COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80C
11e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 30 JUIN 2022
N° RG 19/04628 - N° Portalis DBV3-V-B7D-TUJS
AFFAIRE :
SAS MEUBLES IKEA FRANCE
C/
[M] [U]
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 07 Novembre 2019 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de VERSAILLES
N° Section : C
N° RG : 17/00632
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Leila HAMZAOUI de l'AARPI Studio Avocats
Me Vanessa COULOUMY
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE TRENTE JUIN DEUX MILLE VINGT DEUX,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
SAS MEUBLES IKEA FRANCE
N° SIRET : 351 745 724
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 3]
Représentant : Me Leila HAMZAOUI de l'AARPI Studio Avocats, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R115
APPELANTE
****************
Madame [M] [U]
née le 21 Janvier 1980 à [Localité 5]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentant : Me Vanessa COULOUMY, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E0197
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
L'affaire a été débattue à l'audience publique du 23 Mars 2022, Madame Hélène PRUDHOMME, président, ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :
Madame Hélène PRUDHOMME, Président,
Monsieur Eric LEGRIS, Conseiller,
Madame Marie-Christine PLANTIN, Magistrat honoraire,
qui en ont délibéré,
Greffier lors des débats : Madame Sophie RIVIERE
Le 06 septembre 2002, Mme [M] [U] était embauchée par la société Meubles Ikea France en qualité d'hôtesse de caisse débutante pour le magasin du [Localité 6] en contrat à durée déterminée suivi, le 1er février 2003, par un contrat à durée indéterminée à temps partiel. Mme [U] quittait l'entreprise le 7 septembre 2005.
Le contrat de travail était régi par la convention collective nationale du négoce d'ameublement du 31 mai 1995.
Mme [U] travaillant les dimanches, elle ne s'estimait pas remplie de ses droits, considérant que l'accord d'entreprise privilégié était moins favorable que la convention collective nationale applicable.
Le 25 juillet 2017, Mme [U] saisissait le conseil des prud'hommes de Versailles.
Vu le jugement du 7 novembre 2019 rendu en formation paritaire par le conseil de prud'hommes de Versailles qui a':
- Dit et jugé que l'action introduite par Mme [U] n'est pas prescrite
- Dit et jugé que la prescription applicable aux demandes formulées par Mme [U] et relative aux repos compensateurs est la prescription fondée sur l'exécution du contrat de travail ;
- Dit et jugé que Mme [U] a été employée de façon illégale par la société Meubles Ikea France avant le 3 janvier 2008 ;
- Dit et jugé que la convention collective nationale du négoce d'ameublement datée du 31 mai 1995 est globalement plus favorable que l'accord d'entreprise de la société Meubles Ikea France daté du 30 janvier 1996 et modifié le 28 avril 1999 ;
- Condamné la société Meubles Ikea France à payer à Mme [U] les sommes suivantes :
- 6'349,70 euros au titre du repos de compensation non pris avant 2008 ;
- 634,97 euros au titre des congés payés afférents ;
- 3'020 euros à titre de dommages-intérêts ;
- 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Dit que ces sommes porteront intérêts au taux légal et que les intérêts seront capitalisés, à compter de la date de la saisine du conseil ;
- Débouté la société Meubles Ikea France de sa demande reconventionnelle au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Dit ne pas y avoir lieu à l'exécution provisoire au titre de l'article 515 du code de procédure
civile ;
- Condamné la société Meubles Ikea France aux entiers dépens ;
- Rejeté les demandes plus amples ou contraires des parties.
Vu l'appel interjeté par la société Meubles Ikea France le 13 décembre 2019.
Vu les conclusions de l'appelante, la société Meubles Ikea France, notifiées le 9 février 2022 et soutenues à l'audience par son avocat auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, et par lesquelles il est demandé à la cour d'appel de :
Sur les demandes fondées sur l'illicéité du travail dominical avant le 5 janvier 2008
- À titre principal, sur la prescription
- Infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Versailles du 7 novembre 2019 en ce qu'il a considéré que le point de départ du délai de la prescription de la demande devait être fixé à compter de la décision de la cour d'appel de Versailles du 12 janvier 2017, date à laquelle le salarié a pu avoir connaissance de ses droits
Statuant à nouveau,
- Dire que le point de départ du délai de prescription est l'entrée en vigueur de la loi [V] du 3 janvier 2008 soit le 5 janvier 2008 ;
- Juger prescrites depuis le 19 juin 2013 les prétentions de Mme [U] tendant à l'indemnisation de son préjudice subi au titre de la privation de son repos dominical ;
- Subsidiairement, Juger l'action fondée sur l'indemnisation du préjudice subi au titre de la privation de son repos dominical prescrite depuis le 5 janvier 2016 ;
- Subsidiairement, sur les dommages et intérêts en réparation de l'atteinte à la vie personnelle et familiale du salarié causée par la violation du droit au repos dominical par l'employeur
- Infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Versailles du 7 novembre 2019 ayant alloué à Mme [U] la somme de 3'020 euros au titre des dommages et intérêts pour préjudice subi au titre de la privation du repos dominical en violation de l'interdiction du travail du dimanche ;
Statuant à nouveau,
- Débouter Mme [U] de ses prétentions fondées sur le préjudice subi au titre de la privation du repos dominical en violation de l'interdiction du travail du dimanche ;
Sur les demandes de repos compensateurs
- A titre principal, sur la prescription
- Confirmer le jugement en ce qu'il a dit que « les demandes formulées par le salarié au titre de repos compensateurs, sont des demandes relatives à l'exécution du contrat de travail et que c'est donc la prescription de deux ans qui a vocation à s'appliquer en l'espèce » ;
- Infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Versailles du 7 novembre 2019 en ce qu'il a considéré que le point de départ du délai de la prescription de la demande devait être fixé « à compter de la décision de la cour d'appel de Versailles du 12 janvier 2017 », date à laquelle « le salarié a pu avoir connaissance de ses droits »
Statuant à nouveau,
- Pour les demandes au titre du repos compensateur antérieures au 5 janvier 2008
- Dire que le point de départ du délai de prescription est l'entrée en vigueur de la loi [V] du 3 janvier 2008 soit le 5 janvier 2008 ;
- Juger prescrites depuis le 19 juin 2013 les prétentions de Mme [M] [U] tendant à l'indemnisation au titre de la privation prétendue de son droit à repos compensateur
- Subsidiairement, juger l'action fondée sur l'indemnisation au titre de la privation prétendue de son droit à repos compensateur prescrite depuis le 5 janvier 2016 ;
- Subsidiairement, sur l'indemnisation du salarié au titre des repos compensateurs
- Sur l'indemnisation du salarié au titre des repos compensateurs avant la loi [V] du 5 janvier 2008
- Infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Versailles du 7 novembre 2019 en ce qu'il a considéré que l'article 33 de la convention collective du négoce de l'ameublement était applicable au travail le dimanche au sein de la société Meubles Ikea France ;
- Infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Versailles du 7 novembre 2019 en ce qu'il a, sur les demandes antérieures au 5 janvier 2008, jugé que l'article 221-19 ancien du code du travail était applicable en l'espèce et a interprété l'article 33 de la convention collective nationale au regard de ces dispositions ;
- Infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Versailles du 7 novembre 2019 en ce qu'il a jugé que la convention collective nationale du négoce de l'ameublement du 31 mai 1995 était plus favorable que l'accord d'entreprise de la société Meubles Ikea France du 30 janvier 1996 et modifié le 28 avril 1999 ;
- Infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Versailles du 7 novembre 2019 en ce qu'il jugé que l'article 33 de la convention collective nationale du négoce de l'ameublement du 31 mai 1995 devait s'appliquer, même après l'entrée en vigueur de la loi Châtel du 3 janvier 2008, ouvrant un droit à repos compensateur au bénéfice des salariés travaillant le dimanche après cette date ;
Statuant à nouveau,
- Juger que l'article 33 de la convention collective nationale du négoce de l'ameublement exclut de son champ d'application le travail habituel et partant au travail le dimanche au sein de la société Meubles Ikea France
- Juger que les dispositions de l'article L.221-19 ancien du code du travail ne sont pas applicables en dehors de leur prévisions et ne s'appliquent pas au travail le dimanche au sein de la société Meubles Ikea France avant le 5 janvier 2008
- Juger que l'accord interne de la société Meubles Ikea France est plus favorable que la convention collective nationale du négoce de l'ameublement et est seul applicable en l'espèce
En conséquence,
- Infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Versailles du 7 novembre 2019 en ce qu'il a condamné la société Meubles Ikea France à verser à Mme [U] les sommes de 6'349,70 euros au titre des repos compensateurs non pris pour la période antérieure au 5 janvier 2008 ;
- Infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Versailles du 7 novembre 2019 en ce qu'il a alloué à Mme [U] le bénéfice de congés payés sur ces repos compensateurs et a condamné la société Meubles Ikea France à lui verser la somme de 634,97 euros au titre des congés payés afférents aux repos compensateurs non pris pour la période antérieure au 5 janvier 2008 ;
Statuant à nouveau,
- Débouter Mme [U] de ses demandes tendant à l'indemnisation au titre des repos compensateurs non pris et de ses demandes au titre des congés payés afférents à ces repos compensateurs
Si par extraordinaire la cour confirmait le jugement entrepris en ce qu'il a dit que la convention collective nationale est plus favorable que l'accord interne, il lui serait demandé de déclarer que la décision entreprise n'a d'effet que pour l'avenir ;
À titre subsidiaire et reconventionnellement :
- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a limité la condamnation de la société Meubles Ikea France à 6'349,70 euros au titre des repos compensateurs
- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a limité la condamnation de la société Meubles Ikea France à 634,97 euros au titre des congés afférents à ces repos compensateurs
- Juger recevable l'appel de la société Meubles Ikea France
- Infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Versailles du 7 novembre 2019 en ce qu'il a débouté la société Meubles Ikea France de sa demande reconventionnelle fondée sur l'enrichissement sans cause du salarié, portant sur la restitution du trop-perçu de majoration de salaire en cas d'inapplication de l'accord interne du 30 janvier 1996 modifié par accord du 28 avril 1999
- En tant que de besoin, juger non prescrite cette demande
En conséquence,
- Ordonner la restitution du trop-perçu par le salarié, ce dernier ayant indûment perçu, sur les périodes antérieures et postérieures au 5 janvier 2008, une majoration de 125 %, là où une majoration de 100% seulement aurait dû être appliquée, le cas échéant par compensation avec les condamnations éventuellement prononcées, soit la restitution de la somme de 3'543,88 euros
Sur l'intérêt au taux légal à compter de la saisine
- Infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Versailles du 7 novembre 2019 en ce qu'il a condamné la société Meubles Ikea France à payer au salarié les sommes prononcées avec intérêt au taux légal à compter de la saisine
Statuant à nouveau,
- Fixer le point de départ des intérêts à compter du prononcé de son arrêt et dire n'y avoir lieu à capitalisation
Sur l'article 700 du code de procédure civile et les frais irrépétibles
- Infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Versailles du 7 novembre 2019 en ce qu'il a qu'il a condamné la société Meubles Ikea France à payer au salarié la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et ainsi qu'aux entiers dépens ;
Statuant à nouveau
- Condamner Mme [U] à verser à la société Meubles Ikea France la somme de 1'500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens ;
- Par ailleurs, débouter Mme [U] de sa demande du chef de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens.
Vu les écritures de l'intimée, Mme [U], notifiées le 23 février 2022 et développées à l'audience par son avocat auxquelles il est aussi renvoyé pour plus ample exposé, et par lesquelles il est demandé à la cour d'appel de':
- Déclarer irrecevable faute d'objet et d'intérêt, la société Meubles Ikea France en son appel du chef de la prescription de sa demande reconventionnelle formée à titre subsidiaire,
Pour le surplus,
- Débouter la société Meubles Ikea France de son appel en ce qu'il est infondé.
