COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 72 Z
4e chambre 2e section
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 10 JANVIER 2023
N° RG 21/00097
N° Portalis DBV3-V-B7F-UHZL
AFFAIRE :
S.A.R.L. SOCIETE D'OPERATIONS FINANCIERES D'INVESTISSEMENT ET DE DOMICILIATION
C/
[X] [D]
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 20 Juillet 2020 par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de NANTERRE
N° Chambre :
N° Section :
N° RG : 17/06314
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Antoine DULIEU
Me Sébastien CROMBEZ
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE DIX JANVIER DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
S.A.R.L. SOCIETE D'OPERATIONS FINANCIERES D'INVESTISSEMENT ET DE DOMICILIATION
Prise en la personne de son gérant domicilié es-qualités au dit siège
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentant : Me Antoine DULIEU de la SELARL BAILLET DULIEU ASSOCIES, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C0099
APPELANTE
****************
Madame [X] [D]
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentant : Représentant : Me Sébastien CROMBEZ, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 61 et Me Catherine SCHLEEF, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C1909 -
INTIMÉE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 16 Novembre 2022 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Agnès BODARD-HERMANT, président, et Madame Pascale CARIOU, conseiller chargé du rapport.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Agnès BODARD-HERMANT, Président,
Madame Pascale CARIOU, Conseiller,
Madame Marietta CHAUMET, Vice-Président placé
Greffier, lors des débats : Madame Kalliopi CAPO-CHICHI
FAITS ET PROCÉDURE
La société d'opérations financières d'investissement et de domiciliation - SOFI - et Mme [D] sont copropriétaires au sein de l'ensemble immobilier situé [Adresse 2], soumis au statut de la copropriété.
Cet ensemble, qui compte au total 53 copropriétaires, est composé de deux bâtiments :
- à sa base, un socle élargi de 3 niveaux, composés de locaux commerciaux et de bureaux ;
- au-dessus, une tour de 12 niveaux, composés de locaux d'habitation.
La société SOFI est propriétaire de différents lots dans la partie commerciale et possède 2 656/10 000èmes de parties communes.
Mme [D] est propriétaire d'un local d'habitation et de 115/10 000èmes de parties communes.
Une assemblée générale extraordinaire a été convoquée le 17 mars 2017 aux fins de se prononcer sur divers projets de ravalement.
L'ordre du jour comportait ainsi les points suivants :
- Dossier de ravalement : vote sur trois solutions alternatives de ravalement. Le projet de résolution précise que ' cette assemblée extraordinaire permet de fixer des objectifs sur ce dossier de gros travaux ... L'assemblée annuelle pourra mettre au vote des résolutions nouvelles ou complémentaires, s'il y a lieu '.
- Dossier installations des climatiseurs :
* à la demande de Mme [D] : réalisation préalable d'une étude acoustique et technique aux frais des demandeurs, ainsi que d'une étude expliquant 'pourquoi il est impossible de placer des installations d'aération ... à l'intérieur des locaux privatifs des demandeurs' ;
* à la demande des différents propriétaires de lots commerciaux (dont la société SOFI) : autorisation de poser à leurs frais des installations d'aération sur la toiture terrasse, avec étude d'un BET et avis d'un architecte.
Mme [D] a été élue aux fonctions de présidente de l'assemblée générale extraordinaire du 17 mars 2017 des copropriétaires.
Par exploit du 16 juin 2017, la société SOFI a fait assigner Mme [D] devant le tribunal de grande instance de Nanterre aux fins de mise en jeu de sa responsabilité.
Par jugement rendu le 20 juillet 2020, le tribunal judiciaire de Nanterre a :
- Rejeté l'exception de nullité de l'assignation soulevée par Mme [D] ;
- Rejeté la fin de non-recevoir soulevée par Mme [D] fondée sur l'absence de notification au syndic de l'assignation ;
- Débouté la société SOFI de sa demande indemnitaire ;
- Débouté Mme [D] de sa demande reconventionnelle aux fins de condamnation pour procédure abusive ;
- Condamné la société SOFI à payer à Mme [D] la somme de 1 200 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Rejeté toutes autres demandes ;
- Ordonné l'exécution provisoire de la présente décision ;
- Condamné la société SOFI aux dépens d'instance.
Par déclaration du 7 janvier 2021, la société SOFI a interjeté appel de ce jugement à l'encontre de Mme [D].
Par ses dernières conclusions notifiées le 17 octobre 2022, elle demande à la cour, au visa de l'article 1240 du code civil et des pièces, de :
- Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a déboutée de sa demande indemnitaire et l'a condamnée à payer à Mme [D] la somme de 1 200 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens
Et statuant à nouveau,
- Condamner Mme [D] à lui verser des dommages et intérêts d'un montant de :
* à titre principal : 182 511 euros (préjudice assis sur la période du 17.03.2017 au 13.06.2019) ;
* à titre subsidiaire : 31 577,70 euros (préjudice assis sur la période du 17.03.2017 au 26.06.2017) ;
- Débouter Mme [D] de son appel incident ;
- Condamner Mme [D] à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile de première instance et d'appel ainsi qu'aux entiers dépens ;
- Confirmer le jugement pour le surplus.
Par ses dernières conclusions notifiées le 4 novembre 2022, Mme [D] demande à la cour, au visa des articles 32-1 et 114 du code de procédure civile, des articles 15 et 42 de la loi du 10 juillet 1965, de l'article 1382 du code civil, de :
- Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit qu'elle avait commis une faute de nature à engager sa responsabilité ;
- Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de dommages et intérêts ;
- Le confirmer sur le surplus ;
En conséquence,
- Débouter la société SOFI de l'intégralité de ses chefs de demandes à son encontre ;
- Condamner la société SOFI à lui payer la somme de 5 000 euros conformément aux dispositions de l'article 1382 du code civil, à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
- Condamner la société SOFI à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Réserver les dépens (SIC).
L'ordonnance de clôture a été rendue le 8 novembre 2022.
Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé à la décision et aux conclusions susvisées pour plus ample exposé du litige.
SUR CE, LA COUR
Sur les limites de l'appel
Le jugement n'est pas critiqué en ce qu'il a :
- Rejeté l'exception de nullité de l'assignation soulevée par Mme [D] ;
- Rejeté la fin de non-recevoir soulevée par Mme [D] fondée sur l'absence de notification au syndic de l'assignation.
Sur la responsabilité de Mme [D]
Le tribunal a retenu une faute à l'encontre de Mme [D] pour ne pas avoir soumis au vote de l'assemblée les résolutions n°4 et suivantes, inscrites à l'ordre du jour, portant sur les travaux de ravalement des façades, de réfection du toit terrasse et d'installation de climatiseurs sur la terrasse.
Mme [D] fait de nouveau valoir pour l'essentiel que les questions qui n'ont pas été soumises au vote de l'assemblée manquaient de clarté et que toutes les informations utiles au vote n'avaient pas été communiquées.
Elle soutient en substance qu'il relève du rôle du président de l'assemblée générale de prévenir les irrégularités dans la tenue des assemblées et qu'en ne soumettant pas au vote les résolutions litigieuses, elle a évité l'annulation de l'assemblée générale.
La société SOFI reprend quant à elle l'argumentation développée par les premiers juges.
* * *
C'est par des motifs exacts et précis, adoptés par la cour, que le tribunal a retenu une faute à l'encontre de Mme [D].
Notamment, il a de façon pertinente souligné qu'il n'appartient pas au président de séance de se faire juge de la régularité des résolutions inscrites à l'ordre du jour par le syndic.
Il sera ajouté à cet égard qu'il ne peut pas être laissé à l'arbitraire du président de séance le choix de soumettre ou non le vote des résolutions régulièrement inscrites à l'ordre du jour, d'autant que dirigeant les débats, il peut aisément informer l'assemblée sur ce qu'il considère être des irrégularités et oeuvrer en faveur du rejet des résolutions litigieuses.
En outre, un recours est ouvert à tout copropriétaire opposant pour contester les résolutions qui n'auraient pas ét adoptées dans des conditions conformes aux prescriptions légales.
Mme [D] fait également valoir que le conseil syndical avait demandé, en vain, le report de l'assemblée générale pour pouvoir continuer à travailler sur les dossiers de travaux concernés.
Outre le fait que, comme le souligne le tribunal, si le conseil syndical peut demander la convocation d'une assemblée en application de l'article 8 du décret du 17 mars 1967, rien ne lui permet de s'opposer à cette convocation, qu'il avait en outre en l'espèce demandé expressément le 19 janvier 2017 avant de revenir sur cette demande le 17 février suivant.
A supposer que le syndic ait commis une faute en convoquant ladite assemblée contre l'avis du conseil syndical, cela pouvait conduire à engager une action en responsabilité à son encontre, mais n'autorisait nullement Mme [D] à choisir, parmi les résolutions inscrites à l'ordre du jour celles qui seraient soumises au vote et celles qui ne le seraient pas.
Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a dit que Mme [D] a commis une faute de nature à engager sa responsabilité.
Sur les demandes indemnitaires présentées par la société SOFI
La société Soffi soutient que la faute commise par Mme [D] a retardé la réalisation des travaux, finalement votés lors de l'assemblée générale de juin 2019, ce qui aurait eu pour conséquence de lui faire perdre la possibilité de réaliser des économies énergétiques qu'elle évalue à 16 107 euros et de provoquer le départ de ses deux locataires, en raison de la piètre qualité de l'isolation des locaux.
Sur la demande au titre de la consommation énergétique
La société SOFI soutient que l'isolation des murs lui aurait procuré une baisse de sa consommation énergétique de 33% en se fondant sur un rapport d'audit thermique.
Ainsi que l'a relevé justement le tribunal, il est incontestable que l'absence de vote sur les résolutions de travaux lors de l'assemblée de mars 2017 a provoqué un retard de l'examen de ces questions.
Pour autant, la société SOFI ne peut prétendre à être indemnisée qu'au titre d'une perte de chance de voir les travaux litigieux votés et réalisés au cours de l'été, permettant ainsi de réaliser des économies d'énergie.
Cette perte de chance doit être évaluée d'une part au regard des chances de voir les travaux de ravalement avec isolation votés dès l'assemblée extraordinaire de mai 2017, d'autre part, en cas de vote favorable, de voir ces mêmes travaux réalisés dès l'été 2017.
Sur les chances de voir votés les travaux de ravalement et d'isolation en mars 2017
Il résulte de la convocation à l'assemblée générale du 17 mars 2017 que la résolution portant sur les travaux de ravalement comportait trois solutions, allant du ravalement simple avec finition peinture, au ravalement plus complet avec un isolant.
Il n'est nullement certain que l'assemblée aurait nécessairement voté pour la réalisation des travaux et encore moins en faveur de la solution la plus complète, mais aussi la plus onéreuse, de nature à produire les économies d'énergie attendues par la société SOFI.
En effet, de nombreuses pièces versées au débat révèlent un climat extrêmement conflictuel au sein de la copropriété au sujet de ces travaux, rendant très incertain un vote en leur faveur dès l'assemblée de mars 2017.
D'autre part, lors de l'assemblée générale du 26 juin 2017, les copropriétaires ont voté en faveur de la réalisation de nouvelles études et cahiers des charges. Les travaux n'ont été finalement votés qu'en juin 2019 après la réalisation de nouvelles études.
Il est donc manifeste que les chances de voir les travaux votés en mars 2017 étaient très limitées.
Sur les chances de voir les travaux réalisés au cours de l'été 2017
Il résulte de comptes-rendus des réunions du conseil syndical que ' l'architecte ' envisageait un planning avec début des travaux fin juin.
Cette prévision, optimiste, n'est corroborée par aucun autre document et la possibilité de démarrer les travaux dès l'été 2017 restait en tout état de cause conditionnée à la disponibilité des entreprises chargées de les réaliser.
Compte tenu de ces différents éléments, il apparaît justifié de dire que la faute retenue à l'encontre de Mme [D] a fait perdre une chance de voir les travaux réalisés au cours de l'été 2017, perte de chance qui sera évaluée à 20%.
La société SOFI sollicite une somme de 16 107 euros, calculée sur la base d'une réduction de 33% de la consommation énergétique entre mars 2017 et juin 2019.
Mme [D] n'a formé aucune observation sur le quantum de cette demande.
Il sera en conséquence alloué au titre de ce préjudice la somme arrondie de 3 221 euros ( 20 % de 16 107 euros) et le jugement entrepris sera infirmé en conséquence.
Sur la demande au titre du préjudice locatif
La société SOFI soutient que la société G²Mobility aurait résilié le bail en raison de la piètre isolation des locaux loués.
Cependant, cette résiliation est antérieure à l'assemblée du 17 mars 2017. Il n' y a donc manifestement aucun lien entre la faute reprochée à Mme [D] et la résiliation du bail, laquelle repose sur la mauvaise isolation des locaux qui ne peut pas être imputée à Mme [D].
Il ressort en outre des documents produits que le bail a été signé en 2014, donc bien avant que le projet de rénovation et d'isolation ne voit le jour.
La vacance des bureaux, la diminution des loyers, les frais de ré-découpage des bureaux et les frais administratifs qui en ont découlé ne peuvent manifestement pas plus être rattachés à la faute retenue. Ils découlent en effet des caractéristiques propres des locaux acquis par la société SOFI et non des retards ayant affecté la réalisation des travaux d'isolation.
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.
La société SOFI sollicite également une somme de 72 200 euros au titre des conséquences de la résiliation du bail par la société Ker Meur.
Cependant, cette résiliation est également intervenue avant l'assemblée de mars 2017, donc avant que les difficultés pour faire réaliser les travaux d'isolation ne surgissent.
Le préjudice allégué ne peut donc pas être imputé à l'absence de vote des travaux à l'assemblée de mars 2017.
Le jugement sera également confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.
Sur les demandes reconventionnelles de Mme [D]
C'est par des motifs exacts, adoptés par la cour, que le tribunal a rejeté la demande de Mme [D] au titre d'une procédure abusive, aucun abus ne pouvant être retenu dans l'engagement de la procédure dès lors que la faute commise par Mme [D] est établie.
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.
Sur les demandes accessoires
Le sens du présent arrêt commande d'infirmer les dispositions du jugement relatives aux frais irrépétibles et aux dépens.
Mme [D] sera condamnée aux dépens de la totalité de la procédure et à verser à la société SOFI une indemnité de procédure comme il sera dit au dispositif.
PAR CES MOTIFS
Statuant par arrêt contradictoire, dans les limites de sa saisine,
Confirme le jugement en ce qu'il a débouté Mme [D] de sa demande au titre de la procédure abusive,
L'infirme pour le surplus ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Condamne Mme [D] à verser à la société SOFI la somme de 3 221 euros au titre de la sur-consommation énergétique ;
Déboute la société SOFI du surplus de ses demandes ;
Condamne Mme [D] aux dépens de la totalité de la procédure qui pourront être recouvrés directement, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;
Condamne Mme [D] à payer à la société SOFI la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Agnès BODARD-HERMANT, Président, et par Madame Kalliopi CAPO-CHICHI, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT