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16/02/2023 | FRANCE | N°19/04249

France | France, Cour d'appel de Versailles, 6e chambre, 16 février 2023, 19/04249


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80C



6e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 16 FÉVRIER 2023



N° RG 19/04249

N° Portalis DBV3-V-B7D-TS2V



AFFAIRE :



[E] [P]





C/



Société SINRAY









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 24 octobre 2019 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de VERSAILLES

N° RG : 18/00404






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Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



Me David METIN



Me Nicolas SANFELLE



le :





















RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE SEIZE FEVRIER DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles a rend...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80C

6e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 16 FÉVRIER 2023

N° RG 19/04249

N° Portalis DBV3-V-B7D-TS2V

AFFAIRE :

[E] [P]

C/

Société SINRAY

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 24 octobre 2019 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de VERSAILLES

N° RG : 18/00404

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me David METIN

Me Nicolas SANFELLE

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE SEIZE FEVRIER DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant, initialement fixé au 26 janvier 2023 et prorogé au 16 février 2023, les parties en ayant été avisées, dans l'affaire entre :

Madame [E] [P]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentant : Me David METIN de l'AARPI METIN & ASSOCIES, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 159

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2019/18928 du 24/08/2020 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de [Localité 4])

APPELANTE

****************

Société SINRAY

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentant : Me Nicolas SANFELLE, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 445

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

L'affaire a été débattue à l'audience publique du 22 novembre 2022, Madame Catherine BOLTEAU-SERRE, président ayant été entendue en son rapport, devant la cour composée de :

Madame Catherine BOLTEAU-SERRE, Président,

Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller,

Madame Isabelle CHABAL, Conseiller,

qui en ont délibéré,

Greffier en pré-affectation lors des débats : Madame Domitille GOSSELIN

Rappel des faits constants

La SARL Sinray, dont le siège social est situé [Adresse 2], exploite un restaurant sous l'enseigne « Chez [H] » à la même adresse. Elle emploie moins de 11 salariés et applique la convention collective nationale des hôtels, cafés restaurants du 30 avril 1997 dite HCR.

M. [H] [D], gérant de la société et dirigeant du restaurant, a proposé à Mme [P], alors sa compagne, de travailler avec lui.

Mme [E] [P], née le 28 mars 1974, a ainsi d'abord travaillé à compter du 3 juin 2013 en qualité d'extra au sein de la société et a ensuite été engagée, selon contrat de travail à durée indéterminée du 1er novembre 2014, en qualité de cheffe de cuisine.

Mme [P] a été placée en arrêt de travail à compter du 26 septembre 2017.

Invoquant un harcèlement moral et des manquements de l'employeur à son obligation de sécurité, Mme [P] a saisi le conseil de prud'hommes de Versailles d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail par requête reçue au greffe le 29 juin 2018.

Par la suite, Mme [P] a été déclarée inapte à son poste de travail lors d'une visite de reprise, suivant avis du médecin du travail du 16 janvier 2019 et elle s'est vu notifier son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement par lettre du 4 février 2019.

La décision contestée

Par jugement contradictoire rendu le 24 octobre 2019, la section commerce du conseil de prud'hommes de Versailles a :

- débouté Mme [P] de l'ensemble de ses demandes,

- débouté les parties de leur demande au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sur l'aide juridictionnelle et de l'article 700 du code de procédure civile,

- laissé les entiers dépens d'instance à la charge de Mme [P].

Mme [P] avait formulé les demandes suivantes devant le conseil de prud'hommes :

sur les manquements de l'employeur

- dommages-intérêts pour violation de l'obligation de sécurité : 20 000 euros,

- dommages-intérêts pour harcèlement moral : 15 000 euros,

sur les rappels de salaires

- dire et juger que l'emploi occupé correspondait à la classification du niveau IV échelon 1,

- rappel de salaire : 6 086 euros,

- congés payés afférents : 608 euros,

- rappel d'heures supplémentaires : 108 643 euros,

- congés payés afférents : 10 864 euros,

- dommages-intérêts pour non prise de la contrepartie obligatoire en repos : 69 173 euros,

- indemnité pour travail dissimulé : 26 440 euros,

sur la rupture du contrat de travail

à titre principal,

- résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur produisant les effets d'un licenciement nul,

- indemnité compensatrice de préavis : 8 813,44 euros,

- indemnité de congés payés sur préavis : 881 euros,

- complément d'indemnité légale de licenciement : 5 681,57 euros,

- indemnité pour nullité du licenciement : 35 000 euros,

à titre subsidiaire,

- indemnité compensatrice de préavis : 3 376,16 euros,

- congés payés sur préavis : 337 euros,

- complément d'indemnité de licenciement : 1 150,51 euros,

- indemnité pour nullité du licenciement : 35 000 euros,

- remise de bulletins de paie conformes sous astreinte de 100 euros par jour de retard dans les quinze jours du prononcé du jugement,

- remise de l'attestation Pôle emploi conforme sous astreinte de 100 euros par jour de retard dans les quinze jours du prononcé du jugement,

- remise du certificat de travail conforme sous astreinte de 100 euros par jour de retard dans les quinze jours du prononcé du jugement,

- remise du solde de tout compte conforme sous astreinte de 100 euros par jour de retard dans les quinze jours du prononcé du jugement,

- dire que le conseil se réservera le pouvoir de liquider l'astreinte sur simple requête,

en tout état de cause,

- fixer la moyenne de ses salaires à la somme de 4 406,72 euros à titre principal et de 1 688,08 euros à titre subsidiaire,

- article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sur l'aide juridictionnelle : 2 000 euros,

- exécution provisoire (article 515 du code de procédure civile),

- dépens.

La société Sinray avait, quant à elle, conclu au débouté de la salariée et avait sollicité la condamnation de celle-ci à lui verser une somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

La procédure d'appel

Mme [P] a interjeté appel du jugement par déclaration du 27 novembre 2019 enregistrée sous le numéro de procédure 19/04249.

