La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

02/02/2023 | FRANCE | N°19/01940

France | France, Cour d'appel de Versailles, 6e chambre, 02 février 2023, 19/01940


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80C



6e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 02 FEVRIER 2023



N° RG 19/01940 -

N° Portalis DBV3-V-B7D-TE2U



AFFAIRE :



[L] [G]



C/



SAS S.A.D.A.







Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 27 mars 2019 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOULOGNE BILLANCOURT

N° Section : C

N° RG : 17/00087















Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



Me Roger BISALU



Me Béatrice BONACORSI



le :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE DEUX FEVRIER DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles a r...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80C

6e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 02 FEVRIER 2023

N° RG 19/01940 -

N° Portalis DBV3-V-B7D-TE2U

AFFAIRE :

[L] [G]

C/

SAS S.A.D.A.

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 27 mars 2019 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOULOGNE BILLANCOURT

N° Section : C

N° RG : 17/00087

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Roger BISALU

Me Béatrice BONACORSI

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE DEUX FEVRIER DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Monsieur [L] [G]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentant : Me Roger BISALU, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, vestiaire : 85

APPELANT

****************

SAS S.A.D.A.

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentant : Me Béatrice BONACORSI, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de VAL D'OISE, vestiaire : 66

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 01 décembre 2022 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Catherine BOLTEAU-SERRE, Président,

Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller,

Madame Isabelle CHABAL, Conseiller,

Greffier en pré-affectation lors des débats : Domitille GOSSELIN

Rappel des faits constants

La SAS SADA, dont le siège social se situe à [Localité 4] dans les Hauts-de-Seine en région parisienne, exploite un fonds de commerce de l'enseigne Intermarché. Elle emploie plus de dix salariés et applique la convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire du 12 juillet 2001.

M. [L] [G], né le 18 novembre 1966, a été engagé par cette société, selon contrat de travail à durée déterminée à temps partiel du 1er septembre 2009 au 31 mai 2011, en qualité d'employé commercial.

A la date d'embauche, M. [G], qui était en situation irrégulière, a été engagé sous l'identité de M. [L] [J] [P].

M. [G] a de nouveau été engagé, dans les mêmes termes, par la société SADA le 1er juin 2011 sous l'identité de M. [E] [V] [B].

Le 1er mars 2013, prétendant que M. [G] lui avait indiqué que sa situation avait été régularisée, la société SADA l'a de nouveau engagé sous sa véritable identité, selon contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel à effet au 1er mars 2013, en qualité d'employé commercial.

La société SADA allègue qu'en août 2015, à l'occasion d'un changement de logiciel de paie, elle s'est aperçue qu'elle ne disposait pas du titre de séjour de M. [G] mais que les échanges intervenus entre les parties n'ont pas permis de régulariser la situation.

Elle a donc notifié à M. [G], par courrier du 21 juillet 2016, la rupture de son contrat de travail sur le fondement de l'article L. 8251-1 du code du travail, lequel dispose : « Nul ne peut, directement ou indirectement, embaucher, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France.

Il est également interdit à toute personne d'engager ou de conserver à son service un étranger dans une catégorie professionnelle, une profession ou une zone géographique autres que celles qui sont mentionnées, le cas échéant, sur le titre prévu au premier alinéa. »

M. [G] a saisi le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt en contestation de la rupture de son contrat de travail, par requête reçue au greffe le 19 janvier 2017.

La décision contestée

Par jugement contradictoire rendu le 27 mars 2019, la section commerce du conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt a :

- accueilli la fin de non-recevoir et y a fait droit,

- déclaré irrecevable l'instance engagée par M. [G],

- déclaré le conseil de prud'hommes dessaisi,

- invité les parties à mieux se pourvoir,

- débouté la société SADA de sa demande au titre des frais irrépétibles,

- débouté les parties de leurs demandes plus amples, contraires ou autres,

- laissé les dépens éventuels à chacune des parties.

Lors de la saisine, les demandes de M. [G] étaient les suivantes :

- 57 000 euros à titre de dommages-intérêts,

- 1 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- intérêt au taux légal à compter de la saisine

- dépens à la charge du défendeur.

