COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
17e chambre
ARRÊT N°
CONTRADICTOIRE
DU 18JANVIER 2023
N° RG 21/00124
N° Portalis DBV3-V-B7F-UIDD
AFFAIRE :
Société FIDUCIAL SECURITE HUMAINE
C/
[R] [U]
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 9 décembre 2020 par le Conseil de Prud'hommes Formation paritaire de NANTERRE CEDEX
Section : AD
N° RG : F 19/01013
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Christophe DEBRAY
Me Sandra RAMOS
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE 18 JANVIER DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dont la mise à disposition a été fixée au 04/01/2023, puis prorogée au 11/01/2023 puis au 18/01/2023, dans l'affaire entre :
Société FIDUCIAL SECURITE HUMAINE anciennement dénommée PROSEGUR SECURITE HUMAINE
N° SIRET : 338 246 317
[Adresse 4]
[Localité 7]
Représentant : Me Hugues PELISSIER de la SCP FROMONT BRIENS, Plaidant, avocat au barreau de LYON, vestiaire : 727 et Me Christophe DEBRAY, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 627
APPELANTE
****************
Monsieur [R] [U]
né le 31 décembre 1949 à [Localité 9]
de nationalité marocaine
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représentant : Me Sandra RAMOS, Plaidant/ Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E950
INTIME
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 9 novembre 2022 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Aurélie PRACHE, Président, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Aurélie PRACHE, Président,
Monsieur Laurent BABY, Conseiller,
Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller,
Greffier lors des débats : Madame Dorothée MARCINEK
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
M. [U] a été engagé en qualité d'agent de sécurité, par contrat de travail à durée indéterminée, à compter du 4 janvier 2010, par la société Prosegur Sécurité Humaine, nouvellement dénommée Fiducial Sécurité Humaine.
Cette société, spécialisée dans la sécurité privée, applique la convention collective nationale des entreprises de prévention et de sécurité. Son effectif était, au jour de la rupture, de plus de 50 salariés.
Le 11 décembre 2012, le salarié a été élu en qualité de délégué du personnel titulaire.
Par courriel du 30 mai 2013, la société Prosegur Sécurité Humaine a été informée par la société GDF Suez qu'à compter du 1er juin 2013 le salarié ne serait plus admis sur son site, sur lequel il était affecté depuis son embauche.
Par courriel du 6 juin 2013, l'employeur a proposé au salarié une affectation sur le site Schneider, situé à [Localité 8]. Par courriel du même jour, le salarié a fait part de son refus. Par lettres des 28 mai et 6 juin 2014, la société lui a proposé de l'affecter sur d'autres sites, ce que le salarié a refusé par lettre du 12 juin 2014.
Par lettre du 3 juillet 2014, le salarié a été convoqué à un entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement, fixé le 15 juillet 2014.
Après avoir convoqué, le 24 juillet 2014, les membres du comité d'établissement à une réunion extraordinaire concernant le projet de licenciement du salarié, le 1er août 2014, la société a sollicité l'autorisation de licenciement du salarié à l'inspecteur du travail, lequel a délivré une autorisation de licenciement par décision du 3 octobre 2014, notifiée le 10 octobre 2014.
Le salarié a été licencié par lettre du 20 octobre 2014 pour faute grave dans les termes suivants:
« Par la présente, nous faisons suite à l'entretien préalable à sanction pouvant aller jusqu'au licenciement pour faute grave fixé au 15 juillet 2014 pour lequel vous avez été convoqué par courrier recommandé en date du 3 juillet 2014; entretien auquel vous vous êtes présenté assisté de Monsieur [S] [K], Délégué Syndical Central CFTC au sein de la société PROSEGUR Sécurité Humaine.
Suite à cet entretien, le Comité d'établissement Nord a été régulièrement convoqué et a tenu une réunion extraordinaire qui s'est déroulée le 31 Juillet 2014.
De plus, l'inspecteur du travail de la DIRECTE en charge de l'unité territoriale (UT) de la Seine Saint Denis, Madame [D] [I] [P], suite à son enquête contradictoire, nous a autorisés à vous licencier, par lettre en date du 3 octobre 2014, réceptionnée en nos locaux le 13 octobre 2014.
