à lui régler la somme de 65 000 euros à titre indemnitaire, par infirmation du jugement entrepris, avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision en fixant tout à la fois le principe et le montant.
Il convient en outre d'ordonner le remboursement par la société aux organismes concernés des indemnités de chômage effectivement versées à Mme [T] dans la limite de trois mois conformément aux dispositions de l'article L.1235-4 du code du travail.
Sur les conditions vexatoires de la rupture
Mme [T] s'estime bien fondée à solliciter le versement de dommages-intérêts à hauteur de 25 000 euros au titre du préjudice moral résultant des conditions vexatoires de la rupture des relations contractuelles. Elle fait plus particulièrement valoir qu'elle s'est sentie humiliée lorsque, suite à une plainte de la société pour abus de confiance, elle a reçu la visite à son domicile de la police nationale qui est venue récupérer son véhicule de fonction, devant tous ses voisins.
La société Avis rétorque que Mme [T] a été dispensée de son préavis, qu'elle ne pouvait donc pas conserver la voiture de service, qu'elle avait été informée le 10 septembre 2010 des conditions de retour des véhicules de la société, qu'il lui a été indiqué dans la lettre de licenciement qu'elle devait restituer son véhicule de service, qu'elle a refusé, ce qui a contraint la société à déposer plainte à son encontre.
Il résulte toutefois du courrier adressé le 10 septembre 2010 par la directrice des ressources humaines de la société que la salariée a bénéficié d'un véhicule de fonction en même temps qu'elle était promue au poste de chef de projets opérationnels, statut cadre, ledit courrier précisant que ce véhicule serait valorisé en tant qu'avantage en nature soumis aux cotisations sociales et intégré au revenu imposable. Il ne ressort pas des éléments versés aux débats que cet avantage en nature a été remis en cause lors de la nomination de la salariée comme city manager.
En réponse à la mise en demeure de restituer ce véhicule, en date du 12 décembre 2014, l'avocat de Mme [T] a rappelé à la société Avis qu'il s'agissait non d'un véhicule de service mais d'un véhicule de fonction, attribué par avenant du 10 septembre 2010.
Par courrier du 6 janvier 2015, la société Avis a maintenu sa position, se bornant à souligner qu'aucun des city managers ne bénéficiait d'un véhicule de fonction, et elle a déposé plainte à l'encontre de la salariée. Le 16 janvier 2015, les services de police se sont présentés au domicile de la salariée afin de prendre possession du véhicule, ainsi qu'en atteste M. [L] [A], son voisin. Ce dernier témoigne de l'état de choc dans lequel il a trouvé Mme [T] après le passage de la police.
Il résulte d'un procès-verbal d'audition du 20 janvier 2015 que Mme [T] a été entendue à cette date par les services de police, lesquels, sur instructions du parquet de Bobigny, lui ont restitué le véhicule jusqu'à la fin de son préavis, prévue le 28 février 2015.
Il se déduit de ces éléments l'existence d'un préjudice distinct de celui déjà réparé par l'allocation de dommages-intérêts au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse, qui sera indemnisé à hauteur de 2 500 euros, par infirmation du jugement entrepris.
Sur les dépens de l'instance et les frais irrépétibles
La société Avis supportera les dépens en application des dispositions de l'article'696 du code de procédure civile.
Elle sera en outre condamnée à payer à Mme [T] une indemnité sur le fondement de l'article'700 du code de procédure civile, que l'équité et la situation économique respective des parties conduisent à arbitrer à la somme de 3 000 euros.
PAR CES MOTIFS
La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
CONFIRME le jugement rendu le 23 juillet 2019 par le conseil de prud'hommes de Nanterre sauf en ce qu'il a dit que le licenciement de Mme [S] [T] reposait sur une cause réelle et sérieuse et en ce qu'il a débouté Mme [S] [T] de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ainsi que de sa demande de dommages-intérêts pour conditions vexatoires de la rupture ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
DIT le licenciement notifié à Mme [S] [T] dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
CONDAMNE la société Avis Location de Voitures à verser à Mme [S] [T] les sommes suivantes, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt :
- 65 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 2 500 euros à titre de dommages-intérêts en raison des conditions vexatoires de la rupture ;
ORDONNE le remboursement par la société Avis Location de Voitures à Pôle emploi des indemnités de chômage payées à la suite du licenciement de Mme [S] [T] dans la limite de trois mois et dit qu'une copie certifiée conforme du présent arrêt sera adressée par le greffe par lettre simple à la direction générale de Pôle emploi conformément aux dispositions de l'article R. 1235-2 du code du travail;
CONDAMNE la société Avis Location de Voitures à verser à Mme [S] [T] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
DÉBOUTE la société Avis Location de Voitures de sa demande de ce chef ;
CONDAMNE la société Avis Location de Voitures aux dépens.
Arrêt prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour,les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code procédure civile et signé par Madame Isabelle VENDRYES, Président, et par Madame BOUCHET-BERT Elodie,Greffière,auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,