La date des plaidoiries a été fixée au 22 novembre 2022 et la clôture de la mise en état a été prononcée à cette audience.

Prétentions de Mme [P], appelante

Par dernières conclusions adressées par voie électronique le 12 avril 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, Mme [P] conclut à l'infirmation en toutes ses dispositions du jugement entrepris et demande à la cour d'appel, statuant de nouveau, de :

sur les manquements de l'employeur

- juger que la société Sinray a manqué à son obligation de sécurité,

- juger qu'elle a fait l'objet de harcèlement moral,

en conséquence,

- condamner la société Sinray à lui verser les sommes suivantes :

. 20 000 euros à titre de dommages-intérêts pour violation de l'obligation de sécurité,

. 15 000 euros à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral,

sur les rappels de salaires

- juger que son emploi correspond à la classification du niveau IV échelon 1,

en conséquence,

- condamner la société Sinray à lui verser les sommes suivantes :

. 6 086 euros à titre de rappel de salaires,

. 608 euros au titre des congés payés afférents,

- juger qu'elle a effectué des heures supplémentaires qui ne lui ont pas été rémunérées,

en conséquence,

- condamner la société Sinray à lui verser les sommes suivantes :

. 108 643 euros à titre de rappel de salaires sur heures supplémentaires,

. 10 864 euros au titre des congés payés afférents,

. 69 173 euros à titre de dommages-intérêts pour non prise de la contrepartie obligatoire en repos,

. 26 440 euros à titre d'indemnité pour travail dissimulé,

sur la rupture du contrat de travail

à titre principal,

- ordonner la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de la société Sinray,

- juger que la résiliation judiciaire du contrat de travail produit les effets d'un licenciement nul,

à titre subsidiaire,

- juger que son licenciement est nul,

en tout état de cause,

- condamner la société Sinray à lui verser les sommes suivantes :

à titre principal,

. indemnité compensatrice de préavis : 8 813,44 euros,

. congés payés afférents : 881 euros,

. complément d'indemnité légale de licenciement : 5 681,57 euros,

. indemnité pour nullité du licenciement : 35 000 euros,

à titre subsidiaire,

. indemnité compensatrice de préavis : 3 376,16 euros,

. congés payés afférents : 337 euros,

. complément d'indemnité de licenciement : 1 150,51 euros,

. indemnité pour nullité du licenciement : 35 000 euros,

- ordonner à la société Sinray de lui remettre des bulletins de paie, une attestation Pôle emploi, un certificat de travail et un solde de tout compte conformes, sous astreinte de 100 euros par jour de retard dans les quinze jours du prononcé de l'arrêt,

- dire qu'en application de l'article L. 131-3 du code des procédures civiles d'exécution, la cour se réserve le droit de liquider l'astreinte sur simple requête,

en tout état de cause,

- fixer la moyenne de ses salaires à la somme de 4 406,72 euros à titre principal et de 1 688,08 euros à titre subsidiaire,

- condamner la société Sinray à verser à Me [K] [S] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991,

- condamner la société Sinray aux entiers dépens y compris les éventuels frais d'exécution de l'arrêt à intervenir.

Prétentions de la société Sinray, intimée

Par dernières conclusions adressées par voie électronique le 6 mai 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la société Sinray conclut à la confirmation en toutes ses dispositions du jugement entrepris et demande donc à la cour d'appel de débouter Mme [P] de l'intégralité de ses demandes.

La société intimée sollicite en outre à titre accessoire la condamnation de la salariée aux entiers dépens et à lui verser une somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

MOTIFS DE L'ARRÊT

Sur le harcèlement moral et les manquements à l'obligation de sécurité

En application des dispositions de l'article L. 1152-1 du code du travail, « aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. »

Aux termes de l'article L. 1154-1 du même code, « Lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 [...], le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. »

Pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il y a lieu d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il y a lieu d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

A l'appui de son allégation, Mme [P] prétend avoir été victime de conditions de travail délétères, qui ont profondément affecté son état de santé.

De façon générale, elle fait état d'une violence physique et verbale. Elle explique s'être trouvée dans une relation toxique avec M. [D], dirigeant de la société Sinray, avoir dû endurer quotidiennement pressions, menaces et injures, plusieurs fois accompagnées de menaces physiques. Elle fait valoir que M. [D] s'est employé à l'isoler et à la terroriser, que le harcèlement moral et la violence physique dépassaient le cadre intime et se manifestaient également sur le plan professionnel, qu'elle était sous l'emprise de son compagnon et patron et était contrainte de travailler une centaine d'heures par semaine, tout en n'étant rémunérée qu'à hauteur de 35 heures. Elle indique que sa santé s'est ainsi particulièrement dégradée au fil du temps.

Précisément, elle invoque, en premier lieu, le fait que début 2014, n'ayant pu passer que très peu de temps auprès de sa famille pour les fêtes de Noël, elle a souhaité pouvoir aller voir ses enfants le samedi 4 janvier mais que M. [D] ne l'a pas entendu ainsi et l'a contrainte à assurer seule la gestion du restaurant ce jour-là, que par crainte de perdre sa seule et maigre source de revenus, elle n'a pu qu'obtempérer.

Elle expose qu'au cours de cette journée, sa fille a eu un accident et a été hospitalisée, que sa présence à l'hôpital était nécessaire au chevet de sa fille et pour signer l'autorisation d'opérer mais que M. [D] a refusé ; qu'il s'est alors montré violent, estimant que ses enfants (dont le père n'est pas M. [D]) n'avaient pas à interférer dans la vie du restaurant ; qu'il l'a entre autre menacée de licenciement en insistant sur le fait qu'il ferait en sorte qu'elle se retrouve à la rue avec ses enfants ; que terrorisée et démunie, elle n'a pu se rendre à l'hôpital qu'après le service du dimanche midi, et ce uniquement après intervention des parents de M. [D], alors que ce dernier persistait à l'empêcher de partir.

A l'appui de son allégation, elle produit une attestation de sa fille, [I] [MY], née en 2003, lycéenne (pièce 31 de la salariée).

Il est relevé que cette attestation n'est pas datée et surtout qu'elle est pour l'essentiel dactylographiée, à l'exception de la première page, sans qu'il ne soit expliqué pourquoi, ce qui rend ce témoignage, émanant de surcroît d'une enfant âgée de 10 ans au moment des faits, suspect.

Au sujet de la journée du samedi 4 janvier, la fille de Mme [P] témoigne dans les termes suivants : « Le samedi 4 janvier 2014, alors que je suis en vacances chez mon père, je devais voir ma mère quelques heures car [H] ne l'a pas laissée passer quelques jours avec nous. [H] l'a encore une fois empêchée de nous voir. A la place je pars à la patinoire et me blesse le doigt. Je dois impérativement me faire opérer mais l'hôpital refuse si ma responsable légale ne vient pas signer l'autorisation d'opérer. Le chirurgien lui-même a appelé ma mère pour lui expliquer l'impératif de venir signer cette autorisation d'opérer mais [H] étant parti au poker avec la voiture de ma mère la menaçant de la licencier pour faute grave abandon de poste si elle se rend à l'hôpital en fermant le restaurant. Le chirurgien a finalement accepté de m'opérer le dimanche matin en contrepartie de l'engagement de ma mère de venir signer l'autorisation le dimanche matin. [H] cette fois-ci menace ma mère de porter plainte pour vol de voiture si elle se rend à l'hôpital. C'est la mère de [H] qui est intervenue en prêtant sa propre voiture à ma mère ne parvenant pas à raisonner [H]. Mais [H] ne laissa quand même pas ma mère partir à l'hôpital, elle a quand même dû assurer le service du midi. Elle est venue à la coupure, signer, me voir quelques minutes et est repartie aussitôt préparer le service du dimanche soir. J'avais 10 ans, c'était ma première opération, j'avais peur et la seule personne que je voulais avoir à mes côtés était ma mère.»

Cette attestation ne revêt pas de force probante dans la mesure où l'attestante n'a pas assisté aux faits qu'elle relate et qu'à l'évidence, voulant prendre la défense de sa mère, ses propos apparaissent partiaux.

En l'absence d'autres éléments de preuve, la matérialité de ce premier fait n'est pas établie.

Elle invoque, en deuxième lieu, avoir été menacée de mort par M. [D].

Elle expose que, voulant l'obliger à demeurer enfermée dans une chambre au domicile de ses parents, M. [D] l'a braquée avec un fusil, la menaçant de la tuer si elle n'obéissait pas et que ce n'est qu'une fois qu'il a obtenu sa soumission qu'il a posé le fusil et a quitté la pièce, la laissant seule, sous le choc. Elle ajoute que M. [D] s'en est même vanté auprès de M. [Y], ancien second de cuisine.

Elle produit des échanges de messages qu'elle a eus avec M. [Y] en ces termes :

Mme [P] : « Il a braqué mon fils avec un taser, il l'a couché par terre, il avait 13 ans », « devant ma fille chez moi elle était morte de peur, ils sont traumatisés », « Je ne les ai pas vu grandir », « il m'a bousillé le genou », « il m'a fait taffer 400 heures par mois payés le SMIC », « comment ce mec peut tout se permettre et ne jamais être inquiété », « il a fait la misère à [V] son principal concurrent. Le mec s'est fait arrêter menotté en plein service. [H] a manipulé un jeune qui taffait dans le resto du mec », « il lui a envoyé les services d'hygiène », « froid, glacial, sans état d'âme », « grave, il sait être procédurier », « tu te souviens quand sans gène il a dit qu'il m'avait braqué avec le fusil. Tu lui disais que la balle aurait pu partir il faisait genre que non Il le savait très bien », « il se croit tout permis, ses parents l'ont élevé comme ça »

M. [Y] : « j'ai bien compris qu'il n'en était pas à son coup d'essai, que tous les gens autour de lui, il s'en sert, il fait la victime ensuite », « c'est un grave pervers narcissique », « Oui sauf que mon pote [G] voulait le défoncer, sans que j'y sois mêlé parce qu'il aurait été stupide que je fasse une bêtise pour qu'il porte plainte pour coups et blessures et me retrouver à lui devoir de l'argent donc je n 'ai pas insisté mais le monde est petit et j'ai du mal à digérer le fait que l'on puisse se moquer de moi , « Je me souviens quand on a essayé de trouver sa pathologie que tu le pensais cyclothymique mais en vrai ce mec ne fait que jouer un rôle », « il y a eu ce même genre d'histoire avec un autre cuisinier. Pareil. Il est passé au resto pour en découdre avec [H]. C'est le mec qui me l'a dit. [H] s'est bien gardé de me le dire », « Il arnaque tout le monde et s'en sort tout le temps. Mais vraiment avec moi il est allé beaucoup trop loin. Si au moins, il ne m'avait pas mis des bâtons dans les roues pour m'empêcher de partir. Mais l'histoire a trop duré et il m'en a trop fait baver tous les jours. Il me menaçait de porter plainte pour vol de voiture de me licencier pour faute grave et de me retrouver sans rien, sous les ponts » (pièce 34 de la salariée).

Ce document, qui ne contient que les dires de la salariée à ce sujet, n'est pas de nature à établir la matérialité de la menace de mort dont Mme [P] prétend avoir fait l'objet.

Mme [P] fait, en troisième lieu, état de ce que, le vendredi 3 octobre 2014, un ami de M. [D] est venu passer la soirée au restaurant, qu'à cette occasion, M. [D] l'a humiliée, se plaignant qu'elle coûtait cher à l'entreprise et qu'il faisait 'uvre de charité en la prenant sous son aile, sans rapporter la preuve de cette allégation qui sera en conséquence écartée.

