COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 56Z
12e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 16 FEVRIER 2023
N° RG 20/00553 - N° Portalis DBV3-V-B7E-TW7Y
AFFAIRE :
Société L'AMY
C/
S.A.S. WILLIS TOWERS WATSON FRANCE
S.C.P. PASCAL LECLERC
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 14 Novembre 2019 par le Tribunal de Commerce de NANTERRE
N° Chambre : 2
N° RG : 2019F00124
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Stéphanie TERIITEHAU
Me Hervé KEROUREDAN
TC NANTERRE
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE SEIZE FEVRIER DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
SAS L'AMY société en liquidation judiciaire représentée par la SCP PASCAL LECLERC
RCS Lons-le-Saunier n° 646 050 492
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Stéphanie TERIITEHAU de la SELARL MINAULT TERIITEHAU, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 619 et Me Sabrina KHALEF, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : G0739
APPELANTE
****************
S.A.S. WILLIS TOWERS WATSON FRANCE anciennement dénommée 'GRAS SAVOYE'
RCS Nanterre n° 311 248 637
[Adresse 2]
[Localité 6]
Représentant : Me Hervé KEROUREDAN, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 40 et Me Charlotte POIVRE et Me Catherine EGRET de la SELAS PORCHER & ASSOCIES, Plaidants, avocats au barreau de PARIS
INTIMEE
****************
S.C.P. PASCAL LECLERC prise en la personne de Me [J] et Me [N], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société l'AMY nommé à cette fonction par jugement du 04 Décembre 2020 du Tribunal de Commerce de Lons le Saunier (intervenante volontaire)
[Adresse 5]
[Localité 3]
Représentée par Me Stéphanie TERIITEHAU de la SELARL MINAULT TERIITEHAU, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 619 et Me Sabrina KHALEF, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : G0739
PARTIE INTERVENANTE
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 06 Décembre 2022 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Patrice DUSAUSOY, Magistrat honoraire chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur François THOMAS, Président,
Madame Bérangère MEURANT, Conseiller,
Monsieur Patrice DUSAUSOY, Magistrat honoraire,
Greffier, lors des débats : M. Hugo BELLANCOURT,
EXPOSE DU LITIGE
La société L'Amy a pour activité la fabrication de lunettes.
La SAS Gras Savoye (ci-après Gras Savoye), aujourd'hui dénommée Willis Towers Watson France, exerce l'activité de courtier en assurances.
Le 1er janvier 2009, la société L'Amy a souscrit, par l'intermédiaire de la société Gras Savoye, un contrat de prévoyance décès pour ses employés auprès de la société Axa.
A la suite de la réforme de la réglementation relative au traitement social du financement patronal des régimes de protection sociale complémentaires institués dans les entreprises, en 2013, la société L'Amy a souhaité faire évoluer ladite assurance afin d'inclure dans le contrat de prévoyance, outre le décès, l'invalidité et l'incapacité de travail à la catégorie du personnel non cadre.
Le 16 mars 2015, les parties ont signé un nouveau contrat « Prévoyance Entreprise » avec effet rétroactif au 1er octobre 2014, ainsi qu'un avenant « Reprise de sinistre incapacité de travail au 1/10/2014 », ayant pour objet de verser des indemnités journalières à une salariée de la société L'Amy, Mme [F] [Y], en congé maladie depuis mai 2013, et le versement d'une rente éventuelle en cas d'invalidité permanente. La cotisation correspondante a été fixée à la somme de 53.080 € pour la couverture de l'arrêt maladie.
Le 31 octobre 2016, la société L'Amy a reproché à la société Gras Savoye d'avoir manqué à son devoir de conseil et d'information durant la période précontractuelle et l'a sollicitée de prendre en charge la prime supplémentaire demandée par la société Axa pour l'indemnisation de l'incapacité et l'invalidité de Mme [Y] (53.080 €).
Par acte du 20 décembre 2018, la société L'Amy a assigné la société Gras Savoye devant le tribunal de commerce de Nanterre en paiement des sommes de 53.080 € et 15.000 € à titre de dommages et intérêts.
Par jugement du 14 novembre 2019, le tribunal de commerce de Nanterre a :
- Débouté la société L'Amy de ses demandes,
- Condamné la société L'Amy à payer à la société Gras Savoye la somme de 3.500 € au titre des frais irrépétibles,
- Condamné la société L'Amy aux dépens de l'instance.
Par déclaration du 28 janvier 2020, la société L'Amy a interjeté appel du jugement.
Par jugement du 4 décembre 2020, la société L'Amy a été placée en liquidation judiciaire par le tribunal de commerce de Lons-le-Saunier.
