COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
6e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 22 SEPTEMBRE 2022
N° RG 19/02661
N° Portalis DBV3-V-B7D-TJBJ
AFFAIRE :
[C] [G] [L]
C/
SAS SAVAC PARIS-NORD
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 16 mai 2019 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de RAMBOUILLET
N° Section : C
N° RG : 17/161
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Ghislain DADI
Me Florence MERCADE-CHOQUET
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT DEUX SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX ,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant, fixé au 07 juillet 2022, puis prorogé au 22 septembre 2022, les parties ayant été avisées, dans l'affaire entre :
Monsieur [C] [G] [L]
né le 13 mai 1957 à [Localité 7] (PORTUGAL)
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représenté par : Me Ghislain DADI de la SELAS DADI AVOCATS, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : A0257
APPELANT
****************
SAS SAVAC PARIS-NORD
N° SIRET : 679 801 381
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par : Me Florence MERCADE-CHOQUET de la SELARL LMC PARTENAIRES, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 220.
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 20 mai 2022 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseillère chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Isabelle VENDRYES, Présidente,
Madame Valérie DE LARMINAT, Conseillère,
Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseillère,
Greffière lors des débats : Mme Elodie BOUCHET-BERT,
Greffière placée lors de la mise à disposition : Mme Virginie BARCZUK
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
La société Savac Paris-Nord, anciennement dénommée Les Cars du Sud, fait partie du groupe Autocars de Chevreuse et associés et a pour activité le transport routier de voyageurs. Elle emploie plus de dix salariés.
Par contrat de travail à durée indéterminée du 02 mai 2006, M. [C] [G] [L], né le 13 mai 1957 a été engagé par la société Les Cars du Sud, à compter du 02 juin 2006, en qualité de conducteur receveur et tourisme, groupe 9 bis, coefficient 145V de la convention collective nationale des transports routiers et activités auxiliaires du transport.
Il percevait en dernier lieu une rémunération brute mensuelle moyenne de 2 945,57 euros.
Depuis le 22 octobre 2016, M. [G] [L] exerce le mandat de représentant de section syndicale 'SNST'.
Par courrier du 16 février 2017, il a été mis à pied à titre conservatoire et convoqué à un entretien préalable qui s'est tenu le 27 février 2017.
Le 13 mars 2017, le comité d'entreprise a été consulté.
Le 23 mars 2017, la société Savac Paris Nord a sollicité de la Direccte l'autorisation de licencier M. [G] [L]. Cette autorisation lui a été accordée le 25 avril 2017.
M. [G] [L] s'est vu notifier son licenciement pour faute grave par lettre du 04 mai 2017 ainsi rédigée :
« Le 22 janvier 2017, à la fin de votre journée de travail, vous avez fermé et verrouillé les portes du véhicule immatriculé [Immatriculation 8] et vous avez conservé les clés du véhicule avec vous. De ce fait, les conducteurs qui devaient partir en séjour avec ce véhicule le 23 janvier 2017 au matin ont dû attendre que vous rameniez les clés au dépôt ce qui a occasionné un retard à la prise en charge des clients de plus de 15 minutes.
Pourtant, la note de fin de mois du mois de juillet 2016 précisait aux conducteurs en l'article 'Clés des cars' : 'RAPPEL : Lorsque vous avez terminé votre service et que vous stationnez le car au dépôt, vous devez laisser les clés du car sur le contact puis fermer les portes du véhicule.
Si le véhicule possède une télécommande, laissez-là dans le car.
En aucun cas vous ne devez quitter le dépôt avec les clés du car ou bien verrouiller les portes du véhicule depuis l'extérieur'.
En l'occurrence, vous n'avez pas respecté les consignes de l'entreprise à ce sujet.
En outre, nous avons reçu plusieurs réclamations de la part de plusieurs clients relatives à votre comportement et à l'exécution de vos services :
- Le 13 février 2017, nous avons reçu une réclamation de la part de la ville d'[Localité 4] concernant un incident survenu le 9 février 2017 lors d'une sortie au cinéma. Vous avez déposé les clients au mauvais endroit, au niveau du [Adresse 6], alors que les instructions du billet collectif indiquaient que la dépose devait être effectuée [Adresse 5] à [Localité 4].
En outre, vous avez été impoli avec les enfants en leur demandant à plusieurs reprises de se taire sèchement et en leur demandant de ne pas faire de bruit. Vous avez également demandé à une enfant munie de béquilles de se dépêcher de monter dans le véhicule, ce qui est pour le moins la preuve d'une certaine intolérance.
- Le 13 février 2017, nous avons également reçu une réclamation de la part d'un accompagnateur du transport réalisé le 11 février 2017 à la [9] concernant votre comportement. En effet, vous avez, au cours du trajet retour entre Sologne et [Localité 10], adopté un comportement et des propos inacceptables notamment envers une adolescente et envers une accompagnatrice à qui vous avez dit 'je t'encule'.
En outre, à l'occasion de ce trajet, vous avez également utilisé votre téléphone portable fréquemment pour consulter les réseaux sociaux pendant les opérations de conduite.
Vous avez reconnu les faits qui vous sont reprochés au cours de l'entretien du 27 février 2017 et au cours de la réunion du comité d'entreprise qui s'est tenue le 13 mars 2017.
En l'espèce, vous avez violé les dispositions du code de la route relatives à l'utilisation du téléphone portable pendant les opérations de roulage, et vous avez ainsi mis en danger la vie des passagers que vous transportiez mais aussi celle des autres usagers de la route.
Au regard de ces manquements professionnels, nous avons donc été contraints d'envisager votre licenciement. Compte tenu de la gravité des faits qui vont étaient reprochés, vous avez été mis à pied à titre conservatoire à compter du 16 février 2017 et pendant toute la durée de la procédure. Et, nous vous avons convoqué le 27 février 2017 à un entretien préalable en vue de votre éventuel licenciement auquel vous vous êtes présenté assisté de M. [K].
Durant cet entretien, vous avez reconnu les faits qui vous sont reprochés.
En conséquence, nous sommes au regret de vous notifier votre licenciement pour faute grave privatif de toute indemnité après avoir recueilli l'avis des membres du Comité d'entreprise lors de la réunion du 13 mars 2017 et l'accord de l'inspection du travail par décision référencée DS/n°2017-200 datée du 25 avril 2017 mais réceptionnée le 2 mai 2017 par nos services qui a pris en considération la matérialité des faits reprochés, le caractère réitéré des fautes commises et l'absence de lien entre cette mesure de licenciement et votre mandat syndical.
Nous vous précisons que votre licenciement prendra effet dès la première présentation de cette lettre. (...) ».
Par requête reçue au greffe le 23 juin 2017, M. [G] [L] a saisi le conseil de prud'hommes de Rambouillet aux fins de voir prononcer la nullité de son licenciement.
Parallèlement, il a saisi le tribunal administratif afin de faire annuler la décision de l'inspection du travail du 25 avril 2017 autorisant son licenciement. Par jugement en date du 19 mars 2020, le tribunal administratif a rejeté sa demande d'annulation. Cette décision n'a fait l'objet d'aucun recours devant la cour administrative d'appel.
Par jugement rendu le 16 mai 2019, le conseil de prud'hommes de Rambouillet a :
- dit et jugé le licenciement de M. [G] [L] pour faute grave fondé,
- débouté M. [G] [L] de sa demande de nullité de son licenciement,
- débouté M. [G] [L] de l'intégralité de ses demandes,
- condamné M. [G] [L] à payer 500 euros à la société Savac Paris Nord au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné M. [G] [L] aux entiers dépens,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.
M. [G] [L] a interjeté appel de la décision par déclaration du 21 juin 2019.
Par conclusions adressées par voie électronique le 13 septembre 2019, il demande à la cour de :
- infirmer le jugement entrepris,
statuant à nouveau,
- dire et juger le licenciement de M. [G] [L] nul,
en tirer les conséquences et,
- ordonner la réintégration du salarié au poste en tenant compte de l'évolution des salaires depuis son licenciement et sous réserve d'une visite médicale de reprise sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter de la signification de la décision et se réserver le pouvoir de la liquider,
- condamner la société Savac Paris Nord à une indemnité compensatrice de salaire entre le licenciement et la réintégration provisionnelle de 45 000 euros,
Subsidiairement,
- dire le licenciement nul et condamner la société à 50 000 euros de dommages et intérêts,
Très subsidiairement,
- dire le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamner la société à une indemnité de 50 000 euros,
En tout état de cause,
- condamner la société Savac Paris Nord à verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Savac Paris Nord aux entiers dépens.
Par conclusions adressées par voie électronique le 1er décembre 2021, la société Savac Paris Nord demande à la cour de :
- la recevoir en ses conclusions et l'y déclarer bien fondée,
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
en conséquence,
- dire et juger parfaitement motivée la lettre de licenciement de M. [G] [L],
- débouter M. [G] [L] de sa demande de nullité du licenciement et des demandes subséquentes,
- condamner M. [G] [L] aux entiers dépens ainsi qu'au paiement à la société Savac Paris Nord, pour l'instance d'appel, de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ordonnance rendue le 08 décembre 2021, le magistrat chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l'instruction et a fixé la date des plaidoiries au 14 janvier 2022. L'affaire a été renvoyée à l'audience du 20 mai 2022.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.
MOTIFS
Sur le licenciement
M. [G] [L] sollicite à titre principal de voir dire son licenciement nul et ordonner, sous astreinte, sa réintégration, outre voir condamner la société Savac Paris Nord à lui verser une indemnité compensatrice de salaire d'un montant de 45 000 euros.
Ayant rappelé que le licenciement d'un salarié protégé ne peut être prononcé que pour les faits qui ont motivé l'autorisation administrative de licenciement, il prétend que l'employeur a ajouté des griefs non contenus dans l'autorisation de licenciement.
La société Savac Paris Nord réplique que M. [G] [L] ne peut invoquer la nullité de son licenciement dès lors que ce licenciement a été prononcé pour un motif disciplinaire, en concordance avec l'autorisation de l'inspection du travail, que la lettre de licenciement est parfaitement motivée et vise expressément cette autorisation.
Elle précise qu'elle n'a été informée du contentieux administratif introduit par le salarié que deux ans plus tard, en juin 2019, lorsque le tribunal administratif lui a demandé de communiquer ses observations sur le litige en cours, M. [G] [L] s'étant abstenu d'en avertir son ancien employeur ou son avocat et ayant au surplus omis d'en faire mention dans le cadre de la procédure prud'homale.
Par application des articles L. 2142-1-1 et L. 2142-1-2 du code du travail, le représentant de section syndicale bénéficie des mêmes prérogatives et de la même protection contre le licenciement que le délégué syndical.
Selon l'article L. 2411-3 du même code, le licenciement d'un délégué syndical ne peut intervenir qu'après autorisation de l'inspecteur du travail.
Lorsque le licenciement d'un salarié protégé est intervenu après une autorisation administrative, la lettre de licenciement est suffisamment motivée si elle fait référence, soit à l'autorisation administrative, soit au motif du licenciement pour lequel l'autorisation a été demandée.
En l'espèce, il n'est pas discuté qu'en tant que représentant de section syndicale depuis octobre 2016, M. [G] [L] bénéficiait de la qualité de salarié protégé. Son licenciement ne pouvait donc être prononcé qu'après avoir obtenu une autorisation à cet effet de la part de l'inspection du travail.
L'autorisation de le licencier a été sollicitée le 23 mars 2017 par la société Savac Paris Nord en invoquant trois griefs :
1/ le fait de ne pas avoir respecté les dispositions du code de la route lors du transport de clients,
2/ le fait de ne pas avoir respecté les consignes de l'entreprise,
3/ le fait d'avoir adopté un comportement irrespectueux à l'endroit des clients de l'entreprise.
