COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
6e chambre
ARRÊT N°
CONTRADICTOIRE
DU 23 JUIN 2022
N° RG 19/04048
N° Portalis DBV3-V-B7D-TRS2
AFFAIRE :
SARL UN TEMPS POUR VOUS
C/
[K] [R] veuve [D]
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 8 octobre 2019 par le Conseil de Prud'hommes de BOULOGNE BILLANCOURT
Section : AD
N° RG : F 18/01065
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Martine DUPUIS
Me Dahbia YAHIAOUI
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT TROIS JUIN DEUX MILLE VINGT DEUX ,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant, fixé au 16 Juin 2022,puis prorogé au 23 juin 2022, les parties ayant été avisées, dans l'affaire entre :
SARL UN TEMPS POUR VOUS
N° SIRET : 450 430 251
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par : Me Jean-Louis DECOCQ de la SELARL XY AVOCATS, Plaidant, avocat au barreau de COMPIEGNE ; et Me Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625.
APPELANTE
****************
Madame [K] [R] veuve [D]
née le 3 juin 1978 à [Localité 6] (Ukraine)
de nationalité ukrainienne
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par : Me Dahbia YAHIAOUI, Plaidant/ Constitué, avocat au barreau de VAL D'OISE, vestiaire : 94
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2020/001635 du 03/06/2020 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de VERSAILLES)
INTIMÉE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 15 avril 2022 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Isabelle VENDRYES, Président,
Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller,
Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseiller,
Greffier lors des débats : Mme Elodie BOUCHET-BERT,
Greffier lors de la mise à disposition: Mme Dorothée MARCINEK
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
La SARL Un Temps Pour Vous a pour activité les prestations de services aux particuliers. Elle emploie plus de dix salariés.
Par contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel du 30 juillet 2016, Mme [K] [R] veuve [D], née le 3 juin 1978, a été engagée par la société Un Temps Pour Vous en qualité d'assistante ménagère, niveau I de la convention collective nationale des entreprises de services à la personne du 20 septembre 2012, sur la base de 104 heures de travail par mois.
Par requête reçue au greffe le 4 septembre 2018, Mme [R] veuve [D] a saisi le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt aux fins de voir prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts exclusifs de la société Un Temps Pour Vous et de la voir condamner au versement de diverses sommes indemnitaires et salariales.
Par jugement rendu le 8 octobre 2019, le conseil de prud'hommes a :
- jugé que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse,
- requalifié la rupture de la relation de travail en licenciement sans cause réelle et sérieuse et, en conséquence,
- condamné la SARL Un Temps Pour Vous à verser à Mme [D] les sommes suivantes :
' 2 044,44 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, deux mois de salaire,
' 204,44 euros bruts à titre de congés payés y afférents,
' 246,36 euros à titre d'indemnité de licenciement,
' 1 022,22 euros à titre de rappel de salaires (du 13-07-2017 au 14-08-2017),
' 102,22 euros à titre de congés payés y afférents,
' 2 044,44 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement abusif,
- condamné la SARL Un Temps Pour Vous à payer 1 000 euros à Maître Yahiaoui, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sur l'aide juridique, sous réserve que Maitre Yahiaoui renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle,
- débouté Mme [D] de ses autres demandes,
- débouté la SARL Un Temps Pour Vous de ses demandes,
- mis les dépens de l'instance à la charge de la SARL Un Temps Pour Vous.
La société Un Temps Pour Vous a interjeté appel de la décision par déclaration du 7 novembre 2019.
Par conclusions adressées par voie électronique le 27 octobre 2020, elle demande à la cour de :
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté la demande du 4 septembre 2018 de résiliation judiciaire du contrat de travail ainsi que de dommages et intérêts pour exécution fautive dudit contrat de Mme [D] en raison notamment de son licenciement antérieur notifié le 14 août 2017,
- réformer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé sans cause réelle et sérieuse le licenciement pour faute grave de Mme [D] et, statuant à nouveau,
- dire et juger la procédure de licenciement de Mme [D] régulière et parfaitement fondée sur une faute grave,
- débouter Mme [D] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
En tout état de cause,
- condamner Mme [D] au versement de la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de la société Un Temps Pour Vous ainsi qu'aux entiers dépens.
Par conclusions adressées par voie électronique le 2 septembre 2020, Mme [R] veuve [D] demande à la cour de :
- déclarer mal fondé l'appel interjeté par la SARL Un Temps Pour Vous à l'encontre du jugement rendu le 8 octobre 2019 par le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt,
par conséquent,
- confirmer le jugement entrepris,
- condamner la SARL Un Temps Pour Vous à payer à Maître Yahiaoui la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sur l'aide juridique, sous réserve que Maître Yahiaoui renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle,
- condamner la société Un Temps Pour Vous aux entiers dépens de l'instance qui seront recouvrés conformément à la loi sur l'aide juridique.