Mme [P] relate encore que, lasse, elle a entendu rétablir la vérité et rappeler, outre la violence subie, ses nombreuses heures de travail, une centaine par semaine, en contrepartie d'un salaire de misère, tandis que la famille de M. [D] bénéficiait allègrement de l'argent du restaurant sans y travailler ; que cette rébellion de sa part n'a pas été au goût de M. [D] ; qu'après la fermeture du restaurant, elle a voulu récupérer son sac à main qui se trouvait dans le coffre du scooter de M. [D] ; que celui-ci a alors violemment fermé le coffre sur son bras et appuyé de toutes ses forces ; qu'après s'être dégagée, et réalisant qu'elle se retrouvait seule à 2 heures du matin sans argent, sans clé, sans papiers, sans téléphone, elle a pris la décision de se rendre au commissariat ; que comprenant ce qu'elle était sur le point de faire, M. [D] l'a alors rattrapée, feignant de s'être calmé, et l'a convaincue de rentrer avec lui chez ses parents, qui étaient absents ; qu'arrivés au domicile de ses parents, M. [D] a alors verrouillé le portail du jardin avec un cadenas à moto et que ce soir-là, elle a de nouveau subi la fureur de M. [D] ; que muni d'un couteau de boucher, il l'a violemment poussée dans les escaliers ; qu'au cours de cette chute, elle s'est cassée une jambe ; que ce n'est qu'une fois qu'elle a été à terre, à l'agonie et implorante, que M. [D] a rangé le couteau et est parti se coucher ; que ce n'est que le lundi 6 octobre 2014, dans l'après-midi, qu'il l'a emmenée aux urgences, avec pour seule motivation de la remettre au plus vite au travail.

Elle produit, à l'appui de ses allégations particulièrement graves, uniquement des documents médicaux faisant état d'une entorse du genou (pièces 6 et suivantes), sans produire aucun autre élément de nature à étayer ses déclarations, qui ne sont dans ces conditions, pas matériellement établies.

Mme [P] allègue ensuite que le médecin, après avoir constaté la gravité des lésions, lui a expliqué que sa guérison prendrait plusieurs mois et qu'il faudrait peut-être plusieurs années pour retrouver une mobilité complète, qu'alors que sa guérison nécessitait du repos, elle s'est vue contrainte de se remettre au travail immédiatement, qu'à maintes reprises, les médecins rencontrés durant ses séances de rééducation l'ont alertée sur l'absence de progrès et la nécessité de s'arrêter de travailler pour qu'elle puisse se rétablir, que lorsque ceux-ci ont évoqué une prise en charge par un centre de rééducation pour qu'elle puisse être soignée quotidiennement, elle n'a reçu que des insultes de la part de M. [D], que, selon elle, peu importait son état de santé, la seule chose qui comptait pour lui était qu'elle se mette debout et travaille, peu importe la douleur.

La salariée produit une attestation datée du 7 avril 2018 de M. [R], masseur kinésithérapeute, qui indique : « La rééducation n'a pu se faire dans des conditions nécessaires à une récupération complète et ce pour le motif suivant : le manque de temps, qui selon ma patiente, était subi pour des raisons professionnelles. J'atteste donc que le traitement n'a pu être suffisant et ce pour des causes professionnelles qui étaient subies selon les dires de Mme [P] à cette période » (pièce 10 de la salariée).

Faute toutefois de se prononcer sur l'origine du manque de temps allégué par Mme [P] pour suivre sa rééducation, cette attestation n'a pas de valeur probante.

Mme [P] justifie enfin à ce sujet avoir déposé une plainte à l'encontre de M. [D] le 25 avril 2018 (sa pièce 36) mais ne justifie pas qu'une suite a été donnée à cette plainte, l'employeur démontrant de son côté que l'affaire a été classée sans suite le 7 octobre 2019 pour « infraction insuffisamment caractérisée » (pièce 27 de l'employeur), ce classement n'ayant jamais été contesté.

Ces faits ne sont pas matériellement établis.

Mme [P] fait état, en quatrième lieu, qu'au sein du restaurant, le tempérament violent de M. [D] se manifestait quotidiennement par des coups de poing dans les murs de la cuisine, des coups de pieds dans les poubelles qui atterrissent sur ses jambes, des jets des plats sur le sol et des crises de nerfs.

Elle produit l'attestation de M. [C], qui a travaillé au sein du restaurant en qualité d'apprenti, et qui indique :

« Il l'a obligée à mettre ses enfants en pension. Je suis témoin de plusieurs actes de violences verbales notamment sur moi aussi. Il a menti à mes parents en disant que c'est à cause de moi si je travaillais autant. En tant qu'apprenti j'étais payé que 380 euros par mois en travaillant 7j/7. Plus on avançait dans le temps plus manipulé (sic).

En effet, il m'a déjà poussé sur la porte pour m'empêcher d'ouvrir à [E] qu'il avait mise dehors sans ses affaires pour qu'elle ne puisse pas bouger.

J'ai dû assumer 40 couverts tout seul un dimanche. Ses parents étaient présents, mangeaient et se servaient gratuitement. Ils me manquaient de respect en vue de ma couleur de peau. Il donnait sans arrêt des ordres et des contre ordres pour semer la zizanie entre l'équipe et nous monter les uns contre les autres. En vue de la situation, j'ai voulu faire une démission. Il m'a manipulé en me proposant la lune. Je suis resté et cela était pire.

Quelques semaines plus tard, [E] est revenue avec le genou cassé travailler. Il lui [a] cassé le vendredi 3 octobre au soir. Il a encore essayé de la tuer avec un couteau, avant un fusil. Le samedi j'ai dû remplacer [E] alors que j'étais en semaine d'école. Le lundi soir j'ai vu [E] sortir des urgences. Il l'a fait travailler en cuisine sur une chaise. [O] [B] était témoin et présent et moi-même.

(')

Il jetait les assiettes par terre, il nous obligeait à recommencer le travail fait qui à ses yeux n'était pas parfait. Il y a eu constamment des scènes de ce type, ce sont des moments traumatisants, aussi bien moral que physique. En effet il me disait que j'étais gros et que j'avais une tête d'Arabe.

En somme, [H] [T] [D] m'a exploité, voir rendu à l'esclavagisme » (pièce 12 de la salariée).

Cette attestation corrobore en effet le comportement violent de M. [D] à l'égard de ses salariés et spécifiquement à l'égard de Mme [P], ce fait devant être considéré comme matériellement établi.

Mme [P] fait état, en cinquième lieu, d'un rythme de travail insoutenable. Elle indique que, de juin 2013 à septembre 2014, elle s'est vu contrainte de travailler quotidiennement à l'exception de quelques jours de congés ; qu'à compter du mois d'octobre 2014, elle a bénéficié d'un jour de repos par semaine, le dimanche mais qu'elle accomplissait pendant ses jours de repos des tâches administratives et comptables ; qu'elle débutait ses journées de travail généralement à 8h le matin pour se terminer au plus tôt à minuit voire à 2 heures du matin les vendredis et samedis ; qu'elle travaillait en moyenne 100 heures par semaine, alors qu'elle était rémunérée sur la base de 35 heures hebdomadaires en deçà du minimum conventionnel ; que ce rythme de travail a impacté sa vie de famille ; qu'elle n'a que très peu vu ses enfants ; que M. [D] l'a contrainte à placer ses enfants en internat afin qu'elle se consacre exclusivement au restaurant, que n'ayant plus aucune vie personnelle, contrainte de travailler quasi continuellement, elle s'est retrouvée totalement isolée, coupée du monde.

Elle produit une attestation de M. [M], ami de Mme [P], qui témoigne de sa situation dans les termes suivants :

« En juin 2013 sa vie a basculé. A cette période elle a commencé à travailler dans un restaurant à [Localité 4] avec un certain [H] en vue d'un projet d'ouverture de société aux USA. Elle a dû mettre ses enfants en internat à la demande de [H], il l'a fait travailler 7j/7, il ne la laissait que très peu rentrer chez elle. Le peu qu'elle rentrait c'était souvent en pleine nuit pour repartir le lendemain matin.

Je l'ai vue au fur et à mesure dans un état d'épuisement et de dépression. Elle avait pris beaucoup de poids et était très fatiguée. Je ne la voyais quasiment plus rentrer chez elle, je voyais bien que ça n'allait pas du tout.

Son fils m'a dit un jour dans la voiture, que sa mère n'allait pas bien, que [H] leur pourrissait la vie à tous les trois. J'en ai parlé avec [E], elle a fini par m'avouer le cauchemar qu'il lui faisait vivre. Il a à plusieurs reprises essayé de la tuer, il la menaçait de mort, lui faisait du chantage, il a réussi à lui faire perdre son indépendance financière et à l'isoler de tout le monde même de ses enfants. Il la tenait financièrement parlant.

Il la harcelait au travail et en privé, elle m'a demandé à plusieurs reprises si je pouvais surveiller sa maison de peur qu'il ne vienne chez elle en pleine nuit car elle se sentait vraiment en danger, elle et ses enfants. Elle m'a prévenu que si elle m'appelait ou m'envoyait un message en pleine nuit, d'appeler la police pour elle. Car depuis le jour où il avait tenté de la tuer avec un couteau et l'avait poussée dans les escaliers et cassé sa jambe en deux, elle avait appelé la police mais n'avait pas eu le temps de les avoir au téléphone qu'il avait saisi le téléphone et l'avait cassé » (pièce 13 de la salariée).

Mme [P] produit également les attestations de son père et de sa fille, qui confirment avoir constaté un rythme de vie insoutenable, de sorte que ce fait doit être considéré comme matériellement établi.

Mme [P] invoque en dernier lieu la dégradation de son état de santé.

Elle rappelle qu'elle a à plusieurs reprises été blessée physiquement suite aux crises de violence de M. [D] mais n'en justifie toutefois pas.

Elle expose qu'en février 2017, elle a commencé à souffrir d'une importante douleur à la tête, qui a persisté plusieurs jours, avec des troubles du goût et de la vision, que quelques jours plus tard, un matin, elle s'est réveillée avec la moitié du visage paralysée, qu'elle s'est rendue aux urgences, où il lui a été diagnostiqué un 'dème cérébral, qu'elle considère être la conséquence manifeste de son épuisement professionnel, que, comme à l'accoutumée, elle n'a eu d'autre choix que de reprendre le travail, que durant l'été 2017, sa santé s'est de plus en plus dégradée et qu'elle est demeurée en arrêt de travail durant de nombreux mois.

Elle fait état, sans être démentie, d'arrêts de travail successifs à compter de l'été 2017 ayant abouti à un avis d'inaptitude sans possibilité de reclassement au sein de l'entreprise du 16 janvier 2019, ces éléments démontrant la dégradation de son état de santé général et caractérisant une altération de sa santé physique et psychique en lien avec ses conditions de travail.

En revanche, l'analyse des documents médicaux relatifs à l''dème cérébral, ne permet pas de retenir, comme le soutient la salariée, qu'il est la conséquence manifeste d'un épuisement professionnel.

Ainsi, les faits matériellement établis, appréciés dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail.

En réponse, la société Sinray fait valoir différentes explications.

S'agissant du comportement violent de M. [D] sur le lieu de travail

La société Sinray remet en cause la force probante des attestations produites par la salariée.

Elle critique l'attestation rédigée par M. [C], ancien apprenti de l'établissement, dans la mesure où celui-ci évoque principalement sa situation personnelle et qu'il soutient que c'est M. [D] qui a poussé Mme [P] dans les escaliers de son domicile le soir du 3 octobre 2014 où elle s'est cassée le genou, attestant ainsi de faits auxquels il reconnaît lui-même ne pas avoir assisté, se limitant donc à reprendre les déclarations de Mme [P].

L'employeur critique également l'attestation de la fille de Mme [P], objectant que les propos qui y sont tenus, gravissimes, ne sont fondés sur aucun élément ainsi que l'attestation du père de Mme [P], en ce que celui-ci ne fait pas état de faits ayant eu lieu sur le lieu de travail.

Au sujet des messages que M. [Y] a échangé avec Mme [P], l'employeur prétend qu'ils ne montrent pas, au contraire de ce qui est soutenu par la salariée, que M. [D] serait violent, que la violence venait davantage de M. [Y] qui n'a pas hésité à faire usage de menaces pour une prétendue dette de 1 000 euros. Il précise que M. [Y] a été engagé puis renvoyé à la demande de Mme [P].

La société Sinray oppose de façon pertinente que les déclarations de Mme [P] concernent uniquement une prétendue situation personnelle qui ne relève pas de la compétence de la juridiction prud'homale.

Elle expose que Mme [P] soutient que M. [D] l'aurait empêchée à maintes reprises de voir ses enfants, notamment lorsque sa fille aurait été à l'hôpital ; qu'elle avance encore que M. [D] l'aurait menacée de mort avec un fusil ; qu'elle soutient que ces scènes de violences étaient récurrentes, sans apporter aucun commencement de preuve de ses allégations lesquelles relèvent, en tout état de cause, d'un cadre exclusivement privé.

La société Sinray fait surtout valoir le caractère violent et instable de Mme [P].

Elle produit une attestation de Mme [F], se disant amie de longue date du gérant, laquelle indique : « Je connais M. [D] depuis maintenant plus de 10 ans, seulement cette amitié s'est interrompue depuis sa rencontre avec [E] [P]. Le contrôle de celle-ci et sa jalousie maladive affectaient beaucoup mon ami. Avant, cliente de son restaurant, je n'y étais plus la bienvenue à cause de Mme [P]. Je ne reconnaissais plus mon ami, triste et affaibli (') » (pièce 17 de l'employeur).

Elle produit également une attestation de Mme [X], propriétaire d'un salon de coiffure situé juste à côté du restaurant,en ces termes : «  Je connais très bien M. [D] et j'affirme n'avoir jamais entendu ou vu d'acte de violence verbale ou physique à l'encontre de Mlle [P]. Je tiens à préciser que je venais souvent, avec mon équipe de coiffeuses, déjeuner chez [H]. A l'arrivée de Mlle [P], nous avons bien compris que notre présence n'était plus la bienvenue » (pièce 15 de l'employeur).

Elle produit encore le témoignage de M. [L], gérant d'un restaurant voisin, selon lequel Mme [P] a elle-même agressé une des serveuses de celui-ci : « Elle est entrée dans mon restaurant alors que nous étions complets et a asséné un coup de poing à ma serveuse pendant qu'elle préparait les desserts pour mes clients. Ma serveuse a porté plainte et a eu gain de cause et Mlle [P] a été condamnée » (pièce 16 de l'employeur).

Elle produit encore une attestation de Mme [Z], qui dit connaître M. [D] depuis 14 ans et qui témoigne que la personnalité de celui-ci est à l'opposé du portrait que dresse de lui Mme [P] : « Tout au long de ces années, je n'ai eu qu'à me louer de son attitude à mon égard (') grande probité, respect des clients par un chaleureux accueil et une grande bonté qui se dégage de tout son être » (pièce 18 de l'employeur).

Elle produit encore un message que Mme [P] a envoyé sur le téléphone de M. [D] qui souligne selon elle, le caractère particulièrement instable de la salariée : « La personne qui vient d'appeler au restaurant pour te parler à peine une minute après que tu sois sorti et qui a refusé de me parler, je la baise » (pièce 11 de l'employeur).

Elle produit encore une attestation de M. [W], client du restaurant, qui indique qu'il trouvait Mme [P] « possessive, elle exerçait visiblement une emprise sur M. [D] visant à limiter voire interdire ses relations avec ses anciens amis/connaissances dont je faisais partie » (pièce 28 de l'employeur) et une attestation de M. [J], employé du restaurant, lequel atteste que Mme [P] « faisait des reproches à M. [D] et le rabaissait », « Mme [P] se considérait comme la patronne et voulait tout contrôler y compris les relations de M. [D] avec ses clients », « beaucoup de clients ne venait plus à cause de ses sauts d'humeur » (pièces 13 et 25 de l'employeur).

Elle fait enfin valoir que Mme [P] entretenait également une liaison avec un homme marié pendant sa relation avec M. [D] et produit une attestation de la femme de cet homme marié, Mme [U] [BX], en ces termes : « (') avoir reçu un appel de Mme [P] [E] m'affirmant qu'elle entretenait une relation extra conjugale avec mon époux M. [A] [N] depuis le mois de juillet 2017, qu'elle aurait quitté son compagnon pour mon mari. Suite à cet appel, elle m'a transmis les preuves de ses dires, des SMS échangés entre eux, des photos de leur rencontre. Elle m'a aussi dit qu'elle attendait un enfant de lui. A ce jour, je suis en procédure de divorce et mes enfants (au nombre de 4) se retrouvent séparés de leur père. Cette femme a brisé nos vies » (pièce 21 de l'employeur). Elle soutient à ce titre, que Mme [P] affirme avoir été placée en arrêt maladie à compter de septembre 2017 en raison de la dégradation de son état de santé alors qu'en réalité, elle a quitté son poste de travail sans explication, le 21 août 2017, pour retrouver cet homme marié. Elle ajoute que Mme [P] a d'ailleurs conservé le véhicule appartenant à M. [D] au moment de leur rupture et de son départ du restaurant, qu'elle ne l'a jamais restitué malgré plusieurs demandes en ce sens et qu'il a été contraint de déposer plainte pour vol le 26 février 2019 alors qu'il continue à payer les factures du véhicule.

