COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
17e chambre
ARRÊT N°
CONTRADICTOIRE
DU 22 JUIN 2022
N° RG 19/04169
N° Portalis DBV3-V-B7D-TSMI
AFFAIRE :
[B] [V]
C/
SAS TOTAL ENERGIES RAFFINAGE FRANCE anciennement dénommée TOTAL RAFFINAGE FRANCE
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 17 octobre 2019 par le Conseil de Prud'hommes Formation paritaire de NANTERRE
Section : E
N° RG : F17/03087
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Alexandra BELLET
Me Philippe ROZEC
Copie numérique adressée à :
Pôle Emploi
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT DEUX JUIN DEUX MILLE VINGT DEUX,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Madame [B] [V]
née le 6 octobre 1977 à [Localité 9]
de nationalité française
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentant : Me Alexandra BELLET de la SELEURL Bellet avocat, Plaidant/ Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D1061
APPELANTE
****************
SAS TOTAL ENERGIES RAFFINAGE FRANCE anciennement dénommée TOTAL RAFFINAGE FRANCE
N° SIRET : 529 221 749
[Adresse 1]
[Adresse 7]
[Localité 4]
Représentant : Me Philippe ROZEC de l'AARPI DE PARDIEU BROCAS MAFFEI, Plaidant/ Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R045
INTIMÉE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 14 avril 2022 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Clotilde MAUGENDRE, Présidente,
Monsieur Laurent BABY, Conseiller,
Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller,
Greffier lors des débats : Madame Dorothée MARCINEK
Par jugement du 17 octobre 2019, le conseil de prud'hommes de Nanterre (section encadrement) a :
- dit que le licenciement de Mme [V] repose sur une cause réelle et sérieuse,
- débouté Mme [V] de l'ensemble de ses demandes,
- débouté la société Total Raffinage Chimie de sa demande reconventionnelle,
- condamné Mme [V] aux éventuels dépens.
Par déclaration adressée au greffe le 20 novembre 2019, Mme [V] a interjeté appel de ce jugement.
Une ordonnance de clôture a été prononcée le 8 février 2022.
Par dernières conclusions remises au greffe le 17 août 2020, Mme [V] demande à la cour de':
- infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Nanterre en ce qu'il a dit que le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse, et en ce qu'il l'a déboutée de toutes ses demandes et condamné cette dernière aux dépens,
et statuant à nouveau,
sur le licenciement,
- dire que la société Total l'a remplacée dans son poste un mois après son départ,
- dire que la société Total n'a pas pris de mesures pour la réintégrer à la suite de son retour de congé sabbatique,
- dire que la société Total n'établit pas que son poste était vacant entre juin et novembre 2016,
- dire qu'entre décembre 2015 et novembre 2016, une seule offre ferme de poste lui a été faite et sur un poste qui n'était pas similaire à son emploi,
- dire que la société Total a violé son obligation de réintégration de la salariée dans son poste,
- dire que la société Total s'est placée sur le terrain disciplinaire et que les faits qui lui sont reprochés sont prescrits,
en conséquence,
- dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- condamner la société Total à lui verser la somme de 67 548,42 euros bruts à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
sur les autres demandes,
- dire que la société Total l'a privée de travail pendant 6 mois,
- dire que du fait de son licenciement injustifié et des manquements de la société Total à ses obligations d'employeur, elle a perdu le bénéficie de ses actions de performance,
- dire que le contrat de travail et le plan d'objectif de la société Total 2014 prévoient une rémunération variable et qu'aucune somme ne lui a été versée à ce titre pour la période travaillée du 1er janvier 2014 au 14 novembre 2014 et pour la période dont elle a été illégalement privée d'activité à partir du 18 mai 2016,
en conséquence,
- condamner la société Total à lui verser les sommes suivantes :
. 16 887,11 euros nets à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,
. 6 300 euros nets à titre de dommages et intérêts pour la perte de chance de bénéficier des actions de performance,
. 3 900,00 euros bruts à titre de rappels de variable 2014,
. 390,00 euros bruts au titre des congés payés y afférents au variable 2014,
. 2 925 euros bruts à titre de rappels de variable 2016,
. 295,50 euros bruts à titre de congés payés afférents au variable 2016,
en tout état de cause,
- fixer la rémunération moyenne mensuelle brute à la somme de 5 629,04 euros,
- assortir toutes les condamnations de l'intérêt légal avec anatocisme à compter de la lettre de contestation du licenciement du 18 janvier 2017,
- condamner la société Total à lui verser la somme de 3 000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les entiers dépens,
- débouter la société Total de ses demandes reconventionnelles.