Par ordonnance rendue le 16 mars 2022, le magistrat chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l'instruction et a fixé la date des plaidoiries au 15 avril 2022.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.
MOTIFS
Sur la rupture du contrat de travail
Il convient de rappeler que Mme [R] veuve [D] a saisi le conseil de prud'hommes, par requête reçue au greffe le 4 septembre 2018, d'une demande de résiliation de son contrat de travail aux torts de l'employeur, reprochant à ce dernier un certain nombre de manquements, notamment d'avoir cessé de lui fournir du travail et de lui verser son salaire depuis le 30 juin 2017.
Cependant, les premiers juges ont justement constaté que cette demande de résiliation judiciaire était sans objet dès lors qu'elle est intervenue postérieurement au licenciement pour faute grave de la salariée, notifié par lettre du 2 août 2017.
Seuls seront donc examinés les motifs ayant fondé le licenciement, étant au surplus observé qu'aux termes de ses conclusions d'intimée, Mme [R] veuve [D] ne sollicite plus la résiliation judiciaire de son contrat de travail et demande la confirmation du jugement entrepris, qui a retenu le défaut de cause réelle et sérieuse du licenciement.
La lettre de licenciement du 2 août 2017, qui fixe les limites du litige, est ainsi rédigée :
« Suite à l'entretien préalable au licenciement auquel vous avez été convoquée le 19 juillet 2017 à 14 heures, nous sommes contraints par la présente à devoir vous notifier votre licenciement pour faute grave au poste que vous occupez dans notre entreprise.
Nous vous rappelons que les motifs justifiant une telle décision sont les suivants.
- Vous êtes venue le 10 juillet à l'agence de [Localité 5] apporter vos justificatifs des heures réalisées en juin. Vous avez échangé avec [G] [W], votre Responsable de secteur. Vous vous êtes emportée de manière excessive lorsque celle-ci vous a demandé de remplir le ticket prévu à cet effet pour toutes les interventions pour lesquelles vous n'aviez pas pointé en utilisant le téléphone de vos clients. Vous vous êtes emportée en la menaçant et en lui manquant de respect, alors qu'il s'agit pourtant d'une obligation que vous avez et qui est stipulée dans votre contrat de travail.
- Vous êtes venue nous apporter vos heures le lendemain dans notre agence du 12ème et avez ainsi déclaré avoir travaillé 3 heures (de 10 heures à 13 heures) chez Madame [V] le 13 juin 2017, alors que la cliente était chez elle et est venue en personne nous signaler à l'agence que vous n'aviez réalisé que 2 h 30 ce jour-là. Vous le saviez pourtant parfaitement et l'aviez reconnu, vous nous avez donc mis en difficulté vis-à-vis de cette cliente qui pouvait légitimement ne plus nous faire confiance et cesser de faire appel à nos services.
La date de première présentation de la présente marquera le point de départ de votre préavis que vous n'exécuterez pas, et qui ne vous sera pas payé, eu égard au motif de votre licenciement. Dès lors, nous transmettrons à Pôle emploi Services votre attestation sous format dématérialisé et nous mettrons à votre disposition à l'agence votre certificat de travail, votre bulletin de salaire et le règlement correspondant ainsi que votre solde de tout compte. »
L'article L. 1232-1 du code du travail subordonne la légitimité du licenciement pour motif personnel à l'existence d'une cause réelle et sérieuse.
La faute grave se définit comme la faute qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis.
Il appartient à l'employeur qui entend se prévaloir d'une faute grave du salarié d'en apporter seul la preuve. Si un doute subsiste, il profite au salarié.
La société Un Temps Pour Vous expose qu'à compter du mois de juin 2017, elle a dû faire face à de nombreux manquements de Mme [R] veuve [D] dans l'exécution de ses missions concernant notamment des absences et retards récurrents chez certains clients de l'entreprise. C'est ainsi que suite à un entretien qui s'est tenu le 29 juin 2017, elle lui a notifié le même jour par lettre recommandée avec accusé de réception, signée de Mme [G] [W], responsable de secteur, une mise à pied disciplinaire du 30 juin au 7 juillet 2017. Elle fait valoir que les termes de cette mise à pied disciplinaire démontraient déjà les excès de violence subis par la responsable de secteur de Mme [R] veuve [D] et que le 10 juillet 2017, cette dernière s'est de nouveau emportée violemment contre sa responsable de secteur, qu'elle l'a menacée puis que le 11 juillet 2017, elle a menti sur ses horaires de travail chez une cliente le 13 juin précédent, mettant la société en difficulté vis-à-vis de ladite cliente, ces griefs, que la salariée a toujours été incapable de contester, justifiant le licenciement.