Les éléments produits tant par l'une que par l'autre partie, s'ils sont révélateurs d'une extrême tension au sein du couple dans le cadre privé, ne permettent toutefois pas de mettre en évidence d'actes de violence, physique ou morale, à l'encontre de Mme [P] qui se seraient déroulés sur son lieu de travail.

S'agissant du rythme de travail de la salariée

La société Sinray justifie qu'à l'époque des faits, Mme [P] vivait principalement avec M. [D] chez les parents de ce dernier à [Localité 4], ainsi qu'elle le reconnaît elle-même, et qu'elle n'avait donc pas de temps de trajet important chaque jour, contrairement à ce qu'elle soutient.

L'employeur considère que Mme [P] cherche à se présenter dans une situation de soumission face à M. [D], en tant que salariée exploitée et maltraitée, alors qu'elle était associée pour la moitié des parts sociales dans le cadre d'un projet de foodtruck aux États-Unis.

Il évince, par la production d'échanges de courriels, nombre d'affirmations de Mme [P] sur son temps de travail de sorte qu'il établit que le rythme de travail de Mme [P] n'était pas excessif, contrairement à ce que soutient la salariée.

L'employeur prouve ainsi que les agissements invoqués sont justifiés par des éléments objectifs et ne sont donc pas constitutifs d'un harcèlement.

Aucun harcèlement moral ne peut être retenu.

Mme [P] sera déboutée de sa demande de dommages-intérêts pour harcèlement moral, par confirmation du jugement entrepris, ainsi que de sa demande pour manquement à l'obligation de sécurité présentée sur la base des mêmes faits, dont la matérialité n'a pas été retenue.

Sur la classification et les minima conventionnels

Mme [P] prétend qu'elle était employée en qualité de chef de cuisine et qu'elle devait percevoir a minima les salaires du niveau IV échelon 1 de la grille de classification de la convention collective HCR. Elle formule un rappel de salaire à ce titre.

La société Sinray oppose cependant à juste titre que Mme [P] ne justifie pas des conditions requises pour cette classification, à savoir la compétence, le contenu de l'activité, l'autonomie et la responsabilité.

Le niveau IV échelon 1 de la convention collective HCR nécessite une autonomie et une connaissance du domaine de la restauration et de la gestion de cette activité, définies ainsi : « emplois exigeant des connaissances définies et vérifiées en matière d'hygiène, de sécurité et de législation sociale », « travaux d'exploitation complexe faisant appel au choix des modes d'exécution, à la succession des opérations, et nécessitant des connaissances professionnelles développées ou étendues en raison du nombre et de la complexité des produits et/ou des services vendus et/ou des moyens et méthodes employés ».

Mme [P], qui ne justifie d'aucun diplôme dans le domaine de la restauration et qui ne rapporte pas la preuve qui lui incombe d'avoir exercé dans les faits des fonctions relevant de cette classification, sera déboutée de cette demande, par confirmation du jugement entrepris.

Sur les heures supplémentaires

Il résulte des dispositions des articles L. 3171-2 et suivants qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

Mme [P] soutient qu'elle subissait un rythme de travail insoutenable. Elle souligne qu'aucune modalité de contrôle du temps de travail n'a été mise en place au sein de l'entreprise de sorte que, si les salariés travaillaient au-delà de 35 heures, la société ne les rémunérait pas, que rémunérée pour 35 heures de travail hebdomadaire, elle en effectuait bien plus, qu'en pratique, elle devait se tenir à la disposition permanente de son employeur, qu'eu égard aux tâches qui lui étaient confiées, aux horaires d'ouverture du restaurant et au manque d'effectif, elle travaillait bien au-delà des 35 heures par semaine.

La salariée indique que le restaurant était ouvert du lundi au samedi, midi et soir, qu'elle devait être présente au cours des deux services, en tant que seul et unique chef de cuisine, qu'elle a de surcroît fréquemment assuré seule le service, que les journées de travail débutaient généralement vers 8 heures le matin pour se terminer au plus tôt à minuit, voire 2 heures du matin les vendredis et samedis, qu'elle effectuait ainsi 100 heures par semaine en moyenne, qu'elle a pris soin de répertorier ses horaires depuis son embauche en 2013, qu'il lui arrivait en outre de travailler pendant ses jours de repos, puisqu'elle devait accomplir certaines tâches administratives et comptables. Elle soutient qu'elle travaillait selon un rythme effréné, sans aucune reconnaissance de la part de son employeur, et que ce rythme a impacté sa santé et sa vie de famille.

Au vu du relevé d'heures établi par la salariée (sa pièce 18), il y a lieu de retenir que celle-ci présente, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'elle prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

En réponse, la société Sinray explique, s'agissant des horaires d'ouverture du restaurant, que M. [D] travaillait lui-même au restaurant, qui est un petit restaurant de quartier comportant 30 places assises et une cuisine d'environ 10 m2, ouvert du lundi au samedi avec un service du midi de 10h à 14h30 et un service du soir de 19h à 22h30, que c'est M. [D], qui avait seul la clé, qui ouvrait le restaurant tous les jours.

S'agissant de l'effectif, la société Sinray produit le registre d'entrées et de sorties du personnel (sa pièce 22) duquel il résulte la présence, selon les périodes, de cuisiniers, d'apprentis, de chefs de rang ou de plongeurs.