En conséquence de ce qui précède, nous vous notifions par la présente votre licenciement pour faute grave en raison des motifs que nous vous avons exposés lors de l'entretien préalable et que nous vous rappelons ci-dessous:
Vous avez été embauché par la Société PROSEGUR Sécurité Humaine le 4 Janvier 2010, en qualité de d'agent de sécurité Chef de poste.
Le 6 mal 2014, vous avez passé une visite médicale et le médecin du travail a émis l'avis d'aptitude suivant : « Apte au travail de jour avec des horaires relativement fixes ». Suite à cet avis, la Société PROSEGUR Sécurité Humaine vous a proposé à l'occasion d'un entretien formel qui s'est tenu le 28 mai 2014 et au cours duquel vous étiez assisté par Monsieur [T] [B], Représentant du personnel, plusieurs affectations, toutes conformes aux clauses de votre contrat de travail et parfaitement compatibles avec votre état de santé.
Pour rappel, ces propositions concernaient les sites client suivants :
- Site client DAUCHEZ situé [Adresse 1]
' Horaire du poste du travail: du lundi au vendredi de 8h30 à 14h30
- Site client MONOPRIX NATION situé [Adresse 3]
' Horaire du poste du travail: du lundi au samedi selon planning de 8h00 à 1St00 ou de 14h15 à 21h15,
- Site client GEOD1S situé [Adresse 6]
' Horaire du poste du travail: du lundi au dimanche selon planning de 8h00 à 20h00
Lors de ce même entretien, nous vous rappelions les conditions dans lesquelles vous vous étiez précisément engagé lors de la signature de votre contrat de travail; ainsi l'article 5 de votre contrat de travail intitulé « Lieu de travail - Mutation » précise : « En raison de la spécificité de la profession, les agents d'exploitation ne font pas l'objet d'une affectation particulière à un poste déterminé.
En conséquence, et ceci est une condition essentielle à son embauche, il pourra être procédé à des mutations en fonction des Impératifs résultants de l'organisation du service et des exigences de la clientèle.
Les affectations seront faites sur l'ensemble de la zone de travail couverte par l'agence du Plessis Robinson et la région Île-de-France.
Son refus d'accepter une mutation en application des dispositions précitées seront susceptible de constituer une faute pouvant entrainer l'application de sanctions disciplinaires pouvant aller jusqu'au licenciement »
De même, nous vous rappelions également les dispositions de l'article 1 intitulé: « Engagement» de votre contrat de travail qui précisent : « Par ailleurs et compte tenu de la nature des activités inhérentes à la profession, il est expressément convenu que l'employé(e) accepte indifféremment tous les emplois relevant des coefficients prévus dans sa filière et des salaires y afférent, ainsi que des autres fières de la branche professionnelle tels que visés et définis par l'accord de branche du 1er décembre 2006 relatif aux qualifications professionnelles des métiers de la prévention et sécurité. »
En outre, nous attirions votre attention sur le fait que votre qualité de salarié protégé ne pouvait faire obstacle à l'application des clauses figurant à votre contrat de travail.
Dès lors et bien que nous ayons pris bonne note de votre refus catégorique lors de cet entretien quant aux trois propositions d'affectations qui vous ont été présentées, nous vous avons néanmoins réitére celles-ci, lesquelles vous ont été formalisées par courrier recommandé en date du 6 juin 2014 et vous demandions dans le cadre de ce dernier de bien vouloir nous faire connaître sous huitaine et par retour de courrier votre choix définitif parmi celles-ci.
Malgré ces trois propositions d'affectation formulées par votre Direction d'agence, vous nous avez répondu par écrit le 12 juin 2014 que vous refusiez de manière catégorique ces propositions d'affection sans motiver aucunement votre refus; faits aggravants, vous portiez à l'encontre de la société de accusations non-fondées, lesquelles au demeurant sont susceptibles de relever d'une qualification pénale et mettez en demeure l'entreprise de vous réaffecter sur le site GDF SUEZ la Défense.
Par courrier en date du 16 juin 2014, nous vous répondions:
1. d'une part récuser les accusations portées à notre encontre, lesquelles ne reflétaient en rien l'attitude de l'entreprise à votre égard,
2. et d'autre part pour vous rappeler:
* à nouveau, le détail de vos obligations contractuelles ;
* que les propositions d'affectations que nous vous avons formulées ont fait l'objet d'une recherche parfaitement loyale de notre part et sont, à ce égard, parfaitement compatibles, avec votre aptitude médicale ;
* que votre changement d'affectation ne saurait, compte tenu de ce qui précède, constituer une modification de votre contrat de travail mais une simple modalité d'exécution de ce dernier;
* que nous souhaitions trouver une alternative constructive à la situation et vous réitérions dans ce cadre ces trois propositions d'affectations, vous demandant de bien vouloir revenir vers nous sous huitaine pour nous faire connaître par écrit votre choix définitif.
Vous n'avez même pas daigné répondre à ce courrier.
Cette attitude de votre part est purement et simplement inacceptable. En effet, rien ne saurait légitimer le refus persistant de votre part à reprendre votre travail: ni votre état de santé, ni votre statut de salarie protégé. Sur ce dernier point, nous vous rappelons à nouveau que l'affectation sur d'autres sites ne constitue pas une modification de votre contrat de travail dans la mesure où, une fois de plus, nous vous rappelons que ce dernier ne vous positionne en rien sur un site précis et que l'ensemble des affectations proposées constitue une simple application de votre contrat de travail. Le fait que vous soyez salarié protégé ne vous exonère en rien de respecter les clauses contractuelles auxquelles vous vous êtes précisément engagées lors de la signature de votre contrat de travail.
Les explications recueillies lors de l'entretien ne nous ont pas permis de revoir notre position d'autant plus que n'avez témoigné aucun regret ni fait preuve d'aucune remise en cause quant à votre attitude et votre comportement, prenant soin de défier la Direction en nous opposant votre qualité de « salarié protégé » vis-à-vis de laquelle l'entreprise ne pourrait selon vous rien faire et soulignant à ce titre que vous n'étiez nullement inquiet des suites qui seraient réservées à cet entretien.
Votre mauvaise volonté manifeste à reprendre votre travail conformément à vos engagements contractuels de même que votre refus persistant et non valablement motivés des affectations qui vous ont été légitimement proposées et enfin l'absence d'efforts démontrés de votre part sont constitutives d'un licenciement pour faute grave, privative de toute indemnité de rupture et de préavis. En effet, dans ces conditions, et eu égard à la gravité des faits, votre maintien dans l'entreprise s'avère désormais impossible.
En conséquence, vous cesserez de faire partie de nos effectifs à la date d'envoi de ce courrier à votre domicile, le cachet de la poste faisant foi, ce dernier vous notifiant votre licenciement pour faute grave. »
Le 10 décembre 2014, M. [U] a déposé une requête auprès du tribunal administratif de Montreuil pour obtenir l'annulation de la décision d'autorisation de licenciement.
Par jugement du 13 novembre 2015, le tribunal administratif de Montreuil a annulé l'autorisation de licenciement au motif que la décision n'a pas été suffisamment motivée. La requête de l'employeur sollicitant l'annulation du jugement a été rejetée par arrêt du 2 octobre 2018 de la cour administrative d'appel de Versailles.
Le 11 avril 2019, M. [U] a saisi le conseil de prud'hommes de Nanterre aux fins de voir prononcer la nullité de son licenciement, demander une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et une somme au titre du préjudice subi au cours de la période écoulée entre son licenciement et l'expiration du délai de deux mois suivant l'arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles.
Par jugement du 9 décembre 2020, le conseil de prud'hommes de Nanterre (section activités diverses) :
- s'est déclaré en partage de voix sur la demande de nullité du licenciement de M. [U] et, en application de l'article L.1454-2, l'affaire, uniquement sur cette demande, est renvoyée à une nouvelle audience présidée par le juge départiteur,
- a dit que M. [U] a droit, en conséquence de l'arrêt de la cour administrative de Versailles, au paiement d'une indemnité correspondant à la totalité du préjudice subi,
- a condamné la société Prosegur Sécurité Humaine à verser à M. [U] les sommes suivantes:
. 70 837, 49 euros à titre du préjudice subi, avec adjonction des intérêts au taux légal à compter du 9 décembre 2020,
. 950 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles de procédure, avec adjonction des intérêts au taux légal à compter du 9 décembre 2020
- a condamné la société Prosegur Sécurité Humaine aux entiers dépens comprenant notamment les frais éventuels de signification et d'exécution forcée du présent jugement, par voie d'huissier.
La société Prosegur Sécurité Humaine a changé de dénomination sociale depuis le 1er janvier 2021, se dénommant désormais Fiducial Sécurité Humaine.
Par déclaration adressée au greffe le 12 janvier 2021, la société a interjeté appel de ce jugement et l'affaire a été enregistrée sous le N°RG 21/00124. Par déclaration adressée au greffe le 15 janvier 2021, M. [U] a également interjeté appel de ce jugement (affaire enregistrée sous le N°RG 21/00208). Les deux affaires ont été jointes sous le seul n° RG 21/00124 par ordonnance du conseiller de la mise en état du 30 septembre 2021.
Une ordonnance de clôture a été prononcée le 20 septembre 2022.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 1er juillet 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles la société Fiducial Sécurité Humaine demande à la cour de :
- infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Nanterre du 9 décembre 2020 en ce qu'il a :
. dit que M. [U] a droit, en conséquence de l'arrêt de la cour administrative de Versailles, au paiement d'une indemnité correspondant à la totalité du préjudice subi,
. l'a condamnée à verser à M. [U] les sommes suivantes :
* 70 837,49 euros à titre de préjudice subi avec adjonction des intérêts au taux légal à compter du 9 décembre 2020,
* 950 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles de procédure, avec adjonction des intérêts au taux légal à compter du 9 décembre 2020, . l'a condamnée aux entiers dépens comprenant notamment les frais éventuels de signification et d'exécution forcée du présent jugement, par voie d'huissier,
et, statuant à nouveau,
- dire qu'il convient de retenir, pour l'indemnisation au titre de l'article L. 2422-4 du code du travail, la période courant de la date du licenciement à la date du jugement administratif augmentée de deux mois, soit du 20 octobre 2014 au 13 janvier 2016,
- réduire, en conséquence, l'indemnité spécifique fondée sur l'article L. 2422-4 du code du travail après déduction des revenus de remplacement de M. [U],
- fixer en conséquence le montant de l'indemnité du préjudice subi au montant net 15 073,15 euros, outre la somme nette de 1 507,31 euros au titre de congés payés afférents,
en tout état de cause,
- débouter M. [U] de ses autres et plus amples demandes,
- condamner M. [U] à lui verser la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner M. [U] aux entiers dépens.
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 18 juin 2021 à 00h04, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles M. [U] demande à la cour de :
à titre liminaire,
- ordonner la jonction de l'affaire n°21/00208 à l'affaire n°21/00124,
se prononçant sur le fond,
- le dire bien fondé en ses fins, moyens et prétentions,
y faisant droit,
- constater qu'il n'a pas sollicité la réintégration à son poste de travail,
- dire que la période à prendre en compte pour l'évaluation de son préjudice en application de l'article L.2422-4 du code du travail est celle séparant la date du licenciement à l'expiration d'un délai de deux mois à compter de la notification de la décision de la cour administrative d'appel de Versailles du 2 octobre 2018,
par conséquent,
- condamner la société Fiducial Sécurité Humaine à lui verser les sommes suivantes au titre de la totalité du préjudice subi au cours de la période écoulée entre son licenciement et l'expiration du délai de deux mois à compter de la notification de la décision de la cour administrative d'appel de Versailles du 2 octobre 2018 :
. à titre principal, la somme de 132 975,95 euros en réparation de la totalité du préjudice subi par le salarié, outre la somme de 13 297,59 euros au titre des congés payés afférents,
. à titre subsidiaire, les sommes de : 75 707,15 euros au titre de son préjudice financier et 20 922 euros au titre de son préjudice moral, outre la somme de 7 570,71 euros au titre des congés payés afférents,
- condamner la société Fiducial Sécurité Humaine à lui verser la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- ordonner la remise des bulletins de paie, certificat de travail, attestation Assedic conformes à la décision à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard,
- condamner la société Fiducial Sécurité Humaine aux entiers dépens de la présente procédure,
- ordonner l'exécution provisoire conformément à l'article 515 du code de procédure civile et l'intérêt au taux légal.
MOTIFS
Sur la période à prendre en compte pour l'indemnité sollicitée en application de l'article L. 2422-4 du code du travail
A titre liminaire, les parties rappellent que le bien-fondé du licenciement, actuellement encore en cours d'examen après le renvoi en départage, n'est pas l'objet du litige, et que le droit à indemnisation du salarié en application de l'article L. 2422-4 du code du travail n'est pas contesté, seule étant en débat dans le cadre de la présente procédure la question de la période d'indemnisation et du quantum de l'indemnité.
Sur ces points, le salarié soutient que son licenciement est intervenu sur le fondement d'une autorisation de licenciement de l'inspecteur du travail qui a ensuite été annulée. Il sollicite une indemnité correspondant à la totalité du préjudice subi au cours de la période écoulée entre son licenciement et l'expiration du délai de deux mois suivant la notification à l'employeur de l'arrêt confirmant la décision d'annulation. Il fait valoir que la décision d'annulation ne devient définitive qu'en l'absence de recours dans les délais, de sorte que la date à prendre en compte est l'expiration du délai de recours contre l'arrêt de la cour administrative d'appel, soit le 2 décembre 2018. Il expose que c'est la totalité du préjudice subi, tant matériel que moral, qui doit être indemnisé.
L'employeur soutient que la période à prendre en compte est celle écoulée entre la date du licenciement et la fin du second mois suivant la notification à l'employeur de la décision d'annulation prise par le tribunal administratif, et non de sa confirmation par la cour administrative d'appel, comme le soutient le salarié et l'a retenu le conseil de prud'hommes. Il fait valoir que le recours formé contre la décision du tribunal administratif n'est pas suspensif et que le jugement, qui au cas présent n'indique aucun sursis à exécution, doit être exécuté aussi longtemps qu'il n'a pas été annulé, de sorte que le préjudice est indemnisé jusqu'à l'expiration du délai de recours contre le jugement du tribunal administratif, c'est-à-dire en l'espèce le 13 janvier 2016. Il expose que les décisions citées par le salarié concernent la question du droit même à indemnisation, qui n'est ici pas contestée par les parties. S'agissant du montant de l'indemnité, il rappelle qu'elle n'est pas forfaitaire mais doit déduire les revenus de remplacement, tirés notamment d'une autre activité professionnelle, des allocations chômage, des pensions de retraite, qu'il s'agit d'une indemnité qui constitue un complément de salaire et ne répare pas une préjudice moral, dont l'existence doit en tout état de cause être démontrée.
**
Selon l'article L. 2422-4 du code du travail, lorsque l'annulation d'une décision d'autorisation est devenue définitive, le salarié investi d'un des mandats mentionnés à l'article L. 2422-1 a droit au paiement d'une indemnité correspondant à la totalité du préjudice subi au cours de la période écoulée entre son licenciement et sa réintégration, s'il en a formulé la demande dans le délai de deux mois à compter de la notification de la décision.
L'indemnité correspond à la totalité du préjudice subi au cours de la période écoulée entre son licenciement et l'expiration du délai de deux mois s'il n'a pas demandé sa réintégration.
Ce paiement s'accompagne du versement des cotisations afférentes à cette indemnité qui constitue un complément de salaire.
Il convient de distinguer le droit à indemnité du salarié, qui implique pour celui-ci que l'annulation de la décision d'autorisation soit devenue définitive, et donc éventuellement que la cour administrative d'appel ait statué, de l'étendue de la période d'indemnisation, dont le terme est l'expiration du délai de deux mois à compter de la première décision d'annulation.
En effet, il est constant que, à défaut de sursis à exécution, le jugement d'un tribunal administratif annulant l'autorisation de licenciement ouvre droit à réintégration au profit du salarié. Lorsque la décision d'autorisation a été annulée, le salarié qui ne demande pas sa réintégration, a droit à une indemnité correspondant au préjudice subi au cours de la période qui s'est écoulée entre son licenciement et l'expiration du délai de deux mois à compter de la notification qui emporte le droit à réintégration. (Soc., 17 septembre 2003, pourvoi n° 01-41.656, Bulletin civil 2003, V, n° 238; Soc., 29 mars 2005, pourvoi n° 03-43.573, Bull. 2005, V, n° 104).
Ainsi, le salarié protégé dont l'annulation de la décision d'autorisation de licenciement est devenue définitive a droit, s'il ne demande pas sa réintégration, à une indemnité correspondant au préjudice subi au cours de la période écoulée entre son licenciement et l'expiration du délai de deux mois à compter de la notification de la décision qui emporte le droit à réintégration, c'est-à-dire le jugement rendu par le tribunal administratif et non l'arrêt confirmatif rendu par la cour administrative d'appel. (Soc., 19 octobre 2005, pourvoi n° 02-46.173, Bull. 2005, V, n° 293)
En l'espèce, M. [U] a été licencié le 20 octobre 2014 après que l'employeur a obtenu l'autorisation de l'inspecteur du travail, ensuite annulée par jugement du tribunal administratif du 13 novembre 2015, ce jugement étant confirmé par arrêt de la cour administrative d'appel, non frappé de pourvoi. Le droit à indemnité du salarié a donc fait l'objet d'une décision définitive, ce qui n'est pas contesté.
Le salarié n'a pas sollicité sa réintégration à la suite du jugement du tribunal administratif emportant son droit à réintégration, qui ne comportait pas de sursis à exécution. Dès lors, en application de la jurisprudence constante précitée, la période à prendre en considération pour l'indemnisation du préjudice est celle comprise entre la date du licenciement et l'expiration du délai de deux mois à compter de la notification du jugement du tribunal administratif emportant le droit de M. [U] à reintegration.
En conséquence, le salarié a droit à une indemnité correspondant à la totalité de son préjudice de la date de son licenciement, le 20 octobre 2014, à l'expiration du délai de deux mois suivant la notification du jugement rendu par le tribunal administratif, soit jusqu'au 13 janvier 2016.
Sur le montant de l'indemnité prévue par l'article L. 2422-1 du code du travail
Il est tenu compte, pour la fixation de l'indemnité prévue par l'article L. 2422-1, des revenus que le salarié a pu percevoir pendant la période considérée. L'évaluation du préjudice matériel subi doit être appréciée à partir du montant des salaires perdus sous déduction des sommes perçues par le salarié à titre d'indemnités de chômage, de pension de retraite, d'indemnités journalières de la sécurité sociale, de revenus provenant de l'exercice d'autres activités professionnelles, ou encore des sommes perçues à titre de pension d'invalidité.
Cette indemnité, qui ne présente pas un caractère forfaitaire, doit réparer l'intégralité du préjudice, tant matériel que moral, subi au cours de la période écoulée entre le licenciement et la réintégration du salarié (Soc., 12 novembre 2015, pourvoi n° 14-10.640, Bull. 2016, V, n° 232)
Sur ce point, il doit d'abord être rappelé que le salarié n'a pas demandé sa réintégration et que le litige dans le cadre duquel il sollicite la nullité de son licenciement ainsi qu'une 'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse', est encore en cours d'examen devant le conseil de prud'hommes, en formation de départage.
Il sera d'abord précisé que, dans ses conclusions (p.12), M. [U] indique, dans le cadre de sa demande subsidiaire, que son préjudice matériel pour la période du 20 octobre 2014 au 31 janvier 2015 s'élève à la somme de 6 559,51 euros, se décomposant ainsi : 1 955,24 euros X (11/31 + 3), et pour la période du 1er février 2015 au 31 mars 2018 à la somme de 62 480 euros se décomposant ainsi : 1 644,22 x (11+2X12+3). L'employeur évalue quant à lui à la somme de 15 073,15 euros nets le montant de l'indemnité (p.19 de ses écritures).
L'allégation selon laquelle il percevait un salaire mensuel de 3 158,55 euros est dépourvue d'offre de preuve, de sorte qu'il convient de fixer sa rémunération mensuelle brute à la somme de 1 955,54 euros, correspondant à la moyenne des douze derniers mois, ainsi que l'ont retenu les premiers juges. Sur la période précédemment retenue, du 20 octobre 2014 au 13 janvier 2016, le salarié aurait donc du percevoir la somme totale de 29 333,10 euros bruts (1 955,54 euros x 12 mois), soit 18 303 euros nets.
