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16/02/2023 | FRANCE | N°19/02080

France | France, Cour d'appel de Versailles, 6e chambre, 16 février 2023, 19/02080


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80C



6e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 16 FEVRIER 2023



N° RG 19/02080 -

N° Portalis DBV3-V-B7D-TFU6





AFFAIRE :



[I] [U]



C/



SASU BT FRANCE







Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 10 avril 2019 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANTERRE

N° Section : E

N° RG : 15/01431




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Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



Me Camille VANNEAU



Me Franck BLIN







le :



RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE SEIZE FEVRIER DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles a rendu...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80C

6e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 16 FEVRIER 2023

N° RG 19/02080 -

N° Portalis DBV3-V-B7D-TFU6

AFFAIRE :

[I] [U]

C/

SASU BT FRANCE

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 10 avril 2019 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANTERRE

N° Section : E

N° RG : 15/01431

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Camille VANNEAU

Me Franck BLIN

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE SEIZE FEVRIER DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Monsieur [I] [U]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentant : Me Camille VANNEAU, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C1815

APPELANT

****************

SASU BT FRANCE

N° SIRET : 702 032 145

[Adresse 5]

[Adresse 5]

[Localité 2]

Représentants : Me Franck BLIN de la SELARL ACTANCE, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : K0168 et substitué par Me Pascal FLECHEU, avocat au barreau de PARIS, vestiaire K0168

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

L'affaire a été débattue à l'audience publique du 13 Décembre 2022, Madame Isabelle CHABAL, conseiller ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :

Madame Catherine BOLTEAU-SERRE, Président,

Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller,

Madame Isabelle CHABAL, Conseiller,

qui en ont délibéré,

Greffier en pré-affectation lors des débats : Madame Domitille GOSSELIN

Vu le jugement rendu le 10 avril 2019 par le conseil de prud'hommes de Nanterre,

Vu la déclaration d'appel de M. [I] [U] du 5 mai 2019,

Vu les conclusions de M. [I] [U] du 1er décembre 2021,

Vu les conclusions de la SASU BT France du 14 novembre 2022,

Vu l'ordonnance de clôture du 23 novembre 2022.

EXPOSE DU LITIGE

La société BT France ' dont le siège social se situe [Adresse 5] ' est une filiale du groupe British Telecom spécialisée dans les télécommunications filaires. Elle emploie plus de dix salariés.

La convention collective applicable est celle des télécommunications du 26 avril 2000.

M. [I] [U], né le 28 avril 1975, a été engagé par la société BT France par contrat de travail à durée indéterminée en date du 9 mai 2011 à effet au 4 juillet 2011 en qualité de directeur grands comptes.

Par courrier du 18 novembre 2014, la société BT France a convoqué M. [U] à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 1er décembre 2014.

Par courrier du 17 décembre 2014, M. [U] s'est vu notifier son licenciement pour cause réelle et sérieuse dans les termes suivants :

'Vous avez intégré la société BT en date du 18 juillet 2011 en qualité de directeur de comptes. Nous sommes contraints de constater que le comportement que nous sommes en droit d'attendre d'un collaborateur de votre expérience n'est pas au niveau attendu.

Le 7 octobre 2014, notre client, directeur infrastructure AXA, demande à notre directeur général, votre remplacement en soulignant votre manque d'engagement.

AXA fait partie des comptes stratégiques BT, avec un très fort potentiel de développement en France et en Europe. Son développement international est suivi de près par notre direction Europe.

En conséquence, le 10 octobre notre direction commerciale décide de positionner Monsieur [T] [G], sur le compte AXA pour répondre à la demande urgente du client de changer d'interlocuteur BT.

Le même jour votre responsable hiérarchique, Madame [E], directrice commerciale BG&FM (Global Bank and Financial Market), vous précise le changement opéré sur le compte AXA.

Dès réception de cette information, vous avez immédiatement fait part de votre mécontentement. Cependant Madame [E] vous avait informé qu'elle vous renouvelait toute sa confiance et vous réitérait son souhait de poursuivre sa collaboration avec vous.

Le 13 octobre Madame [E] vous réitère par écrit les raisons du changement opérationnel sur le compte et précise le rôle de Monsieur [G]. Celui-ci n'intervient pas uniquement sur le compte AXA mais pilote l'activité de quatre comptes avec vous pour appui en tant que directeur de comptes.

Vous lui faites une nouvelle fois part de votre déception et votre incompréhension dans votre mail du 15 octobre 2014.

Madame [E] vous indique une nouvelle fois que l'affectation des comptes est décidée par la direction commerciale, qu'il n'y (a) aucun changement sur votre positionnement, celui-ci étant en totale adéquation avec votre fonction.

Le 12 novembre 2014, Madame [E] communique à l'ensemble de son équipe, l'organisation mise en place sur son périmètre.

Vous lui faites part le 14 novembre une nouvelle fois de votre désaccord. En effet selon vous cette décision impacte votre positionnement au sein de l'entreprise et votre rémunération.

Concernant votre positionnement, Madame [E] vous apporte l'assurance le 18 novembre 2014, qu'il n'est en rien impacté dans la mesure où l'intégration de Monsieur [T] [G], est réalisée dans le seul but de seconder Madame [E] sur les comptes stratégiques Global Bank and Financial Marker.

Monsieur [G] rapporte en effet à Monsieur [C] [W], directeur commercial BT et non à Madame [E], votre responsable.

Concernant votre rémunération, il n'a jamais été question de la modifier. Madame [E] vous le confirme une nouvelle fois par écrit le 18 novembre.

Par ailleurs, jusqu'à ce jour, vous n'avez pas accepté les objectifs commerciaux qui vous ont été assignés en mai 2014 pour l'année fiscale 2014-2015. Ce comportement traduit votre totale opposition vis-à-vis de la stratégie développée au sein de votre entité et au sein de l'entreprise.

Votre attitude met notre entreprise dans une position très délicate envers nos clients.

Vous comprendrez que nous ne pouvons accepter ce type (de) comportement de la part d'un cadre de votre niveau d'expérience à qui nous avions confié des responsabilités importantes et sur lequel nous comptions.

Pour l'ensemble de ces raisons, nous sommes contraints de vous notifier par la présente votre licenciement pour cause réelle et sérieuse.'.

Par requête reçue au greffe le 11 mai 2015, M. [U] a saisi le conseil de prud'hommes de Nanterre aux fins de contester son licenciement, en sollicitant l'allocation de diverses sommes salariales et indemnitaires. L'affaire a été enregistrée sous le numéro RG 15/01431.

La société BT France avait quant à elle conclu au débouté de M. [U] et avait sollicité sa condamnation à lui verser la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

M. [U] a ensuite saisi le conseil de prud'hommes de Nanterre d'une demande en paiement de salaires au titre de la mauvaise exécution du contrat de travail. L'affaire a été enregistrée sous le numéro RG 16/01604.

Par jugement rendu le 10 avril 2019, le conseil de prud'hommes de Nanterre, section encadrement a :

- ordonné la jonction des affaires n° RG 15/1431 et 16/1604 sous le numéro RG 15/1431,

- dit que M. [U] n'a pas été victime de faits de harcèlement,

- dit que le licenciement de M. [U] n'est pas nul,

- dit le licenciement de M. [U] fondé sur une cause réelle et sérieuse,

- condamné la société BT France à payer à M. [U] la somme de 13 613,17 euros à titre de rappel de salaire pour l'exercice 2013/2014,

- rappelé que sont exécutoires de plein droit aux termes des articles R. 1454-28 et R. 1454-14 du code du travail, à titre provisoire, les indemnités salariales calculées sur la moyenne des trois derniers mois de salaire dans la limite de neuf mois,

- fixé la moyenne des salaires à 10 654 euros,

- débouté M. [U] de ses autres demandes,

- condamné la société BT France à payer à M. [U] la somme de 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté la société BT France de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société BT France aux dépens.

Par déclaration du 5 mai 2019, M. [U] a interjeté appel de ce jugement.

La clôture prononcée le 20 octobre 2021 a été révoquée par arrêt du 25 novembre 2021.

Par ordonnance d'incident du 7 avril 2022, le conseiller de la mise en état a :

- rejeté les demandes présentées par la société BT France tendant à voir :

° juger que le dispositif des conclusions de l'appelant en date du 29 septembre 2021 ne contenait aucune demande d'annulation, d'infirmation ou de réformation du jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Nanterre le 10 avril 2019,

° juger en conséquence que la déclaration d'appel de M. [U] est caduque,

° juger que la cour ne peut que confirmer le jugement entrepris,

- fixé un calendrier de procédure,

- condamné la SASU BT France au paiement des dépens de l'incident.

Aux termes de ses dernières conclusions (n°4) notifiées par voie électronique le 1er décembre 2021, M. [U] demande à la cour de :

- confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Nanterre en date du 10 avril 2019 en ce qu'il a condamné la société BT France à payer à M. [U] la somme de 13 613,17 euros à titre de rappel de salaire pour l'exercice 2013/2014,

- infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Nanterre en date du 10 avril 2019 en ce qu'il :

- a dit que M. [U] n'a pas été victime de faits de harcèlement moral,

- a dit que le licenciement de M. [U] n'est pas nul,

- a dit que le licenciement de M. [U] est fondé sur une cause réelle et sérieuse,

- ne s'est pas prononcé sur la nullité du licenciement pour violation de la liberté d'expression,

- a débouté M. [U] de ses demandes, autres que celles relatives au rappel de salaire pour l'exercice 2013/2014,

En conséquence,

À titre principal :

- dire et juger que le licenciement du 17 décembre 2014 de M. [U] est nul,

- condamner la société BT France à verser à M. [U], le rappel des salaires jusqu'à la décision à intervenir, à savoir la somme de 639 240 euros,

À titre subsidiaire :

- dire et juger que le licenciement du 17 décembre 2014 de M. [U] est sans cause réelle et sérieuse,

- condamner la société BT France à verser à M. [U], la somme de 42 616 euros, à titre d'indemnisation du préjudice subi par M. [U] en raison de ce licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- condamner la société BT France à verser à M. [U], la somme de 73 928,80 euros en réparation de son préjudice en raison de la mauvaise exécution du contrat de travail imputable à l'employeur,

En tout état de cause

- condamner la société BT France à verser à M. [U], au titre de la part variable de l'exercice 2013/2014 (sic), la somme de 40 500,00 euros pour l'exercice 2014/2015,

- condamner la société BT France à verser à M. [U], la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société BT France aux dépens,

- prononcer les intérêts de droit à compter de la lettre de mise en demeure du 20 janvier 2015 pour les montants visés dans cette mise en demeure et à compter de l'introduction de l'instance pour le solde, ainsi que la capitalisation des intérêts en application de l'article 1154 du code civil,

- ordonner l'exécution provisoire (article 515 du code de procédure civile).

Aux termes de ses conclusions n°1 notifiées par voie électronique le 14 novembre 2022, la société BT France demande à la cour de bien vouloir :

A titre principal :

- juger que le licenciement de M. [U] repose sur une cause réelle et sérieuse,

- juger que les griefs évoqués par M. [U] ne permettent pas de caractériser un harcèlement moral,

- juger que les griefs évoqués par M. [U] ne permettent pas de caractériser une atteinte à la liberté d'expression,

- juger que la société n'a commis aucune exécution déloyale du contrat de travail,

- juger qu'aucune rémunération variable n'est due à M. [U] pour l'exercice 14/15 compte tenu du défaut de fixation des objectifs qui est imputable au salarié,

En conséquence :

- confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Nanterre (RG n°15/01434 et 16/1604) en ce qu'il a débouté M. [U] de l'ensemble de ses demandes, à l'exception du rappel de rémunération variable pour l'exercice 2013/2014,

- débouter M. [U] de l'intégralité de ses demandes,

- condamner M. [U] à titre reconventionnel, à une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

A titre subsidiaire, si la cour venait à prononcer la nullité du licenciement de M. [U] :

- juger que faute de réclamer sa réintégration, M. [U] ne peut prétendre au paiement des salaires courant de son éviction à sa réintégration,

Par conséquent :

- débouter M. [U] de sa demande le conduisant à solliciter le versement de l'intégralité de ses salaires de la date de son éviction au jour du jugement,

A titre très subsidiaire, si la cour venait à prononcer la nullité du licenciement de M. [U] pour harcèlement moral et sa réintégration au sein de BT France :

- procéder à la déduction des revenus de remplacement et salaires perçus par M. [U],

- En l'absence de transmission du détail des revenus de M. [U], juger que l'appelant a placé la cour dans l'impossibilité de déterminer le montant des revenus à déduire,

Par conséquent :

- débouter M. [U] de sa demande de paiement des salaires courant de son éviction à sa réintégration,

- En cas de transmission du détail des revenus de M. [U], limiter l'indemnisation à laquelle pourrait prétendre M. [U] au titre du rappel de salaire courant de son éviction à sa réintégration, déduction faite des sommes précitées,

- En tout état de cause, en cas de réintégration, ordonner le remboursement de l'indemnité compensatrice de préavis d'un montant de 24 342,02 euros et de l'indemnité conventionnelle de licenciement d'un montant de 13 039 euros,

A titre infiniment subsidiaire, si la cour venait à juger le licenciement dénué de cause réelle et sérieuse :

- juger que M. [U] ne rapporte pas la preuve du préjudice qui le conduit à réclamer 4 mois de salaire,

Par conséquent :

- appliquer le plancher d'indemnisation de 3 mois de salaire prévu par l'article L. 1235-3 du code du travail applicable aux faits d'espèce.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

Par ordonnance rendue le 23 novembre 2022, le magistrat chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l'instruction et a fixé la date des plaidoiries au 13 décembre 2022.

MOTIFS DE L'ARRET

Il est indiqué à titre liminaire que la cour de statuera pas sur les demandes tenant à voir 'juger' qui ne constituent pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile mais sont la simple reprise des motifs de l'intimée dans le dispositif de ses écritures.

Sur le harcèlement moral

M. [U] soutient qu'il a subi des faits de harcèlement moral de manière soudaine, sur une période de quelques mois seulement, qui témoignent d'un véritable acharnement à son égard tenant à l'écarter de son poste de travail, qui ont emporté une dégradation de ses conditions de travail et l'ont exposé à une situation anxiogène du fait d'une décision dévalorisante pour sa personne et sa carrière professionnelle. Il s'estime en conséquence bien fondé à solliciter la nullité de son licenciement.

La société BT France répond que M. [U] n'apporte aucun élément de preuve sérieux susceptible d'établir l'existence de faits précis, répétés et concordants laissant présumer un harcèlement moral. Elle souligne que le harcèlement moral n'a été invoqué que trois ans après la notification de la rupture du contrat de travail, pour des faits qui se seraient déroulés sur la période particulièrement courte de 2 mois et sans que le salarié n'alerte les instances représentatives du personnel de la société sur sa situation, ce qui démontre le peu de sérieux de la demande. Elle fait valoir qu'il y a lieu de distinguer les notions de harcèlement moral du simple exercice du pouvoir de direction, qui peut engendrer des tensions et des reproches aux salariés.

En application des dispositions de l'article L. 1152-1 du code du travail, « aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. »

Le harcèlement moral se caractérise par la conjonction et la répétition de faits, qui peuvent se dérouler sur une brève période, dont est l'objet un salarié qui subit à titre personnel une dégradation de ses conditions de travail.

Il peut s'agir de mesures vexatoires qui ne peuvent être justifiées par l'exercice du pouvoir de direction de l'employeur.

Aux termes de l'article L. 1154-1 du même code, dans sa version applicable au présent litige, « Lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. »

Pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il y a lieu d'examiner les faits invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il y a lieu d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce M. [U] invoque les faits suivants :

- l'absence de règlement de la part variable de sa rémunération au titre de l'année 2013-2014:

Le contrat de travail prévoit que M. [U] perçoit d'une part une partie fixe d'un montant annuel brut de 95 000 euros versée en 12 mensualités et d'autre part une partie variable d'un montant brut annuel de 47 500 euros correspondant à 50 % de sa rémunération fixe annuelle brute, à réalisation des objectifs fixés.

Il prévoit que : 'Les objectifs associés à cette rémunération variable seront définis conformément à la politique en vigueur au sein de la société. Ce bonus sera calculé au prorata temporis de son temps de présence sur ledit exercice. Les objectifs seront également déterminés en fonction du temps de présence sur l'exercice considéré.

Les territoires, secteurs, comptes sur lesquels seront fixés les objectifs du salarié lui seront communiqués à chaque nouvel exercice fiscal. Il est convenu entre les parties que les listes décrites dans la lettre qui lui est alors remise sont susceptibles d'évoluer ou d'être modifiées dans le temps, en fonction des besoins de l'organisation de la société, sans que ces modifications puissent être interprétées comme constitutives d'une modification du présent contrat.'

M. [U] expose qu'il avait atteint son objectif à 95,2 % sur l'année fiscale 2013/2014, ce qui lui donnait droit à une part variable de 45 233,90 euros ; que seuls 31 620,73 euros lui ont été versés et qu'il n'a pas obtenu de réponse aux explications qu'il a demandées à cet égard.

Il établit ce fait en produisant le tableau émanant de la société BT France qui fait état des sommes dues et versées (pièce 13), sa demande d'explications par courriel du 10 octobre 2014 (pièce 5) et la réponse de sa supérieure hiérarchique qui lui a indiqué le 18 novembre 2014 que 'ce sujet relève d'une période avant ton rattachement dans mon équipe' (pièce 10).

- l'absence de versement de la part variable de sa rémunération au titre de l'année 2014-2015:

M. [U] expose qu'il n'a touché qu'une avance de 7 000 euros sur la part variable de cet exercice et que la somme de 40 500 euros lui reste due à ce titre. Il fait valoir que cette absence de versement ne lui est pas imputable dès lors qu'aucune réponse ne lui a été apportée sur les interrogations qu'il a formulées sur sa lettre d'objectifs, que son employeur ne lui a fait aucune relance et qu'en tout état de cause, la part variable étant contractuelle, elle est due sans signature d'un document complémentaire.

Il produit en pièce 18 un courriel du 24 juin 2014 adressé à Mme [E] lui indiquant qu'il n'a pas reçu sa 'target letter', c'est à dire la définition de ses objectifs. Mme [E] lui a répondu le même jour que ce document ne lui a pas été envoyé et qu'elle découvre que c'est elle qui doit le faire. Elle lui a adressé le document par courriel du 18 juillet 2014 et a relancé M. [U] le 26 août 2014 pour sa signature. Par courriel du 7 octobre 2014, M. [S] [Y] a réclamé à M. [U] la target letter pour calculer les commissions. M. [U] lui a répondu le 10 octobre 2014 qu'il avait demandé à Mme [E] une clarification sur certains points avant de signer sa target letter (pièce 21 de l'appelant). Le fait est donc établi.

- la rétrogradation et la mise à l'écart des comptes :

Il n'est pas contesté qu'avant le mois d'octobre 2014, M. [U] était directeur grands comptes en charge des quatre comptes suivants qu'il gérait directement : AXA, Banque de France, Generali et BPCE.

* sur le compte AXA :

M. [U] fait valoir que rien n'établit que la décision de soustraire de son portefeuille le compte AXA émane de cette société et non d'une décision unilatérale de la société BT France, puisque les manquements reprochés par AXA-IM ne lui sont pas imputés, ne relèvent pas de ses fonctions et qu'il avait lui-même remonté l'alerte du client ; que rien n'établit qu'il a failli à ses obligations professionnelles.

Il se réfère à la pièce n°7 de la société BT France constituée d'un courriel adressé le 7 octobre 2014 par M. [N] [A], 'director, Global head of IT Infrastructure' de AXA-IM, à M. [K] [M], de la société BT France, qui demande où en est la mise en place d'une 'new account team' ou nouvelle équipe de gestion du compte. Si M. [U] n'est pas visé nommément, il est fait état de l'amélioration temporaire de l'exécution des prestations et de la nécessité d'avoir une équipe solide dédiée au compte. Il est conclu par le souhait de rencontrer le 'new account manager', c'est-à-dire le nouveau directeur de compte, nécessairement remplaçant de M. [U]. Il est ainsi établi que son remplacement était un souhait du client AXA-IM et ne procède donc pas d'un harcèlement moral de la part de la société.

* sur le compte Banque de France :

M. [U] expose que ce compte lui a été retiré en même temps que le compte AXA, sans aucune excuse, en raison d'une réorganisation décidée par la société BT France qui avait décidé de se passer de lui.

Il justifie avoir été évincé du compte Banque de France en produisant le courriel envoyé aux équipes le 12 novembre 2014 par Mme [E], diffusant l'information suivante :

'A la suite de l'arrivée de [T] [G] pour gérer l'activité Key GBFM, je vous informe de l'organisation des 4 comptes de la façon suivante :

- [T] [G] est sales manager pour l'ensemble du périmètre Key GBFM. De plus, il assure le rôle de directeur de compte pour les comptes AXA et Banque de France.

[T] me rapporte.

- [I] [U] est le directeur de compte pour les comptes Generali et BPCE. [I] reporte à [T].

Le transfert de l'activité de Banque de France vers [T] doit s'organiser d'ici le 20 novembre.'.

* sur la rétrogradation :

M. [U] fait valoir que la suppression de deux grands comptes de son portefeuille (AXA représentant 30 % de son activité et Banque de France en représentant 50 %), en le faisant intervenir en support d'un salarié nouvellement recruté, constitue une réduction de ses responsabilités et de ses fonctions, et donc une rétrogradation, nonobstant l'absence de révision de ses fonctions et de sa rémunération.

Par courriel du 13 octobre 2014 (pièce 8 de l'intimée), Mme [E] a écrit à M. [U] que '[T] [G] nous rejoint comme Sales Manager Key GBFM : il pilote l'activité de ces 4 comptes avec ton appui comme Directeur de Compte', de sorte que M. [U] ne pilotait plus directement les quatre comptes en cause.

Il ressort encore du courriel du 12 novembre 2014 susvisé que M. [U] a perdu deux comptes importants au profit de M. [G], lequel constituait un nouvel échelon intermédiaire entre M. [U] et Mme [E], ce qui modifiait les modalités d'exécution de son contrat de travail.

- la procédure de licenciement mise en oeuvre :

M. [U] soutient que les motifs du licenciement sont infondés et marquent une volonté de l'écarter de ses fonctions pour des motifs d'opportunité et un acharnement à son encontre. Il souligne que le licenciement a été engagé alors que la société lui promettait des perspectives d'évolution au sein de l'entreprise.

Il produit en pièce 10 le courriel qui lui a été adressé le 18 novembre 2018 par Mme [E] qui, répondant à ses interrogations, lui assurait que lui confier le suivi des comptes Generali et BPCE lui donnerait 'une très forte visibilité au sein du groupe' et que 'concentrer ton activité sur 2 comptes te permettra de faire un travail de fond et augmenteront (sic) tes chances de succès plutôt que de suivre un plus grand nombre de comptes sur lesquels tu n'auras pas le temps matériel de t'investir.'

Or le même jour, la société BT France établissait un courrier de convocation de M. [U] à un entretien préalable à un licenciement (pièce 11).