Mme [P] ne peut dans ces conditions affirmer sérieusement qu'elle assurait fréquemment le service seule et qu'elle effectuait en plus de ses tâches de chef de cuisine, la mise en place, le service et les courses pour le restaurant.

La société Sinray démontre par ailleurs que certaines mentions figurant sur le tableau établi par la salariée sont inexactes, comme par exemple le vendredi 14 avril 2017, où elle prétend avoir travaillé jusqu'à 1 heure du matin alors qu'elle a adressé un message à M. [D] à 23h56 « je suis rentrée » ou encore le 3 mai 2017, où elle prétend avoir travaillé de 8h à minuit alors qu'elle a envoyé un message à M. [D] à 12h11 pour lui dire « je me suis recouchée après que les enfants soient partis à l'école ».

Au total, l'analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties ne permet pas de retenir l'existence d'heures supplémentaires au profit de Mme [P].

Celle-ci sera en conséquence déboutée de cette demande, par confirmation du jugement entrepris.

Elle sera également déboutée de ses demandes subséquentes au titre de la contrepartie obligatoire en repos et du travail dissimulé.

Sur la rupture du contrat de travail

Mme [P] sollicite à titre principal la résiliation judiciaire de son contrat de travail.

Dans la mesure où la salariée a été licenciée postérieurement à la saisine du conseil de prud'hommes, il convient en effet d'abord de rechercher si la demande de résiliation judiciaire est justifiée et dans le cas contraire de se prononcer sur le licenciement notifié par l'employeur.

Sur la résiliation judiciaire du contrat de travail

La résiliation judiciaire du contrat de travail est prononcée à l'initiative du salarié et aux torts de l'employeur, lorsque sont établis des manquements par ce dernier à ses obligations d'une gravité suffisante pour faire obstacle à la poursuite du contrat de travail. Dans ce cas, la résiliation produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

A l'appui de sa demande, Mme [P] fait valoir les manquements suivants :

- alors qu'elle a été amenée à travailler jusqu'à 100 heures par semaine, celle-ci n'est rémunérée qu'à hauteur de 35 heures hebdomadaires ;

- les horaires qui lui étaient imposés caractérisent le non-respect des repos quotidiens et hebdomadaires ;

- outre le nombre considérable d'heures de travail non payées, le taux horaire appliqué par l'employeur aux heures réglées est nettement inférieur aux minima conventionnels ;

- le comportement extrêmement violent de M. [D] à son égard a impacté en outre son état de santé ;

- la société n'a pas pris soin d'adhérer à un service de santé au travail, ce qui est pourtant obligatoire ;

- elle a souvent été amenée à avancer de l'argent pour le compte du restaurant, soit pour des achats indispensables, soit pour le règlement des factures, le remboursement n'intervenant que plusieurs mois après ;

- elle a dû faire face à plusieurs reprises au manque de diligences de son employeur.

Les quatre premiers manquements ont été écartés précédemment.

Concernant le défaut d'adhésion à un service de santé au travail, Mme [P] justifie avoir été contrainte de saisir l'inspection du travail pour pouvoir bénéficier d'une visite de reprise (sa pièce 26), mais celle-ci ayant bien eu lieu, il y a lieu de considérer que le manquement de l'employeur a été régularisé.

Concernant les avances faites pour le compte du restaurant, Il résulte des explications des parties sur ce point que Mme [P] intervenait dans la gestion de la société, laquelle finançait certaines dépenses relatives au projet commun de foodtruck aux États-Unis, de sorte que la salariée ne peut se plaindre d'avoir été remboursée tardivement.

Concernant le manque de diligences de l'employeur, Mme [P] vise le fait qu'elle recevait tardivement ses bulletins de salaire, certains ne lui ayant jamais été remis, et que l'attestation de salaire destinée à la sécurité sociale pendant ses arrêts de travail tardait à être établie. Elle ne justifie toutefois pas de cette dernière allégation qui devra être écartée, tandis que le manquement tenant à la prétendue absence de délivrance de certains bulletins de salaire n'est pas de nature à justifier, à lui seul, la résiliation judiciaire du contrat de travail, en l'absence de préjudice allégué.

Au total, Mme [P], qui ne justifie pas de manquements à ses obligations imputables à son employeur d'une gravité suffisante pour faire obstacle à la poursuite du contrat de travail, sera déboutée de sa demande de résiliation, ainsi que des demandes subséquentes, par confirmation du jugement entrepris.

Elle sera par ailleurs déboutée de sa demande tendant à voir prononcer la nullité de son licenciement, le harcèlement moral fondant sa demande n'ayant pas été retenu. Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur les dépens et les frais irrépétibles de procédure

Le jugement de première instance sera confirmé en ses dispositions concernant les dépens et les frais irrépétibles.

Mme [P], bénéficiaire de l'aide juridictionnelle totale en vertu d'une décision du BAJ numéro 2019/018928 du 24 août 2020, qui succombe dans ses prétentions, supportera les dépens d'appel en application des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile.

Elle sera en outre condamnée à payer à la société Sinray une indemnité sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, que l'équité et la situation économique respective des parties conduisent à arbitrer à la somme de 500 euros.

Elle sera déboutée de sa demande présentée sur le même fondement.

PAR CES MOTIFS

La COUR, statuant publiquement, en dernier ressort et par arrêt contradictoire,

CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Versailles le 24 octobre 2019,

Y ajoutant,

CONDAMNE Mme [E] [P] au paiement des entiers dépens,

CONDAMNE Mme [E] [P] à payer à la société Sinray une somme de 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

DÉBOUTE Mme [E] [P] de sa demande présentée sur le même fondement.

Arrêt prononcé publiquement à la date indiquée par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme Catherine Bolteau-Serre, président, et par Mme Domitille Gosselin, greffier en pré-affectation, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier en pré-affectation, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 6e chambre
Numéro d'arrêt : 19/04249
Date de la décision : 16/02/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-02-16;19.04249 ?
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