- Confirmer le jugement en toutes ses dispositions, sauf :
- en ce qu'il a jugé que le régime de prescription applicable à l'indemnisation des repos compensateurs non pris du fait de l'employeur est celui de l'exécution du contrat de travail,
- sur le seul quantum des condamnations prononcées au titre de l'indemnisation des repos compensateurs non pris du fait de l'employeur,
Statuant à nouveau,
- Déclarer Mme [U] recevable et bien fondée en son appel incident,
- Rappeler que le régime de prescription applicable à l'indemnisation des repos compensateurs non pris du fait de l'employeur est celui des salaires,
- Condamner la société Meubles Ikea France à payer à Mme [U] au titre de l'indemnisation des repos compensateurs non pris du fait de l'employeur sur la période du 06/09/2002 au 07/09/2005 :
- l'indemnité de repos compensateurs proprement dite : 8'466,26 euros
- les congés payés afférents : 846,63 euros
- subsidiairement à titre de dommages et intérêts en réparation de sa perte de chance de bénéficier du repos compensateur ou de son indemnisation, en raison du travail illicite du dimanche (90 % de l'indemnisation perdue) : 8'381,59 euros
- Débouter la société Meubles Ikea France de toutes ses demandes, fins et conclusions,
Y ajoutant,
- Condamner la société Meubles Ikea France à payer à Mme [U] au titre de l'article 700 du code de procédure civile la somme de 500 euros
- Condamner la société Meubles Ikea France aux entiers dépens.
Vu l'ordonnance de clôture du 7 mars 2022.
SUR CE,
La société Meubles Ikea France soulève à titre principal la prescription de l'action de la salariée. Elle demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris qui a considéré que le point de départ du délai de prescription de la demande était fixé au 12 janvier 2017, date de l'arrêt de la cour d'appel de Versailles à partir duquel la salariée a pu avoir connaissance de ses droits, de dire que le point de départ du délai de prescription est l'entrée en vigueur de la loi Châtel du 3 janvier 2008, soit le 5 janvier 2008, et qu'ainsi, les prétentions de la salariée tendant à l'indemnisation du préjudice subi au titre de la privation de son repos dominical sont prescrites depuis le 19 juin 2013 et subsidiairement, que son action est prescrite depuis le 5 janvier 2016. Elle demande à titre subsidiaire à la cour de dire que l'article 33 de la convention collective n'est pas applicable au travail habituel le dimanche dans le secteur de l'ameublement issu de la loi [V]. A titre subsidiaire encore, elle demande à la cour de limiter à la somme arbitrée par le conseil de prud'hommes le montant des indemnités dues à la salariée et demande sa condamnation à lui restituer le trop perçu sur la période antérieure à 2008 de la majoration perçue à 125 %.
Mme [U] réclame à titre principal l'indemnisation du préjudice subi en raison du travail illicite du dimanche ayant perturbé sa vie privée et familiale et en raison des repos compensateurs dont elle n'a pas pu demander contrepartie en repos, au regard du travail illicite du dimanche auquel elle a été soumise pour la période du 06/09/2002 au 7/09/2005 durant laquelle elle a été employée par la société Meubles Ikea France en qualité d'hôtesse de caisse, ce qui l'a amenée à travailler régulièrement les dimanches, en raison de l'absence d'information reçue à ce titre de son employeur.
La salariée expose que sa demande ne porte pas sur l'exécution de son contrat de travail ni sur l'exécution forcée de son contrat de travail ou l'indemnisation par équivalent de son exécution déloyale mais affirme que son action a pour objet la réparation du préjudice dont elle a souffert sur sa vie personnelle et familiale qui est la conséquence directe de son occupation illicite le dimanche par son employeur qui n'a pas respecté la réglementation d'ordre public applicable en violant l'article L. 221-5 devenu L. 3132-3 du code du travail de sorte qu'elle se place sur la responsabilité délictuelle de l'employeur dont la prescription est de 5 ans telle que prévue par l'article 2224 du code civil, peu important qu'elle ait été éventuellement volontaire à ce travail du dimanche. Elle retient que le point de départ de son action est la connaissance effective des faits lui permettant d'exercer son droit, à savoir la révélation des faits pertinents et demande à ce titre la confirmation du jugement entrepris à ce titre. En effet, si elle n'ignorait pas la loi et savait que le travail du dimanche était en principe interdit, elle indique que son employeur a donné au travail du dimanche une apparence de légitimité en lui présentant un dispositif conventionnel dérogatoire de l'interdiction légale, en indiquant dans son contrat de travail que toute heure effectivement travaillée le dimanche faisait l'objet d'une majoration de salaire conformément aux dispositions en vigueur prévues par l'accord interne dans l'entreprise, que les bulletins de salaire faisaient apparaître, d'abord forfaitairement jusqu'en décembre 1995, puis selon le nombre d'heures travaillées le dimanche, le taux et le montant de la majoration de salaire en application de l'accord interne, ensuite que l'accord d'entreprise organisait précisément le travail dominical au sein de l'entreprise et enfin, que la communication interne développée par Ikea l'a maintenue dans l'ignorance de son statut au titre du travail du dimanche. Aussi, elle estime que la prescription de l'action ne court qu'à compter du jour où les salariés ont été informés que le travail du dimanche au sein de l'entreprise ne relevait pas d'une dérogation conventionnelle contrairement à ce qui leur était affirmé, de sorte qu'il était illicite. Elle fonde son action à compter de la révélation du caractère illicite de son travail du dimanche, soit à compter de l'arrêt rendu par la cour d'appel de Versailles le 12 janvier 2017 dans un cas similaire au sien qui a porté à sa connaissance les faits pertinents l'informant de ses droits, puisque le statut collectif du travail du dimanche au sein de l'entreprise a été clarifié, soit au plus tôt au 12 mars 2017, jour où cette décision est devenue définitive. Elle reproche à son employeur de l'avoir trompée sur le statut collectif applicable au travail du dimanche au sein de l'entreprise et la juridiction ne peut légitimement la blâmer d'avoir cru à la légitimité apparente de l'accord interne alors que la fraude est un obstacle au cours de la prescription. Aussi, par application des articles 2224 et 2234 du code civil, l'action en réparation présentée par elle se prescrit par 5 ans à compter du 12 mars 2017, de sorte qu'en ayant saisi le conseil de prud'hommes le 26 juillet 2017, son action au titre de la réparation du préjudice résultant du travail du dimanche n'est pas prescrite. Elle demande la confirmation du jugement qui a condamné l'employeur à l'indemniser pour le préjudice résultant du travail illicite du dimanche (3'020 euros).
De même, elle conclut à l'absence de prescription de sa demande d'indemnisation des repos compensateurs non pris, sa demande étant par nature indemnitaire, cette indemnité réparant le préjudice subi puisque, du fait de son employeur, elle n'a pas pris ses repos. Elle affirme qu'en raison de sa nature indemnitaire, l'indemnisation du repos compensateur non pris n'est pas soumise à cotisation sociale. Aussi, et en dépit de sa nature indemnitaire, sa demande de réparation est engagée à raison de sa privation d'un repos et de sa rémunération de substitution, de sorte que sa demande est soumise à la prescription des salaires de l'article L. 3245-1 du code du travail. Elle sollicite donc l'indemnisation de repos compensateurs non pris dont le montant est équivalent à la perte de salaire parce qu'elle ignorait, faute d'information par son employeur, qu'elle bénéficiait d'un droit au repos compensateur d'origine conventionnelle qui aurait dû figurer sur un relevé annexé à son bulletin de salaire. Si elle a reçu le versement des heures majorées au titre des heures de travail du dimanche, elle n'a cependant pas été informée que ces heures travaillées le dimanche ouvraient également droit à un repos compensateur équivalent dans les termes de la convention collective applicable (article 33), la société Meubles Ikea France faisant prévaloir dans la communication interne de l'entreprise depuis 1996 des dispositions de l'accord interne présentées comme étant plus avantageuses pour la rémunération du travail du dimanche que celles de la convention collective. De sorte que la salariée étant dans l'ignorance de l'existence du principe de sa créance, aucun délai de prescription ne peut courir à son encontre. Aussi, elle demande l'infirmation du jugement qui a considéré que l'indemnisation des repos compensateurs était prescrite alors qu'aucun délai n'a pu commencer à courir, la promulgation de la loi du 14 juin 2013 au 17 juin 2013 qui a réduit à deux ans le délai des actions relatives à l'exécution du contrat de travail ne constituant pas le point de départ du délai, celui-ci n'ayant pas plus commencé à courir en ce qui concerne le délai prévu pour le rappel de salaires (trois ans). En conséquence de quoi son action, quelque soit le régime de prescription applicable, n'est pas prescrite puisque cette prescription n'a jamais commencé à courir de sorte qu'elle demande l'infirmation du jugement pour l'indemnisation des repos compensateurs non pris et la condamnation de la société Meubles Ikea France à lui verser la somme de 8'466,26 euros outre les congés payés afférents à ce titre et, à titre subsidiaire, des dommages et intérêts en réparation de sa perte de chance à raison du préjudice économique consécutif au travail illicite du dimanche (90% de l'indemnisation perdue) soit la somme de 8'381,59 euros.
