COUR D'APPEL
de
VERSAILLES
21e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 24 NOVEMBRE 2022
N° RG 21/00002
N° Portalis DBV3-V-B7F-UHP4
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 16 novembre 2020 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de SAINT GERMAIN EN LAYE
N° Section : E
N° RG : F19/00024
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Sophie BERANGER
Me Sandra ROBERT
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le 1er décembre 2022, après première prorogation du 24 novembre 2022 les parties en ayant été avisées,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Madame [E] [X] épouse [M]
[Adresse 3]
[Localité 5]
Représentant : Me Sophie BERANGER, plaidant / postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 68
APPELANTE
****
S.A.S. CAPSI CONSEIL
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentant : Me Claude LEGOND de la SCP LEGOND & ASSOCIES, constitué / postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 007 - Me Sandra ROBERT de la SELARL CSR, plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : L0017
INTIMEE
****
Composition de la cour
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 03 octobre 2022 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Odile CRIQ, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Thomas LE MONNYER, Président,
Madame Odile CRIQ, Conseiller,
Madame Véronique PITE, Conseiller,
Monsieur Mohamed EL GOUZI, greffier lors des débats.
FAITS ET PROCÉDURE
Mme [M] a été engagée à compter du 19 mars 2009 en qualité de Responsable Administratif, par la société Capsi Conseil, selon contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel.
L'entreprise, qui a pour activité la fourniture de prestations de conseil et d'assistance dans la mise en place de dispositifs de conformité et de contrôle internes pour les prestataires de services d'investissement (RCSI) et les sociétés de gestion de portefeuille (RCCI) afin de leur permettre d'obtenir les agréments délivrés par l'Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution ou par l'Autorité des Marchés Financiers sans lesquels ils ne peuvent exercer leur activité, emploie plus de dix salariés et relève de la convention collective des bureaux d'études techniques dite Syntec.
Un avenant au contrat de travail a été régularisé, en date du 1er mars 2015
Le 20 avril 2015, une réunion s'est tenue pour informer les salariés d'un rapprochement entre la société Capsi Conseil et la société D2R Conseil.
Le 24 avril 2015, Mme [M] a été déclarée apte à son poste avec possibilités de télétravail au domicile en cas de besoin, suite à une visite médicale organisée à son initiative.
Le 28 mai 2015, Mme [M] bénéficie d'une reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé.
Le 29 mai 2015, un changement d'actionnariat a eu lieu.
A compter du 8 juin 2015, Mme [M] a été placée en arrêt de travail.
Le 9 juin 2015, le siège social de la société Capsi Conseil a été transféré de [Localité 6] à [Localité 4], au siège social de la société D2R Conseil, devenue actionnaire majoritaire de la holding détenant Capsi Conseil.
Lors de la visite de pré-reprise du 4 avril 2018, le médecin du travail a indiqué : « Actuellement en arrêt de travail : La reprise pourrait être envisageable à la fin de l'arrêt de travail en temps partiel thérapeutique sous forme de 3 jours entiers par semaine à revoir à la fin de l'arrêt de travail ».
A l'issue de la visite de reprise du 2 juillet 2018, le médecin du travail a déclaré la salariée apte dans les conditions suivantes : « Reprise de travail partielle pendant 1 mois à mi-temps 3 jours de travail dont 2 jours dans l'entreprise et un jour de télétravail. A revoir le 31.07.2018 à 10.30 ».
Le 11 juillet 2018, la salariée a adressé à la société la notification d'un classement en invalidité 2ème catégorie à compter du 8 juin précédent.
Lors de la visite médicale du 17 juillet 2018, le médecin du travail a conclu : « Travail à mi-temps : Contre-indication au travail en entreprise. Pas de contre-indication au télétravail sur l'ensemble du temps de travail. »
A l'issue de la visite médicale du 10 septembre 2018, le médecin du travail a déclaré Mme [M] inapte aux fonctions de Responsable administrative dans les termes suivants : « Inapte au poste de responsable administrative : reclassement envisageable dans un poste à proximité du domicile ou en télétravail ».
Par courrier du 19 septembre 2018, la société a informé Mme [M] de l'impossibilité de la reclasser.
