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01/12/2022 | FRANCE | N°20/02604

France | France, Cour d'appel de Versailles, 15e chambre, 01 décembre 2022, 20/02604


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES







15e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 01 DÉCEMBRE 2022



N° RG 20/02604 - N° Portalis DBV3-V-B7E-UFFJ



AFFAIRE :



[V] [E]



C/



S.A.S. VITOGAZ FRANCE









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 13 Octobre 2020 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANTERRE

N° Section : I

N° RG : 18/02963



Copies exécutoires et

certifiées conformes délivrées à :



Me Jeanne GAILLARD de la SCP ACGR



Me Pascale TRAN de la SELARL ACTIS AVOCATS



Expédition numérique délivrée à POLE EMPLOI



le :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE PREMIER DÉC...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

15e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 01 DÉCEMBRE 2022

N° RG 20/02604 - N° Portalis DBV3-V-B7E-UFFJ

AFFAIRE :

[V] [E]

C/

S.A.S. VITOGAZ FRANCE

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 13 Octobre 2020 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANTERRE

N° Section : I

N° RG : 18/02963

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Jeanne GAILLARD de la SCP ACGR

Me Pascale TRAN de la SELARL ACTIS AVOCATS

Expédition numérique délivrée à POLE EMPLOI

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE PREMIER DÉCEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant, initialement fixé au 26 octobre 2022, différé au 27 octobre 2022, puis prorogé au 17 novembre 2022, puis prorogé au 01 décembre 2022, les parties ayant été avisées dans l'affaire entre :

Madame [V] [E]

née le 28 Octobre 1979 à [Localité 5] ([Localité 5])

de nationalité Française

[Adresse 6]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentant : Me Jeanne GAILLARD de la SCP ACGR, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : 748, substitué par Me RIFFAUD Julien, avocat au barreau des HAUTS DE SEINE

APPELANTE

****************

S.A.S. VITOGAZ FRANCE

N° SIRET : 323 069 112

[Adresse 1]

[Adresse 7]

[Localité 4]

Représentant : Me Pascale TRAN de la SELARL ACTIS AVOCATS, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, vestiaire : 1

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 28 Juin 2022 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Régine CAPRA, Présidente chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Régine CAPRA, Présidente,

Monsieur Jean-Yves PINOY, Conseiller,

Madame Perrine ROBERT, Vice-présidente placée,

Greffier lors des débats : Monsieur Achille TAMPREAU,

EXPOSE DU LITIGE

Mme [V] [E] a été engagée à compter du 7 juin 2004, avec une reprise d'ancienneté à compter du 6 avril 2004 par la société Vitogaz, par contrat de travail à durée indéterminée, en qualité d'assistante logistique, statut employé, coefficient 170B. Elle a été promue au 1er septembre 2009, assistante approvisionnement, statut agent de maîtrise, coefficient 230A. Elle a occupé ensuite à compter du 12 octobre 2010 les fonctions de coordinatrice logistique matière, statut agent de maîtrise, coefficient 250A.

Son contrat de travail a été transféré de plein droit à la société Vitogaz France le 31 décembre 2013.

Selon avenant du 5 mars 2015, elle a été nommée à compter du 15 mars 2015 responsable du pôle administratif conditionné, statut agent de maîtrise, article 36, coefficient 270D, moyennant une rémunération mensuelle brute de 2 922,39 euros.

Elle a été réaffectée temporairement à compter du mois de décembre 2016 au service matière.

Elle travaillait au siège social de l'entreprise.

Sa rémunération était composée en dernier lieu d'un salaire mensuel brut de 2 939,95 euros, d'une prime d'ancienneté de 382,19 euros et d'une prime de fin d'année d'un montant correspondant à un treizième mois.

Les 23 février et 22 mars 2017, la société Vitogaz France a procédé à l'information/consultation du comité d'entreprise sur son projet de réorganisation du département logistique en deux pôles, le Front Office et le Back Office, les missions du pôle administratif conditionné étant réparties sur ces deux pôles et a indiqué que la responsable du pôle administratif conditionné, dont le poste sera supprimé, se verra proposer un poste en relation avec ses compétences.

Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 20 juin 2017, la société Vitogaz France a proposé à Mme [E] deux postes de reclassement au siège de l'entreprise, au sein du département Logistique & Exploitation, un poste de gestionnaire administratif au sein du service Back Office, classification 230B, moyennant un salaire mensuel brut de 2277,72 euros sur treize mois, et un poste de gestionnaire d'exploitation au sein du service Front Office, classification 215C, moyennant un salaire mensuel brut de 2229,46 euros sur treize mois.

Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 28 juin 2017, la salariée a informé son employeur qu'elle n'acceptait pas de recevoir des offres de reclassement en dehors du territoire national et qu'elle refusait les deux postes proposés situés au siège social de l'entreprise.

Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 5 juillet 2017, la société Vitogaz France a convoqué Mme [E] à un entretien préalable à un éventuel licenciement pour motif économique qui a eu lieu le 21 juillet 2017, au cours duquel elle lui a proposé d'adhérer au contrat de sécurisation professionnelle. Par lettre recommandée avec avis de réception du 2 août 2017, elle lui a notifié les motifs économiques de la rupture de son contrat de travail. L'intéressée ayant adhéré le 4 août 2017 au contrat de sécurisation professionnelle, son contrat de travail a pris fin le 11 août 2017. Il lui a été versé une indemnité de licenciement d'un montant de 24 473,13 euros.

La société employait habituellement 127 salariés au moment de la rupture du contrat de travail.

Les relations entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale de l'industrie du pétrole.

Invoquant une discrimination en raison de son état de santé et un harcèlement moral et contestant la rupture pour motif économique de son contrat de travail, dont elle invoquait la nullité et, subsidiairement, l'absence de cause réelle et sérieuse, Mme [E] a saisi, le 9 novembre 2018, le conseil de prud'hommes de Nanterre afin d'obtenir le versement de diverses sommes.

Par jugement du 13 octobre 2020, auquel la cour renvoie pour l'exposé des demandes initiales des parties et de la procédure antérieure, le conseil de prud'hommes de Nanterre a :

- dit que 1'action de Mme [E] à l'encontre de la validité et la régularité de son licenciement économique est frappée de prescription ;

- débouté la société Vitogaz France de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- mis les entiers dépens à la charge de Mme [E].

Mme [E] a interjeté appel de cette décision par déclaration au greffe du 20 novembre 2020.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par Rpva le 21 décembre 2021, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens, Mme [E] demande à la cour de :

- fixer la moyenne de ses douze derniers mois de salaire à la somme brute de 3728,46 euros ;

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit son action en contestation de la validité et de la régularité de son licenciement économique prescrite, a mis les entiers dépens à sa charge et, ce faisant, en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de nullité du licenciement formée titre principal ainsi que de sa demande d'indemnité pour harcèlement moral et, statuant à nouveau :

¿ à titre principal, de :

- juger que son licenciement est nul,

- condamner la société Vitogaz France à lui payer la somme de 55 920 euros nets à titre d'indemnité pour licenciement nul avec intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir ;

¿ à titre subsidiaire, de :

- juger que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse ;

- condamner la société Vitogaz France à lui payer la somme de 55 920 euros nets à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse avec intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir ;

¿ en tout état de cause :

- juger qu'elle a été victime de harcèlement moral,

- condamner la société Vitogaz France à lui payer la somme de 55 920 euros nets à titre d'indemnité pour harcèlement moral avec intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir ;

- condamner la société Vitogaz France à lui payer la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

- condamner la société Vitogaz France aux entiers dépens de l'instance.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par Rpva le 22 avril 2021, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens, la société Vitogaz France demande à la cour  :

¿ à titre principal, de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a retenu que l'action de Mme [E] à l'encontre de la validité et la régularité de son licenciement est frappée de prescription ;