Sont ainsi matériellement établis des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral.

Pour prouver que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement, l'employeur fait valoir et produit :

- sur l'absence de règlement de la part variable de la rémunération au titre de l'année 2013-2014 :

La société BT France ne donne aucune explication à ce sujet et ne conteste pas le bien-fondé de la condamnation de première instance, qu'elle a exécutée.

- sur l'absence de versement de la part variable de la rémunération au titre de l'année 2014-2015 :

La société BT France fait valoir que M. [U] est de mauvaise foi et ne peut se prévaloir de sa propre turpitude puisqu'il n'a jamais renvoyé sa lettre d'objectifs signée comme le requiert la procédure interne.

Aux termes du contrat de travail, la part variable de la rémunération dépend de la réalisation des objectifs assignés au salarié par la société. Or il est établi par les pièces versées au débat que M. [U] n'a pas souhaité signer sa feuille d'objectifs pour l'exercice 2014-2015 tant que des explications ne lui auraient pas été données et que le document signé lui a été demandé pour pouvoir procéder au paiement de son bonus.

- la rétrogradation et la mise à l'écart des comptes :

* sur le compte AXA :

La société BT France fait valoir que ce retrait relève de son pouvoir de direction et qu'il est objectivement justifié par l'insatisfaction du client AXA à l'égard du travail de M. [U].

Il ressort de la pièce 7 de l'intimée visée ci-dessus que le client AXA a demandé le changement du directeur de compte, fonction occupée par M. [U].

Dans un courriel du 15 octobre 2014 (pièce 7 de l'appelant), M. [U] a rappelé qu'il avait remonté les alertes du client sur les problèmes opérationnels et son mécontentement depuis plusieurs mois sur les services délivrés par BT, ajoutant qu'il convient de 'pallier à (sic) l'insuffisance de l'allocation de ressource commerciale sur les quatre comptes Key GBFM que j'ai moi-même évoquée à plusieurs reprises', ce qui démontre que les problèmes rencontrés par le client AXA-IM concernaient la gestion commerciale de son compte et non pas seulement des soucis d'ordre technique.

La société BT France produit en pièce n°8 les courriels échangés entre M. [U] et Mme [E] entre le 13 et le 24 octobre 2014.

Le 20 octobre 2014, Mme [E] a répondu à M. [U] : 'Je reviens sur le fait générateur du changement de responsable AXA-IM.

Nous avions convenu au mois de mai après le passage du compte sous gestion GBFM de changer une partie de l'équipe de compte tout en conservant ton rôle. Ces changements n'ont apparemment pas apporté le nouveau souffle suffisant et le client nous a demandé d'aller un pas plus loin dans nos modifications. Le client a lui-même parlé d'une démotivation de ta part sur le compte.'

Si M. [U] conteste toute démotivation dans sa réponse, les explications de Mme [E] rejoignent le contenu du message du client évoqué ci-dessus.

* sur le compte Banque de France :

La société BT France expose que ce retrait relève de son pouvoir de direction et que M. [U] s'occupait d'un trop grand nombre de comptes pour être efficace.

Il ressort des échanges de courriels qu'elle produit en pièce n°8 que M. [U] a été avisé personnellement en octobre 2014 que M. [G] allait 'prendre en direct AXA et un second compte', pour répondre au constat de M. [U] qu'il ne passait que 10 % de son temps sur certains comptes.

* sur la rétrogradation

La société BT France répond que si M. [U] a été engagé en qualité de directeur de grands compte, ses bulletins de salaire n'ont jamais mentionné une autre fonction que celle de directeur de comptes, qu'il occupait au quotidien, sans qu'il ait formulé le moindre grief à cet égard. Elle souligne que la réaffection de comptes n'avait aucun impact sur son statut, sa classification, sa qualification professionnelle ou sa rémunération variable et qu'il restait en charge d'autres grands comptes.

Si le contrat de travail mentionne que M. [U] est engagé en qualité de 'directeur grands comptes (account partner)', ses bulletins de paye mentionnent un emploi de 'directeur de comptes' (pièce 3 de l'intimée).

La réduction du nombre de comptes gérés n'a pas modifié la nature des fonctions de M. [U] qui consistaient à s'occuper de comptes de sociétés importantes, ni son statut ou sa rémunération.

Le fait que M. [G] ait repris une partie des comptes de M. [U] et que ce dernier lui rapporte désormais au lieu de rapporter à Mme [E] résulte d'une réorganisation du service décidée par l'employeur qui souhaitait accélérer le développement commercial de ces comptes.

- la procédure de licenciement mise en oeuvre :

La société BT France fait valoir que la circonstance que le courriel de Mme [E], laquelle n'avait pas pris la décision et n'était pas au courant de l'engagement de la procédure de licenciement, et la convocation à l'entretien préalable soient datés du même jour constitue un fait isolé et ponctuel qui ne permet pas de qualifier un harcèlement moral.

Il n'est pas crédible que Mme [E], supérieure hiérarchique directe de M. [U], ait pu ignorer que la société BT France avait pris la décision de licencier ce dernier au moment où elle l'a assuré que la nouvelle organisation du service lui offrait des perspectives de carrière.

Pour autant, cette circonstance et l'absence de paiement de la part variable de l'exercice 2013-2014 ne seront pas retenus comme des faits de harcèlement moral, alors que les décisions de réorganisation de la gestion des comptes dont s'occupait M. [U] ont été prises par l'employeur dans l'exercice de son pouvoir de direction, aux fins de répondre à l'attente d'un client et d'optimiser la gestion desdits comptes.

En conséquence, la décision de première instance sera confirmée en ce qu'elle a dit que M. [U] n'a pas été victime de faits de harcèlement.

Sur l'exécution déloyale du contrat de travail

Si les faits de harcèlement moral ne sont pas retenus, M. [U] invoque à titre subsidiaire le comportement déloyal de son employeur dans l'exécution du contrat de travail du fait de l'absence de paiement à deux reprises de l'intégralité de sa rémunération variable, de la réduction injustifiée de ses fonctions et de ses responsabilités, de sa mise à l'écart, ainsi que de la promesse de nouvelles perspectives alors que l'employeur préparait dans son dos une procédure de licenciement. Il fait valoir qu'il a vécu un enfer professionnel durant deux mois.

La société BT France conclut au rejet de la demande qui vise à réparer un préjudice identique à celui dont le salarié se prévaut au titre du harcèlement moral, dont elle nie l'existence.

Si la réorganisation du service de M. [U] ne peut être considérée comme un abus du pouvoir de direction de la société BT France et que l'absence de paiement de la rémunération variable 2014-2015 est due au fait que le salarié n'a pas signé sa feuille d'objectifs, force est de constater d'une part que l'employeur ne donne aucune explication sur le défaut de paiement de la totalité de la rémunération variable de l'année 2013-2014 et d'autre part que le licenciement de M. [U] a été préparé alors que son supérieur hiérarchique le rassurait sur la préservation de ses perspectives de carrière au sein de l'entreprise.

De la sorte, la société BT France n'a pas exécuté de bonne foi ses obligations contractuelles.

La décision de première instance sera infirmée en ce qu'elle a débouté M. [U] de sa demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail et, statuant à nouveau, la cour allouera la somme de 4 000 euros au salarié à ce titre.

Sur le licenciement

Sur la nullité du licenciement

M. [U] sollicite la nullité du licenciement en premier lieu car il est été prononcé dans un contexte de harcèlement moral, lequel n'a cependant pas été retenu.

Il forme en second lieu la même demande au motif qu'il a été licencié pour avoir usé de sa liberté d'expression, alors qu'il n'a fait qu'exprimer à son employeur son désarroi et sa désapprobation quant à la décision de sa hiérarchie de lui retirer deux de ses quatre comptes, soulignant que ses propos n'étaient pas répréhensibles et traduisaient son attachement à son travail.

La société BT France répond que M. [U] n'a pas été licencié pour avoir formulé des critiques, réserves ou remarques sur la nouvelle organisation commerciale mais pour s'être opposé à la mise en place de la nouvelle stratégie commerciale par la direction, en manifestant un désaccord profond.

Le conseil de prud'hommes n'a pas motivé sa décision sur la nullité du licenciement pour violation de la liberté d'expression.

L'article L. 1121-1 du code du travail dispose que 'nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché.'

Sauf abus, le salarié jouit, dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d'expression à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées.

L'abus est caractérisé par l'existence de propos injurieux, diffamatoires ou excessifs, sans quoi le salarié ne peut être ni sanctionné ni licencié au motif de l'usage de sa liberté d'expression.

En l'espèce, la lettre de licenciement, qui fixe l'étendue du litige, ne reproche pas à M. [U] d'avoir abusé de sa liberté d'expression en tenant des propos injurieux, diffamatoires ou excessifs mais lui fait grief, entre autres, de s'être opposé à la stratégie développée au sein de son entité et de l'entreprise en manifestant son mécontentement et sa déception sur la nouvelle organisation.

Le licenciement ne peut donc être déclaré nul pour violation de la liberté d'expression du salarié.

La demande de prononcé de la nullité du licenciement pour ce motif sera donc rejetée ainsi que la demande subséquente de paiement des salaires.

Sur le bien fondé du licenciement

M. [U] estime que le licenciement ne repose pas sur des éléments objectifs, concrets et suffisamment sérieux pour justifier la rupture de son contrat de travail.

Il résulte de l'article L. 1232-1 du code du travail que tout licenciement pour motif personnel est motivé et justifié par une cause réelle et sérieuse.

La cause du licenciement, qui s'apprécie au jour où la décision de rompre le contrat de travail est prise par l'employeur, doit se rapporter à des faits objectifs, existants et exacts, imputables au salarié, en relation avec sa vie professionnelle et d'une certaine gravité qui rend impossible la continuation du travail et nécessaire le licenciement.

L'article L. 1235-1 du code du travail prévoit que le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

La lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige en ce qui concerne les motifs du licenciement, évoque en l'espèce trois griefs qu'il convient d'examiner.

- sur la demande de remplacement formée par le client AXA

La lettre de licenciement expose que le directeur infrastructure du client AXA a demandé son remplacement en soulignant son manque d'engagement.

M. [U] fait valoir que l'insatisfaction du client AXA résultait du produit lui-même et non de son activité commerciale personnelle et que les manquements précis à ses obligations professionnelles ne sont pas identifiés.

La société BT France répond que le client a demandé expressément un changement d'interlocuteur et que l'embauche de M. [G] permettait de décharger M. [U] d'une partie de sa charge de travail afin de lui permettre de traiter les sujets de manière plus satisfaisante, soulignant que l'employeur peut, dans le cadre de son pouvoir de direction, décider de la stratégie commerciale à développer et de l'affectation des clients à ses propres salariés.

Il ressort des pièces évoquées au titre du harcèlement moral que si le client AXA était insatisfait d'un certain nombre des prestations de la société BT France, ce qui ressort également de l'échange de courriels du 20 janvier 2014 produit en pièce 15 par l'appelant, il a demandé la mise en place d'une nouvelle équipe dédiée à la gestion de ses besoins et d'un nouveau directeur de compte, M. [U] étant ainsi clairement visé.

Le grief est donc fondé.

- sur le désaccord répété de M. [U] sur la nouvelle organisation imposée

La lettre de licenciement relate les échanges entre M. [U] et sa supérieure hiérarchique et le désaccord manifesté par M. [U] sur la nouvelle organisation.

La société BT France expose que M. [U] a refusé la nouvelle organisation compte tenu de l'impact allégué sur sa carrière, malgré les explications qui lui ont été données par sa supérieure hiérarchique, ce qui constitue une attitude inacceptable.

M. [U] réplique qu'il n'a fait qu'user de sa liberté d'expression en exprimant son désarroi et sa désapprobation quant à la décision de sa hiérarchie de lui retirer soudainement la gestion de deux grands comptes.

Il ressort des échanges de courriels versés au débat que la société BT France a justifié la réorganisation mise en place, d'une part par l'insatisfaction du client AXA et d'autre part par le manque de disponibilité exprimé par M. [U] pour gérer pleinement les quatre comptes dont il avait la charge, fait qui n'est pas contredit par le salarié puisqu'il a écrit le 15 octobre 2014 qu'il a lui-même évoqué à plusieurs reprises l'insuffisance de l'allocation de ressources commerciales sur les quatre comptes Key GBFM.

Après que Mme [E] a exposé à M. [U] le 13 octobre 2014 la nouvelle organisation, M. [U] lui a répondu par courriel du 15 octobre 2014 que s'agissant du client AXA 'il est regrettable que l'on soit arrivé à une solution qui finalement me pénalise' et que la nouvelle organisation constitue 'un second recul de mon positionnement et qui impacte le développement de ma carrière au sein de l'entreprise.', mettant en lien ces décisions avec l'absence de paiement de son solde variable 2013-2014. Il concluait que 'En tout état de cause, [T] [G] pourra effectivement compter sur mon expérience. Je tenais à te l'indiquer', exprimant ainsi son intention de s'adapter à la situation malgré ses incompréhensions.

En réponse, Mme [E] a apporté le 20 octobre 2014 des précisions sur les motivations ayant conduit aux changements apportés et sur la stratégie de développement des comptes en cause.

M. [U] a répondu le 22 octobre 2014 que sa motivation sur le compte AXA est intacte et qu'il a demandé depuis son arrivée dans les équipes de Mme [E] des clarifications sur ce compte, mais qu'il a eu des réponses souvent contradictoires qui ont probablement eu un impact sur son efficacité à gérer ce compte. Mme [E] lui a de nouveau exposé la stratégie adoptée par courriel du 24 octobre 2014.

Après la diffusion à tous de la nouvelle organisation par courriel du 12 novembre 2018, M. [U] a réagi le 14 novembre 2014 en indiquant qu'il était 'surpris de cette nouvelle organisation qui diffère de ce qui m'a été présenté', indiquant que la décision soudaine et prise sans concertation de lui faire perdre le compte Banque de France en plus du compte AXA avait des conséquences pour lui en terme d'objectifs et de rémunération ainsi que de perspective de carrière. Il mettait en lien cette décision avec d'autres problèmes déjà évoqués sans réponses satisfaisantes (perte de l'investissement sur le compte AXA, non reconnaissance de TOV LIA FR GENERALI ayant un impact sur sa part variable Q2 14, absence de paiement du solde de son salaire variable 13/14 et de son variable sur les trois premiers trimestres 14/15). Il concluait qu'on lui retirait le périmètre le plus important de son portefeuille pour lui laisser gérer deux comptes en souffrance (pièce 10 de l'intimée).

Mme [E] lui a répondu le 18 novembre 2014 notamment qu'elle l'avait averti que M. [G] reprendrait un second compte en plus de celui d'AXA.

Il ressort de l'ensemble de ces éléments que M. [U] a exprimé de manière réitérée son insatisfaction quant aux décisions prises par sa hiérarchie sur les nouvelles modalités de gestion des quatre comptes dont il avait la charge, qui relevaient du pouvoir de direction de la société. Il ne s'est cependant pas opposé à la poursuite de ses fonctions au sein de la nouvelle organisation.

Par la suite, il s'est étonné de n'avoir pas été averti que le compte Banque de France lui serait retiré alors qu'il ressort de la réponse de sa supérieure hiérarchique que s'il avait été évoqué qu'un second compte serait confié à M. [G], rien ne démontre que le salarié avait été avisé qu'il s'agissait du compte Banque de France qui représentait 50 % de son portefeuille.

Il ne peut donc valablement être reproché à M. [U] d'avoir à nouveau protesté suite à la diffusion de la nouvelle organisation.

Les désaccords exprimés par M. [U] ne peuvent ainsi être considérés comme fautifs.

- sur le refus de signer la feuille d'objectifs pour l'année 2014-2015

La lettre de licenciement du 17 décembre 2014 reproche à M. [U] de ne pas avoir accepté les objectifs commerciaux qui lui ont été assignés en mai 2014 pour l'année 2014-2015, ce qui traduit son opposition à la stratégie de l'entreprise.

M. [U] réplique qu'il n'a jamais refusé de signer sa lettre d'objectif mais qu'il a demandé des explications sur son contenu qui ne lui ont jamais été fournies, qu'il n'a pas été relancé pour sa signature et que ses objectifs ont changé en cours d'année par le retrait de deux comptes, de sorte que la lettre d'objectifs initiale avait perdu de son sens.

L'employeur ne peut modifier de manière unilatérale le contrat de travail et notamment la rémunération du salarié. Toutefois, l'adoption d'une nouvelle politique commerciale de l'entreprise, entraînant une réduction du chiffre d'affaires du salarié et par conséquent de sa rémunération ne constitue pas une modification de son contrat de travail.

La fixation des objectifs, qui conditionne le versement de la part variable de la rémunération du salarié, relève en principe du pouvoir de direction de l'employeur. Il peut les fixer seul à la condition qu'ils soient réalistes et n'est pas tenu de les négocier avec le salarié.

La modification unilatérale des objectifs est possible lorsque le contrat de travail précise que la détermination des objectifs relève du pouvoir de direction de l'employeur. Si les objectifs sont réalisables et donnés en début d'exercice, ils n'ont pas à faire l'objet d'un accord de la part du salarié.

En l'espèce, le contrat de travail prévoit que M. [U] perçoit une partie variable d'un montant brut annuel de 47 500 euros à réalisation des objectifs fixés, lesquels sont définis conformément à la politique en vigueur au sein de la société et communiqués à chaque nouvel exercice fiscal, la liste des territoires ou comptes assignés au salarié étant susceptible d'évoluer ou d'être modifiée dans le temps, en fonction des besoins de l'organisation de la société.

Il ressort des pièces versées au débat que M. [U] a réclamé à Mme [E] en juin 2014 sa lettre d'objectifs pour l'exercice 2014/2015, qui a été établie le 17 juillet 2014 et communiquée le lendemain (pièce 14-2 de l'appelant). Cette lettre porte la mention suivante : 'Une copie de cette lettre d'objectifs signée par toutes les parties doit être envoyée à l'équipe 'Global Sales & Marketing pays Plan'. En signant cette lettre, vous acceptez sans conditions tous les termes décrits et vous acceptez le Plan de Commissionnement associé. Pour confirmer votre accord, veuillez signer votre lettre d'objectifs puis la scanner au format pdf pour enfin l'envoyer par emel à [Courriel 4] dans les 21 jours à la date de réception. Si vous ne respectez pas ce délai, le paiement de vos commissions sera impacté. Il est formellement interdit d'annoter cette lettre d'objectifs. Toutes demandes d'ajustements ou de modifications doivent être demandés à l'équipe 'Global Sales & Marketing pays Plan'. Une nouvelle lettre pourra alors être remise. Toutes les pages de cette lettre d'objectifs doivent être signées.'.

Le 26 août 2014 M. [U] a été relancé car il n'avait pas signé sa feuille d'objectifs. Mme [E] lui a proposé d'en parler le même jour (pièce 20 de l'appelant).

Lorsqu'il a été relancé par M. [Y] le 7 octobre 2014 pour avoir la lettre signée afin de procéder aux calculs de commissions, M. [U] a répondu le 10 octobre 2014 qu'il avait demandé à Mme [E] des clarifications sur certains points avant de la signer (pièce 21 de l'appelant).

Il n'est pas établi que M. [U] a demandé des explications sur sa lettre d'objectifs au moment où il l'a reçue et dans les conditions prévues par la lettre, de sorte que le grief tiré d'un défaut de signature de la lettre d'objectifs est établi.

Au regard des griefs qui sont établis, il y a lieu de retenir que le licenciement est fondé sur une cause réelle et sérieuse.

La décision de première instance sera en conséquence confirmée en ce qu'elle a retenu que le licenciement de M. [U] est fondé sur une cause réelle et sérieuse et qu'elle a débouté ce dernier de sa demande d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur la demande en paiement de la part variable du salaire

Sur la demande formée au titre de l'exercice 2013-2014

La cour d'appel n'est pas saisie d'une demande d'infirmation de la décision de première instance qui a condamné la société BT France à payer la somme de 13 613,17 euros à ce titre, dont le bien fondé est reconnu par l'intimée, laquelle a réglé la condamnation.

Sur la demande formée au titre de l'exercice 2014-2015

M. [U] expose qu'il n'a pas été en mesure de réaliser ses objectifs en raison de son licenciement, de sorte que son employeur devra lui verser la somme de 40 500 euros soit la part variable de 47 500 euros prévue au contrat déduction faite de l'avance de 7 000 euros qu'il a perçue à ce titre. Il fait valoir que l'absence de signature de la feuille d'objectifs n'est pas un motif pour lui refuser cette somme dès lors que la prime est contractuelle et que l'employeur n'a pas répondu à ses demandes d'explication.

La société BT France objecte que M. [U] ne peut se prévaloir de sa propre turpitude dès lors qu'il n'a jamais retourné sa feuille d'objectifs signée.

Outre le fait que la feuille d'objectifs n'a pas été signée dans les conditions qui étaient prévues, M. [U] ne justifie pas que les objectifs qui lui ont été assignés ont été remplis, faute de verser au débat le chiffre d'affaires qu'il a réalisé au cours de cet exercice ainsi que l'a retenu le conseil de prud'hommes. Il sera en conséquence débouté de sa demande, par confirmation de la décision entreprise.

Sur les demandes accessoires

La somme allouée étant de nature indemnitaire, elle portera intérêts au taux légal à compter de la présente décision qui en fixe tout à la fois le principe et le montant. La capitalisation des intérêts sera prononcée en application de l'article 1343-2 du code civil.

La décision de première instance sera confirmée en ses dispositions concernant les dépens et les frais irrépétibles.

La société BT France étant condamnée à payer des dommages et intérêts à M. [U], elle supportera les dépens de l'instance d'appel et sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile sera rejetée.

Elle sera condamnée à payer à M. [U] une somme de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Cet arrêt étant rendu en dernier ressort sans que soit ouverte la voie de l'opposition, il n'y a pas lieu à exécution provisoire.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe, contradictoire et en dernier ressort,

Confirme le jugement rendu le 10 avril 2019 par le conseil de prud'hommes de Nanterre sauf en ce qu'il a débouté M. [I] [U] de sa demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,

Statuant de nouveau sur le chef infirmé et y ajoutant

Rejette la demande de nullité du licenciement pour violation de la liberté d'expression,

Déboute M. [I] [U] de sa demande en paiement d'un rappel de salaires,

Condamne la société BT France à payer à M. [I] [U] les sommes de :

- 4 000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail par l'employeur,

- 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute M. [I] [U] du surplus de ses demandes à ces titres,

Dit que les condamnations porteront intérêt au taux légal à compter de la présente décision,

Prononce la capitalisation des intérêts en application de l'article 1343-2 du code civil,

Condamne la société BT France aux dépens de l'instance d'appel,

Déboute la société BT France de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Arrêt prononcé publiquement à la date indiquée par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme Catherine Bolteau-Serre, président, et par Mme Domitille Gosselin, greffier en pré-affectation, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier en pré-affectation, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 6e chambre
Numéro d'arrêt : 19/02080
Date de la décision : 16/02/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-02-16;19.02080 ?
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