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22/11/2022 | FRANCE | N°21/02319

France | France, Cour d'appel de Versailles, 13e chambre, 22 novembre 2022, 21/02319


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 4IF



13e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 22 NOVEMBRE 2022



N° RG 21/02319

N° Portalis

DBV3-V-B7F-UNZC



AFFAIRE :



CREDIT INDUSTRIEL ET COMMERCIAL



C/



LE PROCUREUR GENERAL

....







Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 25 Mars 2021 par le Tribunal de Commerce de NANTERRE

N° chambre :

N° Section :

N

° RG : 2020L03281



Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :



Me Margaret BENITAH,



Me Stéphanie ARENA



MP



TC NANTERRE



RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE VINGT DEUX NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT DEU...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 4IF

13e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 22 NOVEMBRE 2022

N° RG 21/02319

N° Portalis

DBV3-V-B7F-UNZC

AFFAIRE :

CREDIT INDUSTRIEL ET COMMERCIAL

C/

LE PROCUREUR GENERAL

....

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 25 Mars 2021 par le Tribunal de Commerce de NANTERRE

N° chambre :

N° Section :

N° RG : 2020L03281

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Margaret BENITAH,

Me Stéphanie ARENA

MP

TC NANTERRE

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT DEUX NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

S.A. CREDIT INDUSTRIEL ET COMMERCIAL

[Adresse 5]

[Localité 6]

Représentant : Me Margaret BENITAH, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : C.409

Représentant : Me Isabelle SIMONNEAU de la SELEURL IS AVOCAT, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D0578

APPELANTE

****************

LE PROCUREUR GENERAL

POLE ECOFI - COUR D'APPEL DE VERSAILLES

[Adresse 4]

[Localité 7]

S.A.R.L. NETAV OR GUILI

[Adresse 3]

[Localité 9]

S.E.L.A.R.L. AJRS, mission conduite par Maître [Y] ès qualités de commissaire à l'exécution du plan de la société NETAV OR GUILI

[Adresse 2]

[Localité 10]

S.E.L.A.S. ALLIANCE, mission conduite par Maître [W] [P] ès qualités de mandataire judiciaire de la société NETAV OR GUILI

[Adresse 1]

[Localité 8]

Représentant : Me Stéphanie ARENA de la SELEURL ARENA AVOCAT, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 637

Représentant : Me Paul MINET, Plaidant, avocat au barreau de PARIS

INTIMES

****************

Composition de la cour :

L'affaire a été débattue à l'audience publique du 26 Septembre 2022, Madame Delphine BONNET, conseiller, ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :

Madame Sophie VALAY-BRIERE, Présidente,

Madame Marie-Andrée BAUMANN, Conseiller,

Madame Delphine BONNET, Conseiller,

qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Madame Sabine NOLIN

En la présence du Ministère Public, représenté par Monsieur Fabien BONAN, Avocat Général dont l'avis du 27/08/2021 a été transmis le même jour au greffe par la voie électronique.

Par jugement du 10 juin 2020, le tribunal de commerce de Nanterre a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société Netav Or Guili, désigné la Selarl AJRS, mission conduite par maître [Y] [U], et la Selas Alliance, mission conduite par maître [W] [P], respectivement en qualité d'administrateur et de mandataire judiciaires.

A l'ouverture de la procédure, les deux comptes courants de la société ouverts dans les livres du Crédit industriel et commercial (le CIC), présentaient les soldes créditeurs suivants :

- compte n°30066 10810 00020261601 : 4 045,99 euros,

- compte n° 30066 10810 00020261603 : 3 280,78 euros.

La société avait par ailleurs souscrit auprès du CIC, suivant contrat du 26 juin 2018, un prêt d'un montant de 100 000 euros garanti notamment par un nantissement des comptes de la société ouverts dans les livres de la banque.

Le CIC a déclaré sa créance au titre du prêt pour une somme échue de 86,33 euros et pour une somme à échoir de 78 448, 55 euros, à titre privilégié nanti.

La banque a également isolé sur un compte spécial les soldes créditeurs des comptes bancaires de la société, respectivement de 4 045,99 et 3 280,78 euros, en application de la clause de nantissement des comptes courants stipulée aux conditions générales du contrat de prêt.

Le CIC ayant refusé de restituer ces sommes, par requête du 17 septembre 2020, les organes de la procédure ont saisi le juge-commissaire désigné dans la procédure collective demandant la restitution sous astreinte des sommes retenues par la banque au titre de sa clause de nantissement.

Par ordonnance du 12 novembre 2020, le juge-commissaire a :

- constaté que les comptes bancaires de la société Netav Or Guili ouverts dans les livres du CIC sont des contrats en cours ;

- dit que le juge-commissaire dispose du pouvoir juridictionnel lui permettant d'imposer aux parties la poursuite régulière des contrats en cours, dans le respect de la discipline collective imposée aux créanciers ;

- rejeté la demande du CIC de communication de documents financiers de la société Netav Or Guili ;

- dit que l'article 2364 du code civil est inapplicable au nantissement de compte bancaire ;

- dit que l'article 2360 du code civil ne fait que déterminer l'assiette de la sûreté du créancier bénéficiant d'un nantissement de compte bancaire ;

- constaté qu'à l'ouverture de la procédure, seule était échue la somme de 86,33 euros au titre de l'assurance du contrat de prêt consenti par le CIC ;

- dit que le CIC ne dispose d'aucun droit de rétention sur les soldes créditeurs des comptes bancaires;

- dit que la clause litigieuse contrevient aux dispositions de l'article L.622-13 du code de commerce en ce qu'elle modifie les conditions de poursuite du compte courant du débiteur en diminuant ses droits du seul fait de sa mise en redressement judiciaire, et est déclarée inopposable à la procédure ;

- ordonné la restitution des sommes retenues par le CIC, sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de l'ordonnance ;

- s'est réservé le pouvoir de liquider l'astreinte.

Le CIC a formé opposition à cette ordonnance devant le tribunal de commerce de Nanterre, lequel, par jugement contradictoire du 25 mars 2021, a :

- déclaré recevable l'opposition à l'ordonnance du juge-commissaire formée par le CIC ;

- débouté le CIC de toutes ses autres demandes ;

- confirmé l'ordonnance rendue le 12 novembre 2020 par le juge-commissaire en toutes ses dispositions;

- condamné le CIC à payer à la société Netav Or Guili la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné le CIC aux dépens de l'instance.

Par déclaration du 8 avril 2021, le CIC a interjeté appel de ce jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a déclaré recevable l'opposition à l'ordonnance du juge-commissaire du 12 novembre 2020.

Dans ses dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 11 avril 2022, il demande à la cour de :

à titre principal,

- juger que la Selarl AJRS, ès qualités, lui a demandé de procéder à la clôture juridique des contrats de compte courant numéro 30066 10810 00020261601 et numéro 30066 10810 00020261603 à partir du 10 juin 2020, date du jugement d'ouverture ;

- juger que ces contrats ne constituent dès lors pas des 'contrats en cours' au sens de l'article L.622-13 du code de commerce ;

- juger que l'application de l'article 'nantissement de comptes' des conditions générales du contrat de prêt n'a pas eu, à elle seule, pour effet de modifier les conditions de poursuite des contrats de compte courant numéro 30066 10810 00020261601 et numéro 30066 10810 00020261603 ;

- juger que le juge-commissaire n'était pas compétent, ne détenant pas le pouvoir juridictionnel, pour statuer au visa de l'article L.622-13 du code de commerce ;

en conséquence,

- infirmer le jugement en ce qu'il a confirmé l'ordonnance rendue le 12 novembre 2020 par le juge-commissaire et l'a condamné à régler la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouter la société Netav Or Guili, la Selas Alliance et la Selarl AJRS, ès qualités, de leurs demandes; - condamner in solidum la société Netav Or Guili, la Selas Alliance et la Selarl AJRS, ès qualités, à lui restituer la somme de 7 326,77 euros sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la notification du jugement à intervenir ;

- inviter la société Netav Or Guili, la Selas Alliance et la Selarl AJRS, ès qualités, à mieux se pourvoir;

à titre subsidiaire,

avant dire droit,

- infirmer le jugement en ce qu'il a rejeté sa demande des documents financiers de la société Netav Or Guili ;

en conséquence,

- ordonner la production forcée par la société Netav Or Guili, la Selas Alliance et la Selarl AJRS, ès qualités, des documents financiers suivants de la société Netav Or Guili :

* la déclaration de cessation des paiements et ses annexes ;

* le justificatif du niveau de trésorerie à la date du dépôt de la déclaration de cessation des paiements ;

* l'inventaire de l'actif à cette même date ;

* le prévisionnel durant la période d'observation ;

à défaut,

- condamner in solidum la société Netav Or Guili, la Selas Alliance et la Selarl AJRS, ès qualités, à lui restituer la somme de 7 326,77 euros sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la notification du jugement à intervenir et les débouter de leurs demandes ;

- juger que le juge-commissaire a statué ultra petita en se réservant le pouvoir de liquider l'astreinte ;

- juger que l'article 1364 (sic) du code civil s'applique aux nantissements de comptes bancaires ;

- juger que la Selarl AJRS, ès qualités, lui a demandé de procéder à la clôture juridique des contrats de compte courant numéro 30066 10810 00020261601 et numéro 30066 10810 00020261603 à partir du 10 juin 2020, date du jugement d'ouverture ;

- juger que ces contrats ne constituent dès lors pas des 'contrats en cours' au sens de l'article L.622-13 du code de commerce ;

- juger que la société Netav Or Guili, la Selas Alliance et la Selarl AJRS, ès qualités, sont mal fondées à invoquer une modification des conditions de poursuite des conventions de compte courant numéros 30066 10810 00020261601 et 30066 10810 00020261603 en raison de l'effet de la clause 'nantissement de comptes' des conditions générales du contrat de prêt, dès lors qu'elles ont été clôturées à la demande expresse de cette dernière ;

- juger que le virement comptable sur le compte interne bloqué numéro 30066 10810 00020261605 des soldes créditeurs des comptes nantis numéros 30066 10810 00020261601 et 30066 10810 00020261603 au jour du redressement judiciaire de la société Netav Or Guili

ne constitue pas, en soi, une modification des conditions de poursuite desdits comptes au détriment de cette société au sens de l'article L. 622-13 du code de commerce, est réalisé à titre de garantie et n'opère pas d'attribution de ces sommes à défaut de créance exigible, n'a pas pour effet de 'vider le potentiel de la procédure de redressement judiciaire' de cette société et n'a pas pour effet d'aggraver sa situation financière ;

en conséquence,

- infirmer le jugement en ce qu'il a confirmé l'ordonnance rendue le 12 novembre 2020 par le juge-commissaire et l'a condamné à régler la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouter la société Netav Or Guili, la Selas Alliance, ès qualités, et la Selarl AJRS, ès qualités, de leurs demandes ;

- condamner in solidum la société Netav Or Guili, la Selas Alliance, ès qualités, et la Selarl AJRS, ès qualités, à lui restituer la somme de 7 326,77 euros sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la notification du jugement à intervenir ;

à titre principal et subsidiaire,

- condamner in solidum la société Netav Or Guili, la Selas Alliance et la Selarl AJRS, ès qualités, à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Netav Or Guili, la Selarl AJRS, en qualité de commissaire à l'exécution du plan (désignée à cette fonction par jugement du 29 janvier 2021 arrêtant le plan de redressement judiciaire de la société Netav Or Guili), et la Selas Alliance, ès qualités, dans leurs dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 20 avril 2022, demandent à la cour de :

- les recevoir en toutes leurs demandes et les déclarer bien fondées ;

- débouter le CIC de l'ensemble de ses demandes ;

par conséquent,

- juger que la clause litigieuse modifie les conditions de poursuite des conventions de compte courant en aggravant les obligations de la société Netav Or Guili du seul fait de l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire ;

- dire que ladite clause est inopposable à la procédure collective de la société Netav Or Guili ;

- dire que les sommes indûment retenues devaient par conséquent être restituées par le CIC ;

- confirmer le jugement ;

- condamner le CIC à verser à la société Netav Or Guili la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner le CIC aux entiers dépens de l'instance.