¿ à titre subsidiaire, de débouter Mme [E] de l'ensemble de ses demandes ;

¿ à titre infiniment subsidiaire, de rapporter les demandes de Mme [E] à de plus justes proportions ;

¿ en tout état de cause, de :

- fixer la moyenne des salaires de Mme [E] à la somme de 3 728,46 euros bruts ;

- condamner Mme [E] à lui payer une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens d'appel.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 1er juin 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la prescription de l'action en nullité du licenciement

Aux termes de l'article L. 1471-1du code du travail dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 :

'Toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit.

Le premier alinéa n'est toutefois pas applicable aux actions en réparation d'un dommage corporel causé à l'occasion de l'exécution du contrat de travail, aux actions en paiement ou en répétition du salaire et aux actions exercées en application des articles L. 1132-1, L. 1152-1 et L. 1153-1. Elles ne font obstacle ni aux délais de prescriptions plus courts prévus par le présent code et notamment ceux prévus aux articles L. 1233-67, L. 1234-20, L. 1235-7 et L. 1237-14, ni à l'application du dernier alinéa de l'article L. 1134-5.'

La société Vitogaz France fait valoir que le délai de prescription de douze mois à compter de la notification du licenciement, prévu par l'article L. 1235-7 du code du travail dans sa version issue de l'ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017, pour l'exercice par le salarié de son droit individuel à contester son licenciement pour motif économique étant applicable, conformément aux dispositions de l'article 40, II, de celle-ci, aux prescriptions en cours à compter du 23 septembre 2017, sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure, l'action de la salariée, licenciée pour motif économique par lettre notifiée le 2 août 2017 était dès lors prescrite à la date à laquelle celle-ci a saisi le conseil de prud'hommes le 9 novembre 2018.

Le contrat de travail ayant été rompu par l'adhésion de la salariée au contrat de sécurisation professionnelle, dont la contestation est soumise au délai de prescription prévu par l'article L. 1233-67 du code du travail, la société Vitogaz France est mal fondée en sa fin de non-recevoir fondée sur l'article L. 1235-7.

A supposer les conditions d'application de l'article L. 1235-7 du code du travail réunies, ce qui n'est pas établi, le délai de prescription qu'il prévoit n'est en tout état de cause pas applicable aux actions en nullité du licenciement fondées sur la discrimination et sur le harcèlement moral, qui sont soumises à un délai de prescription de cinq ans.

Il convient en conséquence d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit que 1'action de Mme [E] en contestation de la validité et de la régularité de son licenciement économique est frappée de prescription.

Sur la discrimination

Selon l'article L. 1132-1 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de reclassement, en raison de son état de santé.

En application de l'article L. 1134-1 du même code, lorsque le salarié présente des éléments de fait constituant selon lui une discrimination directe ou indirecte, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments dans leur ensemble laissent supposer l'existence d'une telle discrimination et, dans l'affirmative, il incombe à l'employeur de prouver que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Il est établi en l'espèce par les pièces produites :

- que par avenant du 5 mars 2015, Mme [E] a été nommée, à effet au 15 mars 2015, responsable du pôle administratif conditionné ;

- qu'elle a été en congé maladie du 10 au 13 mars 2015 ;

- qu'elle a suivi les 18 et 19 mai 2015 une formation Communication, les 26 et 27 mai 2015 une formation Bases du coaching et les 1er et 2 juin 2015 une formation Coaching, préparation ;

- qu'elle a été en congé maladie du 15 au 17 juin 2015, du 27 au 31 juillet 2015, les 28 et 29 septembre 2015, du 25 au 27 janvier 2016, les 8, 9 et 11 mars 2016, du 30 mai au 1er juin 2016, les 28 et 29 septembre 2016, du 4 au 6 octobre 2016, les 25 et 26 octobre 2016, du 22 au 25 novembre 2016 ;

- qu'elle a été réaffectée temporairement avec son accord au service matière à compter du mois de décembre 2016, selon l'employeur, après un entretien formel avec son supérieur hiérarchique mené au regard de ses absences fréquentes en vue de faciliter sa reprise du travail et pour identifier les causes de ses absences répétées, au cours duquel elle aurait reconnu rencontrer des difficultés dans la tenue de son poste et, selon la salariée, pour répondre à la demande qui lui a été faite lors d'un entretien par son supérieur hiérarchique pour assurer la continuité du service matière, suite à la démission conjointe de deux salariées, même si elle ne conteste pas avoir rencontré une difficulté majeure dans la tenue de son poste, qu'elle attribue à l'absence de formation de manager ;

- que Mme [E] a été en congé maladie les 15 et 16 décembre 2016 et les 18 et 19 janvier 2017 ;

- que les 23 février et 22 mars 2017, la société Vitogaz France a procédé à l'information/consultation du comité d'entreprise sur son projet de réorganisation du département logistique en deux pôles, le Front Office et le Back Office, les missions du pôle administratif conditionné étant réparties sur ces deux pôles et a indiqué que la responsable du pôle administratif conditionné se verra proposer un poste en relation avec ses compétences ;

- que Mme [E] a été en congé maladie du 7 au 10 mars 2017 ; que le médecin qui a effectué le 10 mars 2017 une contre-visite médicale à l'initiative de l'employeur, a conclu que l'arrêt de travail de la salariée était médicalement justifié ;

- que par lettre du 3 avril 2017, remise en main propre contre décharge le 7 avril 2017, l'employeur a écrit à la salariée :

* que malgré sa réaffectation au service matière décidée par son supérieur hiérarchique avec son accord, la situation concernant ses absences répétées ne s'est pas améliorée et que, de plus, lors de son dernier arrêt de travail, elle a informé le service ressources humaines sans en informer au préalable son supérieur comme à l'accoutumée ; qu'au regard de ce changement d'attitude, son supérieur hiérarchique l'a à nouveau reçue afin de l'entendre et de l'informer sur les conséquences préjudiciables pour ses collègues ainsi que sur l'organisation du service ; qu'elle n'a pas souhaité donner suite et n'a pas fourni d'explication ;

* que son absentéisme ayant un impact important sur l'organisation, il l'alerte, compte-tenu, d'une part, des caractéristiques de son poste et, d'autre part, du caractère par nature inopiné de ces absences, sur les difficultés à procéder à son remplacement temporaire dans les conditions qui permettraient de garantir un fonctionnement satisfaisant du service ;

- que par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 15 avril 2017, Mme [E] a fait observer concernant son dernier arrêt de travail du 7 au 10 mars 2017, qu'elle a informé le service des ressources humaines de son absence par mail le 7 mars à 9h05, puis à 17h48 après sa visite chez le médecin, et a fait parvenir son avis d'arrêt de travail sous 48 heures comme prévu au règlement intérieur, que ses absences sont toutes justifiées par des arrêts de travail prescrits médicalement et qu'elle est toujours dans l'attente d'une proposition de reclassement et a estimé que la lettre qui lui a été remise est à la limite du harcèlement moral et qu'elle se voit dans l'obligation d'en informer les délégués du personnel, Chsct et l'inspection du travail et toutes institutions qui s'y réfèrent ;

- qu'elle a été en congé maladie le 5 mai 2017 et du 12 au 15 mai 2017 ;

- que par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 17 mai 2017, la société Vitogaz France a répondu à la salariée qu'elle a pris note de sa perception concernant la teneur du courrier remis, qu'elle qualifie être à la 'limite du harcèlement', que sa remarque ne repose sur aucun élément objectif et concret et n'a pour seul objet que de jeter un discrédit sur la gestion sociale de l'entreprise ;

- que par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 20 juin 2017, la société Vitogaz France a proposé à Mme [E], qui occupait un poste de responsable du pôle administratif conditionné, statut agent de maîtrise, article 36, coefficient 270D, moyennant un salaire mensuel brut de base de 2 922,39 euros sur treize mois, les deux postes suivants :