Par dernières conclusions remises au greffe le 18 mai 2020, la société Total Raffinage Chimie, nouvellement nommée Total Energies Raffinage France, demande à la cour de':
- confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Nanterre le 17 janvier 2019 dans toutes ses dispositions,
et ce faisant,
- dire que le licenciement de Mme [V] est bien fondé,
- dire qu'elle a respecté l'ensemble de ses obligations à l'égard de Mme [V] notamment en lui proposant des emplois similaires à l'issue de son congé sabbatique,
- dire que Mme [V] n'a subi aucune perte de chance du fait de son licenciement,
en conséquence,
- débouter Mme [V] de l'ensemble de ses demandes,
- condamner Mme [V] au paiement de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
LA COUR,
Mme [B] [V] a été engagée par la société Total France en qualité de Responsable Logistique HSE par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1er février 2008 avec reprise d'ancienneté au 5 janvier 2004.
Mme [V] a été affectée à la direction générale Raffinage Marketing/ Chimie Direction Spécialités / Marine Fuels dans l'établissement situé à [Localité 8] [Adresse 7].
Les relations contractuelles étaient régies par la convention collective pétrole.
Mme [V] percevait une rémunération brute mensuelle de 5 629,04 euros (moyenne des 12 derniers mois).
L'effectif de la société était de plus de 10 salariés.
Par lettre du 17 septembre 2014, Mme [V] a sollicité le bénéfice d'un congé de solidarité internationale auprès de l'association Médecins sans Frontières du 15 novembre 2014 au 15 mai 2015.
Le 22 septembre 2014, la société Total Raffinage France a fait part à la salariée de son accord.
Par lettre du 15 janvier 2015, Mme [V] a informé la société de son intention de prendre un congé sabbatique pour une durée de douze mois.
En réponse le 22 janvier 2015, la société a pris acte de la demande de la salariée pour la période comprise entre le 18 mai 2015 et le 17 mai 2016.
Suivant trois avenants successifs des 5 juillet, 16 septembre et 14 octobre 2016, la société Total Raffinage France a fait bénéficier la salariée, entre le 18 mai 2016 et le 15 novembre 2016, d'une absence rémunérée autorisée avec dispense de prestations de travail.
Par lettre du 21 octobre 2016, Mme [V] a été convoquée à un entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement, fixé le 4 novembre 2016.
Mme [V] a été licenciée par lettre du 14 novembre 2016 pour «'refus de trois postes similaires'» dans les termes suivants :
« Durant la période du 17/11/2014 au 17/5/2016, votre contrat de travail était suspendu en raison de votre congé de solidarité internationale puis de votre congé sabbatique.
Avant le terme de votre congé sabbatique, nous avons entrepris les recherches d'emploi afin de vous réaffecter dans un poste similaire à celui que vous occupiez précédemment. Vous nous avez fait connaître votre souhait de vous réorienter dans un poste « sociétal » après votre expérience au sein d'une association à caractère humanitaire. Nous vous avons immédiatement fait savoir qu'aucun poste répondant à cette demande n'était disponible.
Depuis le mois d'avril 2016, soit plus d'un mois avant votre retour de congé, vous avez ainsi bénéficié d'une série d'entretiens en vue de votre retour en poste. A l'issue de ces entretiens, nous vous avons proposé les 3 postes suivants :
' Le poste de responsable de service PCA au sein du dépôt de [Localité 5], que vous avez décliné pour des motifs d'ordre personnel le 16/04/2016 ;
' Un poste d'analyse Cost Saving Plan aux Achats, localisé au Siège à [Adresse 7]. Vous avez refusé ce poste en juin 2016 indiquant que celui-ci ne répondait pas à vos aspirations ;
' Un poste d'Ingénieur Études Logistiques et Valorisations Projets au [Localité 6] au mois d'août 2016. Vous avez une nouvelle fois refusé ce poste qui ne correspondait pas à vos souhaits de réorientation professionnelle.
Prenant en compte vos refus et afin d'augmenter les possibilités d'affectation, vous avez bénéficié d'un commun accord, durant cette période de conditions personnalisées et dérogatoires de dispense d'activités et maintien de votre rémunération.
Force est de constater que nous avons tout mis en 'uvre pour vous proposer, à trois reprises, des postes similaires à celui que vous occupiez avant votre départ en congé de solidarité internationale, puis en congé sabbatique. »
Mme [V] a été dispensée d'effectuer son préavis qui lui a été payé aux échéances habituelles, le dernier jour travaillé étant le 20 février 2017.
Le 10 octobre 2017, Mme [V] a saisi le conseil de prud'hommes de Nanterre afin notamment de contester le caractère réel et sérieux de son licenciement et obtenir le paiement de diverses sommes de nature salariale et indemnitaire.
Sur la rupture :
La salariée fait valoir que l'employeur, qui emploie plus de 100 000 collaborateurs, ne lui a proposé aucun poste similaire à celui qu'elle occupait auparavant à la fin de son congé sabbatique et a violé son obligation de réintégration faute d'avoir effectué une recherche sérieuse de poste après lui avoir présenté une seule proposition de poste en six mois qui n'avait rien à voir avec son expérience.
La salariée explique que ses trois prétendus refus de poste n'ont jamais été établis par l'employeur et que c'est bien l'absence de propositions de postes similaires qui a empêché sa réintégration et non un caprice de sa part ou encore ' des convenances personnelles ', le motif du licenciement n'étant pas son refus mais que l'employeur a considéré qu'elle ne reviendrait pas alors qu'elle souhaitait réintégrer le groupe.
La salariée ajoute que les faits invoqués à l'appui du licenciement sont prescrits, les premiers juges n'ayant pas répondu sur ce point.
En réplique, l'employeur indique être allé bien au-delà de ses obligations légales en mettant en 'uvre d'importants moyens permettant la poursuite des relations contractuelles, en recevant la salariée à plusieurs reprises, en lui faisant bénéficier d'une dispense d'activité rémunérée pendant plus six mois et en lui proposant trois postes parfaitement conformes à son niveau d'expérience et à ses compétences.
Il soutient que la salariée a sciemment refusé, de manière injustifiée, tous les postes qui lui étaient proposés dans l'unique but de profiter des périodes de dispenses d'activité rémunérées pour chercher un emploi dans l'humanitaire et tenter d'obtenir de substantielles indemnités dans le cadre d'une rupture conventionnelle.
En application de l'article L. 1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance ; que toutefois ce texte ne s'oppose pas à la prise en considération d'un fait antérieur à deux mois dans la mesure où le comportement fautif du salarié s'est poursuivi dans ce délai.
Aux termes de l'article L.3142-31, à l'issue du congé, le salarié retrouve son précédent emploi ou un emploi similaire assorti d'une rémunération au moins équivalente et bénéficie de l'entretien professionnel mentionné au I de l'article L.6315-1.
Par emploi similaire, il faut comprendre un emploi équivalent comportant le même niveau de rémunération, la même qualification, et les mêmes perspectives de carrière que l'emploi initial.
En cas de litige, c'est à l'employeur de faire la démonstration du caractère similaire du poste.
Le congé sabbatique de la salariée s'achevait le 17 mai 2016 et cette dernière a tenu informé l'employeur de son retour à son poste de travail dès le 2 décembre 2015, sollicitant à plusieurs reprises pour préparer ce retour, une rencontre avec la gestionnaire de carrière, Mme [Z], qui s'est tenue le 12 janvier 2016.
Il n'est pas contesté que le précédent emploi occupé par la salariée n'était plus disponible.
L'employeur ne communique aucune pièce relative à la réintégration de la salariée, qui produit les courriels échangés entre les parties à ce sujet.