Dans son avis notifié par RPVA le 27 août 2021, le ministère public demande à la cour de confirmer le jugement.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 21 avril 2022.

Pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, il est renvoyé à leurs dernières écritures conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

SUR CE,

La cour rappelle, à titre liminaire, qu'elle n'est pas tenue de statuer sur les formules figurant dans le dispositif des conclusions des parties commençant par la locution 'juger que' qui ne sont pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile, mais constituent des moyens.

* sur le pouvoir juridictionnel du juge-commissaire

Le CIC fait valoir que le prêt consenti à la société Netav Or Guili ne constituant pas un contrat en cours au sens de l'article L. 622-13 du code de commerce dès lors que les fonds ont été intégralement débloqués, seule la question de la continuation des deux comptes courants est débattue. Il soutient que lorsque la clôture des conventions d'ouverture de compte résulte d'une demande de l'administrateur judiciaire, celui-ci ne saurait ensuite, avec le mandataire judiciaire, saisir le juge-commissaire en prétendant qu'une clause de nantissement de compte aurait porté atteinte à la continuité de ces contrats.

Il relève que les organes de la procédure ont fait un choix procédural restrictif pour contester la validité des nantissements en saisissant le juge-commissaire sur le fondement de l'article L.622-13 du code de commerce et non le juge des référés sur celui de l'article 873 du code de procédure civile. Il estime qu'aucune disposition et jurisprudence ne permettent de justifier de la compétence du juge-commissaire pour ces faits.

Il invoque l'existence d'une résiliation des comptes au jour du jugement d'ouverture par l'administrateur judiciaire tel que cela ressort de la lettre qu'il lui a adressée le 17 juin 2020 imposant une clôture juridique des comptes, compte tenu de la suppression des règles de leur fonctionnement et le transfert des soldes créditeurs vers un compte ouvert par l'administrateur judiciaire dans les livres d'un autre établissement. Il affirme que les comptes ayant été clôturés à la date du redressement judiciaire, par la décision expresse de l'administrateur judiciaire, cette clôture ne résulte pas par conséquent de l'effet de la clause 'Nantissement de comptes' du prêt.

Ensuite, après avoir rappelé les textes applicables, analysé la clause "nantissement de comptes" du prêt souscrit par la société Netav Or Guili, expliqué que la réalisation du nantissement du compte comporte deux phases, d'une part l'appréhension du bien grevé et d'autre part l'attribution du produit au créancier concerné, le CIC conclut à l'infirmation du jugement en ce qu'il a retenu que la clause "Nantissement des comptes" a eu pour effet de modifier les conditions de poursuite des comptes courants au détriment de la société Netav Or Guili. Il fait valoir que l'application de cette clause n'a modifié ni la consistance des droits et obligations des parties aux conventions de compte courant, ni leur fonctionnement au jour de l'ouverture de la procédure collective dès lors qu'en l'absence d'échéances impayées, l'application de la clause n'aboutit pas à la réalisation du nantissement. Il précise également que le blocage des soldes nantis n'aboutit pas à la moindre compensation de ces sommes avec sa créance qui a d'ailleurs été déclarée à échoir à l'exception du coût de l'assurance. Il affirme qu'ainsi la clause de nantissement de comptes du prêt n'a pas eu pour effet d'affecter le fonctionnement des comptes et n'a pas eu davantage d'impact sur les droits et obligations des parties aux conventions de compte courant en sorte que le juge-commissaire a commis une erreur d'analyse en s'estimant compétent.

La société Netav Or Guili et les organes de la procédure répondent que le juge-commissaire dispose du pouvoir juridictionnel pour statuer sur toute question relative à la poursuite des contrats en cours à l'ouverture de la procédure collective du débiteur, conformément aux dispositions de l'article L. 622-13 du code de commerce et qu'il est donc bien compétent pour statuer sur toute clause qui modifie les conditions de poursuite d'un contrat en cours en diminuant les droits ou en aggravant les obligations du débiteur du seul fait de sa procédure collective, ce qui est bien le cas en l'espèce.

Ils affirment que les comptes courants étaient bien en cours au jour de l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire et que, dans son courrier, l'administrateur judiciaire sollicitait la poursuite des comptes courants, en précisant, conformément aux règles de la répartition des pouvoirs en redressement judiciaire et à sa mission d'assistance, que lesdits comptes fonctionneraient à présent sous double signature.

Le ministère public, en ce qui concerne l'absence de pouvoir juridictionnel du juge-commissaire alléguée par l'appelant, fait valoir que les conventions de comptes bancaires étaient des contrats en cours à l'ouverture de la procédure collective et sont toujours en cours à ce jour, en sorte que le juge-commissaire était bien compétent pour écarter la clause litigieuse.

L'article L.622-13 du code de commerce prévoit que : 'Nonobstant toute disposition légale ou toute clause contractuelle, aucune indivisibilité, résiliation ou résolution d'un contrat en cours ne peut résulter du seul fait de l'ouverture d'une procédure de sauvegarde.

Le cocontractant doit remplir ses obligations malgré le défaut d'exécution par le débiteur d'engagements antérieurs au jugement d'ouverture. Le défaut d'exécution de ces engagements n'ouvre droit au profit des créanciers qu'à déclaration au passif.'

Le juge-commissaire qui est chargé de veiller au déroulement rapide de la procédure et à la protection des intérêts en présence, est la juridiction du contentieux de la continuation des contrats en cours.

En l'espèce, contrairement à ce que soutient l'appelante, les comptes courants de la société Netav Or Guili ouverts dans les livres du CIC n'ont pas été clôturés, ce qui résulte de la lettre même adressée par l'administrateur judiciaire à la banque le 17 juin 2020 dans laquelle il lui demandait expressément de 'maintenir le compte ouvert en vos livres au nom de mon administrée'. Les comptes courants étaient en tout état de cause des contrats en cours au jour de l'ouverture de la procédure collective au sens de l'article susvisé, peu important que l'administrateur judiciaire ait demandé à la banque d'en transférer les soldes créditeurs vers un compte ouvert par ses soins dans les livres d'un autre établissement.

Le juge-commissaire avait donc bien le pouvoir juridictionnel pour statuer sur la continuation de la convention de compte courant et par conséquent sur la demande de restitution des soldes créditeurs de comptes courants au jour de l'ouverture de la procédure collective isolés par la banque en exécution de la clause de nantissement figurant aux conditions générales du contrat de prêt.

Il convient dans ces conditions de confirmer le jugement en ce qu'il a confirmé l'ordonnance en sa disposition relative au pouvoir juridictionnel du juge-commissaire.

* sur le fond

Le CIC soutient que l'article 2364 du code civil s'applique au nantissement de comptes bancaires contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, soulignant que la particularité du nantissement de compte bancaire est que le créancier bénéficiaire du contrat de nantissement est également le teneur de compte. Il invoque l'alinéa 1er de l'article 2286 du code civil qui permet au créancier de revendiquer la rétention d'un bien, cet article consacrant le principe d'une connexité conventionnelle. Il affirme que les articles 2360, 2364 et suivants du code civil ont vocation à s'appliquer, conformément à ce qu'ils prévoient, en cas de procédure collective. Estimant que les principes retenus dans l'arrêt de la Cour de cassation du 22 janvier 2020 ne s'appliquent pas en l'espère, le CIC soutient que le mécanisme de nantissement des comptes prévu au contrat de prêt lui permet non pas de s'attribuer unilatéralement les sommes nanties au détriment des créanciers de la procédure collective, mais, par une simple opération comptable, d'isoler à titre de garantie les soldes nantis au jour du jugement d'ouverture sur un compte dans l'attente du sort qui leur sera réservé. Se prévalant d'une analyse de cet arrêt par le professeur [G], il affirme que la clause litigieuse ne produit pas les effets que lui prête l'arrêt précité. S'appuyant sur plusieurs articles de doctrine, il fait valoir que la lettre de l'article 2360 du code civil réaffirme clairement le droit du créancier de bénéficier d'un nantissement de créance en cas d'ouverture d'une procédure collective repris également dans l'article 2364 alinéa 2, qu'il convient de distinguer le blocage d'un compte et la réalisation du nantissement, qui ne pouvait pas intervenir, faute d'exigibilité du prêt garanti et que l'arrêt susvisé a été rendu contra legem, car, en décidant que le solde du compte nanti devait alimenter la poursuite d'activité du débiteur, la haute juridiction a outre-passé la lettre de l'article 2360 du code civil qui rend pourtant opposable le nantissement à la procédure collective.

Dans l'hypothèse où la cour estimerait que les principes fixés par l'arrêt précité auraient vocation à s'appliquer en l'espèce, la banque prétend qu'il conviendrait alors, pour adopter le raisonnement de la haute juridiction, d'effectuer une analyse économique de la société Netav Or Guili, ce qui nécessite la communication de documents financiers listés dans ses écritures. Elle estime qu'en toutes hypothèses, le blocage des sommes nanties n'a eu pour effet ni de 'vider le potentiel de la procédure de redressement judiciaire', ni d'aggraver la situation de la société Netav Or Guili, compte tenu des petits montants concernés, un plan de redressement par voie de continuation d'une durée de cinq ans ayant d'ailleurs été adopté par le tribunal le 29 janvier 2021.

Rappelant les dispositions de l'article L.622-13 du code de commerce, les appelants soutiennent qu'en l'espèce la clause litigieuse aggrave les conditions de poursuite des comptes courants du seul fait de l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire de la société Netav Or Guili puisqu'elle entraîne l'indisponibilité de sa trésorerie jusqu'à complète exécution de son plan de redressement au bénéfice exclusif du CIC et en violation des droits de la collectivité des créanciers, dont ceux bénéficiant d'un rang supérieur qui n'ont aucun droit sur l'actif ainsi saisi par le CIC.

Ils font valoir qu'en tout état de cause, à la supposer régulière, une telle clause ne pourrait jouer qu'à la condition que la créance garantie soit exigible.

Ils répondent au CIC que les dispositions de l'article 2360 du code civil n'assurent pas au créancier nanti un droit de rétention opposable à la procédure collective sur le solde du compte bancaire à l'ouverture de cette dernière mais déterminent uniquement l'assiette sur laquelle le créancier nanti pourra exercer son droit de préférence dans le cadre des distributions subséquentes. Ils soulignent que le rapport au Président de la République relatif à l'ordonnance n°2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés, précise à ce titre que 'L'article 2360, relatif au nantissement de compte, n'est pas modifié, ce qui pérennise la jurisprudence de la Cour de cassation ayant déterminé le sort de cette sûreté en procédure collective (Cass. com. 22 janvier 2020, n°18-21.647)'. Enfin, ils rappellent que les dispositions de l'article 2364 sont inapplicables en l'espèce car relevant uniquement du nantissement de créance, et non du nantissement de compte bancaire.

Le ministère public fait valoir que l'article 2364 du code civil ne concerne pas le nantissement des comptes bancaires mais uniquement le nantissement de créance et que l'article 2360 du code civil ne confère aucun droit de rétention au créancier. Ensuite, il estime que les dispositions du code civil invoquées doivent être combinées avec l'adage "specialia generalibus derogant", le droit des procédures collectives étant un droit dérogatoire et d'ordre public. Il en conclut que l'appelant n'a pas de droit de rétention sur les soldes créditeurs des comptes bancaires.

En ce qui concerne l'obligation de communication des documents financiers, il soutient que les documents demandés ne sont pas publics et n'ont pas vocation à être communiqués aux tiers.

L'article 2287 du code civil dispose que : 'Les dispositions du présent livre ne font pas obstacle à l'application des règles prévues en cas d'ouverture d'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire ou encore en cas d'ouverture d'une procédure de traitement des situations de surendettement des particuliers'.

L'article 2360 du code civil prévoit que : 'Lorsque le nantissement porte sur un compte, la créance nantie s'entend du solde créditeur, provisoire ou définitif, au jour de la réalisation de la sûreté sous réserve de la régularisation des opérations en cours, selon les modalités prévues par les procédures civiles d'exécution.