* un poste de gestionnaire administratif, classification 230B, moyennant un salaire mensuel brut de 2277,72 euros sur treize mois ;

* un poste de gestionnaire d'exploitation, classification 215C, moyennant un salaire mensuel brut de 2229,46 euros sur treize mois ;

- que Mme [E] a été en congé maladie ininterrompu à compter du 27 juin 2017 ;

- que par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 28 juin 2017, elle a refusé les deux postes proposés ;

- qu'après avoir convoqué Mme [E] le 5 juillet 2017, à un entretien préalable à un éventuel licenciement pour motif économique qui a eu lieu le 21 juillet 2017, au cours duquel elle lui a proposé d'adhérer au contrat de sécurisation professionnelle, la société Vitogaz France lui a notifié le 2 août 2017 le motif économique de la rupture de son contrat de travail comme étant la suppression de son emploi consécutive à la réorganisation du département logistique de l'entreprise.

Les demandes d'explication réitérées concernant ses absences répétées et le courrier l'alertant sur les conséquences de ses absences répétées sur ses collègues et sur l'organisation du service, alors que ses absences étaient toutes justifiées par des arrêts de travail prescrits médicalement et que la contre-visite médicale du 10 mars 2017 avait conclu à un arrêt de travail médicalement justifié, constituent un élément laissant supposer l'existence d'une discrimination en raison de son état de santé.

Il incombe dès lors à la société Vitogaz France de rapporter la preuve que l'absence de reclassement de Mme [E] justifiant son licenciement, est justifié par un élément objectif étranger à toute discrimination.

La société Vitogaz France, qui a proposé à Mme [E] deux postes de reclassement d'une catégorie et d'une rémunération inférieures aux siennes, ne justifie ni de recherches sérieuses de reclassement, ni de l'absence de poste disponible correspondant aux compétences de la salariée autres que ceux proposés. Elle ne justifie pas dès lors d'un élément objectif étranger à toute discrimination justifiant l'impossibilité de reclasser Mme [E] et donc la rupture de son contrat de travail pour motif économique. La discrimination est dès lors caractérisée.

La rupture du contrat de travail est en conséquence nulle comme constituant une mesure discriminatoire en raison de l'état de santé de Mme [E].

Le salarié dont le licenciement est nul et qui ne demande pas sa réintégration, a droit à une indemnité réparant intégralement le préjudice résultant du caractère illicite de son licenciement, dont le montant doit être au moins égal à celui prévu par L. 1235-3 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017, soit un montant égal aux salaires bruts des six derniers mois précédant la rupture du contrat de travail.

En raison de l'âge de la salariée au moment de son licenciement, 37 ans, de son ancienneté dans l'entreprise, du montant de la rémunération qui lui était versée, de son aptitude à retrouver un emploi ainsi que des justificatifs produits, il convient de lui allouer, en réparation du préjudice matériel et moral qu'elle a subi, la somme de 32 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul.

Sur le harcèlement moral

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En vertu de l'article L. 1154-1 du même code, dans sa rédaction résultant de la loi n°2016-1088 du 8 août 2016 applicable aux faits commis à compter de son entrée en vigueur le 10 août 2016, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement et, au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Mme [E] établit qu'il lui a été demandé à plusieurs reprises des explications sur ses absences répétées, qu'il lui a été adressé un courrier l'alertant sur les conséquences de ses absences répétées sur ses collègues et sur l'organisation du service et un courrier lui reprochant de vouloir jeter un discrédit sur la gestion sociale de l'entreprise en dénonçant une attitude de l'employeur à la 'limite du harcèlement' et produit un certificat de son médecin traitant indiquant qu'il l'a soignée dans l'année 2017 pour une dépression réactionnelle due à des problèmes au travail.

Les faits établis par la salariée, pris en leur ensemble, laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral.

Ces faits ne sont justifiés par aucun élément objectif étranger à tout harcèlement moral dès lors que les absences de la salariée étaient toutes justifiées par des arrêts de travail prescrits médicalement, que la contre-visite médicale du 10 mars 2017 avait conclu à un arrêt de travail médicalement justifié, que la salariée n'avait pas l'obligation de prévenir son supérieur hiérarchique de son absence avant de prévenir le service des ressources humaines et que la mauvaise foi de la salariée dans sa dénonciation d'une lettre à la limite du harcèlement moral n'est pas caractérisée. Le harcèlement moral est en conséquence établi.

Les obligations résultant des articles L. 1132-1 et L. 1152-1 du code du travail sont distinctes en sorte que la méconnaissance de chacune d'elles, lorsqu'elle entraîne des préjudices différents, ouvre droit à des réparations spécifiques. Les dommages-intérêts alloués au titre du licenciement discriminatoire répare les préjudices matériels et moraux résultant pour la salariée de la perte de son emploi et non le préjudice moral résultant de la dégradation de ses conditions de travail antérieure à la rupture du contrat de travail.

Le harcèlement moral subi a causé à Mme [E] un préjudice que la cour fixe à 3 000 euros. Il convient en conséquence d'infirmer le jugement entrepris et de condamner la société Vitogaz France à payer ladite somme à Mme [E] à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral.

Sur les intérêts

Les créances indemnitaires sont productives d'intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.

Sur la demande de fixation de la moyenne de salaire

Cette demande est sans objet, l'article R. 1454-28 du code du travail imposant au juge de fixer la moyenne des salaires n'étant pas applicable devant la cour.

Sur le remboursement des indemnités de chômage à Pôle emploi

En application de l'article L. 1235-4 du code du travail, il y a lieu d'ordonner le remboursement par la société Vitogaz France à Pôle emploi, partie au litige par l'effet de la loi, des indemnités de chômage qu'il a versées à Mme [E] à compter du jour de son licenciement, et ce à concurrence de six mois d'indemnités, sous déduction de la contribution prévue à l'article L. 1233-69 du code du travail.

Sur les dépens et l'indemnité de procédure

La société Vitogaz France, qui succombe, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel et sera déboutée de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

Il convient de la condamner, en application de l'article 700 du code de procédure civile, à payer à Mme [E] la somme de 2 000 euros pour les frais irrépétibles que celle-ci a exposés.

PAR CES MOTIFS :

La COUR,

Statuant par arrêt CONTRADICTOIRE,

Infirme le jugement du conseil de prud'hommes de Nanterre en date du 13 octobre 2020 sauf en ce qu'il a débouté la société Vitogaz France de sa demande d'indemnité fondée sur l'article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles exposés en première instance, et statuant à nouveau sur les chefs infirmés :

Rejette la fin de non-recevoir tirée de la prescription opposée par la société Vitogaz France à Mme [V] [E] ;

Dit que le licenciement de Mme [V] [E] est nul comme discriminatoire en raison de l'état de santé ;

Condamne la société Vitogaz France à payer à Mme [V] [E] les sommes suivantes :

* 32 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul ;

* 3 000 euros à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral ;

Dit que ces créances sont productives d'intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;

Ordonne le remboursement par la société Vitogaz France à Pôle emploi des indemnités de chômage qu'il a versées à Mme [V] [E] à compter du jour de son licenciement, et ce à concurrence de six mois d'indemnités, sous déduction de la contribution prévue à l'article L. 1233-69 du code du travail ;

Condamne la société Vitogaz France à payer à Mme [V] [E] la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute la société Vitogaz France de sa demande d'indemnité fondée sur l'article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles exposés en cause d'appel ;

Condamne la société Vitogaz France aux dépens de première instance et d'appel.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Régine CAPRA, Présidente et par Madame Sophie RIVIERE, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 15e chambre
Numéro d'arrêt : 20/02604
Date de la décision : 01/12/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-12-01;20.02604 ?
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