En l'application de la jurisprudence précitée, il convient d'en déduire les revenus de remplacement, notamment les pensions de retraite qu'il a perçues (311,02 euros nets par mois à compter de février 2015), soit la somme totale de 8 243,33 euros nets, correspondant à 10 551,72 euros bruts, au regard des avis d'imposition produits, qui indiquent que le salarié a déclaré, à titre de revenus pour l'année 2014, la somme totale de 20 207 euros, correspondant à un revenu net mensuel de 1 693 euros, pour l'année 2015, la somme totale de 4 054 euros soit un revenu net mensuel de 337 euros, et, pour l'année 2016, la somme totale de 6 411 euros soit un revenu net mensuel de 534,25 euros.
Il convient donc d'évaluer le préjudice matériel du salarié, au titre des salaires perdus sous déduction des sommes perçues sur la période du 20 octobre 2014 au 13 janvier 2016, à la somme de 18 781,38 euros bruts, outre la somme, due en application des articles L. 2422-1 et L. 2422-4 du code du travail, de 1 878,13 euros bruts au titre des congés payés afférents.
Par ailleurs, le salarié, âgé de 65 ans et père de trois enfants encore scolarisés lors de la rupture, justifie d'un préjudice moral important, puisqu'il a dû engager un recours contre la décision de l'inspecteur du travail, puis assurer sa défense dans le cadre de l'appel formé par l'employeur contre le jugement du tribunal administratif, par la suite confirmé en appel, que la famille a dû s'approvisionner auprès d'organismes caritatifs pendant l'été et n'a pu faire face au paiement du loyer notamment d'avril 2015.
Il convient en conséquence d'évaluer le préjudice moral de M. [U] à la somme de 8 000 euros.
Il y a donc lieu d'infirmer le jugement sur la période et le quantum de l'indemnité versée en application de l'article L. 2422-1 précité, et de condamner la société Fiducial sécurité humaine à payer à M. [U], la somme totale de 28'659,51 euros à titre d'indemnité liée à la méconnaissance par l'employeur du statut protecteur du salarié, en réparation du préjudice subi, se décomposant comme suit :
- préjudice matériel : 18 781,38 euros bruts outre 1 878,13 euros bruts de congés payés afférents,
- préjudice moral : 8 000 euros
Sur la remise des documents
Il convient d'enjoindre à l'employeur de remettre au salarié un certificat de travail, une attestation Pôle emploi et un bulletin de salaire récapitulatif conformes à la présente décision, sans qu'il soit nécessaire d'assortir cette mesure d'une astreinte.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Il y a lieu de confirmer le jugement déféré en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles.
Il y a lieu de condamner la société Fiducial Sécurité Humaine aux dépens de l'instance d'appel et au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi que de rejeter sa demande fondée sur ce texte.
PAR CES MOTIFS:
La cour, statuant par arrêt contradictoire, en dernier ressort et prononcé par mise à disposition au greffe :
INFIRME le jugement entrepris mais seulement en ce qu'il condamne la société Prosegur Sécurité Humaine à verser à M. [U] la somme de 70 837, 49 euros au titre du préjudice subi,
CONFIRME le jugement pour le surplus,
Statuant à nouveau du seul chef infirmé et y ajoutant,
CONDAMNE la société Prosegur Sécurité Humaine à verser à M. [U], au titre de l'indemnité prévue par l'article L. 2422-1 du code du travail, pour la période comprise entre le 20 octobre 2014 et le 13 janvier 2016, les sommes suivantes :
- 18 781,38 euros bruts, outre 1 878,13 euros bruts de congés payés afférents, au titre du préjudice matériel
- 8 000 euros au titre de son préjudice moral
ORDONNE à l'employeur de remettre au salarié un certificat de travail, une attestation Pôle emploi et un bulletin de salaire récapitulatif conformes à la présente décision, sans qu'il soit nécessaire d'assortir cette mesure d'une astreinte,
CONDAMNE la société Prosegur Sécurité Humaine à payer à M. [U] la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et déboute l'employeur de sa demande fondée sur ce texte,
CONDAMNE la société Prosegur Sécurité Humaine aux dépens de l'instance d'appel.
. prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
. signé par Madame Aurélie Prache, président et par Madame Dorothée Marcinek, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier Le président