COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
1ère chambre 1ère section
ARRÊT N°
CONTRADICTOIRE
Code nac : 29A
DU 25 OCTOBRE 2022
N° RG 17/02147
N° Portalis DBV3-V-B7B-RMRB
AFFAIRE :
Consorts [V]
C/
Consorts [V]
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 17 Novembre 2016 par le Tribunal de Grande Instance de NANTERRE
N° Chambre :
N° Section : 3
N° RG : 15/01865
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
-la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES,
-Me Claire RICARD
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT CINQ OCTOBRE DEUX MILLE VINGT DEUX,
La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Madame [E], [W], [Y] [V],
agissant tant en son nom personnel qu'en sa qualité d'héritière de son père [L] [V] décédé le 21/09/2017
née le 25 Février 1967 à [Localité 7]
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 6]
Madame [G], [I], [J] [V],
agissant tant en son nom personnel qu'en sa qualité d'héritière de son père [L] [V] décédé le 21/09/2017
née le 14 Juillet 1962 à [Localité 7]
de nationalité Française
[Adresse 5]
[Localité 7]
représentés par Me Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat postulant - barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625 - N° du dossier 1757428
Me Sabine GIE-DIVARIS de la SELARL DALIN - GIE - PUYLAGARDE, avocat - barreau de PARIS, vestiaire : P 349
APPELANTES
****************
Madame [A], [M], [PT], [B] [V],
agissant tant en son nom personnel qu'en sa qualité d'héritière de son père [L] [V] décédé le 21/09/2017
née le 23 Juillet 1960 à [Localité 7]
de nationalité Française
[Adresse 3]
[Localité 7]
représentée par Me Claire RICARD, avocat postulant - barreau de VERSAILLES, vestiaire : 622 - N° du dossier 2017115
Me Migueline ROSSET de la SELARL MRA SOCIETE D'AVOCATS, avocat - barreau de HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : PN 741
INTIMÉES
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 12 Septembre 2022 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Anna MANES, Présidente, chargée du rapport, et Madame Nathalie LAUER, Conseiller.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Anna MANES, Présidente,
Madame Nathalie LAUER, Conseiller,
Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Madame Natacha BOURGUEIL,
*************************
FAITS ET PROCÉDURE
[O] [U] épouse [V], dont le dernier domicile était situé à [Localité 7] (Hauts-de-Seine), est décédée le 19 septembre 2014 laissant pour lui succéder son conjoint survivant, M. [L] [V] avec lequel elle était mariée sous le régime de la communauté réduite aux acquêts suivant contrat de mariage reçu par M. [T], ès qualités, notaire à [Localité 6], le 31 octobre 1957, ainsi que ses trois enfants nées de cette union, [G], [A]-[M] et [Y].
Par trois testaments des 21 novembre 2001, 23 août 2004 et 16 juillet 2010, reçu pour
ce dernier en la forme authentique, [O] [V] a institué ses trois filles comme ses légataires universelles à parts égales.
Par testament du 11 janvier 2013, révoquant toute disposition de dernière volonté antérieure, elle a légué la quotité disponible de sa succession à sa fille [A]-[M] et lui a laissé ' le choix prioritaire des biens devant composer son lot dans le partage de (sa) succession ', à charge pour elle de délivrer deux legs de sommes d'argent, de 10 000 euros chacun, à ses deux petits-enfants [EO] et [F], étant précisé que cette somme ne sera disponible pour eux qu'à compter de leurs vingt-deux ans.
Par actes d'huissier de justice des 29 janvier et 4 février 2015, Mmes [G] et [Y] [V] ont fait assigner leur père, [L] [V] et leur soeur [A]-[M] devant le tribunal de grande instance de Nanterre aux fins de nullité du testament du 11 janvier 2013 pour insanité d'esprit et pour qu'il ordonne le partage judiciaire de la succession de leur mère.
[L] [V] est décédé le 21 septembre 2017.
Par jugement contradictoire rendu le 17 novembre 2016, le tribunal de grande instance de Nanterre a :
- Débouté Mmes [G] et [Y] [V] de leur demande de nullité du testament du 11 janvier 2013 pour insanité d'esprit et pour vice du consentement ;
- Ordonné les opérations de partage judiciaire du régime matrimonial ayant existé entre les époux [U]/[V] et de la succession de [O] [U] épouse [V] conformément aux dispositions des articles 1364 et suivants du code de procédure civile et selon ce qui est jugé par la présente décision ;
- Désigné pour procéder aux opérations de partage Mme [DO], ès qualités, notaire à [Localité 8] ([Adresse 4] ; Tél : [XXXXXXXX01]) ;
- Commis tout juge au pôle famille section 3 du tribunal de grande instance de Nanterre pour surveiller les opérations de partage et faire rapport en cas de difficultés ;
- Autorisé le notaire désigné à prendre tous renseignements utiles auprès de la direction générale des finances publiques par l'intermédiaire du fichier national des comptes bancaires et assimilés (FICOBA), et à consulter l'association pour la gestion du risque en assurance (AGIRA) ;
- Dit que dans le cadre de la mission qui lui incombe, le notaire désigné procédera notamment à l'évaluation des biens composant la masse à partager ainsi qu'à la détermination des droits des parties, en considération notamment des libéralités qui leur auraient été consenties par la défunte et pour lesquelles elles seraient tenues au rapport ;
- Débouté Mme [A]-[M] [V] de sa demande d'expertise quant aux libéralités consenties à Mme [Y] [V] ;
- Rejeté les demandes reconventionnelles de [L] [V] en remboursement de la somme de 150 000 euros et de dispense du règlement de toutes charges qui afférent aux biens dépendant de la succession de [O] [U] épouse [V] ;
- Débouté les parties de toute autre demande ;
- Ordonné l'exécution provisoire ;
- Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Dit que les dépens seront employés en frais privilégiés de partage, chacune des parties étant condamnée à les payer à proportion de ses droits dans le partage ;
- Rappelé que les co-partageants peuvent à tout moment abandonner la voie judiciaire afin de parvenir à un partage amiable ;
- Renvoyé l'affaire à l'audience du juge commis du 19 janvier 2017 pour retrait du rôle jusqu'à l'établissement de l'acte de partage ou du procès-verbal de dires, sauf observations contraires des parties adressées au juge commis par voie électronique avant le 15 janvier 2017 à 12 heures ;
- Dit qu'en cas de retrait, l'affaire pourra être rappelée à tout moment à l'audience du juge commis à la diligence de ce dernier, du notaire désigné, des parties ou de leurs conseils.
Mmes [E] et [G] [V] ont interjeté appel de ce jugement le 16 mars 2017 à l'encontre de Mme [A]-[M] [V] et de Mme [K], ès qualités de tuteur aux biens de [L] [V] décédé le 21 septembre 2017.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 21 juin 2018.
Par arrêt contradictoire rendu le 30 novembre 2018, la 1re chambre 1re section de la cour d'appel de Versailles a :
- Déclaré Mmes [G], [Y] et [A]-[M] [V] recevables en leur intervention en leur qualité d'héritières de [L] [V] leur père,
- Rejeté la demande de révocation de l'ordonnance de clôture,
- Déclaré irrecevables les conclusions de Mme [A]-[M] [V] notifiées le 20 août 2018 et ses pièces n°267 à 272 communiquées à la même date,
- Rejeté la demande de Mme [A]-[M] [V] de voir écarter des débats la pièce n°109 correspondant au rapport d'expertise du docteur [IR], communiquée par Mmes [G] et [Y] [V],
Avant dire droit sur l'ensemble des demandes, ordonné une mesure d'expertise et désigné pour y procéder M. [R], psychiatre, avec mission de :
* se faire remettre tout document utile notamment le dossier médical de [O] [V] et spécialement, le compte-rendu de son hospitalisation à l'hôpital [9], les imageries médicales et les compte-rendus d'IRM et ARM pratiquées courant 2012, les comptes-rendus d'évaluations neuropsychologiques et les bilans cognitifs et toutes autres pièces médicales,
* prendre connaissance du certificat médical du docteur [P] en date du 28 janvier 2014,
* prendre connaissance d'une copie du testament litigieux établi le 11 janvier 2013 par [O] [V],
* entendre, s'il l'estime nécessaire, tout sachant, ayant suivi [O] [V] sur le plan médical,
* fournir à la cour tous éléments techniques et de fait permettant de dire si [O] [V] était atteinte d'une maladie neurologique dégénérative de nature à altérer de manière durable ses facultés mentales,
* dans l'affirmative dire si [O] [V] a pu être privée d'un libre discernement pour établir ses dispositions testamentaires et à partir de quelle date,
- Dit que l'expert pourra se faire assister de tout sapiteur de son choix, relevant d'une autre spécialité,
- Rappelé que l'expert devra accomplir sa mission en présence des parties ou celles-ci dûment convoquées, les entendre en leurs observations et répondre à leurs dires,
- Fixé à la somme de 2 500 euros la provision à valoir sur les honoraires et frais de l'expert que Mmes [G] et [Y] [V] devront consigner au greffe de la cour avant le 15 janvier 2019,
- Renvoyé les parties à la mise en état du 07 février 2019 pour vérification de la consignation,
- Dit qu'à défaut de consignation dans le délai imparti, la désignation de l'expert sera caduque,
- Dit que l'expert devra dresser rapport de ses opérations qui sera déposé au service des expertises du greffe de la cour d'appel dans les quatre mois de sa saisine,
- Désigné le magistrat de la mise en état de la présente chambre pour contrôler les opérations d'expertise et statuer en cas de difficulté,
- Sursis à statuer sur l'ensemble des demandes,
- Réservé les dépens.
L'expert judiciaire a déposé son rapport à la cour le 7 novembre 2021.
Par leurs dernières conclusions notifiées le 10 juin 2022, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, Mmes [Y] et [G] [V], en leur nom personnel et en qualité d'héritières de leur père [L] [V], décédé le 21 septembre 2017, demandent à la cour, au fondement de l'article 901 du code civil, de :
- Réformer le jugement dont appel en ce qu'il les a déboutées de leur demande de nullité du testament du 11 janvier 2013 pour insanité d'esprit ;
Statuant à nouveau :
- Dire et juger qu'au moment de la rédaction du testament du 11 janvier 2013, [O] [V], qui souffrait d'une maladie dégénérative touchant notamment à l'intelligence, au jugement et au discernement, n'était pas saine d'esprit ;
En conséquence, annuler purement et simplement le testament olographe de [O] [V] du 11 janvier 2013 ;
- Condamner Mme [A]-[M] [V] à la somme de 20 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Confirmer le jugement pour le surplus ;
- Débouter Mme [A]-[M] [V] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
- Condamner Mme [A]-[M] [V] aux entiers dépens, lesquels comprendront les frais
d'expertise.
Par dernières conclusions notifiées le 30 mai 2022 (synthèse reçue le 29 juillet 2022), auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, Mme [A]-[M] [V], en son nom personnel et en qualité d'héritière de son père [L] [V] décédé le 21 septembre 2017, demande à la cour, au fondement des articles 901 du code civil et 66 du code de procédure civile, de :
- La dire recevable et bien fondée en ses demandes,
- Constater que le rapport d'expertise du docteur [R] et du sapiteur, le professeur Mme [XV], est contredit par les rapports des professeurs M. [S], expert judiciaire, M. [KR], expert judiciaire et M. [D], régulièrement versés aux débats ;
- Dire que le rapport d'expertise du docteur [R] et du sapiteur le professeur, Mme [XV], n'établit pas que [O] [V] était frappée d'une incapacité à la date de la rédaction du testament olographe en date du 11 janvier 2013 de nature à le rendre invalide ;
- Dire que le testament olographe en date du 11 janvier 2013 est valable ;
- Confirmer en conséquence le jugement en date du 17 novembre 2016 en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant :
- Condamner Mmes [G] et [Y] [V] in solidum au paiement d'une somme de 50 000 euros sur le fondement de l'article 1240 du code civil ;
- Condamner Mmes [G] et [Y] [V] in solidum au paiement d'une somme de 20 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Les condamner aux entiers dépens et dire qu'ils seront recouvrés dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.
La clôture de l'instruction a été ordonnée le 30 juin 2022.
SUR CE, LA COUR,
A titre liminaire et sur les limites de l'appel,
L'article 954 du code de procédure civile oblige les parties à énoncer leurs prétentions dans le dispositif de leurs conclusions et la cour ne statue que sur celles-ci.
Par prétention, il faut entendre, au sens de l'article 4 du code de procédure civile, une demande en justice tendant à ce qu'il soit tranché un point litigieux.
Par voie de conséquence, les 'dire et juger' ou les 'constater' ne constituent pas des prétentions, mais en réalité des moyens qui ont leur place dans le corps des écritures, plus précisément dans la partie consacrée à l'examen des griefs formulés contre le jugement et à la discussion des prétentions et moyens, pas dans le dispositif. La cour ne répondra de ce fait à de tels 'dire et juger' ou 'constater' qu'à condition qu'ils viennent au soutien de la prétention formulée en appel et énoncée dans le dispositif des conclusions et, en tout état de cause, pas dans le dispositif de son arrêt, mais dans ses motifs.
Il découle également de cette disposition que les moyens de fait et de droit qui ne viennent au soutien d'aucune prétention sont inopérants et, par voie de conséquence, la cour n'a pas à y répondre.
A cet égard, la cour observe que les critiques de l'intimée portant sur la partialité de l'expert et du sapiteur, sur le fait qu'ils auraient exercé leur mission en violation des règles en matière d'expertise judiciaire sont inopérantes dès lors qu'elle ne sollicite pas la nullité de ce rapport. En effet, l'intimée se borne à solliciter la confirmation du jugement déféré, la condamnation des appelantes à lui verser 50 000 euros sur le fondement de l'article 1240 du code civil et une somme au titre de ses frais irrépétibles.
Ses adversaires sollicitent l'infirmation du jugement en ce qu'il les déboute de leur demande d'annulation du testament de [O] [V] du 11 janvier 2013 pour insanité d'esprit et, statuant à nouveau, invite cette cour à annuler le testament litigieux. Les autres dispositions du jugement ne sont pas querellées. Il s'ensuit que ces dispositions non querellées, portant sur la désignation de Mme [DO], notaire à [Localité 8], pour procéder aux opérations de partage, du rejet de la demande de Mme [A]-[M] [V] de sa demande d'expertise quant aux libéralités consenties à Mme [Y] [V], le rejet des demandes reconventionnelles du tuteur aux biens de [L] [V], ainsi que des autres demandes des parties, sont devenues irrévocables.
Sur la nullité du testament du 11 janvier 2013 pour insanité d'esprit de [O] [U] épouse [V]
Selon l'article 414-1 du code civil, 'Pour faire un acte valable, il faut être sain d'esprit. C'est à ceux qui agissent en nullité pour cette cause de prouver l'existence d'un trouble mental au moment de l'acte.'
L'article 901, dans sa rédaction applicable depuis le 1er janvier 2007, indique que 'Pour faire une libéralité, il faut être sain d'esprit. La libéralité est nulle lorsque le consentement a été vicié par l'erreur, le dol ou la violence.'
L'insanité d'esprit peut être définie comme toute affection mentale par l'effet de laquelle l'intelligence du disposant a été obnubilée ou sa faculté de discernement déréglée. Le testateur est ainsi incapable de manifester une volonté lucide ce qui est assurément le cas lorsque le disposant souffre d'une affection mentale obnubilant son intelligence ou sa faculté de discernement.
Cette notion ne doit pas être confondue avec celle d'altération des facultés mentales, cause d'ouverture d'une mesure de protection, même si, dans certaines circonstances, l'existence d'une mesure de protection peut constituer un indice de l'insanité d'esprit.
L'insanité d'esprit doit également être distinguée des vices du consentement qui affectent ce dernier, mais ne l'annihile pas.
Il revient à celui qui invoque l'insanité d'esprit du testateur de le prouver et cette preuve est libre puisqu'il s'agit d'établir l'existence d'un état de fait.
La preuve, qu'il revient au demandeur d'administrer est celle de l'insanité d'esprit au moment de l'établissement du testament. Conformément à une jurisprudence constante (Civ., 4 février 1941, D.A. 1941 I 113 - 1ère Civ., 11 juin 1980, Bull. n° 184), une telle preuve est établie si son auteur était dans un état habituel de démence avant et après la passation de cet acte. La preuve contraire pourra cependant être rapportée par les bénéficiaires, en l'espèce Mme [A]-[M] [V], et, dans ce cas, il lui reviendra d'établir que l'auteur de l'acte avait agi dans un intervalle de lucidité au moment de la rédaction du testament.
Il convient de rappeler que la décision de cette cour d'ordonner une mesure d'expertise médicale sur dossier était motivée par l'opposition des parties sur l'existence d'une altération des facultés mentales de [O] [V] au 11 janvier 2013 et sur les pièces, tant les attestations que les documents médicaux, produites par les parties aboutissant à des conclusions divergentes et incompatibles entre elles.
L'expert psychiatre missionné par cette cour a obtenu la désignation d'un sapiteur, neurologue, pour l'assister dans cette expertise complexe.
Aux termes d'un rapport de 166 pages et à la question de la cour portant sur le point de savoir si des éléments techniques et de fait avaient pu être recueillis, lui permettant de retenir que [O] [U] épouse [V] était atteinte d'une maladie neurologique dégénérative de nature à altérer de manière durable ses facultés mentales et, dans l'affirmative, de dire si elle avait pu être privée d'un libre discernement pour établir ses dispositions testamentaires et à partir de quelle date, M. [R], assisté de Mme [XV], neurologue, désignée en qualité de sapiteur, a conclu ce qui suit :
'La maladie d'Alzheimer est une maladie dont les manifestations évoluent progressivement.
2009 : la date estimée du début de la maladie peut être datée à au moins 2009 où sont constatés les troubles cognitifs, dans le contexte d'un syndrome confusionnel d'origine somatique, mais le diagnostic n'a été posé qu'en août 2012.
L'expert n'explique pas le délai de prise en charge alors que Mme [V] avait été orientée dès juin 2009 en consultation mémoire ce que confirme le courrier du Pr [Z] en octobre 2009.
Une explication pourrait être liée à l'anosognosie que présentait Mme [V] (elle n'avait pas conscience de son amnésie ni du fait qu'il puisse s'agir d'une maladie à soigner). En raison de l'anosognosie, le plus souvent, la première consultation est souvent faite sur la demande de l'entourage.
2012 : Les signes d'amnésie sont manifestes, ne sont pas isolés et ont des répercussions sur l'autonomie quotidienne nécessitant des aides. La répétition des questions ou des mêmes items dans la conversation est typique d'une amnésie de type hippocampique, le patient oublie qu'il a déjà posé la question tout autant que la réponse. L'amnésie est confirmée par le bilan neuropsychologique, même si celui-ci a été relativement succinct. L'amnésie n'est pas isolée et est associée à un syndrome dysexécutif, une anosognosie, une atteinte des fonctions visuo-spatiale et est responsable d'une perte d'autonomie. La nécessité d'aides à domicile est notée par Mme [C] : 'Les difficultés observées ce jour justifierait un bilan social afin de prévenir au mieux toute difficulté au quotidien.' La nécessité de renforcer les aides au domicile en raison du déficit cognitif est noté par le Dr [N] en décembre 2012 'se pose la question de l'insuffisance des aides à domicile, motivé par les troubles de la marches (risque de chutes) et les troubles cognitifs'. La perte d'autonomie cognitive est aussi signalée dans le certificat du Dr [P] de janvier 2014 : 'depuis 2011, sa fille, [M], s'occupe de toutes les démarches administratives et financières'. Un déficit cognitif affectant la mémoire et une autre atteinte au fonction cognitive avec conséquence sur l'autonomie répond à la définition de syndrome démentiel.
La nécessité de mise en place de mesures de protection juridique est suggérée dès 2009, puis formulée clairement dans le courrier du Pr [NT] et du Dr [N] en août puis décembre 2012 et dans le courrier du Pr [H] [Z] du 17 décembre 2013.
Le Dr [X], médecin traitant, a refusé de rédiger un certificat de bonne santé mentale début 2013.
Le certificat du Dr [P] indique une chronologie d'apparition des troubles significatifs en octobre 2013 'La diminution de ses facultés intellectuelles supérieures est devenue manifestement important à partir du mois d'octobre 2013.' Mais cette assertion, en contradiction avec les pièces antérieures du dossier médical, comme expliquées ci-dessus, est remise en cause par le Dr [P] lui-même dans son courrier du 29 juin 2017 au juge, à qui il précise, 'il s'avère que les informations concernant le début des troubles proviennent exclusivement des propos de sa fille [M] qui l'accompagnait dans la mesure où je ne connaissais pas la patiente antérieurement.'
Pour l'expert, à l'époque de la signature du testament rédigé le 11 janvier 2013, Mme [O] [V] présentait de façon apparente des signes de maladie d'Alzheimer.
A cette date, le 11 janvier 2013, tenant compte de l'ensemble des points discutés, l'expert estime que Mme [V] n'était pas en mesure de comprendre et d'anticiper la portée de sa décision, ni de détecter d'éventuelles erreurs dans les procédures des actes, et donc d'avoir un discernement raisonnable.
Ceci n'est pas contradictoire avec le fait que Mme [V] était en état de parler et de s'adresser à son interlocuteur.'
Pour les motifs précédemment indiqués, les critiques de l'intimée portant sur la partialité de l'expert et du sapiteur, sur le fait qu'ils auraient exercé leur mission en violation des règles en matière d'expertise judiciaire sont inopérantes.
S'agissant des éléments versés aux débats, recueillis postérieurement au dépôt du rapport d'expertise judiciaire, à savoir le rapport du professeur [S] du 22 janvier 2022, du professeur [D] du 27 mai 2022, de l'analyse critique du rapport d'expertise judiciaire par le professeur [KR] du 18 février 2022, la cour s'étonne que l'intimée ait attendu le dépôt du rapport pour consulter ces éminents médecins, sans respecter le principe de la contradiction, sans permettre à l'expert judiciaire et au sapiteur de pouvoir émettre leurs observations, sans saisir le juge du contrôle des expertises des difficultés dénoncées aujourd'hui alors que la durée de l'expertise judiciaire, plus de 32 mois entre les premières demandes de l'expert et le dépôt du rapport, lui permettaient de s'ouvrir de ces difficultés au juge du contrôle de l'expertise et sans demander une contre expertise. Ce comportement procédural apparaît pour le moins déloyal et en tout état de cause, les critiques ainsi développées ne pourront être retenues comme fondées celles-ci apparaissant injustifiées.
Les critiques développées par l'intimée portant sur l'absence de diagnostic d'une maladie cognitive évolutive par le corps médical du vivant de la défunte, sur le résultat des tests MMS, sur les attestations de l'entourage, sur l'audition de [O] [V] par le juge des tutelles en mars 2014, la qualité du graphisme du testament, ne sont pas plus de nature à contredire les énonciations et conclusions de l'expertise judiciaire qui sont le produit d'une démarche contradictoire, après examen de l'ensemble des pièces fournies par les parties (attestations des proches et de l'entourage de la défunte, rapports médicaux versés par les parties, réponses aux dires des conseils avant le dépôt du pré- rapport et postérieurement au pré-rapport, deux réunions d'expertise, avis d'un sapiteur particulièrement renommé, consultation du dossier médical de la défunte) et qui apparaissent donc sérieuses, contradictoires et circonstanciées.
Il découle de ce qui précède que la cour retiendra qu'il est établi, compte tenu des éléments ci-dessus visés, que [O] [V] était incapable de manifester une volonté lucide et souffrait d'une affection mentale obnubilant son intelligence ou sa faculté de discernement au moment où elle a rédigé le testament litigieux.
Il s'ensuit que c'est à tort que le premier juge a rejeté la demande de Mmes [G] et [Y] [V] tendant à obtenir l'annulation du testament olographe rédigé par leur mère [O] [V] pour cause d'insanité d'esprit.
Le jugement sera infirmé de ce chef et le testament olographe de [O] [V] du 11 janvier 2013 sera annulé.
Sur les dommages et intérêts sollicités par l'intimée
Compte tenu des développements qui précèdent, les griefs de Mme [A]-[M] [V] portant sur l'acharnement de ses soeurs à contester le testament litigieux et sur leur intention de lui nuire ne sont pas fondés de sorte que sa demande de dommages et intérêts ne saurait être accueillie.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
Les dispositions du jugement relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile seront confirmées dans la mesure où il a statué conformément aux règles de droit et exactement.
Mme [A]-[M], partie perdante, supportera les dépens d'appel à l'exception des frais d'expertise judiciaire. S'agissant de ces derniers frais, l'expertise ayant été justifiée dans l'intérêt commun des parties, ils seront partagés en parts égales entre elles (1/3 chacune) et les dispositions de l'article 699 du code de procédure civile pourront être appliquées.
Il n'apparaît pas équitable d'accueillir les demandes formées par les parties fondées sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire et mis à disposition,
Vu l'arrêt rendu par la cour d'appel de Versailles, 1ère chambre, 1ère section (RG 17/02147) le 30 novembre 2018 ;
Dans les limites de l'appel,
INFIRME le jugement en ce qu'il déboute Mmes [G] et [Y] [V] de leur demande de nullité du testament du 11 janvier 2013 pour insanité d'esprit et pour vice du consentement ;
Statuant à nouveau du chef infirmé,
ANNULE le testament olographe de [O] [V] du 11 janvier 2013 ;
Y ajoutant,
REJETTE la demande de dommages et intérêts de Mme [A]-[M] [V] ;
CONDAMNE Mme [A]-[M] [V] aux dépens d'appel à l'exception des frais d'expertise judiciaire ;
CONDAMNE Mmes [G], [Y] et [A]-[M] [V] aux frais d'expertise judiciaire, à parts égales, soit 1/3 (UN TIERS) chacune ;
DIT que s'agissant des dépens relatifs aux frais d'expertise, ils pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
- signé par Madame Anna MANES, présidente, et par Madame Natacha BOURGUEIL, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, La Présidente,