Convoquée le 21 septembre 2018 à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé au 1er octobre suivant, Mme [M] a été licenciée par lettre datée du 5 octobre 2018 énonçant une inaptitude et impossibilité de reclassement.
Contestant son licenciement, Mme [M] a saisi, le 31 janvier 2019, le conseil de prud'hommes de Saint-Germain-en-Laye aux fins d'entendre juger le licenciement nul et subsidiairement dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamner les sociétés Capsi Conseil et D2R Conseil solidairement au paiement de diverses sommes de nature salariale et indemnitaire.
Les sociétés se sont opposées aux demandes de la requérante. La société D2R Conseil a demandé in limine litis sa mise hors de cause et a sollicité la condamnation de la requérante au paiement d'une somme de 3 000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive. Les sociétés ont demandé chacune la condamnation de la salariée au paiement d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par jugement rendu le 16 novembre 2020, notifié le 1er décembre 2020, le conseil a statué comme suit :
Met hors de cause la société D2R Conseil,
Déboute la société D2R Conseil de toutes ses demandes,
Déboute Mme [M] de toutes ses demandes,
Déboute la société Capsi Conseil de toutes ses demandes,
Condamne Mme [M] aux éventuels dépens.
Le 31 décembre 2020, Mme [M] a relevé appel de cette décision par voie électronique en n'intimant que la société Capsi Conseil.
Par ordonnance rendue le 13 avril 2022, le conseiller chargé de la mise en état a enjoint les parties à rencontrer un médiateur, a ordonné la clôture de l'instruction à effet différé au 14 septembre 2022 et a fixé la date des plaidoiries au 3 octobre 2022.
Selon ses dernières conclusions notifiées le 1er mars 2022, Mme [M] demande à la cour d'infirmer en toutes ses dispositions le jugement en date du 16 novembre 2020 et, statuant à nouveau, de :
Dire que la société a manqué à son obligation d'aménagement raisonnable, de reclassement et de loyauté dans l'exécution et la rupture du contrat de travail et, en conséquence,
Sur le licenciement,
A titre principal
Déclarer nul le licenciement,
Condamner la société à lui payer à titre de dommages intérêts pour licenciement nul, la somme de 93 000 euros nets,
Subsidiairement
Déclarer sans cause réelle et sérieuse le licenciement,
Condamner la société à lui payer à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, la somme de 42 430 euros nets,
En tout état de cause
Condamner la société à lui payer :
- à titre d'indemnité compensatrice de préavis (3 mois), la somme de 14 143,89 euros bruts,
- à titre d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis (10%), la somme de 1 414,39 euros bruts,
- à titre de rappel de salaires du 11 septembre au 6 octobre 2018, la somme de 3 591,37 euros bruts,
- à titre de congés payés sur rappel de salaires, la somme de 359,14 euros bruts,
- à titre de dommages-intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation de loyauté, d'exécution de bonne foi du contrat de travail, d'aménagement raisonnable de poste, la somme de 35 000 euros nets,
- au titre de l'article 700 du code de procédure civile, la somme de 3 500 euros HT,
Condamner la société à lui remettre une fiche de paye et une attestation Pôle emploi conformes,
Condamner la société aux entiers dépens.
' Aux termes de ses dernières conclusions, remises au greffe le 28 juin 2021, la société Capsi Conseil demande à la cour de confirmer dans sa totalité le jugement et par conséquent, de :
Constater et dire que le licenciement prononcé est parfaitement fondé,
Débouter Mme [M] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions à ce titre,
Constater et dire que Mme [M] n'est ni fondée, ni recevables dans ses autres demandes,
Débouter Mme [M] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions à ce titre,
Condamner Mme [M] à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de l'instance.
Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer aux écritures susvisées.
MOTIFS
I - Sur le licenciement
La lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, est ainsi libellée :
« Par courrier recommandé AR en date du 21 septembre 2018, nous vous avons convoquée à un entretien préalable à licenciement qui s'est tenu le 1er octobre 2018.
Lors de cet entretien, vous n'étiez pas assistée.
Par la présente, nous sommes au regret de vous notifier votre licenciement pour inaptitude constatée par la médecine du travail et impossibilité de procéder à tout reclassement.
En effet, comme nous vous l'avons rappelé lors de l'entretien préalable, vous avez été déclarée inapte aux fonctions de responsable administrative par le docteur [K], médecin du travail, aux termes d'un avis d'inaptitude du 10 septembre 2018.
Dans son avis d'inaptitude, le médecin du travail a formulé les propositions de reclassement dans les termes suivants : « Inapte au poste de responsable administrative « reclassement envisageable dans un poste à proximité du domicile ou en télétravail ».
Sur la base de ces préconisations, nous avons recherché les éventuels postes susceptibles de vous être proposés, au besoin en évoquant une transformation de poste. Ces recherches n'ont pas pu aboutir et il nous est malheureusement impossible de vous reclasser dans un poste adapté à vos capacités actuelles au sein des sociétés du groupe.
En effet, comme nous vous l'avons expliqué lors de l'entretien préalable et dans le courrier que nous vous avons adressé le 19 septembre 2018, les préconisations que le médecin du travail considère comme étant envisageables ne sont malheureusement pas réalisables.
Le médecin du travail évoque dans un premier temps un potentiel reclassement dans un poste à proximité du domicile. Or la société Capsi Conseil ne dispose d'aucun bureau, ni d'aucun établissement à une adresse autre que celle du [Adresse 1] et, par voie de conséquence, elle ne dispose d'aucun bureau ni d'aucun établissement à proximité de votre domicile.Le médecin du travail évoque ensuite dans un second temps un reclassement envisageable en télétravail. Or, comme nous avons pu vous l'expliquer, les missions qui sont les vôtres ne sont pas réalisables en télétravail.
Cela a également pu être expliqué et démontré à la médecine du travail lors de l'étude de poste qui a été réalisée.
Nous avons par ailleurs, au sein de la société, une Charte télétravail qui énonce clairement les conditions d'éligibilité du personnel au télétravail.
Au regard des tâches devant être accomplies, il est en effet impératif que le personnel administratif soit physiquement présent dans les locaux de la société Capsi Conseil afin d'assurer la bonne gestion administrative de la société notamment eu égard aux évolutions que cette dernière a connu pendant ces dernières années outre des impératifs de confidentialité et de sécurité informatique concernant les données propres à la société Capsi Conseil.
Ces impératifs pratiques et fonctionnels font que nous ne sommes pas en mesure, malgré nos meilleurs efforts, de mettre en place le télétravail dans des conditions normales d'exécution du travail.
Nous sommes donc contraints de procéder à votre licenciement en raison de votre inaptitude physique médicalement constatée et de l'impossibilité de vous reclasser.
Votre contrat de travail sera donc rompu à la date d'envoi de la présente lettre de notification de licenciement ».
Sur la discrimination en raison de l'état de santé et du handicap
L'article L. 1132-1 du code du travail dispose qu'aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'adaptation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat, notamment en raison de son ['] état de santé ou de son handicap.
L'article L. 1134-1 prévoit que lorsque survient un litige, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
Selon l'article L. 5213-6 du code du travail, afin de garantir le respect du principe d'égalité de traitement à l'égard des travailleurs handicapés, l'employeur prend en fonction des besoins dans une situation concrète, les mesures appropriées pour permettre aux travailleurs reconnus handicapés par la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées d'accéder à un emploi ou de conserver un emploi correspondant à leur qualification de l'exercer ou de progresser ou pour une formation adaptée à leurs besoins leur soit dispensée.
Ces mesures sont prises, sous réserve que les charges consécutives à la mise en 'uvre, ne soient pas disproportionnées, compte tenu de l'aide prévue à l'article L. 5213-10 qui peuvent compenser en tout ou partie les dépenses supportées à ce titre par l'employeur.
Le refus de prendre des mesures au sens du premier alinéa peut être constitutif d'une discrimination au sens de l'article L 1133-3.
Selon l'article L 4624-6 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n°2016-1088 du 8 août 2016, qui a repris pour l'essentiel les dispositions jusqu'alors mentionnées à l'article L. 4624-1, l'employeur est tenu de prendre en considération l'avis et les indications ou les propositions émis par le médecin du travail en application des articles L. 4624-2 à L. 4624-4. En cas de refus, l'employeur fait connaître par écrit au travailleur et au médecin du travail les motifs qui s'opposent à ce qu'il y soit donné suite.
La salariée estime présenter des éléments de fait qui, dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'une discrimination en raison de son état de santé et de son handicap, sans que la société ne justifie son licenciement par des raisons objectives étrangères à son état de santé. Elle invoque les faits suivants :
- le non-respect des préconisations du médecin du travail quant à l'aménagement de poste,
- le manquement à l'obligation de reclassement alors qu'elle est handicapée et déclarée inapte.
La société objecte n'avoir été informée de la qualité de travailleur handicapé de la salariée depuis le 1er mai 2015, qu'au mois de février 2018, et qu'elle ignorait la situation médicale de la salariée avant cette date. Elle conteste que le télétravail ait été une modalité de travail arrêtée entre Capsi Conseil et la salariée dès l'origine de la relation contractuelle. Elle considère avoir procédé aux aménagements utiles et raisonnables, afin de permettre à Mme [M] l'exercice des fonctions de responsable administratif. Elle objecte que la salariée a été définitivement déclarée inapte au poste de responsable administratif, sans que le médecin du travail ne formule aucune mesure d'aménagement ou préconisation permettant de remédier à cette inaptitude. Elle plaide qu'elle a loyalement et sérieusement procédé à une recherche de reclassement qui s'est avérée vaine en l'absence de poste disponible compatible avec son état de santé.
En l'espèce, il est constant que :
- Mme [M] a bénéficié le 28 mai 2015 d'une reconnaissance du statut de travailleur handicapé, dont l'employeur n'a été informé qu'à l'occasion d'un échange entre la salariée et le directeur le 20 février 2018 ;
- placée continûment en arrêt maladie à compter du 8 juin 2015, la salariée a été examinée par le médecin du travail le 4 avril 2018 dans le cadre d'une visite de pré-reprise, à l'issue de laquelle il a indiqué : « Actuellement en arrêt de travail : La reprise pourrait être envisageable à la fin de l'arrêt de travail en temps partiel thérapeutique sous forme de 3 jours entiers par semaine à revoir à la fin de l'arrêt de travail ».
- A l'issue de la visite de reprise du 2 juillet 2018, le médecin du travail a déclaré la salariée apte dans les conditions suivantes : « Reprise de travail partielle pendant 1 mois à mi-temps 3 jours de travail dont 2 jours dans l'entreprise et un jour de télétravail. A revoir le 31.07.2018 à 10.30 ».
- Le 11 juillet 2018, la salariée a adressé à la société la notification d'un classement en invalidité 2ème catégorie à compter du 8 juin précédent.- Lors de la visite médicale du 17 juillet 2018, le médecin du travail a conclu comme suit : « Travail à mi-temps : Contre-indication au travail en entreprise. Pas de contre-indication au télétravail sur l'ensemble du temps de travail. »
- A l'issue de la visite médicale du 10 septembre 2018, le médecin du travail a déclaré Mme [M] inapte aux fonctions de Responsable administrative dans les termes suivants : « Inapte au poste de responsable administrative : reclassement envisageable dans un poste à proximité du domicile ou en télétravail ».
- Par courrier du 19 septembre 2018, la société a informé Mme [M] de l'impossibilité de la reclasser.
- Convoquée le 21 septembre 2018 à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé au 1er octobre suivant, Mme [M] a été licenciée par lettre datée du 5 octobre 2018 énonçant une inaptitude et impossibilité de reclassement.
La salariée établit les faits suivants :
- nonobstant les avis du médecin du travail en date des 2 et 17 juillet 2018, préconisant une reprise à temps partiel en télétravail, et alors qu'antérieurement à son arrêt maladie elle bénéficiait de la possibilité d'exercer pour partie ses fonctions en télétravail, ainsi qu'en atteste le message adressé par M. [V] à M. [I] le 31 mai 2015 (pièce n°90 de l'appelante « si l'on considère qu'elle fait son temps plein sur 4 jours et qu'elle bosse un jour chez elle, cela veut dire qu'elle est à [Localité 4] 3 jours par semaine' »), l'employeur, qui avait alors connaissance de son statut de travailleur handicapé, l'a placée en dispense d'activité.
- se prévalant du mail que M. [V], ancien président de la société Capsi lui a adressé le 19 février 2018, aux termes duquel il listait les tâches « non exhaustives », à savoir « Gestion/ suivi du site internet, rédaction d'un booklet présentant les activités aux prospects et aux candidats, publication sur les réseaux sociaux, marketing digital, organisation interne, optimisation des procédures », qu'il indiquait avoir proposées « aux autres associés » de lui confier en précisant à ces derniers que la société a « besoin de faire un certain nombre de tâches, non réalisée à ce jour que [E] peut réaliser et sans empiéter sur les tâches de [N] » tout en lui précisant que c'est M. [Z] qui décidera in fine, et faisant valoir, que certaines des tâches du poste étudié, telles que gestion des agendas des trois directeurs, la préparation et l'organisation des séminaires, réunions, déplacements, organisation de déplacements, événements, suivi des dossiers du personnel, la gestion des mails, l'archivage numérique, etc' pouvaient au moins partiellement être réalisées en télétravail, la salariée qui souligne que le 20 février 2018 la société établissait un certificat aux termes duquel elle exposait « ne pas être en mesure de donner une suite au mi-temps thérapeutique préconisé par le médecin traitant de la salariée au motif que l'entreprise n'était pas en mesure de donner suite à un tel aménagement », soulignant que ses besoins étaient « largement pourvus » et qu'elle n'était pas en mesure de fournir à la salariée des tâches à réaliser, stigmatise la rapidité avec laquelle l'employeur l'a convoquée à un entretien préalable suite à l'avis d'inaptitude.
Ces éléments de fait sont de nature à laisser supposer l'existence d'une discrimination en raison de la situation de handicap de la salariée.
La société affirme qu'après la visite de reprise du 2 juillet 2018, une période d'échanges a suivi entre la société et Mme [M] afin d'organiser au mieux la situation de cette dernière au regard des préconisations du médecin du travail et de son refus d'exercer son activité à l'adresse du siège de la société Capsi et soutient, sans en justifier, que la salariée aurait évoqué la possibilité d'une rupture conventionnelle.
L'employeur indique également avoir pris des mesures efficaces et pratiques, destinées à aménager le poste de travail de la salariée en fonction du handicap, dans son environnement de travail et que le médecin du travail avait pu notamment constater lors de la visite médicale le 31 juillet 2018 s'agissant du risque lié aux postures, que le siège était adapté, s'agissant du risque lié au travail sur écran, que l'écran était de bonne qualité, que la salariée était positionnée perpendiculairement à la fenêtre.
Si la société Capsi justifie que M. [V] et Mme [M] entretenaient des relations amicales de longue date, elle ne démontre pas en revanche que les conditions de travail de celle-ci avaient fait l'objet d'arrangements « entre amis » entre elle et le dirigeant de l'époque.
Il résulte des éléments communiqués qu'antérieurement à son arrêt de travail du 8 juin 2015, Mme [M] pouvait travailler en télétravail, ce dont atteste au demeurant M. [V] même s'il précise dans son témoignage (pièce 2a de l'intimée) qu'il n'a jamais été convenu qu'elle puisse télétravailler de « manière habituelle » et que ce n'était qu'à titre tout à fait exceptionnel et uniquement en cas de demande particulière de la salariée qu'il a pu y consentir « par bienveillance exceptionnelle », les termes de cette attestation étant contredites par ceux de son message du 31 mai 2015 ci-avant reproduits, télétravail que le médecin du travail avait préconisé dès le 24 avril 2015 concomitamment à la reconnaissance de travailleur handicapé dont a bénéficié la salariée.
Les démarches que l'employeur indique avoir mises en 'uvre pour s'assurer de la conformité de l'installation ergonomique du bureau de Mme [M] - au siège parisien - à son état de santé, ne justifie pas de l'absence de mise en 'uvre de l'avis d'aptitude préconisée par le médecin du travail en juillet 2018, assorti d'un temps partiel en télétravail.
Alors qu'elle ne démontre aucune saisine de la Sameth, la société n'établit pas avoir respecté son obligation légale de garantir l'effectivité de l'aménagement du poste de la salariée, tenant compte de son statut de travailleur handicapé en violation de son obligation légale prévue à l'article L. 5213-6 du code du travail et ne justifie donc pas que sa décision de dispenser d'activité la salariée reposait sur des motifs objectifs étrangers à toute discrimination en raison de son état de travailleur handicapé.
Par ailleurs, conformément à l'article L. 1226-2 du code du travail, lorsque le salarié victime d'une maladie ou d'un accident non professionnel est déclaré inapte par le médecin du travail en application de l'article L. 4624-4 à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités, au sein de l'entreprise ou des entreprises du groupe, auquel il appartient, le cas échéant, situé sur le territoire national et dont l'organisation, les activités, ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel. (..) Cette proposition prend en compte après avis du comité social et économique, lorsqu'il existe les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur les capacités du salarié à exercer l'une des tâches existant dans l'entreprise. Le médecin du travail formule également des indications sur la capacité du salarié à bénéficier d'une formation le préparant à occuper un poste adapté. L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé au besoin par la mise en 'uvre de mesures telles que mutation, aménagement, adaptation ou transformation de poste existant ou aménagement du temps de travail.
Le contrat de travail de Mme [M] stipule que le lieu de travail de la salariée est situé au siège social de la société Capsi Conseil, [Adresse 2] à [Localité 6] et que compte tenu de la nature de ses fonctions, la salariée pourra être amenée à se déplacer partout où les nécessités de son travail l'exigeront.
Pour autant, il ressort du courriel de M. [V] daté du 31 mai 2015, directeur de la société, que le poste de Mme [M] était antérieurement à son arrêt de travail le 8 juin 2015, déjà partiellement aménagé en télétravail (une journée hebdomadaire).
La salariée, qui ne prétend pas avoir contesté l'avis d'inaptitude conteste de manière inopérante et sans en justifier que les contours du poste de responsable administratiff ayant fait l'objet d'une étude du médecin du travail le 31 juillet 2018 ne correspondaient pas exactement à ceux du poste qu'elle occupait précédemment.
Néanmoins, alors qu'il appartient à l'employeur de rapporter la preuve qu'il a satisfait à son obligation de rechercher loyalement une solution de reclassement au besoin par la mise en 'uvre de mesures telles que mutation, aménagement, adaptation ou transformation de poste existant ou aménagement du temps de travail, et que dans ses avis précédents le médecin avait préconisé la mise en place d'un temps partiel en télétravail, force est de constater qu'ensuite de l'avis d'inaptitude du 10 septembre 2018, la société Capsi n'allègue ni ne justifie a fortiori s'être rapprochée du médecin du travail afin d'identifier les capacités professionnelles restantes de la salariée et envisager son reclassement au besoin par un aménagement sur un poste administratif, en tout ou partie en télétravail, alors même que M. [V], qui se présentait alors comme l'un des associés de l'entreprise, identifiait en février 2018, des tâches à lui confier « non réalisées à ce jour et sans empiéter sur les fonctions confiées à Mme [N] ».
L'argumentation développée par la salariée selon laquelle certaines des tâches du poste étudié, telles que la gestion des agendas des trois directeurs, la préparation et l'organisation des séminaires, réunions, déplacements, organisation de déplacements, événements, suivi des dossiers du personnel, la gestion des mails, l'archivage numérique, etc' pouvaient au moins partiellement être réalisées en télétravail, n'est pas utilement contredite par l'employeur.
De plus, l'affirmation développée dans la lettre de licenciement selon laquelle la présence physique de la salariée dans les locaux serait indispensable afin d'assurer une bonne gestion administrative outre des impératifs de confidentialité et de sécurité informatique des données n'est étayée par aucun élément probant.
Alors qu'il engageait à bref délai, seulement 11 jours après l'avis d'inaptitude, une procédure de licenciement, l'employeur qui établit seulement avoir recherché une solution de reclassement au sein des sociétés Holding de l'Etang, D2R Conseil et RGA Sacor, ne justifie pas d'une recherche loyale de reclassement de la salariée en mettant en oeuvre au besoin un aménagement de son temps de travail et une adaptation du poste administratif au sein même de la société en télétravail.
Par suite, le licenciement est non seulement dépourvu de cause réelle et sérieuse, mais l'employeur ne justifie pas objectivement que le licenciement pour inaptitude prononcé est étranger à toute discrimination en raison du handicap de Mme [M].
Par suite, il convient de prononcer la nullité du licenciement litigieux. Le jugement entrepris sera infirmé de ce chef.
II - Sur les conséquences de la nullité du licenciement
Mme [M] sollicite une indemnisation au titre du licenciement, à hauteur de 93 000 euros en faisant valoir que son préjudice porte sur la perte de revenus pendant sa période d'indemnisation par Pôle emploi, de l'absence de revenus jusqu'à la liquidation de sa retraite et de l'impact sur sa pension de retraite à venir de la cessation anticipée de son activité professionnelle.
La société conclut au débouté de cette demande en faisant valoir que la salariée n'est pas inapte à tout emploi et que cette dernière ne démontre pas avoir effectué la moindre recherche, ni avoir formulé la moindre demande de formation.
Lorsque la salariée dont le licenciement est nul, ne demande pas sa réintégration dans son poste, elle a droit d'une part, aux indemnités de rupture et, d'autre part, à une indemnité de rupture réparant l'intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement au moins égale à celle prévue par l'article L. 1235-3-1 du code du travail, soit six mois de salaire.
S'agissant de la demande d'indemnité compensatrice de préavis, la société conclut à son rejet sur le fondement de l'article L 1226-4 alinéa 3, selon lequel, en cas de licenciement, le préavis n'est pas exécuté, et le contrat de travail est rompu à la date de notification du licenciement.
Si le salarié ne peut en principe prétendre au paiement d'une indemnité pour un préavis qu'il est dans l'impossibilité physique d'exécuter en raison d'une inaptitude à son emploi, cette indemnité est due au salarié dont le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse ou nul en raison du manquement de l'employeur à son obligation de reclassement consécutive à l'inaptitude.
Le licenciement étant nul et la salariée bénéficiant du statut de travailleur handicapé, celle-ci peut prétendre en premier lieu, au paiement d'une indemnité compensatrice de préavis correspondant, conformément à l'article L. 5213-9 du code du travail, à la rémunération brute qu'elle aurait perçue si elle avait travaillé pendant une période de trois mois.
Il lui sera alloué en conséquence la somme de 14 143,89 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre la somme de 1 414,39 euros au titre des congés payés afférents.
Eu égard à son ancienneté dans l'entreprise, à son âge lors de la rupture du contrat et à sa rémunération, la salariée justifiant par ailleurs s'être vue reconnaître le statut d'invalide de deuxième catégorie, le montant annuel de sa pension s'élevant à la somme de 12 757,07 euros, il lui sera alloué la somme de 80 000 bruts à titre d'indemnité pour licenciement nul.
Sur la demande indemnitaire au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail
La salariée soutient qu'après avoir informé la société de son passage en invalidité et de sa reprise anticipée courant, mai 2018 avoir été contrainte de poser des congés à date de la fin de sa prise en charge par la Sécurité Sociale en raison de la résistance systématique de la société et avoir perdu 15 jours de congés payés qu'elle n'aurait pas dû poser pour un montant net de 3 512 euros. Elle ajoute avoir vu diminuer son indemnisation par Pôle emploi après la rupture du contrat de travail en lien direct avec l'attitude déloyale et les manquements de la société au motif de sa dispense d'activité, lors de sa reprise en juillet, en août et début septembre, Pôle emploi ayant exclu le cumul de sa pension d'invalidité en deuxième catégorie avec son indemnisation au titre de l'aide au retour à l'emploi. Enfin, elle fait valoir que l'attitude de la société l'a contrainte à recueillir l'avis d'un conseil spécialisé et avoir été de ce fait obligée d'engager des frais d'honoraires.
L'intimée n'a pas répliqué à cette demande.
Il est constant que la société a placé la salariée en dispense d'activité de juillet au début du mois de septembre 2018, malgré l'aptitude de la salariée à son poste déclarée par le médecin du travail.
Il est justifié selon la convention relative à l'assurance chômage du 14 avril 2017 que le montant de l'allocation servie aux allocataires bénéficiant d'une pension d'invalidité de deuxième ou troisième catégorie au sens de l'article L. 341-4 du code de la sécurité sociale ou au sens de toute autre disposition prévue par les régimes spéciaux ou autonomes de sécurité sociale, ou d'une pension d'invalidité acquise à l'étranger, est cumulable avec la pension d'invalidité de deuxième ou troisième catégorie dans les conditions prévues par l'article R.341'17 du code de la sécurité sociale, dès lors que les revenus issus de l'activité professionnelle, pris en compte pour l'ouverture des droits ont été cumulés avec la pension.