Mme [R] veuve [D] conteste avoir reçu la moindre lettre de licenciement ou convocation à entretien préalable, compte tenu d'une adresse erronée. Elle n'en tire cependant aucune conséquence et ne formule aucune demande au titre d'une éventuelle irrégularité de la procédure, la cour observant en tout état de cause que par courrier du 13 juillet 2017, la salariée a indiqué à son employeur qu'elle ne se présenterait pas à l'entretien préalable prévu le 19 juillet 2017 au motif qu'il s'agissait d'un jour non travaillé, qu'en outre elle a récupéré ses documents de fin de contrat, ce dont il se déduit qu'elle a eu connaissance tant de sa convocation à un entretien préalable que de la rupture de son contrat de travail.
La salariée considère que son licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse et prétend que les griefs qui lui sont reprochés sont montés de toutes pièces, l'employeur ayant cherché à se débarrasser d'elle à moindres frais dès qu'il a su qu'elle était enceinte de son deuxième enfant.
Outre qu'elle conteste les faits ayant donné lieu à sa mise à pied à titre disciplinaire, elle énonce s'agissant de la déclaration mensongère de ses horaires chez Mme [V] le 13 juin 2017, qu'elle a été informée tardivement de cette mission qui n'était pas prévue sur son planning, que Mme [V] n'était pas un de ses clients habituels, qu'elle est en effet arrivée avec une demi-heure de retard car elle ne connaissait pas l'endroit. Elle ne s'explique pas sur le fait qu'elle aurait éventuellement menti sur les horaires effectivement réalisés chez cette cliente.
Au soutien de ce grief, la société Un Temps Pour Vous ne produit aucun élément et ce, alors que la preuve lui en incombe. La lettre de notification de la mise à pied disciplinaire du 29 juin 2017, qui évoque entre autres la journée du 13 juin 2017, se limite à indiquer que Mme [R] veuve [D] est arrivée à 10 heures au domicile de Mme [V], soit avec trente minutes de retard, sans préciser à quelle heure elle en est partie
Le grief n'est pas démontré.
Mme [R] veuve [D] conteste avoir eu à l'égard de Mme [W] l'attitude décrite dans la lettre de licenciement.
Mme [W] témoigne cependant de ce que « Madame [K] [D] s'était présentée le 10 juillet 2019 [sic] à l'agence de [Localité 5] pour y valider ses heures. Elle n'avait pas rempli les documents justifiant de ses passages chez les clients. Lorsque je lui avais demandé de les remplir, elle s'était mise immédiatement très en colère, à la limite de l'hystérie. Elle me disait ne pas avoir à se justifier. Elle était agressive et menaçante. Elle était ensuite repartie en claquant la porte de l'agence. »
Suite à cette altercation, Mme [W] a adressé, le jour même, le message SMS suivant à la salariée : « [K], une fois de plus, votre comportement a été inadmissible. Vous soutenez ne pas devoir vous excuser d'arriver en retard chez vos clients sans prévenir. Je vous rappelle que Mme [J] est passée en agence se plaindre de vos horaires. J'estime ne pas avoir à recevoir de menaces de votre part en retour (...) ».
Le grief est avéré.
Ce seul grief est cependant insuffisant à justifier le licenciement de Mme [R] veuve [D], a fortiori pour faute grave, la cour relevant que les griefs ayant fondé la mise à pied disciplinaire du 29 juin 2017 ne sont par ailleurs pas démontrés.
Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a retenu que le licenciement n'était pas motivé par une cause réelle et sérieuse et en ce qu'il a condamné la société Un Temps Pour Vous à verser à la salariée la somme de 1 022,22 euros à titre de rappel de salaire sur mise à pied (période du 13 juillet 2017 au 14 août 2017), outre congés payés afférents, la somme de 2 044,44 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, correspondant à deux mois de salaire, outre congés payés afférents, la somme de 246,36 euros à titre d'indemnité de licenciement, et la somme de 2 044,44 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur les dépens de l'instance et les frais irrépétibles
La société Un Temps Pour Vous supportera les dépens en application des dispositions de l'article'696 du code de procédure civile.
Elle sera en outre condamnée à verser à Me Yahiaoui la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi n°91-647 du 10 juillet 1991, sous réserve de sa renonciation à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, la condamnation de première instance étant confirmée.
PAR CES MOTIFS,
La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement rendu le 7 février 2020 par le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt ;
Y ajoutant,
CONDAMNE la société Un Temps Pour Vous à verser à Me Yahiaoui la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi n°91-647 du 10 juillet 1991, sous réserve de sa renonciation à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle ;
DÉBOUTE la société Un Temps Pour Vous de sa demande de ce chef ;
CONDAMNE la société Un Temps Pour Vous aux dépens.
Arrêt prononcé publiquement à la date indiquée par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme Isabelle Vendryes, présidente, et par Mme Dorothée Marcinek, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT