COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 4IC
13e chambre
ARRET N°
REPUTE
CONTRADICTOIRE
DU 15 NOVEMBRE 2022
N° RG 22/03234 - N° Portalis DBV3-V-B7G-VGDN
AFFAIRE :
[O] [J]
C/
LE PROCUREUR
GENERAL
....
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 20 Juillet 2021 par le Tribunal judiciaire de Pontoise
N° chambre :
N° Section :
N° RG : 21/00004
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Jean-Baptiste DEVYS
MP
TJ
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE QUINZE NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Monsieur [O] [J]
né le [Date naissance 1] 1988 à [Localité 8] (ALGERIE)
[Adresse 3]
[Localité 5]
Représentant : Me Jean-Baptiste DEVYS, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 271
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Partielle numéro 2021/012150 du 05/05/2022 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de VERSAILLES)
APPELANT
****************
LE PROCUREUR GENERAL
POLE ECOFI - COUR D'APPEL DE VERSAILLES
[Adresse 4]
[Localité 6]
S.E.L.A.R.L. MMJ prise en la personne de Maitre [W] [C] ès qualités de liquidateur judiciaire de la société ASSOCIATION XIVENTS [Adresse 2]
[Localité 7]
Défaillante
INTIMES
****************
Composition de la cour :
L'affaire a été débattue à l'audience publique du 03 Octobre 2022, Madame Marie-Andrée BAUMANN, conseiller, ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :
Madame Sophie VALAY-BRIERE, Présidente,
Madame Marie-Andrée BAUMANN, Conseiller,
Madame Delphine BONNET, Conseiller,
qui en ont délibéré,
Greffier, lors des débats : Madame Sabine NOLIN
En la présence du Ministère Public, représenté par Monsieur Fabien BONAN, Avocat Général dont l'avis du 08/06/2022 a été transmis le 09/06/2022 au greffe par la voie électronique.
M. [O] [J] a créé en 2013 l'association Xivents dont l'activité est l'organisation de conventions et d'expositions, de salons, de concerts autour des séries télévisées, en présence d'artistes, et dont il était le président.
Saisi par déclaration de cessation des paiements, le tribunal judiciaire de Pontoise, par jugement du 20 novembre 2018, a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de l'association Xivents, nommé la Selarl MMJ prise en la personne de maître [W] [C] en qualité de liquidateur et fixé la date de cessation des paiements au 17 septembre 2018.
Sur requête du ministère public, le tribunal judiciaire de Pontoise, par jugement contradictoire du 20 juillet 2021, a prononcé la faillite personnelle de M. [J] pour une durée de quinze ans et l'a condamné aux dépens.
Pour prononcer cette sanction, le tribunal a retenu à l'encontre de ce dernier la tenue d'une comptabilité incomplète ; il a écarté le défaut de déclaration de cessation des paiements dans le délai légal.
Par déclaration du 10 mai 2022, M. [J] a interjeté appel du jugement. La déclaration d'appel a été signifiée le 25 mai 2022 par acte d'huissier remis à personne habilitée à la Selarl MMJ, ès qualités, laquelle n'a pas constitué avocat.
Dans ses dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 17 juin 2022 puis signifiées le 24 juin 2022 par procès-verbal de perquisition à la Selarl MMJ, ès qualités, qui a refusé de recevoir l'acte en faisant état de la clôture de la liquidation judiciaire depuis le 17 mai 2022, M. [J] demande à la cour de :
- infirmer le jugement en toutes ses dispositions ;
Et, statuant à nouveau,
A titre principal,
- rejeter toute demande de sanction à son encontre ;
À titre subsidiaire,
- substituer à la mesure de faillite personnelle une mesure d'interdiction de gérer, et en limiter considérablement la durée.
L'appelant, après avoir expliqué les circonstances dans lesquelles a été diligenté un contrôle fiscal à la suite de sa propre demande de vérification de la situation fiscale de l'association Xivents, fait valoir que la comptabilité de cette dernière a toujours été confiée au même cabinet d'expertise comptable et que les comptes ont été régulièrement tenus ; il communique la proposition de rectification suite à la vérification de comptabilité opérée par l'administration fiscale en relevant qu'elle 'énonce que les entretiens de contrôle se sont déroulés normalement' et que celle-ci n'a nullement remis en cause la régularité de la comptabilité de l'association dans l'ensemble du contrôle, le rapport ne contenant aucune mention selon laquelle cette comptabilité aurait été 'considérée comme irrégulière et non probante'.
Il observe que les comptes sociaux 2016 et 2017 qu'il communique ont toujours été régulièrement tenus et que les grands livres 2016 et 2017, versés aux débats, ont bien été transmis au liquidateur judiciaire
contrairement aux indications de son rapport. Il ajoute que d'après les indications portées sur les comptes de l'année 2017 s'agissant des immobilisations corporelles, le liquidateur judiciaire disposait de l'ensemble des informations qui auraient été fournies par le livre d'inventaire uniquement composé de ces immobilisations corporelles et que celui-ci disposait aussi de l'ensemble des informations contenues dans le livre journal, précisant à cet égard qu'à l'actif du bilan 2017 il est indiqué que l'association n'avait aucune créance à l'égard d'aucun débiteur de sorte qu'elle ne disposait pas de compte client à recouvrer et que la liste des créanciers, que le livre journal aurait permis d'identifier, a été fournie aux organes de la procédure. L'appelant en conclut que la comptabilité ne peut être qualifiée de manifestement incomplète de sorte qu'il n'y a pas lieu de prononcer une mesure de faillite personnelle à son encontre.
Il expose ensuite qu'il a toujours été de bonne foi et a pleinement collaboré tant lors de la procédure diligentée par l'administration fiscale saisie par lui pour régulariser la situation de l'association que durant la procédure de liquidation judiciaire, qu'il n'a jamais fait preuve d'une intention malveillante et a également donné la totalité de son temps et de son énergie pour porter et administrer son association ; il fait aussi état de sa 'situation d'indigence extrême' pour demander à la cour de ne prononcer aucune faillite personnelle à son encontre, ajoutant que la durée de quinze ans est manifestement excessive et injuste et qu'il ne sert à rien d'augmenter ses difficultés par une condamnation infamante compromettant son avenir professionnel ; il sollicite subsidiairement que la cour substitue une interdiction de gérer à la mesure de faillite personnelle et qu'elle en limite considérablement la durée.
Dans son avis notifié par RPVA le 9 juin 2022, le ministère public demande à la cour de confirmer le jugement. Il prétend que l'appelant a délibérément utilisé ' le véhicule juridique' de l'association pour organiser des événements à but lucratif afin d'échapper à la fiscalité des sociétés commerciales. Il rappelle que l'unique grief retenu est la tenue d'une comptabilité incomplète dans la mesure où manquent le grand livre, le livre d'inventaire et le journal de caisse, seuls les bilans et comptes de résultats ayant été transmis au liquidateur judiciaire et estime qu'une condamnation inférieure à quinze ans de faillite personnelle paraît inopportune.
Le liquidateur judiciaire a fait parvenir à la cour son rapport établi au visa de l'article L.641-7 du code de commerce, lequel a été communiqué par les soins du greffe à l'appelant.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 19 septembre 2022.
Pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens de l'appelant, il est renvoyé à ses dernières écritures conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
SUR CE,
Le ministère public sollicite la confirmation du jugement de sorte que la cour n'a pas à statuer sur le grief tiré du défaut de déclaration de cessation des paiements dans le délai légal, visé dans la requête initiale du ministère public puis écarté par le tribunal.
Seul le manquement tenant au caractère incomplet de la comptabilité doit ainsi être examiné, étant observé que le ministère public ne poursuivait pas de troisième grief dans sa requête initiale, tenant en particulier à la poursuite d'une exploitation déficitaire au cours des exercices 2016 et 2017 tel qu'évoqué à tort par le tribunal.
L'article L.653-5 6 ° du code de commerce sanctionne de la faillite personnelle toute personne, notamment dirigeant de droit d'une personne morale, contre laquelle il est relevé le fait d'avoir fait disparaître des documents comptables, ne pas avoir tenu de comptabilité lorsque les textes applicables
en font obligation ou avoir tenu une comptabilité fictive, manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions applicables. Les dispositions de l'article L.653-8 du même code permettent en ce cas de prononcer, à la place de la faillite personnelle, l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci.
Il ressort du rapport du liquidateur judiciaire que M. [J], dont il relève qu'il a été 'coopérant', lui a communiqué les bilans et comptes de résultats de l'association pour les exercices 2016 et 2017 mais qu'il ne lui a remis ni livre journal, ni livre d'inventaire ni grand livre.
L'administration fiscale, dans la proposition de rectification transmise par l'appelant et opérée après une procédure de vérification de comptabilité dont l'association a été l'objet du 27 octobre 2017 au 29 janvier 2018, a considéré que la gestion de l'association n'était pas désintéressée et qu'elle exerçait une activité concurrentielle ; elle a considéré qu'elle relevait de l'imposition relative à la TVA et de l'impôt sur les sociétés.
Toute association ayant une activité commerciale et fiscalisée est tenue de s'astreindre aux différentes obligations comptables, ce que ne discute pas M. [J] au demeurant.
Elle n'est cependant pas soumise à la tenue obligatoire du livre d'inventaire.
Si M. [J] ne démontre pas, comme il l'affirme, avoir transmis au liquidateur judiciaire le grand livre pour les deux exercices 2016 et 2017, il a cependant versé aux débats en appel le grand livre général, établi pour ces deux exercices, selon une édition du 30 octobre 2018, par le cabinet d'expertise comptable dénommé 'Compta expert Saint Leu' . C'est ce dernier qui a transmis les éléments comptables à l'administration fiscale, dans le cadre de la vérification de comptabilité précitée et portant notamment sur l'exercice 2016 et sur une partie de l'exercice 2017, jusqu'au 31 août 2017 ; il a été précisé à cette occasion par l'administration fiscale, qui a rencontré ce professionnel dans les locaux de ce dernier où se sont déroulées les opérations de vérification, que la comptabilité de l'association était tenue au moyen d'un système informatisé et que les fichiers des écritures comptables relatifs aux exercices vérifiés lui avaient été remis ; il a également été relevé au cours de ce contrôle que la comptabilité présentée par l'association était probante et appuyée de justificatifs.
Par conséquent, la communication de ce grand livre en appel doit être considérée comme suffisamment probante dès lors que l'administration fiscale n'a pas émis d'observations négatives sur les éléments comptables transmis par l'expert-comptable de l'association.
M. [J] n'explique pas pourquoi il n'a pas remis au liquidateur judiciaire puis à la cour le livre journal dont la tenue ne peut être suppléée par les pièces qu'il évoque dans ses écritures, la remise au liquidateur judiciaire de la liste des créanciers ne pouvant remplacer l'enregistrement quotidien des recettes et des dépenses qui seul constitue le reflet de l'activité comptable de la personne morale qu'il dirigeait.
Les annexes à la procédure de rectification fiscale ne comportent pas ce livre journal mais uniquement, sous l'annexe 5, le détail des encaissements bancaires intervenus entre le 1er mars 2015 et le 31 août 2017.
M. [J] ne peut donc s'exonérer de la responsabilité résultant de l'absence de communication de cette pièce et la cour ne peut que constater dans ces conditions le caractère incomplet de la comptabilité, même si des éléments comptables ont été communiqués par l'appelant, étant souligné que la vérification fiscale n'a pas porté sur la totalité de l'exercice 2017.
La sanction doit être proportionnée à la gravité des manquements commis.
M. [J] qui est âgé de 34 ans et qui justifie devoir une somme de 123 340,50 euros à l'administration fiscale au titre de l'impôt sur le revenu impayé en 2013 et 2015, est désormais salarié, depuis le 14 février 2019, en qualité d'hôte d'accueil polyvalent au vu des bulletins de paie qu'il communique, pour un salaire mensuel imposable de 1 232 euros en moyenne.
Au regard du seul grief retenu à l'encontre de M. [J] et des éléments comptables qu'il a transmis à l'administration fiscale puis dans le cadre de la présente procédure, il convient d'infirmer le jugement sauf en ce qui concerne la condamnation de M. [J] aux dépens et de limiter sa condamnation à une mesure d'interdiction de gérer pendant une durée d'un an.
PAR CES MOTIFS
Statuant par arrêt réputé contradictoire,
Infirme le jugement en date du 20 juillet 2021 sauf en ce qu'il a condamné M. [O] [J] aux dépens,
Statuant à nouveau,
Prononce à l'égard de M. [O] [J], né le [Date naissance 1] 1988 à [Localité 8] (Algérie), de nationalité algérienne, demeurant [Adresse 3], une mesure d'interdiction de diriger, gérer, administrer, ou contrôler directement ou indirectement toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole, toute personne morale pour une durée d'un an ;
Condamne M. [O] [J] aux dépens de la procédure d'appel qui seront recouvrés comme en matière juridictionnelle, celui-ci bénéficiant de l'aide juridictionnelle partielle ;
Dit qu'en application des articles 768 et R.69-9° du code de procédure pénale, la présente décision sera transmise par le greffier de la cour d'appel au service du casier judiciaire après visa du ministère public ;
Dit qu'en l'application des articles L.128-1 et suivants et R.128-1 et suivants du code de commerce, cette sanction fera l'objet d'une inscription au Fichier national automatisé des interdits de gérer, tenu sous la responsabilité du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce auprès duquel la personne inscrite pourra exercer ses droits d'accès et de rectification prévus par les articles 15 et 16 du règlement (UE) 20/6/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données ;
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Marie-Andrée BAUMANN, Conseiller, pour la Présidente empêchée et par Sabine NOLIN, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier, Le conseiller,