Après audition des parties et examen des pièces fournies par l'employeur, l'inspection du travail a retenu dans sa décision notifiée le 25 avril 2017 que :
- le premier grief n'est pas établi, dans la mesure où l'employeur s'est prévalu d'une vidéo enregistrée par un usager à l'insu de l'intéressé, laquelle constitue une preuve illicite qui ne peut être prise en compte par l'administration du travail ;
- le deuxième grief est établi et constitutif d'une faute, dont la gravité n'est cependant pas suffisante pour justifier un licenciement ;
- le troisième grief est établi, les faits étant considérés comme « nécessairement constitutifs d'une faute au regard de l'exécution normale du contrat de travail ».
L'inspection du travail a ensuite tenu compte des antécédents disciplinaires de M. [G] [L], qui a fait l'objet entre 2014 et 2016 de plusieurs sanctions disciplinaires relatives à son comportement déplacé et à des infractions à la réglementation, ainsi que du caractère réitéré des fautes commises et du préjudice subi par l'entreprise, pour en déduire que « les fautes sont suffisamment graves pour justifier un licenciement ». Constatant enfin « l'absence de lien entre la demande de licenciement et le mandat exercé par le salarié », elle a décidé d'accorder « l'autorisation de procéder au licenciement pour motif disciplinaire » du salarié.
La lettre de licenciement, qui a été adressée à M. [G] [L] le 04 mai 2017 dans le prolongement de cette autorisation, rappelle les faits qui ont conduit l'employeur à envisager son licenciement et à saisir l'inspection du travail aux fins d'autorisation.
La lettre se conclut en ces termes :
« En conséquence, nous sommes au regret de vous notifier votre licenciement pour faute grave privatif de toute indemnité après avoir recueilli l'avis des membres du Comité d'entreprise lors de la réunion du 13 mars 2017 et l'accord de l'inspection du travail par décision référencée DS/n°2017-200 datée du 25 avril 2017 mais réceptionnée le 02 mai 2017 par nos services qui a pris en considération la matérialité des faits reprochés, le caractère réitéré des fautes commises et l'absence de lien entre cette mesure de licenciement et votre mandat syndical. ».
Il peut ainsi être observé que cette lettre vise bien l'autorisation de licenciement donnée par l'inspection du travail et que le licenciement a été prononcé pour un motif disciplinaire, soit le motif autorisé par l'inspection du travail.
Les premiers juges méritent donc d'être suivis en ce qu'ils ont dit que licenciement n'est pas nul.
M. [G] [L] sollicite à titre subsidiaire de voir dire son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse. Il ne motive cependant aucunement cette demande.
Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a débouté le salarié de l'intégralité de ses demandes.
Sur les dépens de l'instance et les frais irrépétibles
M. [G] [L] supportera les dépens en application des dispositions de l'article'696 du code de procédure civile.
Il sera en outre condamné à payer à la société Savac Paris Nord une indemnité sur le fondement de l'article'700 du code de procédure civile, que l'équité et la situation économique respective des parties conduisent à arbitrer à la somme de 500 euros au titre des frais irrépétibles de première instance, qui sont donc confirmés, et 1'000'euros au titre des frais irrépétibles d'appel.
PAR CES MOTIFS
La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort ;
CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement rendu le 16 mai 2019 par le conseil de prud'hommes de Rambouillet ;
Y ajoutant,
CONDAMNE M. [C] [G] [L] à verser à la société Savac Paris Nord la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
DÉBOUTE M. [C] [G] [L] de sa demande de ce chef ;
CONDAMNE M. [C] [G] [L] aux dépens.
Arrêt prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour,les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code procédure civile et signé par Madame Valérie DE LARMINAT, Conseillère, en remplacement de Madame Isabelle VENDRYES, Présidente, légitimement empêchée, et par Madame Virginie BARCZUK, Greffière placée, à laquelle la minute de la décision a été remise par la magistrate signataire.
LA GREFFIERE placée, P/ LA PRESIDENTE empêchée,