Il en ressort que :
- par courriel du 7 avril 2016, la société Total Raffinage France a proposé à Mme [V] le poste de responsable de service Programme-Contrôle-Administration (PCA) situé à [Localité 5], poste refusé par courriel du 16 avril 2016, Mme [V] expliquant que le poste ' ne correspond pas tout à fait ' à ce qu'elle a fait précédemment, notant son absence d'expérience en raffinerie, sa méconnaissance totale du système de paye et ajoutant, point essentiel, qu'elle n'était pas en mesure d'avoir une astreinte toutes les cinq semaines nécessitant pour elle quatre heures de transports dans la journée,
- par mail du 18 mai 2016, Mme [Z] a indiqué à Mme [V] qu'une recherche de nouvelle affectation était menée et qu'une dispense de travail était envisagée le temps d'organiser les entretiens,
- par courriel du 19 mai 2016, Mme [V] a indiqué à Mme [Z] que dans le cadre d'une réorganisation prévue en septembre 2016, elle s'interrogeait sur la pertinence de la création d'un poste au sein 'du TGS d'un service / département Peuple ans Societal Responsability regroupant entre autres les activités ONG, Droits de l'homme, Corporate Social Responsability', aucune réponse n'a été apportée à la salariée à ce sujet,
- par courriel du 24 mai 2016, Mme [V] a fait part à Mme [Z] de la situation instable dans laquelle elle se retrouvait, a demandé le mode opératoire lui permettant d'avoir accès aux applications internes et a précisé qu'elle avait différents rendez-vous dans le cadre de sa recherche de poste,
- par échanges de mail du 27 mai au 13 juillet 2016, la salariée a fait part de la 'situation stressante' voire 'éprouvante' qu'elle vivait, des diligences entreprises depuis décembre 2015 en ce compris les différents entretiens menés depuis le mois de mai avec des responsables de services, sans résultat, de l'absence de remise de toute application interne en ce compris celles relatives à la mobilité et à la carrière, la société Total Raffinage France lui répondant qu'elle examinait les possibilités d'affectation, notamment un poste dans les fonctions sociétales/humaines, comme Mme [V] le demandait,
- par mail du 18 juillet 2016, Mme [Z] répondait à la demande d'entretien de la salariée et lui rappelait qu'elle avait refusé le poste situé à [Localité 5], compatible avec sa qualification et prenant acte que la salariée acceptait des propositions situées en France et à l'étranger.
- Mme [V] et Mme [Z] se sont rencontrées le 19 juillet 2016,
- par mails des 11 et 14 septembre 2016, Mme [V] a fait de nouveau part à Mme [Z] de la 'situation pesante, presque humiliante' et a envisagé à titre temporaire 'une solution' en proposant de remplacer une salariée souffrante sur une fonction qu'elle connaissait dans son ancien service,
- en réponse le 14 septembre 2016, Mme [Z] a indiqué que le remplacement de la personne en arrêt maladie n'était pas envisagé et a fait part de trois postes proposés à la salariée qu'elle aurait refusés, celui situé à [Localité 5], un poste d'analyste à [Localité 8] et un poste au [Localité 6],
- par mail du 16 septembre 2016, Mme [V] a expliqué qu'elle avait donné la raison de son refus sur le premier poste, qu'elle n'a jamais su quel était le poste ' d'analyste' et qu'elle n'a pas souhaité poursuivre le process de recrutement du poste situé au [Localité 6], s'agissant d'un poste inférieur à sa fonction précédente.
Il se déduit de ce qui précède que la salariée s'est exprimée le 16 septembre 2016 sur les propositions formées par l'employeur de sorte que les faits reprochés ne sont pas prescrits, la procédure de licenciement ayant été engagée dans un délai de moins de deux mois, soit le 21 octobre 2016.
En revanche, l'employeur ne communique aucune proposition concrète de poste à la salariée précisant clairement sa fonction et sa rémunération à venir, les recherches d'emploi ressortant des échanges de mails.
Tous ces échanges démontrent que l'employeur a évoqué à plusieurs reprises l'hypothèse de postes nécessitant ensuite que la salariée rencontre diverses personnes de la société sans aboutir en définitive à une proposition formelle pour deux des trois postes cités dans la lettre de licenciement': 'analyse Cost Saving Plan aux Achats, localisé au Siège à [Adresse 7]' et 'd'Ingénieur Études Logistiques et Valorisations Projets au [Localité 6]' pour lesquels il n'est communiqué aucune information par l'employeur permettant de déterminer s'ils étaient similaires à celui occupé précédemment par la salariée.
Mme [V] produit la description de la fiche du poste situé au [Localité 6] lequel ne correspond pas à son profil et à la dimension du poste occupé précédemment, étant précisé qu'aucun mail de l'employeur n'évoque directement ce poste sauf à indiquer en septembre 2016 que la salariée n'a pas voulu l'occuper.
La salariée indique que le poste situé à [Adresse 7] lui convenait mais que la gestionnaire de carrière a stoppé le recrutement ayant cru que Mme [V] n'était pas intéressée par ce poste, ce qui n'était pas le cas.
Il ressort du compte rendu d'entretien préalable au licenciement que le comportement de l'employeur à ce sujet n'est pas clairement établi et aucun mail n'évoque de manière claire une réelle proposition de ce poste à la salariée, et ce à une date qui est en tout état de cause inconnue.
L'employeur qui a la charge de la preuve, ne peut pas faire reposer toute son argumentation sur une pièce adverse, un mail de la salariée du 23 septembre 2016, qui indique que ' la confusion autour de ce poste ne va pas dans le bon sens', la salariée expliquant qu'elle devait recevoir rapidement une proposition écrite de poste à la suite d'un entretien tenu le 16 septembre 2016, ce qui n'a jamais été le cas.
S'agissant du poste proposé à [Localité 5] en avril 2016, l'employeur n'établit pas qu'il était 'compatible avec la qualification' de la salariée et similaire au précédent poste, aucune pièce n'étant communiquée à l'appui de ces affirmations.
Au surplus, la salariée produit également la description du poste dont il ressort que les missions sont très différentes de son poste avant le congé, pour lequel elle rapportait directement au responsable des Opérations France, comprenant une fonction de pilotage sur toute la France pour traiter 14 millions de M3/ an de volumes transportés en 2014 contre 6 millions pour le poste de [Localité 5], les profils requis étant distincts puisque nécessitant pour le premier poste le recrutement d'un manager confirmé de niveau Bac + 5 ans avec une expérience de management et dans le transport maritime de produit pétrolier, le poste situé à [Localité 5] nécessitant le recrutement d'un ingénieur avec une expérience en raffinerie de 3 à 5 ans.
Ces éléments caractérisent une perte de responsabilité de Mme [V] et une modification du contrat de travail, justifiant son refus.
En tout état de cause, l'employeur ne peut fonder, là encore, son argumentation à propos de la similarité du poste à [Localité 5] exclusivement sur un extrait d'un mail produit par la salariée qui indique le 16 avril 2016 qu'elle ne peut pas accepter ce poste en précisant notamment ' je continue à penser que ce poste ne correspond pas tout à fait à ce que j'ai fait précédemment.'.
En définitive, le refus motivé du seul poste proposé à la salariée, non similaire à celui qu'elle occupait précédemment en ce qu'il ne présentait pas des caractéristiques équivalentes avant son départ en congé, n'est constitutif d'aucune faute, il convient, infirmant le jugement, de dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Mme [V] qui, à la date du licenciement, comptait au moins deux ans d'ancienneté dans une entreprise employant habituellement au moins onze salariés a droit, en application de l'article L. 1235-3 du code du travail, dans sa version applicable à l'espèce, à une indemnité qui ne saurait être inférieure aux salaires bruts perçus au cours des six derniers mois précédant son licenciement.
Au regard de son âge au moment du licenciement, 39 ans, de son ancienneté d'environ 11 ans dans l'entreprise, du montant de la rémunération qui lui était versée, 5 629 euros, de son aptitude à retrouver un emploi eu égard à son expérience professionnelle et de ce qu'elle a retrouvé un emploi au sein de l'association Médecins sans Frontière dès le mois de janvier 2017 en contrat à durée indéterminée, sans justifier de sa rémunération totale sur une année, le bulletin de paye sur les quinze premiers jours d'emploi en janvier 2017 n'étant pas suffisant pour déterminer la rémunération de la salariée, il convient, infirmant le jugement, d'allouer à Mme [V], en réparation du préjudice matériel et moral subi, la somme de 35 000 euros bruts.
En application de l'article L. 1235-4 du code du travail, il convient d'ordonner d'office le remboursement par l'employeur, à l'organisme concerné, du montant des indemnités de chômage éventuellement servies au salarié du jour de son licenciement au jour du prononcé de l'arrêt dans la limite de 6 mois d'indemnités.
Sur l'exécution déloyale du contrat :
La salariée expose qu'elle a été en dispense d'activité pendant six mois et que cela n'a pas constitué une 'faveur' alors qu'elle a été privée d'emploi, étant dans une situation très inconfortable, sans prévisibilité pour son avenir en dépit de ses demandes réitérées auprès de l'employeur.
Elle ajoute avoir adressé plusieurs mails directement à la directrice des ressources humaines pour lui faire part de son malaise, l'employeur n'ayant rien fait pour améliorer sa situation.