La cour relève que la demande principale de la salariée repose sur une demande indemnitaire résultant de l'exécution du contrat de travail au motif que l'employeur lui aurait demandé de travailler, depuis son embauche, les dimanches, en contradiction avec les dispositions relatives au travail du dimanche applicables à l'époque des faits, avant le vote de la loi [V] du 03/01/2008 entrée en vigueur le 05/01/2008 qui a introduit l'article L. 221-9 du code du travail devenu l'article L. 3132-12 du code du travail, qui a autorisé, seulement à compter de l'entrée en vigueur de cette loi, les établissements de négoce de meubles à déroger au principe du repos hebdomadaire dominical, en attribuant aux salariés le repos hebdomadaire par roulement. Elle réclame en outre une indemnité pour compenser des rémunérations qui ne lui auraient pas été versées au titre des repos compensateurs non pris.
Ainsi, et jusqu'à cette date, le principe était que le travail le dimanche était illégal (l'article L. 221-5 du code du travail qui disposait : «'le repos hebdomadaire doit être donné le dimanche'»), sauf arrêtés du maire ou du préfet autorisant un travail exceptionnel 5 dimanches par an, arrêtés non pris pour le magasin dans lequel cette salariée était affectée, alors que les dispositions de la convention collective du négoce de l'ameublement du 31 mai 1995 prévoyait en son article 33 que «'pour tout travail exceptionnel du dimanche, les heures effectuées sont rémunérées sur la base des heures normales majorées à 100% ainsi qu'un repos équivalent aux heures travaillées le dimanche'» et que l'accord d'entreprise du 18 avril 1999 avait dérogé à cette règle en majorant tout d'abord à 115 % puis à 125 % les heures exceptionnellement travaillées le dimanche, sans prévoir de repos compensateur.
La salariée a travaillé dans l'entreprise de septembre 2002 jusqu'en septembre 2005 et il n'est pas contesté par la société Meubles Ikea France qu'elle a été amenée à exercer régulièrement ses fonctions les dimanches ; elle a saisi la juridiction prud'homale de sa réclamation le 25 juillet 2017 pour obtenir la réparation du préjudice qu'elle dit avoir subi à raison du travail illégal des dimanches et réclame l'indemnisation des repos compensateurs non pris.
La cour rappelle que l'article L. 1471-1 du code du travail disposait, à la date de la saisine du conseil de prud'hommes, que « toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour ou celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son action'», la salariée ne pouvant utilement revendiquer les dispositions de droit commun de l'article 2224 du code civil en présence d'un texte spécial de droit du travail s'appliquant à la relation contractuelle entre les parties, tandis que l'article L. 3242-1 du même code a prévu dans sa rédaction applicable à la date de sa saisine que «'l'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture'».
Aussi, il est certain qu'antérieurement au 5 janvier 2008, date à partir de laquelle la loi a autorisé le travail dominical, la société Meubles Ikea France a fait travailler illégalement ses salariés le dimanche, à l'exception de ceux affectés dans les établissements pour lesquels elle avait pu obtenir une autorisation préfectorale, ce qui n'était pas le cas pour le magasin dans lequel cette salariée était affectée.
Le point de départ de l'action relative à l'indemnisation du travail illégal du dimanche auquel a été soumise la salariée est donc bien le jour où elle n'a plus été soumise à ce travail illégal, soit le jour de son départ de l'entreprise, marquant la fin de la relation contractuelle, ou, en tout état de cause, le jour où la société Meubles Ikea France a été autorisée par la loi [V] du 3 janvier 2008 entrée en application le 5 janvier 2008 à faire travailler ses salariés le dimanche.
En ce qui concerne le point de départ de l'action en indemnisation des repos compensateurs non pris, il remonte également à cette date à laquelle elle n'a plus été soumise à un tel travail dominical et, en tout état de cause, à compter de la loi [V] ayant autorisé le travail dominical pour cette entreprise.
La salariée ayant quitté l'entreprise le 7 septembre 2005, elle pouvait agir pendant 30 ans à compter de cette date pour réclamer l'indemnisation du travail illégal du dimanche et des repos de compensation dont elle n'aurait pas bénéficié ; ce délai a été ramené à 5 ans par la loi du 17 juin 2008 entrée en vigueur le 19 juin 2008 tandis que, postérieurement à cette date, une nouvelle loi du 14 juin 2013 a ramené à deux ans ce délai de prescription de l'action, ces lois de procédure étant d'application immédiate aux prescriptions en cours. La salariée avait ainsi jusqu'au 19 juin 2013 pour saisir la justice de ses demandes relatives à l'exécution de son contrat de travail, les délais de prescription résultant de cette nouvelle loi s'appliquant à ceux qui étaient en cours à la date de sa promulgation, le 17 juin 2013, sans que la durée totale ne puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure, de sorte qu'il ne restait plus que deux jours à la salariée pour agir, soit la date du 19 juin 2013 précédemment indiquée.
Ayant attendu le 25 juillet 2017, et alors que le prononcé de l'arrêt de la cour d'appel de Versailles le 12 janvier 2017, dans une instance dans laquelle elle n'était pas partie, ne lui rouvrait pas un nouveau délai pour agir en justice, il apparaît que la salariée n'était plus recevable à réclamer une indemnisation du préjudice résultant de son travail illégal du dimanche ou de ses repos compensateurs non pris remontant à 2005.
Sa demande à ces titres est donc prescrite.
Sa demande subsidiaire portant sur la réparation de sa perte de chance de bénéficier des repos compensateurs sur le travail du dimanche jusqu'en 2005 est de la même façon prescrite.
Le jugement du conseil de prud'hommes de Versailles sera infirmé de ces chefs et la salariée déclarée irrecevable dans ses demandes.
En conséquence de cette fin de non recevoir tirée de la prescription de l'action de la salariée au 25 juillet 2015, la demande reconventionnelle de l'employeur sera de même jugée prescrite, son appel à ce titre étant recevable, ayant un intérêt à agir.
Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
Compte tenu de la solution du litige, la décision entreprise sera infirmée de ces deux chefs et par application de l'article 696 du code de procédure civile, les dépens de première instance et d'appel seront mis à la charge de la salariée.
La demande formée par la société Meubles Ikea France au titre des frais irrépétibles en cause d'appel sera accueillie, à hauteur de 150 euros.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
statuant publiquement et contradictoirement
Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions
Déclare prescrite l'action de Mme [M] [U]
Déclare Mme [U] irrecevable en ses demandes
Déclare prescrite la demande reconventionnelle de la société Meubles Ikea France
Condamne Mme [M] [U] aux dépens de première instance et d'appel
Condamne Mme [M] [U] à payer à la société Meubles Ikea France la somme de 150 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
Signé par Mme Hélène PRUDHOMME, président, et Mme'Sophie RIVIÈRE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le GREFFIERLe PRÉSIDENT