COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
19e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 22 JUIN 2022
N° RG 19/03831 - N° Portalis DBV3-V-B7D-TQO3
AFFAIRE :
[Z] [H]
C/
SA SOGEFI FILTRATION
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 23 Septembre 2019 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de VERSAILLES
N° Chambre :
N° Section : Encadrement
N° RG : 17/00723
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
la AARPI METIN & ASSOCIES
la SELAS FACTORHY AVOCATS
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT DEUX JUIN DEUX MILLE VINGT DEUX,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Madame [Z] [H]
née le 13 Novembre 1961 à LIMBIATE (ITALIE)
de nationalité italienne
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentant : Me David METIN de l'AARPI METIN & ASSOCIES, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 159
APPELANTE
****************
SA SOGEFI FILTRATION
N° SIRET : 642 020 390
7 avenue du 8 mai 1945
[Localité 2]
Représentant : Me Grégory CHASTAGNOL de la SELAS FACTORHY AVOCATS, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0107 substitué à l'audience par Me Clément TZWANGUE, avocat au barreau de PARIS
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 20 Avril 2022 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Stéphane BOUCHARD, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Isabelle MONTAGNE, Président,
Monsieur Stéphane BOUCHARD, Conseiller,
Monsieur Laurent BABY, Conseiller,
Greffier lors des débats : Madame Anne-Sophie CALLEDE,
Mme [Z] [H] a été embauchée, à compter du 4 février 2002, selon contrat de travail à durée indéterminée en qualité de secrétaire de direction par la société Sogefi Filtration.
À compter du 1er juin 2003, Mme [H] s'est vue attribuer le statut de cadre.
À compter du 1er octobre 2005, Mme [H] a été nommée dans l'emploi de 'coordinateur buy'.
À compter du 9 mai 2016, Mme [H] a été nommée dans l'emploi d'assistante commerciale au sein du service de l'administration des ventes, d'abord à mi-temps puis à compter du 16 juin suivant à temps plein.
Par lettre du 21 avril 2017, la société Sogefi Filtration a convoqué Mme [H] à un entretien préalable à un éventuel licenciement.
Par lettre du 5 mai 2017, la société Sogefi Filtration a notifié à Mme [H] son licenciement pour insuffisance professionnelle.
Au moment de la rupture du contrat de travail, la société Sogefi Filtration employait habituellement au moins onze salariés et la rémunération moyenne mensuelle de Mme [H] s'élevait à 4 167,52 euros brut.
Le 7 septembre 2017, Mme [H] a saisi le conseil de prud'hommes de Versailles pour contester le bien-fondé de son licenciement et demander la condamnation de la société Sogefi Filtration à lui payer une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Par jugement du 23 septembre 2019, le conseil de prud'hommes (section encadrement) a :
- dit que le licenciement de Mme [H] est fondé sur une cause réelle et sérieuse ;
- débouté Mme [H] de l'ensemble de ses demandes ;
- débouté la société Sogefi Filtration de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- laissé les dépens à la charge respective des parties.
Le 21 octobre 2019, Mme [H] a interjeté appel de ce jugement.
Aux termes de ses conclusions du 24 septembre 2021, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé des moyens, Mme [H] demande à la cour d'infirmer le jugement attaqué en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de :
- dire son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
- condamner la société Sogefi Filtration à lui payer les sommes suivantes, outre les entiers dépens :
* 75 000 euros net à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
* 4 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Aux termes de ses conclusions du 6 octobre 2021, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé des moyens, la société Sogefi Filtration demande à la cour de :
- à titre principal, confirmer le jugement attaqué sur le licenciement et débouter Mme [H] de l'ensemble de ses demandes ;
- à titre subsidiaire, limiter le montant de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à trois mois de salaire, soit 12 502,56 euros brut et dire que cette indemnité est une somme brute avant CSG-CRDS et charges sociales ;
- en tout état de cause, débouter Mme [H] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et condamner cette dernière à lui payer une somme de 3 500 euros à ce titre ainsi qu'aux entiers dépens.
Une ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 20 octobre 2021.
SUR CE :
Sur le bien-fondé du licenciement et ses conséquences :
Considérant que la lettre de licenciement pour insuffisance professionnelle reproche en substance à Mme [H] les faits suivants :
- une incapacité à travailler de manière autonome et à être opérationnelle dans ses fonctions après onze mois d'ancienneté, notamment sur le progiciel SAP, malgré les formations reçues, ce qui désorganise le service ;
- de fortes difficultés d'intégration dans son service pour avoir coupé toute communication avec les membres de l'équipe ;
- une remise en cause de l'autorité et un défaut de respect de son supérieur hiérarchique (M.[K] [U]) ;
Considérant que Mme [H] soutient que les faits reprochés ne sont pas établis ou ne lui sont pas imputables, eu égard notamment à son manque de formation et d'accompagnement dans ses nouvelles fonctions occupées depuis mai 2016 et à l'absence de toute observation préalable avant l'engagement de la procédure de licenciement ; qu'elle ajoute que son licenciement est en réalité fondé sur une consultation du médecin du travail intervenue le 27 mars 2017 ; qu'elle en déduit que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse et qu'il convient de lui allouer une somme de 75 000 euros net à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Considérant que la société Sogefi Filtration soutient que l'insuffisance professionnelle reprochée à Mme [H] est établie et qu'il convient de la débouter de ses demandes ;
Considérant qu'en application de l'article L. 1232-1 du code du travail un licenciement doit être justifié par une cause réelle et sérieuse ; que, si la charge de la preuve du caractère réel et sérieux du licenciement n'appartient spécialement à aucune des parties, le juge formant sa conviction au vu des éléments fournis par les parties et au besoin après toute mesure d'instruction qu'il juge utile, il appartient néanmoins à l'employeur de fournir au juge des éléments lui permettant de constater la réalité et le sérieux du motif invoqué ; que l'insuffisance professionnelle qui se manifeste par la difficulté du salarié à exercer correctement sa prestation de travail, quelle que soit sa bonne volonté, constitue un motif de licenciement dès lors qu'elle repose sur des éléments objectifs matériellement vérifiables au regard des responsabilités du salarié ;
Qu'en l'espèce, s'agissant du premier grief, la société Sogefi Filtration se borne à verser aux débats l'évaluation professionnelle de Mme [H] réalisée le 15 février 2017 critiquant unilatéralement la qualité de son travail ainsi que quelques courriels de collègues et de son supérieur également critiques, rédigés pour les besoins de la cause à la fin du mois de mars 2017 avant l'engagement de la procédure de licenciement à la seule attention de l'avocat de la société Sogefi Filtration, ces différents éléments n'étant corroborés par aucun élément objectif ; qu'elle interprète également de mauvaise foi le commentaire ajouté par la salariée dans son évaluation selon lequel son poste devient 'peu intéressant', ces mots venant seulement conclure la réfutation des critiques formulées à son encontre par son supérieur et exprimer son dépit ;
Que par ailleurs, s'agissant de la formation donnée à Mme [H] pour son nouvel emploi et particulièrement pour l'utilisation du progiciel SAP, la société Sogefi Filtration fait état de deux formations en juin 2016 dont le contenu n'est toutefois pas détaillé ainsi que d'autres formations suivies en octobre 2016 qui sont recensées dans un courriel rédigé en anglais et qui ne peut donc être utilisé dans les débats ; que par ailleurs, une collègue de Mme [H] dans un courriel adressé à l'employeur précise bien que l'ensemble des procédures à mettre en oeuvre pour l'utilisation du logiciel et le fonctionnement du service ne sont pas décrites dans la documentation mise à disposition de l'appelante ; que ces éléments ne permettent pas à la cour de constater que l'obligation de formation incombant à l'employeur a été remplie ;
Que Mme [H] fait de plus justement valoir qu'elle n'a occupé qu'à compter du mai 2016 l'emploi d'assistante commerciale en cause, qui constituait un changement de fonctions, que sa collègue qui devait l'aider dans sa prise de poste a été absente jusqu'en septembre 2016 et a ensuite été placée en mi-temps thérapeutique, ce qui a gêné son entrée en fonction ; qu'elle fait également valoir à juste titre qu'à aucun moment son employeur ne lui a fait de reproches ou d'observations sur la qualité de son travail avant l'engagement de la procédure de licenciement ;
Qu'enfin, aucune désorganisation du service n'est objectivement démontrée ;
Que dans ces conditions la réalité du premier grief n'est pas établie ;
Que s'agissant du deuxième grief, la société Sogefi Filtration se borne à se référer aux critiques formulées par le supérieur de Mme [H] dans l'entretien d'évaluation annuel mentionné ci-dessus, qui ne sont corroborées par aucun élément objectif ;
Que s'agissant du troisième grief, la société Sogefi Filtration ne verse aucune pièce, étant observé de surcroît qu'est reproché à ce titre un comportement volontaire de Mme [H] qui ne relève donc pas d'une qualification d'insuffisance professionnelle mais d'une faute disciplinaire ;
Qu'il résulte de ce qui précède que l'insuffisance professionnelle reprochée à Mme [H] n'est pas établie et que son licenciement est donc dépourvu de cause réelle et sérieuse contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges ; que le jugement attaqué sera donc infirmé sur ce point ;
Qu'en conséquence, Mme [H] est fondée à réclamer une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse dont le montant ne peut être inférieur aux salaires des six derniers mois en application des dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail dans sa version applicable au litige ; qu'eu égard à son âge (née en 1961), à son ancienneté (15 années), à sa rémunération, à sa situation postérieure au licenciement (chômage jusqu'en juin 2019, sans justificatifs de recherche d'emploi), il y a lieu d'allouer une somme de 50 000 euros à ce titre, net de CSG-CRDS et de charges sociales dans les conditions prévues par le code de la sécurité sociale ; que le jugement attaqué sera donc infirmé sur ce point ;
Sur l'application de l'article L. 1235-4 du code du travail :
Considérant qu'en application de l'article L. 1235-4 du code du travail, il y a lieu d'ordonner d'office le remboursement par la société Sogefi Filtration aux organismes concernés, des indemnités de chômage qu'ils ont versées le cas échéant à Mme [H] du jour de son licenciement au jour de l'arrêt et ce dans la limite de six mois d'indemnités ;
Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens :
Considérant qu'eu égard à la solution du litige, il y a lieu d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il statue sur ces deux points ; que la société Sogefi Filtration, partie succombante, sera condamnée à payer à Mme [H] une somme de 4 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure suivie en première instance et en appel ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel ;
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
Infirme le jugement entrepris,
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,
Dit que le licenciement de Mme [Z] [H] est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
Condamne la société Sogefi Filtration à payer à Mme [Z] [H] les sommes suivantes :
- 50 000 euros net de CSG-CRDS et de charges sociales dans les conditions prévues par les dispositions du code de la sécurité sociale,
- 4 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure suivie en première instance et en appel,
Ordonne le remboursement par la société Sogefi Filtration, aux organismes concernés, des indemnités de chômage qu'ils ont versées le cas échéant à Mme [Z] [H] du jour de son licenciement au jour du présent arrêt et ce dans la limite de six mois d'indemnités,
Déboute les parties du surplus de leurs demandes,
Condamne la société Sogefi Filtration aux dépens de première instance et d'appel,
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Isabelle MONTAGNE, Président, et par Madame Anne-Sophie CALLEDE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier,Le président,