Puis, par conclusions du 5 décembre 2017, M. [G] a formulé les demandes suivantes :

- 95 001 euros à titre de rappel de salaire sur toute la période travaillée,

- 38 000,40 euros pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 9 006 euros d'indemnité légale de licenciement,

- 3 002 euros pour préavis ainsi que 300,20 euros pour congés sur préavis,

- 9 500,10 euros pour travail dissimulé,

- 108 360 euros pour préjudice financier,

- 25 000 euros pour préjudice moral,

- 25 000 euros pour harcèlement moral,

- 15 000 euros pour trouble dans les conditions d'existence lié au retard pour l'indemnisation de Pôle emploi,

- 15 001 euros au titre des congés payés,

- 15 000 pour non-respect des obligations de l'employeur concernant les visites médicales,

- remise de documents rectifiés sous astreinte,

- 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La société SADA avait soulevé l'irrecevabilité des demandes du fait des modifications apportées depuis le bureau de conciliation et d'orientation du 1er mars 2017.

La société SADA avait également demandé la condamnation de M. [G] à lui verser la somme de 3 000 euros en vertu des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

La procédure d'appel

M. [G] a interjeté appel du jugement par déclaration du 22 avril 2019 enregistrée sous le numéro de procédure 19/01940.

Par ordonnance rendue le 6 octobre 2021, le magistrat chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l'instruction et a fixé la date des plaidoiries au 4 novembre 2021.

Une médiation a été tentée, qui n'a toutefois pas abouti.

Prétentions de M. [G], appelant

Par dernières conclusions adressées par voie électronique le 26 juin 2019, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, M. [G] demande à la cour d'appel de :

- dire et juger que le conseil a violé l'article 6 de la CEDH, l'article 10 de la Convention n° 158 de l'OIT ainsi que l'article 24 de la Charte sociale européenne,

- dire et juger que le jugement du conseil de prud'hommes manque en fait et en droit,

- dire et juger que les nouvelles demandes se rattachent aux prétentions originaires par un lien de droit et de fait,

- dire et juger que le motif légitime est justifié, s'agissant d'un salarié qui n'a plus d'avocat après le bureau de conciliation,

- dire et juger que le jugement rendu dans ces conditions peut s'analyser en un déni de justice,

par conséquent,

- infirmer le jugement entrepris,

. dire et juger directement applicable les dispositions de l'article 10 de la Convention n° 158 de l'OIT et l'article 24 de la Charte sociale européenne,

. déclarer le licenciement abusif, sans cause réelle et sérieuse,

. condamner la société SADA à lui payer les sommes suivantes :

- la somme de 38 000,40 euros à titre de dommages-intérêts pour rupture abusive, licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- la somme de 95 001 euros à titre de rappel de salaires,

- la somme de 9 006 euros à titre d'indemnité légale de licenciement,

- la somme de 3 002 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- la somme de 300,20 euros au titre des congés payés afférents,

- la somme de 9 500,10 euros à titre de dommages-intérêts pour travail dissimulé,

- la somme de 108 360 euros pour préjudice financier,

- la somme de 25 000 euros à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral,

- la somme de 15 000 euros pour trouble dans les conditions d'existence,

- la somme de 15 001 euros à titre de congés payés,

- la somme de 15 000 euros pour non-respect de visite médicale,

- dire qu'il est établi que M. [G] a travaillé depuis 2007 sous les identités successives de [J] et de [V] à la société SADA.

L'appelant sollicite en outre les intérêts de retard au taux légal à compter de la saisine du bureau de conciliation et d'orientation, la remise des bulletins de paie du 1er septembre 2009 à février 2013, les bulletins de paie des mois de mars à octobre 2016, la lettre de licenciement, un certificat de travail, une attestation pôle emploi, sous astreinte de 50 euros par jour et par document, et une somme de 3 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Prétentions de la société SADA, intimée

Par dernières conclusions adressées par voie électronique le 12 septembre 2019, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la société SADA conclut à la confirmation en toutes ses dispositions du jugement entrepris et demande donc à la cour d'appel de :

- déclarer l'appel de M. [G] irrecevable pour manque de base légale et de motivation,

- en tout état de cause confirmer la décision entreprise accueillant la fin de non-recevoir pour irrecevabilité des demandes nouvelles conformément au décret n° 216-660 du 20 mai 2016 relatif à la justice prud'homale et au traitement judiciaire du contentieux du travail et aux articles 70 et 122 du code de procédure civile,

- subsidiairement, débouter purement et simplement M. [G] de toutes ses demandes, fins et conclusions.