L'employeur estime s'être montré particulièrement disponible en acceptant de rencontrer la salariée à plusieurs reprises, attentif à ses souhaits et bienveillant en acceptant la dispense d'activité pendant plus de six mois.
Il affirme qu'il a poursuivi ses recherches pendant plusieurs mois, excédant ses obligations légales, l'attitude de Mme [V] manifestant son désintérêt pour le groupe et sa volonté de profiter le plus longtemps possible de la dispense d'activité rémunérée puis de solliciter une rupture conventionnelle pour se reconvertir dans le secteur de l'humanitaire.
La loi prescrit que le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi.
Il résulte de la chronologie des faits depuis la fin de l'année 2015 que la salariée a tout mis en 'uvre pour prévoir son retour et envisager de manière ferme et certaine sa reprise de poste dès le mois de mai 2016.
Plus précisément, la salariée a été à l'initiative d'une recherche d'un poste pour une réintégration rapide et a fait part à de nombreuses reprises à l'employeur de sa bonne volonté mais également de son désappointement face à cette situation, sollicitant de nombreux rendez-vous avec la gestionnaire de carrière et rencontrant toutes les personnes indiquées pour des projets d'emploi.
Aussi, la salariée a fait montre d'une réelle volonté de retrouver un poste au sein de l'entreprise et a même proposé des solutions qui n'ont pas été suivies d'effet, notamment de remplacer une salariée absente dans le service qu'elle occupait avant son congé.
Par mail du 23 septembre 2016, la salariée indiquait à l'employeur : ' je ne te cache pas que je suis perdue. Cette situation devient particulièrement pénible et fatigante.'.
Pour sa part, l'employeur, dont la recherche apparaît désorganisée et sans suivi effectif par la gestionnaire de carrière, ce qui est justifié par les fréquentes relances de Mme [V], n'a pas fait preuve de mauvaise foi mais plutôt d'un manque de réactivité.
Certes, l'employeur a rémunéré la salariée pendant le temps de la recherche mais il ne lui a fourni aucun travail, y compris lorsqu'elle a proposé un remplacement d'une salariée en arrêt maladie sur un poste que Mme [V] maîtrisait parfaitement.
En outre, l'employeur n'a remis à la salariée aucun outil de travail et ne lui a permis d'avoir accès aux applications professionnelles, notamment celle relative à la mobilité interne.
A terme, les parties sont convenues d'une rupture conventionnelle en septembre 2016, qui n'a pas abouti faute d'accord.
La situation inconfortable vécue par la salariée s'est étalée sur plusieurs mois, sans qu'elle obtienne une prestation de travail adaptée, quand bien même elle a été rémunérée.
Ces faits caractérisent l'exécution déloyale du contrat de travail reprochée à l'employeur et le préjudice de la salariée sera réparé par l'octroi d'une indemnisation à hauteur de 2 000 euros.
Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a débouté la salariée de sa demande de ce chef.
Sur la demande de rappels au titre de la part variable :
La salariée indique qu'elle aurait dû percevoir une part variable pour les années 2014 et 2016, ce que conteste l'employeur.
Lorsque la prime allouée au salarié dépend d'objectifs définis par l'employeur, ceux-ci doivent être communiqués au salarié en début d'exercice, à défaut de quoi, la prime est due dans son intégralité et faute pour l'employeur de préciser au salarié les objectifs à réaliser ainsi que les conditions de calcul vérifiables, et en l'absence de période de référence dans le contrat de travail, la rémunération doit être payée intégralement.
Si la présence dans l'entreprise peut être érigée en condition d'ouverture d'un droit à un élément de la rémunération, son défaut ne peut pas entraîner la perte d'un droit déjà ouvert.
Par avenant du 12 décembre 2013, il a été convenu que Mme [V] percevait à compter du 1er janvier 2014 une part variable fixée chaque année en fonction des 'performances individuelles de la salariée pour l'année précédente et appréciée discrétionnairement par la société, cette part n'étant ni fixe ni récurrente'.
Le 2 avril 2014, la société Total Raffinage France a attribué à Mme [V] une part variable d'un montant de 3 900 euros au titre de l'année 2013, la lettre précisant que la part variable de 2014 tenait compte de l'atteinte par la branche de ses objectifs et de sa performance individuelle.
La répartition de la prime était pour les salariés à hauteur de 70% au titre des performances personnelles et de 30% au titre de la réalisation des critères collectifs.
