COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
17e chambre
ARRÊT N°
CONTRADICTOIRE
DU 22 JUIN 2022
N° RG 19/04168
N° Portalis DBV3-V-B7D-TSL2
AFFAIRE :
[D] [E]
C/
SAS CARGLASS SAS
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 9 octobre 2019 par le Conseil de Prud'hommes Formation paritaire de NANTERRE
Section : E
N° RG : F17/03657
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Laurence CIER
Me Blandine DAVID
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT DEUX JUIN DEUX MILLE VINGT DEUX,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Monsieur [D] [E]
né le 18 juin 1967 à [Localité 5]
de nationalité française
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentant : Me Laurence CIER, Plaidant/ Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E1613, substitué à l'audience par Me Mandy COUZINIE, avocat au barreau de Paris
APPELANT
****************
SAS CARGLASS SAS
N° SIRET : 452 050 556
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentant : Me Rodolphe OLIVIER de la SELAFA CMS FRANCIS LEFEBVRE AVOCATS, Plaidant, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : 1701 et Me Blandine DAVID de la SELARL KÆM'S AVOCATS, Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R110
INTIMÉE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 14 avril 2022 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Clotilde MAUGENDRE, Présidente,
Monsieur Laurent BABY, Conseiller,
Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller,
Greffier lors des débats : Madame Dorothée MARCINEK
Par jugement du 9 octobre 2019, le conseil de prud'hommes de Nanterre (section encadrement) a :
- dit que la société Carglass a respecté les clauses contractuelles de la clause de non-concurrence de M. [D] [E],
- débouté M. [E] de toutes ses demandes,
- condamné M. [E] à verser à la société Carglass la somme de 100 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné M. [E] aux dépens.
Par déclaration adressée au greffe le 20 novembre 2019, M. [E] a interjeté appel de ce jugement.
Une ordonnance de clôture a été prononcée le 8 mars 2022.
Par dernières conclusions remises au greffe le 7 février 2022, M. [E] demande à la cour de :
- infirmer la décision de première instance, rendue par le conseil de prud'hommes de Nanterre le 9 octobre 2019,
et ainsi,
- dire qu'il est bien fondé en ses demandes et prétentions,
par conséquent,
statuant de nouveau,
- condamner la société Carglass à lui payer la somme de 79 700,49 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de non-concurrence, avec intérêts légaux à compter de l'introduction de la demande,
- condamner la société Carglass à lui payer les congés payés y afférents à hauteur de
7 970,04 euros bruts, avec intérêts légaux à compter de l'introduction de la demande,
- ordonner la capitalisation des intérêts,
- condamner la société Carglass au paiement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Carglass aux entiers dépens,
- ordonner la remise du bulletin de salaires conformes sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir,
- débouter la société de ses demandes.
Par dernières conclusions remises au greffe le 7 février 2022, la société Carglass demande à la cour de :
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris,
- débouter M. [E] de l'intégralité de ses demandes, fins, écrits et conclusions en tant qu'ils ne sont pas fondés,
y ajoutant,
- condamner M. [E] au paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner M. [E] aux entiers dépens de l'instance,
subsidiairement, dans l'hypothèse où par impossible elle viendrait à estimer qu'elle n'a pas levé la clause de non-concurrence dans le délai requis,
- dire qu'en application du contrat de travail de M. [E], l'indemnité de non-concurrence est calculée en référence à la rémunération mensuelle brute de base, hors parties variables,
- dire que la rémunération mensuelle brute de base de M. [E] s'élevait au dernier état Ã
12 510,52 euros bruts,
- limiter en conséquence à la somme de 12 510,52 euros x 40% x 12 mois = 60 050,49 euros bruts le quantum de l'indemnité de non-concurrence sollicité, et à celle de 6 005,04 euros bruts le quantum des congés payés y afférents,
- débouter M. [E] du surplus de ses demandes.
LA COUR,
La société Carglass a pour activité principale l'entretien et la réparation de véhicules légers.
M. [D] [E] a été engagé par la société Carglass, en qualité de directeur de contrôle de gestion, par contrat de travail à durée indéterminée, à compter du 17 mars 2008.
Les relations contractuelles étaient régies par la convention collective des services de l'automobile.
Par avenant au contrat, M. [E] a été nommé directeur financier adjoint le 1er avril 2010.
Par nouvel avenant à effet du 1er mars 2011, M. [E] a nommé directeur financier et système d'information.
L'effectif de la société était de plus de 10 salariés.
Le 11 avril 2017, les parties ont signé un protocole de rupture conventionnelle.
Aux termes de la rupture conventionnelle et de son protocole, elles ont défini les modalités de la manière suivante :
- le montant de l'indemnité conventionnelle spécifique de rupture : 42 220 euros,
- la date envisagée et indicative de la rupture : 23 mai 2017.
En outre, le protocole d'accord prévoit en son article 4 que :
« A compter du lendemain de la signature de la présente convention par les deux parties, chacune d'entre elle disposera d'un délai de 15 jours calendaires pour exercer son droit de rétractation soit jusqu'au 26 avril 2017 inclus.
Ce droit pourra s'exercer sous forme d'une lettre adressée par tout moyen attestant de sa date de réception par l'autre partie ».
Aucune levée de la clause de non-concurrence n'a été prévue aux termes de ce protocole.
Le 27 avril 2017, la société Carglass a adressé à la Direccte une demande d'homologation de la rupture conventionnelle du contrat de M. [E] avec mention de l'intention de rompre le contrat le 23 mai 2017, le délai de rétractation devant prendre fin le 26 mai 2017.
La société Carglass a adressé le 23 mai 2017 à M. [E] les éléments constitutifs de son solde de tout compte, le certificat de travail fixant le dernier jour travaillé à la date du 23 mai 2017.
Par lettre du 30 mai 2017, la société Carglass a informé M. [E] de la levée de son obligation de non-concurrence et qu'il ne percevrait pas d'indemnité compensatoire.
Le 8 décembre 2017, M. [E] a saisi le conseil de prud'hommes de Nanterre aux fins d'obtenir une indemnité compensatrice de non-concurrence.
Sur l'indemnité compensatrice de non- concurrence :
M. [E] fait valoir que la société Carglass était contractuellement et légalement hors délai lorsqu'elle a levé la clause de non-concurrence et qu'elle en est « tellement consciente » qu'elle forme une demande subsidiaire de condamnation.
M. [E] précise que la levée de la clause de non-concurrence devait intervenir dans les 15 jours de son départ effectif, soit le 15 mai 2017 au plus tard, ce qui n'a pas été le cas, ayant effectué son dernier jour de travail, en accord avec son l'employeur, le 28 avril 2017, conformément aux dispositions conventionnelles.
Il ajoute qu'en application de la jurisprudence actuelle, l'employeur devait au plus tard lever la clause le 23 mai 2017, date de la rupture.
En réplique, la société Carglass expose que les parties ont fixé la date de rupture définitive des relations contractuelles au 23 mai 2017 et qu'elles ont convenu que M. [E] serait dispensé de toute activité à compter du 1er mai 2017 jusqu'à la fin du contrat fixé au 23 mai 2017.
Elle indique que la levée de la clause de non-concurrence ne pouvait pas intervenir tant que le contrat n'était pas rompu, soit le 23 mai 2017 et qu'en levant l'obligation de non-concurrence aux termes de sa lettre du 30 mai 2017, soit 7 jours seulement après la rupture définitive des relations contractuelles, elle s'est totalement conformée à ses obligations, ayant agi dans le délai de 15 jours « suivant la date de départ effectif en cas d'inobservation du préavis ou d'exécution partielle de ce dernier, suite à la notification de la rupture », et ce à compter du 19 mai 2017, date d'homologation implicite de la convention.
. Sur la date de levée de la clause de non-concurrence
Le salarié ne peut être laissé dans l'incertitude quant à l'étendue de sa liberté de travailler. Il en résulte qu'en matière de rupture conventionnelle, l'employeur, s'il entend renoncer à l'exécution de la clause de non-concurrence, doit le faire au plus tard à la date de rupture fixée par la convention, nonobstant toutes stipulations ou dispositions contraires.
Dans le dernier avenant au contrat à effet du 1er mars 2011, la clause de non-concurrence est rédigée notamment comme suit :
« Il est entendu que la Société se réserve la possibilité de renoncer unilatéralement à cette interdiction de non-concurrence, à la condition toutefois d'en informer Monsieur [D] [E] par courrier remis en main propre contre décharge ou par lettre recommandée avec accusé de réception au plus tard :
- au dernier jour du préavis entièrement exécuté ou,
- dans les quinze (15) jours suivant la date de départ effectif en cas d'inobservation du préavis ou d'exécution partielle de ce dernier, suite à la notification de la rupture. ».
La clause de non-concurrence du contrat n'a pas envisagé le cas de figure de la rupture conventionnelle mais seulement celle du licenciement en évoquant l'exécution ou non du préavis.
Lors de la signature du dernier avenant au contrat à effet du 1er mars 2011, la rupture conventionnelle avait été précédemment introduite dans le code du travail en 2008.
Les parties n'ont donc pas convenu de fixer la date de levée de la clause de non-concurrence au jour du départ effectif du salarié en cas de rupture conventionnelle.
Pas davantage, la question de la clause de non-concurrence n'a été abordée dans le protocole de rupture conventionnelle.
Il n'existe donc entre les parties aucune dispositions contractuelle ou conventionnelle fixant la date de la levée de la clause de non-concurrence en cas de rupture conventionnelle.
A la date de départ effectif du salarié, le 2 mai 2017, l'employeur ne pouvait pas procéder à la levée de la clause sans avoir l'assurance de l'homologation par l'autorité administrative de la convention de la rupture conventionnelle, ce dispositif empêchant ainsi toute analogie avec la situation d'un salarié qui n'exécute pas son préavis et qui quitte définitivement l'entreprise en étant certain que la rupture ne sera pas remise en cause.
Il y a donc lieu d'écarter l'interprétation de la clause de non-concurrence du contrat de
M. [E] en ce qu'un délai de 15 jours s'applique « suivant la date de départ effectif en cas d'inobservation du préavis ou d'exécution partielle de ce dernier, suite à la notification de la rupture. ».
La date de levée de la clause de non-concurrence est donc fixée au plus tard du moment de la rupture du contrat.
Le protocole de rupture conventionnelle prévoit que ' la rupture du contrat interviendra à titre indicatif le 23 mai 2017 et en tout état de cause au lendemain du jour de l'homologation administrative de la présente convention (article L.1237-15 du code du travail) si cette dernière est postérieure au 23 mai 2017".
La Direccte saisie par la société Carglass le 27 avril 2017 et ayant réceptionné la lettre le 2 mai 2017, n'a pas répondu de sorte que l'homologation de la convention de rupture conventionnelle est intervenue implicitement le 19 mai 2017 conformément aux dispositions de l'article L.1237-14.
En tout état de cause, la rupture a été fixée par les parties au 23 mai 2017, ce qui est confirmé par le protocole, le bulletin de paye du mois de mai 2017 et les documents de rupture adressées par la société Carglass au salarié.
Dès lors, il appartenait à la société Carglass de procéder à la levée de la clause de non-concurrence à compter du 19 mai 2017 et au plus tard le 23 mai 2017.
L'envoi par lettre du 30 mai 2017 de l'information qu'elle levait la clause de non-concurrence à laquelle le salarié était tenu est donc tardive, puisque postérieure à la rupture du contrat.