Elle sollicite une somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

MOTIFS DE L'ARRÊT

A titre liminaire, il sera rappelé que l'article 954 du code de procédure civile oblige les parties à formuler expressément leurs prétentions dans le dispositif de leurs conclusions, la cour ne statuant que sur celles-ci.

Sur la recevabilité de l'appel

La société SADA soutient que les demandes de M. [G], non soumises préalablement au bureau de conciliation et d'orientation (BCO), doivent être déclarées irrecevables, ainsi que l'a retenu le conseil de prud'hommes. Elle allègue également que M. [G] n'a pas respecté la date de communication des pièces et écritures figurant sur le bulletin de renvoi émis par le conseil de prud'hommes.

M. [G] oppose la violation de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme qui garantit les droits des parties à un procès équitable. Il rappelle que le principe de la contradiction a été respecté puisqu'il a communiqué ses pièces et que ses demandes nouvelles se rattachaient aux prétentions originaires. Il rappelle qu'il n'avait plus d'avocat après le BCO car son conseil avait refusé de continuer à le défendre. Il considère que le jugement rendu doit s'analyser en un déni de justice.

Selon les articles R. 1452-1 et R. 1452-2 du code du travail, dans leur rédaction issue du décret nº 2016-660 du 20 mai 2016, la demande en justice est formée par requête qui contient un exposé sommaire des motifs de la demande et mentionne chacun des chefs de celle-ci.

Aux termes de l'article R. 1453-3 du code du travail, la procédure prud'homale est orale. L'article R. 1453-5 du même code précise que lorsque toutes les parties comparantes formulent leurs prétentions par écrit et sont assistées ou représentées par un avocat, elles sont tenues de les récapituler sous forme de dispositif et elles doivent reprendre dans leurs dernières conclusions les prétentions et moyens présentés ou invoqués dans leurs conclusions antérieures.

Aux termes de l'article 70, alinéa 1er, du code de procédure civile, les demandes reconventionnelles ou additionnelles sont recevables si elles se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant.

Il résulte de ces dispositions qu'en matière prud'homale, la procédure étant orale, le requérant est recevable à formuler contradictoirement des demandes additionnelles qui se rattachent aux prétentions originaires, devant le juge lors des débats, ou dans ses dernières conclusions écrites réitérées verbalement à l'audience lorsqu'il est assisté ou représenté par un avocat.

En l'espèce, il résulte des mentions du jugement critiqué que, lors de la saisine, M. [G] avait présenté les demandes suivantes :

- 57 000 euros à titre de dommages-intérêts,

- 1 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- intérêt au taux légal à compter de la saisine,

- dépens à la charge de la défenderesse.

Puis, par conclusions du 5 décembre 2017, M. [G] a présenté les demandes suivantes :

- 95 001 euros au titre d'un rappel de salaire sur toute la période travaillée,

- 38 000,40 euros pour le licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 9 006 euros à titre d'indemnité légale de licenciement,

- 3 002 euros pour préavis ainsi que 300,20 euros au titre des congés payés afférents,

- 9 500,10 euros au titre du travail dissimulé,

- 108 360 euros à titre de préjudice financier,

- 25 000 euros à titre de préjudice moral,

- 25 000 euros pour harcèlement moral,

- 15 000 euros pour trouble dans les conditions d'existence lié au retard pour l'indemnisation Pôle emploi,

- 15 000 euros pour non-respect des obligations de l'employeur concernant les visites médicales,

- remise des documents rectifiés sous astreinte,

- 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Il sera constaté que ces demandes nouvelles, certes très importantes par rapport aux demandes initiales, sont cependant en lien avec les prétentions formulées dans la requête initiale en ce qu'elles concernent l'exécution et la rupture d'un même contrat de travail.

Il ne peut par ailleurs être retenu que, du seul fait du non-respect de la date de communication des pièces et écritures figurant sur le bulletin de renvoi émis par le conseil de prud'hommes, le principe de la contradiction n'a pas été respecté.

Il se déduit de ces éléments que toutes les demandes de M. [G] sont bien recevables.

Sur le licenciement

L'article L. 8251-1 du code du travail dispose que « Nul ne peut, directement ou indirectement, embaucher, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France.Il est également interdit à toute personne d'engager ou de conserver à son service un étranger dans une catégorie professionnelle, une profession ou une zone géographique autres que celles qui sont mentionnées, le cas échéant, sur le titre prévu au premier alinéa. »

La société SADA expose qu'elle a engagé M. [G] d'abord sous deux fausses identités puis, à partir du 1er mars 2013, sous sa véritable identité.

Elle soutient qu'elle n'avait d'autre choix que de rompre le contrat de travail, à partir du moment où le préfet avait rendu un arrêté refusant à M. [G] un titre de séjour, lui enjoignant en outre de quitter le territoire français (OQTF), que les dispositions d'ordre public de l'article L. 8251-1 du code du travail s'imposaient à elle, qu'elle ne pouvait, directement ou indirectement, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l'autorisant à exercer une activité en France.

Elle fait valoir que M. [G] ne pouvait plus se retrancher derrière l'étude de son dossier par la Préfecture ni derrière de faux documents pour continuer de travailler, pas plus derrière son recours contre l'arrêté de refus de titre de séjour avec OQTF, lequel n'était pas suspensif.

Elle souligne qu'elle a fait preuve de la plus grande empathie possible et a été au-delà de ses obligations légales, dans le seul but d'aider M. [G], qu'elle a été confrontée d'abord à ses malversations et fausses déclarations, par exemple avec la carte vitale qu'il ne pouvait posséder en son nom étant en situation irrégulière, et ensuite en lui demandant de couvrir ses mensonges, notamment auprès de son bailleur.

Elle souligne encore qu'elle a fait toutes les déclarations nécessaires et n'a tiré aucun avantage de la situation, contrairement à M. [G] qui n'a pas déclaré ses revenus pendant sa période de travail au sein de l'entreprise.

M. [G] objecte que la société SADA ne peut alléguer avec un certain cynisme et de la mauvaise foi, comme motif de licenciement qu'il ne justifie pas d'une autorisation de travail, prétextant ainsi d'une situation irrégulière qu'elle a elle-même entretenue durant plus de neuf années et dont elle a abusivement profité, pour se débarrasser de lui, alors que sa santé s'était dégradée et qu'il était devenu travailleur handicapé.

Le salarié invoque une fraude de l'employeur, prétendant que celui-ci avait la possibilité de suspendre le contrat dans l'attente de l'aboutissement des démarches administratives et judiciaires qui étaient en cours.

Il est constant que l'irrégularité de la situation d'un travailleur étranger constitue une cause objective justifiant la rupture de son contrat de travail.

Il n'est pas discuté que M. [G] ne bénéficiait pas d'une autorisation de travail au moment de son licenciement, même s'il indique avoir exercé des recours administratifs et judiciaires.

L'employeur justifie avoir tenté, tout au long de la relation contractuelle, de faire régulariser la situation de M. [G] à plusieurs reprises. Il produit différents courriers en ce sens adressés à la Préfecture du Val-de-Marne les 22 décembre 2008, 26 mars 2009, 2 avril 2009, 14 janvier 2010 (pièce 6 de l'employeur).

M. [G], qui soutient que son employeur l'aurait contraint de prendre différentes identités, ne rapporte pas la preuve de son allégation tandis que la société SADA fait valoir justement qu'engager, établir des bulletins de salaire et des déclarations fiscales sous telle ou telle identité, n'avait aucun intérêt pour elle au contraire du salarié qui n'a manifestement pas déclaré ses revenus.

Dans ces conditions, le fait que la société SADA ait conservé M. [G] à son service pendant neuf ans ne peut lui être opposé, ni le fait qu'elle aurait entretenu cette situation.

Par ailleurs, aucun élément ne permet de retenir que la véritable cause du licenciement serait l'état de santé du salarié.

M. [G], qui ne rapporte pas la preuve d'une fraude de son employeur à ses droits, sera débouté de sa demande d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Il sera également débouté de sa demande tendant à obtenir une somme de 25 000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral, celle-ci étant fondée uniquement sur le fait qu'il aurait été « licencié comme un pestiféré ». En effet, M. [G] a été licencié pour une cause objective, dont il ne peut utilement contester la matérialité, et il ne justifie, ni n'allègue de circonstances vexatoires ayant entouré la rupture de son contrat de travail. Il ne peut par ailleurs reprocher à son employeur de ne pas avoir accepté de suspendre son contrat de travail dans l'attente de la régularisation de sa situation administrative, celui-ci n'étant tenu à aucune obligation en la matière.

Sur les conséquences financières du licenciement

Il est rappelé que, si l'illégalité de la situation du travailleur étranger constitue en soi une cause justifiant la rupture, elle ne le prive pas pour autant des indemnités de rupture, visées expressément à l'article L. 8252-2 du code du travail, lequel dispose de façon générale sur les droits du salarié étranger :

« Le salarié étranger a droit au titre de la période d'emploi illicite :

1° Au paiement du salaire et des accessoires de celui-ci, conformément aux dispositions légales , conventionnelles et aux stipulations contractuelles applicables à son emploi, déduction faite des sommes antérieurement perçues au titre de la période considérée. A défaut de preuve contraire, les sommes dues au salarié correspondent à une relation de travail présumée d'une durée de trois mois. Le salarié peut apporter par tous moyens la preuve du travail effectué ;

2° En cas de rupture de la relation de travail, à une indemnité forfaitaire égale à trois mois de salaire, à moins que l'application des règles figurant aux articles L. 1234-5, L. 1234-9, L. 1243-4 et L. 1243-8 ou des stipulations contractuelles correspondantes ne conduise à une solution plus favorable.

3° Le cas échéant, à la prise en charge par l'employeur de tous les frais d'envoi des rémunérations impayées vers le pays dans lequel il est parti volontairement ou a été reconduit.

Lorsque l'étranger non autorisé à travailler a été employé dans le cadre d'un travail dissimulé, il bénéficie soit des dispositions de l'article L. 8223-1, soit des dispositions du présent chapitre si celles-ci lui sont plus favorables.

Le conseil de prud'hommes saisi peut ordonner par provision le versement de l'indemnité forfaitaire prévue au 2°.

Ces dispositions ne font pas obstacle au droit du salarié de demander en justice une indemnisation supplémentaire s'il est en mesure d'établir l'existence d'un préjudice non réparé au titre de ces dispositions. »

M. [G] ne sollicite pas l'indemnité spéciale de rupture prévue par les dispositions précitées, se limitant à demander une indemnité légale de licenciement et une indemnité compensatrice de préavis, lesquelles ont d'ores et déjà été payées, ainsi qu'il résulte du solde de tout compte (pièce 20 de l'employeur).

Sur le rappel de salaires

M. [G] sollicite le paiement d'un rappel de salaires de 95 001 euros, dans la limite de la prescription de trois ans. Il soutient, à l'appui de sa demande, qu'il a travaillé depuis le 1er janvier 2007 sans pièce d'identité et sans être payé en numéraires, qu'il a seulement reçu une contrepartie en nature consistant en des articles périmés, comme de la viande, des boissons, du lait ou des gâteaux.

La société SADA conteste que M. [G] ait été payé en nature et encore moins en produits périmés. Elle soutient qu'il percevait des acomptes en espèces, déduits de ses bulletins de paie et faisant l'objet de demandes signées par le salarié. Elle souligne que celui-ci, en situation irrégulière, ne pouvait pas avoir de compte bancaire.

Il est rappelé que si le salarié en fait la demande, l'employeur doit lui payer son salaire en espèces, dès lors que celui-ci est inférieur à 1 500 euros.

La société SADA, qui produit des attestations de remise contre décharge des salaires versés à M. [G], rapporte la preuve qui lui incombe qu'elle s'est acquittée de son obligation à cet égard (pièce 11 de l'employeur). Il est produit par exemple, un reçu rédigé de la main de M. [G] en ces termes : « Reçu pour la somme de 1 235,32 euros en main propre pour le salaire du mois de février 2016. signé [G] ».

En outre, il est démontré qu'il a bien été remis des bulletins de salaire à M. [G], lequel les produit lui-même.

M. [G] sera en conséquence débouté de cette demande.

Sur le travail dissimulé

M. [G] prétend qu'il a travaillé depuis le 1er janvier 2007 sans être déclaré auprès des organismes sociaux, que l'objectif de son employeur était principalement de frauder ses droits et de ne pas payer les charges patronales et les cotisations sociales.

La société SADA conteste toute fraude. Elle indique que M. [G] a été déclaré, sous toutes ses identités, qu'il a perçu des allocations Pôle emploi et qu'il était bénéficiaire de la prévoyance Réunica. Elle ajoute que le Trésor Public avait connaissance du contrat de travail du salarié.

L'article L. 8221-5 du code du travail dispose : « Est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur :

1° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche ;

2° Soit de se soustraire intentionnellement à la délivrance d'un bulletin de paie ou d'un document équivalent défini par voie réglementaire, ou de mentionner sur le bulletin de paie ou le document équivalent un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;

3° Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l'administration fiscale en vertu des dispositions légales ».

Conformément aux dispositions de l'article L. 8223-1 du code du travail, en cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours dans les conditions de l'article L. 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l'article L. 8221-5 a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

Au cas d'espèce, la société SADA rapporte la preuve d'avoir accompli les déclarations préalables à l'embauche du salarié (sa pièce 5), de lui avoir remis des bulletins de salaire (les pièces 93, 94 et 95 du salarié correspondant aux trois identités), le fait qu'elle se soit acquittée des cotisations sociales n'étant pas discuté et résultant notamment du bénéfice au profit du salarié de l'assurance chômage.

M. [G] sera en conséquence débouté de cette demande.

Il sera également débouté de sa demande tendant à l'allocation d'une somme de 108 306 euros à titre de préjudice financier, celle-ci étant fondée sur l'absence de paiement des cotisations sociales, laquelle a été écartée.

Il sera en outre débouté de sa demande tendant à l'allocation d'une somme de 15 000 euros pour troubles dans les conditions d'existence, exclusivement fondée sur l'absence de cotisations de l'employeur, M. [G] ne justifiant au demeurant pas d'une décision de refus de prise en charge par Pôle emploi pour cette raison.

Sur le harcèlement moral

M. [G] sollicite l'allocation d'une somme de 25 000 euros à ce titre.

En application des dispositions de l'article L. 1152-1 du code du travail, « aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. »

Aux termes de l'article L. 1154-1 du même code, « Lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 [...], le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. »

Pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il y a lieu d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il y a lieu d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Aux termes de ses conclusions, M. [G] fait valoir, pêle-mêle, que son employeur a commencé à le harceler en lui demandant de démissionner puis en exigeant qu'il produise un titre de séjour alors qu'il connaissait pertinemment sa situation, que la combinaison de la pression récurrente et du harcèlement quotidien qu'il subissait avec le surcroît d'heures de travail a entraîné une dégradation de son état de santé, qu'il a été victime d'une dépression médicalement constatée nécessitant des arrêts de travail, qu'il a même été victime d'un AVC et d'une épilepsie.

Concernant d'abord la demande de démission, aucune pièce utile ne vient démontrer la matérialité de ce fait.

Concernant ensuite l'exigence qu'il produise un titre de séjour, celle-ci apparaît légitime et relève même des obligations qui pèsent sur l'employeur, de sorte que M. [G] ne peut utilement reprocher ce fait à la société SADA.

Concernant encore le surcroît d'heures de travail, il ne formule aucune demande de rappel de salaires pour heures supplémentaires et il ne présente pas d'éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments, de sorte que le surcroît d'heures de travail allégué, n'est pas matériellement établi.

M. [G] produit des pièces médicales, notamment le certificat du docteur [H] en date du 11 septembre 2017, qui fait état des informations suivantes :

« (') certifie suivre M. [G] [L], né le 18/11/1966 dans le cadre d'un infarctus cérébral.

Cet AVC est survenu en 2013, pris en charge par l'hôpital [3] à la phase aiguë, dans le territoire de l'artère cérébrale postérieure droite. Un traitement en prévention secondaire a été instauré par (').

Des séquelles subsistent à ce jour, à type d'hémianopsie latérale homonyme gauche, des troubles sensitifs proprioceptifs de l'hémicorps gauche et de paresthésies dans le même territoire. Une reconnaissance du statut de travailleur handicapé a été obtenue auprès de la MDPH en 2015, afin qu'il continue son travail de magasinier dans un supermarché.

Il a par ailleurs présenté une probable première crise d'épilepsie en septembre 2014, sans récidive depuis.

Il existe aussi une anxiété certaine, avec un syndrome dépressif réactionnel à son AVC, traité actuellement par Seroplex.

La dernière IRM réalisée en avril 2016 montrait une stabilité lésionnaire. » (pièce 79 du salarié).

Les éléments communiqués ne permettent cependant pas de retenir un lien entre l'état de santé du salarié et ses conditions de travail.

Il s'ensuit qu'en l'état des explications et des pièces fournies, la matérialité d'éléments de faits précis et concordants laissant supposer, dans leur ensemble, l'existence d'un harcèlement moral n'est pas démontrée.

M. [G] sera débouté de cette demande.

Sur l'absence de visites médicales

M. [G] sollicite l'allocation d'une somme de 15 000 euros à titre de dommages-intérêts pour non-respect par l'employeur de ses obligations au titre des visites médicales. Il souligne qu'il n'a bénéficié que d'une seule visite médicale du travail durant neuf ans en février 2015, qu'il a été victime d'un AVC en décembre 2013, qu'il a été arrêté pendant trois mois et a été reconnu travailleur handicapé.

La société SADA oppose que M. [G] tente de faire croire qu'elle l'aurait exploité alors qu'il était malade et handicapé. Elle prétend ne jamais avoir été informée de l'AVC du salarié, ni de sa qualité de travailleur handicapé. Elle relève que si elle l'avait su, elle n'aurait pas payé une pénalité de 3 844 euros en raison de l'absence de personnes handicapées dans ses effectifs. Elle fait valoir que M. [G] a été absent en janvier et février 2014, moins de trois mois et du 2 au 18 janvier 2015, qu'il a fait l'objet d'une visite médicale le 18 février 2015, à l'issue de laquelle il a été déclarée apte sans réserve.

En raison de l'obligation de sécurité qui pèse sur lui, il appartient à l'employeur d'organiser, au bénéfice de chaque travailleur, l'ensemble des visites médicales obligatoires. Le non-respect de cette obligation peut justifier l'allocation au profit du salarié de dommages-intérêts pour le préjudice qu'il a subi.

L'employeur ne justifie en l'espèce que d'une seule visite le 18 février 2015, liée à son embauche sous sa réelle identité aux termes de laquelle M. [G] a été déclaré apte (pièce 26 de l'employeur).

L'absence d'organisation des autres visites obligatoires caractérise l'inobservation par l'employeur de ses obligations en matière de suivi de l'état de santé du salarié.

Si les éléments médicaux produits ici ne permettent pas de retenir que ce manquement a concouru à la survenance de l'AVC dont a été victime M. [G], il n'est pas sérieusement contestable que l'absence de visites médicales a diminué les chances de dépistage de la pathologie.

Au regard de ces éléments, la société SADA sera tenue de verser à M. [G] une somme de 500 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi.

Sur les dépens et les frais irrépétibles de procédure

Au regard de la teneur de la décision rendue, le jugement de première instance, qui a débouté les parties de leurs demandes au titre des frais irrépétibles et leur a laissé la charge des dépens qu'elles auront engagés, sera infirmé en ce qui concerne les dépens et confirmé au titre des frais irrépétibles.

La société SADA, tenue à paiement, supportera les dépens de première instance et d'appel en application des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile.

Pour des considérations tirées de l'équité, M. [G] et la société SADA seront déboutés de leurs demandes présentées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

INFIRME le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt le 27 mars 2019, excepté en ce qu'il a débouté les parties de leurs demandes présentées en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

DIT recevables les demandes de M. [L] [G],

CONDAMNE la SAS SADA à payer à M. [L] [G] une somme de 500 euros pour inobservation par l'employeur de ses obligations en matière de suivi de l'état de santé du salarié,

DÉBOUTE M. [L] [G] de l'ensemble de ses autres demandes,

DÉBOUTE les parties de leurs demandes présentées en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la SAS SADA au paiement des entiers dépens.

Arrêt prononcé publiquement à la date indiquée par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme Catherine Bolteau-Serre, président, et par Mme Domitille Gosselin, greffier en pré-affectation, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier en pré-affectation, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 6e chambre
Numéro d'arrêt : 19/01940
Date de la décision : 02/02/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-02-02;19.01940 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award