Sous cette même réserve, au cas d'ouverture d'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire, de liquidation judiciaire ou d'une procédure de traitement des situations de surendettement des particuliers contre le constituant, les droits du créancier nanti portent sur le solde du compte à la date du jugement d'ouverture'.

En l'espèce, la clause de nantissement des conditions générales du prêt est ainsi libellée :

' Conformément aux articles 2355 à 2366 du code civil, l'emprunteur remet en nantissement au profit du prêteur à titre de sûreté le compte sur lequel sont ou seront domiciliés les remboursements du crédit objet des présentes, et plus généralement l'ensemble des comptes présents ou futurs ouverts sur les livres du prêteur, ceci sans préjudice de toute autre garantie spécifique qui pourrait le cas échéant être spécialement affectée par ailleurs à la garantie de ce crédit.

(...).

De même, le prêteur pourra se prévaloir du nantissement en cas d'ouverture d'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire, de liquidation judiciaire ou d'une procédure de traitement des situations de surendettement des particuliers et sera en droit d'isoler sur un compte spécial bloqué à son profit les soldes créditeurs des comptes nantis existant à la date du jugement déclaratif d'ouverture de la procédure collective.

Conformément à la loi, en cas de non-paiement par l'emprunteur d'une somme quelconque devenue exigible restant due au prêteur, celui-ci sera en droit de compenser de suite jusqu'à due concurrence, la créance détenue sur l'emprunteur avec les soldes créditeurs provisoires ou définitifs des comptes nantis.

La compensation aura lieu après régularisation des opérations en cours'.

Il est constant qu'à la date de l'ouverture du redressement judiciaire de la société, les échéances du prêt accordé par la banque étaient régulièrement payées de telle sorte que le CIC ne détenait pas de créance exigible sur l'emprunteur au titre de ce prêt.

Il y a lieu ici de rappeler que le prêteur est soumis à la règle de l'interdiction des paiements, qui lui interdit, pendant la procédure collective, de bénéficier d'un paiement individuel, indépendamment de la collectivité des créanciers. Il ne pourra être payé que dans le cadre des distributions collectives.

Dès lors, le CIC ne pouvait pas procéder à la mise en jeu de sa garantie et retenir les sommes figurant sur les deux comptes courants nantis au jour de l'ouverture de la procédure collective en les isolant sur un compte spécial, l'appropriation de ces sommes ne pouvant intervenir qu'à partir du moment où le créancier nanti, en sa qualité de bénéficiaire de la sûreté, peut se prévaloir d'une créance certaine, liquide et exigible.

La banque ne peut utilement invoquer les dispositions de l'ancien article 2364 alinéa 2 aux termes desquelles 'dans le cas contraire (à savoir lorsque la créance n'est pas encore échue), le créancier conserve à titre de garantie les sommes payées au titre de la créance nantie sur un compte ouvert auprès d'un établissement habilité à les recevoir à charge pour lui de les restituer si l'obligation garantie est exécutée. En cas de défaillance du débiteur de la créance garantie et huit jours après une mise en demeure restée sans effet, le créancier affecte les fonds au remboursement de sa créance dans la limite des sommes impayées' relatif au nantissement de créance et non au nantissement de compte bancaire.

C'est donc à bon droit que le juge-commissaire a ordonné sous astreinte la restitution des sommes retenues par le CIC, étant observé que cette décision est indépendante de l'analyse de la situation économique de l'entreprise, en sorte qu'il n'avait pas à ordonner la communication des documents financiers réclamés par la banque.

Il convient par conséquent de confirmer la décision déférée en toutes ses dispositions.

PAR CES MOTIFS

la cour, statuant par arrêt contradictoire, dans les limites de sa saisine,

Confirme le jugement rendu par le tribunal de commerce de Nanterre le 25 mars 2021;

Condamne le CIC aux dépens de la procédure d'appel ;

Condamne le Crédit industriel et commercial à payer à la société Netav Or Guili la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Marie-Andrée BAUMANN, Conseiller, pour la Présidente empêchée et par Madame Sabine NOLIN, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le conseiller,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 13e chambre
Numéro d'arrêt : 21/02319
Date de la décision : 22/11/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-11-22;21.02319 ?
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