Le salarié, dont il n'est pas discuté qu'il a respecté la clause de non-concurrence, est donc bien fondé à se prévaloir du paiement d'une indemnité compensatrice de non-concurrence pour la clause non levée dans les délais impartis.
. Sur le montant de l'indemnité
En application du contrat, en contrepartie de la non-levée de la clause, il est prévu que la société Carglass 'verse mensuellement et pendant 12 mois, à terme échu, à Monsieur [D] [E] pendant toute la période de non-concurrence, une indemnité forfaitaire brute correspondant à 40% de sa rémunération mensuelle brute de base (hors parties variables et indemnité de congés payés incluses) en vigueur à la date dudit départ.'.
M. [E] sollicite le versement d'une indemnité de non-concurrence à hauteur de
79 700,49 euros bruts calculée comme suivant : (16 604,27 € X 40%) X 12 mois.
A titre subsidiaire, la société Carglass sollicite que l'indemnité soit limitée à la somme de
60 050,49 euros bruts calculée comme suivant : 12 510,52 € X 40 %X 12 mois.
Le salarié ne détaille pas le mode de calcul de la base mensuelle et ne se prononce pas sur la demande à titre subsidiaire de l'employeur.
L'employeur indique à juste titre que le la rémunération brute de base s'élève à 12 510,52 euros, comme indiqué sur le bulletin de paye ou les documents de rupture et l'indemnité compensatrice sera donc accordée au salarié sur cette base.
Infirmant le jugement, il convient de condamner la société Carglass à verser à M. [E] la somme de 60 050,49 euros bruts, outre les congés payés afférents, au titre de l'indemnité compensatrice de non-concurrence.
Sur les intérêts :
Les sommes allouées porteront intérêts au taux légal à compter de la date de réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes pour les sommes afférentes à la période antérieure à cette date et à compter de leur échéance pour les sommes afférentes aux périodes postérieures.
Les intérêts échus des capitaux porteront eux- mêmes intérêts au taux légal dès lors qu'ils seront dus pour une année entière à compter de la demande qui en a été faite.
Sur la remise des documents :
M. [E] réclame que soit ordonnée la remise du bulletin de paye conforme sous astreinte mais n'apporte aucune explication dans ses conclusions, la société Carglass sollicitant le rejet de la demande, sans objet.
S'agissant d'une indemnité compensatrice de salaire, sans qu'il soit nécessaire d'assortir cette mesure d'une astreinte, il convient de faire droit à cette demande.
Sur l'article 700 du code de procédure civile :
Il est inéquitable de laisser à la charge de M. [E] les frais par lui exposés en première instance et en cause d'appel non compris dans les dépens à hauteur de 4 000 euros.
PAR CES MOTIFS :
Statuant publiquement et contradictoirement, en dernier ressort et par mise à disposition au greffe,
INFIRME partiellement le jugement,
Statuant à nouveau,
CONDAMNE la SAS Carglass à payer à M. [D] [E] les sommes suivantes :
. 60 050,49 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de non-concurrence,
. 6 005,04 euros bruts à titre de congés payés sur l'indemnité compensatrice de non-concurrence,
avec intérêts au taux légal à compter de la date de réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes pour les sommes afférentes à la période antérieure à cette date et à compter de leur échéance pour les sommes afférentes aux périodes postérieures,
DIT que les intérêts échus des capitaux porteront eux- mêmes intérêts au taux légal dès lors qu'ils seront dus pour une année entière à compter de la demande qui en a été faite,
ORDONNE la remise de bulletins de salaire conformes,
CONFIRME pour le surplus le jugement,
DÉBOUTE les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,
CONDAMNE la SAS Carglass à payer à M. [D] [E] la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en cause d'appel,
DÉBOUTE la SAS Carglass de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Clotilde Maugendre, présidente et par Madame Dorothée Marcinek, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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La Greffière La Présidente