- pour l'année 2014
La salariée réclame le paiement de la part variable pour la période du 1er janvier au 14 novembre 2014 sur la base de celle versée en 2013, avec une atteinte de 100% de ses objectifs, faute pour l'employeur de fournir des précisions sur l'atteinte des objectifs ou les modalités de calcul de la rémunération.
L'employeur explique que le droit à rémunération afférent à une période donnée est acquis du seul fait que cette période a été intégralement travaillée, ce qui n'a pas été le cas de la salariée, précisant que la société avait toute latitude pour choisir de verser ou de ne pas verser à Mme [V] une telle part variable qui n'était pas contractualisée ni dans son principe ni dans son évaluation.
Il ajoute qu'aucune disposition contractuelle ne prévoit qu'en cas de départ pour quelque motif que ce soit en cours d'année, la salariée percevrait malgré tout, sa rémunération variable proratisée au regard du temps effectivement travaillé.
Au cas présent, si le contrat de travail prévoyait l'attribution de la part variable notamment en fonction de la performance de la salariée, l'employeur n'en a pas fixé les modalités.
En dépit des dispositions contractuelles, l'employeur ne peut ainsi prétendre que la prime était discrétionnaire puisqu'elle dépendait de critères relatifs à la performance de la salariée et aux résultats de la société Total.
La part variable était donc allouée en fonction de l'atteinte d'objectifs personnels et de la société.
Il s'ensuit que Mme [V] peut prétendre à une rémunération variable sur la base de ce qu'elle a obtenu l'année précédente, à défaut d'informations de l'employeur sur la performance de la salariée en 2014.
Par ailleurs, les dispositions contractuelles ne conditionnant pas le paiement de la prime à la présence effective de la salariée à la fin de l'année examinée.
La salariée a été présente jusqu'au 14 novembre 2014, la part variable sera calculée prorata temporis, soit sur 11 mois sur la base de 3 900 euros en contrepartie de son activité acquise au fur et à mesure de l'année.
Compte-tenu de ces éléments, Mme [V] aurait dû percevoir la somme de 3 575 euros au titre de la part variable pour l'année 2014 outre la somme de 357,75 euros au titre des congés payés afférents, infirmant le jugement.
- pour les années 2016 et 2017
La salariée sollicite le versement de la part variable à compter du 18 mai 2016 jusqu'à la fin de sa dispense de préavis, le 20 février 2017, imputant à l'employeur l'absence de fourniture de travail.
L'employeur réplique que la salariée a été privée de travail en raison de ses refus réitérés et injustifiés de reprendre son activité dans le cadre de postes qui lui ont été proposés de sorte qu'elle n'a pas travaillé de manière effective et ce de son fait.
Le paiement de primes contractuelles, conventionnelles ou instaurées unilatéralement par l'employeur est subordonné à l'accomplissement effectif d'un travail ou à la présence du salarié dans l'entreprise à un moment donné.
Il a été précédemment retenu que la salariée a été privée de travail faute de propositions effectives de réintégration dans l'entreprise par l'employeur qui ne lui a pas proposé un emploi similaire.
Pendant tout ce laps de temps, la salariée s'est tenue à la disposition de l'employeur et la rupture est imputable à la société Total Energies Raffinage France.
Mme [V] est donc bien fondée à réclamer un rappel sur la part variable pendant une période de six mois jusqu'à la rupture fixée le 14 novembre 2016.
Mme [V] sollicite également un rappel de salaire sur la part variable pendant toute la durée du préavis.
Aux termes de l'article L. 1234-5 du code du travail, l'inexécution du préavis, notamment en cas de dispense par l'employeur, n'entraîne aucune diminution des salaires et avantages que le salarié aurait perçus s'il avait accompli son travail jusqu'à l'expiration du préavis, indemnité de congés payés comprise.'
Le salaire à prendre en compte englobe tous les éléments de la rémunération auxquels aurait pu prétendre la salariée si elle avait exécuté normalement son préavis à l'exclusion des primes et indemnités représentant des remboursements de frais réellement engagés. Or, les primes litigieuses ne constituent pas un tel remboursement.
Par conséquent, la part variable de sa rémunération doit être prise en compte pour la détermination de l'indemnité compensatrice de préavis qui lui est due, quand bien même la salariée a été dispensée d'exécuter le préavis et avait retrouvé un autre emploi.