Il ressort du mail de Pôle emploi du 3 janvier 2019, en réponse à la réclamation formée par la salariée relativement à son indemnisation que le taux de son allocation de retour à l'emploi a été calculé après contact avec l'employeur lequel lui a affirmé que le dernier jour travaillé et payé de la salariée était le 5 juin 2015, ce qui est inexact puisqu'il ressort du bulletin de paye du mois de juin 2018, que la salariée a posé 15 jours de congés payés et que l'employeur avait unilatéralement pris la décision de dispenser l'intéressée de toute activité tout en la rémunérant du 02 juillet 2018 au 10 septembre 2018, de sorte que le dernier jour travaillé et rémunéré ne pouvait être le 5 juin 2015, dans ces conditions, les revenus de son activité professionnelle était bien cumulables avec la pension pour la prise en compte de ses droits à l'allocation de retour à l'emploi.
L'employeur, en faisant faussement état auprès de Pôle emploi, de ce que le dernier jour travaillé de la salariée était le 5 juin 2015 a manqué à son obligation de bonne foi dans l'exécution du contrat de travail.
La salariée qui évalue le préjudice subi à la somme de 29 634 euros sur une période d'indemnisation de 36 mois, montant non discuté par la société, est bien fondée en sa demande à hauteur de cette somme.
Le jugement entrepris sera infirmé de ce chef.
En revanche, la salariée n'établit pas de lien direct entre une exécution déloyale du contrat de travail par la société et le fait qu'elle a posé 15 jours de congés au mois de juin 2018 et la nécessité d'avoir eu recours à un conseil.
Mme [M] sera déboutée du surplus de sa demande.
Sur la demande au titre de rappel de salaire
Mme [M] demande un rappel de salaires à hauteur de 3591,37 euros, du 11 septembre, date de l'inaptitude, au 6 octobre 2018, date de sa sortie des effectifs.
La société conclut au débouté de cette demande au motif que la salariée a été déclarée inapte au poste de responsable administratif, dès le 11 septembre 2018.
Selon l'article L. 1226-4 du code du travail, lorsque, à l'issue d'un délai d'un mois à compter de la date de l'examen médical de reprise du travail, le salarié déclaré inapte n'est pas reclassé dans l'entreprise ou s'il n'est pas licencié, l'employeur lui verse, dès l'expiration de ce délai, le salaire correspondant à l'emploi que celui-ci occupait avant la suspension de son contrat de travail.
Peu important le caractère dépourvu de cause réelle et sérieuse du licenciement pour inaptitude, l'employeur étant légalement dispensé de payer le salaire dans le mois suivant l'avis d'inaptitude, Mme [M] sera déboutée de sa demande par confirmation du jugement entrepris.
Sur les autres demandes
Il sera ordonné à la société Capsi Conseil la remise à la salariée d'une fiche de paye et de l'attestation Pôle emploi conformes à la présente décision.
La société Capsi Conseil sera condamnée à payer à Mme [E] [X] épouse [M] la somme de 3 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.Elle sera condamnée aux entiers dépens.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Infirme le jugement du conseil de prud'hommes de Saint-Germain-en-Laye du 16 novembre 2020, en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a mis hors de cause, la SAS D2R Conseil et a débouté la SAS D2R conseil de toutes ses demandes, et sauf en ce qu'il a débouté Mme [M] de sa demande en rappel de salaires.
Statuant à nouveau des chefs infirmés,
Prononce la nullité du licenciement de Mme [E] [X] épouse [M],
Condamne la société Capsi Conseil à payer à Mme [E] [X] épouse [M] les sommes suivantes :
- 80 000 euros d'indemnité pour licenciement nul,
14 143,89 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre la somme de 1 414,39 euros bruts au titre des congés payés afférents
29 634 euros de dommages intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,
Y ajoutant
Condamne la société Capsi Conseil à payer à Mme [E] [X] épouse [M] la somme de 3 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Monsieur Thomas LE MONNYER, Président, et par Madame Alicia LACROIX, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier, Le président,