Il sera donc accordé à Mme [V], adoptant les mêmes motifs que pour l'attribution de la part variable pour l'année 2014 en son principe, la somme de 2 925 euros, outre les congés payés, au titre de la part variable pour l'année 2016.
Le jugement sera également infirmé à ce titre.
Sur la perte de chance de bénéficier des actions de performance :
La salariée explique qu'elle s'est vue attribuer 230 actions de performance en juillet 2014 qui devaient être définitivement acquises aux termes de 3 ans, soit le 31 juillet 2017, sous réserve des conditions de présence et de performances décrites dans la notice de règlement du plan, sa non- réintégration incombant uniquement à l'employeur.
Elle ajoute qu'elle aurait reçu 149 actions en juillet 2017 si elle n'avait pas été injustement licenciée, la probabilité pour elle d'être encore aux effectifs de l'entreprise entre février et juillet 2017 étant très élevée.
L'employeur rappelle qu'il n'a commis aucune faute à l'encontre de la salariée en la licenciant, ce qui exclut l'existence d'une perte de chance, ses multiples refus aux postes proposés aboutissant à son licenciement.
A titre subsidiaire, l'employeur ajoute que rien ne permet d'affirmer que Mme [V] aurait été salariée de l'entreprise au 31 juillet 2017, notamment en raison de son souhait d'engager une reconversion dans l'humanitaire ni, si elle était restée, qu'elle aurait alors cédé en partie ou en totalité ses actions à cette date.
La réparation d'une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée.
L'employeur en licenciant abusivement Mme [V] lui a fait perdre la qualité de salariée nécessaire à l'attribution d'actions gratuites et elle est donc responsable de ce que la salariée n'a pu bénéficier de cette attribution, elle doit en conséquence réparer le préjudice subi qui s'analyse en une perte de chance.
L'action a clôturé à 42,38 euros fin juillet 2017 et en prenant en compte le fait que la salariée pouvait ne pas bénéficier de ses 149 actions en totalité à cette date, le préjudice subi sera réparé par l'allocation d'une somme de 3 000 euros.
Le jugement sera infirmé de ce chef, la société Total Energies Raffinage France étant condamnée à verser à Mme [V] la somme de 3'000 euros à titre de dommages et intérêts.
Sur les intérêts :
Les créances salariales porteront intérêts au taux légal à compter de la date de la réception par l'employeur de la lettre le convoquant devant le bureau de conciliation et d'orientation et les créances indemnitaires porteront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.
Sur l'article 700 du code de procédure civile :
Il est inéquitable de laisser à la charge de Mme [V] les frais par lui exposés en première instance et en cause d'appel non compris dans les dépens à hauteur de 3 000 euros.
PAR CES MOTIFS,
Statuant publiquement et contradictoirement, en dernier ressort et par mise à disposition au greffe,
INFIRME partiellement le jugement,
Statuant à nouveau,
DIT le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,
CONDAMNE la SAS Total Energies Raffinage France, anciennement dénommée Total Raffinage France, à payer à Mme [B] [V] les sommes suivantes :
. 35 000 euros bruts à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
. 2 000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat,
. 3 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de la perte d'une chance de bénéficier des actions de performance,
ces sommes avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,
. 3 575 euros bruts à titre de rappel sur la part variable 2014,
. 357,75 euros bruts à titre de congés payés sur rappel de part variable,
. 2 925 euros bruts à titre de rappel sur la part variable 2016,
. 295,50 euros bruts à titre de congés payés sur rappel de part variable,
ces sommes avec intérêts au taux légal à compter de la date de la réception par l'employeur de la lettre le convoquant devant le bureau de conciliation et d'orientation,
ORDONNE d'office le remboursement par l'employeur, à l'organisme concerné, du montant des indemnités de chômage éventuellement servies au salarié du jour de son licenciement au jour du prononcé de l'arrêt dans la limite de 6 mois d'indemnités,
CONFIRME pour le surplus le jugement,
DÉBOUTE les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,
CONDAMNE la SAS Total Energies Raffinage France, anciennement dénommée Total Raffinage France, à payer à Mme [B] [V] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
REJETTE la demande de la SAS Total Energies Raffinage France, anciennement dénommée Total Raffinage France, au titre des frais irrépétibles,
CONDAMNE la SAS Total Energies Raffinage France, anciennement dénommée Total Raffinage France, aux dépens.
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Clotilde Maugendre, présidente et par Madame Dorothée Marcinek, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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La Greffière La Présidente