Par ordonnance du 3 février 2022, le conseiller de la mise en état de la 12e chambre de la cour d'appel de Versailles a :
- Dit n'y avoir lieu à caducité de la déclaration d'appel,
- Dit que les conclusions régularisées par la société L'Amy, représentée par son liquidateur, le 22 juin 2021 sont régulières,
- Condamné la société Gras Savoye aux dépens de l'incident, qui pourront être recouvrés directement par les avocats qui en ont fait la demande, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
- Condamné la société Gras Savoye à payer à la société L'Amy, représentée par son liquidateur la société Pascal Leclerc, la somme de 800 € au titre des frais irrépétibles de la présente instance d'incident.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par dernières conclusions notifiées le 22 juin 2021, la SCP Pascal Leclerc, prise en la personne de Me [J] et Me [N], ès qualités de mandataires liquidateurs de la société L'Amy demande à la cour de :
- Infirmer le jugement du 14 novembre 2019 du tribunal de commerce de Nanterre en ce qu'il a débouté la société L'Amy de l'ensemble de ses demandes,
- Recevoir la SCP Pascal Leclerc ès qualités de mandataire liquidateur de la société L'Amy, représentée par les administrateurs judiciaires provisoires pris en la personne de Me [J] et Me [N], en ses conclusions, les dire bien fondées et y faire droit,
- Constater les manquements commis par la société Gras Savoye à son obligation d'information et à son devoir de conseil envers sa cliente, la société L'Amy, sur le fondement des articles L.511-1, L.520-1 et R.520-2 du code des assurances caractérisant une faute,
- Juger que la faute de la société de courtage Gras Savoye a directement causé un préjudice financier à la société L'Amy en ce qu'elle n'a pas été en mesure d'avoir une connaissance complète et éclairée de la tarification du contrat d'assurance au jour de sa prise d'effet, lui imposant alors de faire face à des conséquences financières inévitables,
- Condamner la société Gras Savoye sur le fondement de l'article 1240 du code civil au versement de la somme de 53.080 € à la SCP Pascal Leclerc ès qualités de mandataire liquidateur de la société L'Amy, représentée par les administrateurs judiciaires provisoires pris en la personne de Me [J] et Me [N], au titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice qu'elle a subi, de sorte à permettre à la société de faire face aux engagements pris envers Mme [Y] suite aux manquements du courtier et d'assurer la sécurité juridique de son régime de prévoyance,
- Condamner la société Gras Savoye sur le fondement de l'article 1240 du code civil au versement d'une somme de 15.000 € supplémentaires à la SCP Pascal Leclerc ès qualités de mandataire liquidateur de la société L'Amy, représentée par les administrateurs judiciaires provisoires pris en la personne de Me [J] et Me [N], à titre de dommages et intérêts, du fait des graves manquements commis dans l'exécution de ses obligations, et ce malgré les nombreuses demandes formulées par la société,
- Condamner la société Gras Savoye à verser à la SCP Pascal Leclerc ès qualités de mandataire liquidateur de la société L'Amy, représentée par les administrateurs judiciaires provisoires pris en la personne de Me [J] et Me [N], la somme de 6.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction au profit de la SELARL Minault Teriitehau agissant par Me Stéphanie Teriitehau, avocat et ce conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
- De rejeter toutes les prétentions de la société Gras Savoye.
Par dernières conclusions notifiées le 16 septembre 2022, la société Willis Towers Watson France, anciennement dénommée Gras Savoye, demande à la cour de :
A titre principal,
- Déclarer recevable mais mal fondée la SCP Pascal Leclerc ès qualités de mandataire liquidateur de la société L'Amy, représentée par les administrateurs judiciaires provisoires pris en la personne de Me [J] et Me [N], en ses conclusions,
- Juger que la SCP Pascal Leclerc ès qualités de mandataire liquidateur de la société L'Amy ne rapporte aucune preuve d'une faute, d'un préjudice ni d'un lien de causalité justifiant la mise en cause de la responsabilité de la société Willis Towers Watson France, anciennement dénommée Gras Savoye,
- Débouter la SCP Pascal Leclerc ès qualités de mandataire liquidateur de la société L'Amy de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions et confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 14 novembre 2019 par le tribunal de commerce de Nanterre,
A titre subsidiaire, si par impossible la cour devait retenir la responsabilité de la société Willis Towers Watson France, anciennement dénommée Gras Savoye,
- Juger que le préjudice allégué à titre principal ne peut être évalué qu'à l'aune de la perte de chances,
- Réduire le préjudice à sa plus simple expression,
- Débouter la SCP Pascal Leclerc, ès qualités de mandataire liquidateur de la société L'Amy, de ses demandes plus amples,
En tout état de cause,
- Condamner la SCP Pascal Leclerc ès qualités de mandataire liquidateur de la société L'Amy à payer à la société Gras Savoye une somme de 5.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- La condamner à tous les dépens dont distraction au profit de Me Hervé Kerouredan en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 6 octobre 2022.
Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties ainsi que cela est prescrit à l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS
Sur le devoir d'information et de conseil de la société Gras Savoye
Au visa des articles L.511-1 et L.520-1 et suivants du code des assurances, l'assurée fait valoir qu'au regard de son obligation d'information, l'intermédiaire d'assurance est titulaire d'une obligation générale de renseignement adaptée, portant sur l'ensemble des éléments de l'opération contractuelle envisagée qui sont de nature à influencer le choix du client et nécessaires à une exacte compréhension des garanties et conditions d'exécution des prestations. A défaut d'une telle information, il peut être reconnu responsable d'une faute et condamné au paiement de dommages et intérêts. Elle soutient que l'activité d'intermédiaire d'assurance suppose d'offrir au client une opinion claire et adaptée sur ce qu'il convient de faire et induit l'apport d'une assistance dans la prise de décision avant la souscription d'un contrat.
Elle rappelle qu'il appartient au courtier de prouver, lorsque sa responsabilité est mise en cause pour défaut d'information et de conseil, qu'il a correctement exécuté ses obligations. En l'espèce, elle soutient à propos de l'indemnisation de Mme [F] [Y], salariée de l'assurée, qui se trouvait en état d'incapacité de travail à la date de souscription du contrat, que le coût total de l'opération (prime supplémentaire de 53.080 €), pourtant élément essentiel au consentement dans la conclusion de tout contrat, n'a été révélé que plusieurs mois après la signature du contrat d'assurance par ses soins caractérisant un manquement flagrant du courtier à ses obligations.
Le courtier fait valoir que la charge de la preuve de ce manquement repose sur l'assurée. Il indique néanmoins avoir, en amont de la signature du contrat et à plusieurs reprises, informé l'assurée du coût de la prise en charge de la situation de Mme [F] [Y] de sorte qu'il a satisfait à son obligation de conseil et d'information pendant la période précontractuelle.
*
L'article L.511-1 du code des assurances dans sa version alors applicable dispose notamment que :'I.-L'intermédiation en assurance ou en réassurance est l'activité qui consiste à présenter, proposer ou aider à conclure des contrats d'assurance ou de réassurance ou à réaliser d'autres travaux préparatoires à leur conclusion. ...'.
Aux termes de l'article L. 520-1 dans sa version alors applicable du code des assurances :
".../...
II.-Avant la conclusion de tout contrat, l'intermédiaire doit :
1° Donner des indications quant à la fourniture de ce contrat :
....
c) S'il n'est pas soumis à une obligation contractuelle de travailler exclusivement avec une ou plusieurs entreprises d'assurance et qu'il se prévaut d'un conseil fondé sur une analyse objective du marché, il est tenu d'analyser un nombre suffisant de contrats d'assurance offerts sur le marché, de façon à pouvoir recommander, en fonction de critères professionnels, le contrat qui serait adapté aux besoins du souscripteur éventuel ;
2° Préciser les exigences et les besoins du souscripteur éventuel ainsi que les raisons qui motivent le conseil fourni quant à un produit d'assurance déterminé. Ces précisions, qui reposent en particulier sur les éléments d'information communiqués par le souscripteur éventuel, sont adaptées à la complexité du contrat d'assurance proposé ['] ».
Celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.
*
Le courtier doit expliquer à son client les diverses dispositions du droit des assurances et du contrat afin de lui donner tous les éléments objectifs de choix d'une couverture appropriée à son risque. Il doit le mettre en garde contre les déclarations inexactes ou incomplètes. Il doit veiller à l'adaptation de la garantie aux risques présentés, vérifier que la police est conforme à la demande présentée dans la proposition d'assurance. Il doit rendre à l'assuré le service compétent et éclairé que celui-ci est en droit d'attendre d'un professionnel de l'intermédiation d'assurance.
Cependant le courtier n'est pas tenu de vérifier l'exactitude des informations données par l'assuré. L'obligation de conseil de l'intermédiaire d'assurance se mesure à l'aune de la propre compétence du souscripteur assuré. Une fois le conseil correctement donné, il appartient alors à l'assuré dûment éclairé de prendre ses propres décisions sauf si ce dernier s'est déchargé de la gestion de ses assurances entre les mains de l'intermédiaire.
Il appartient à celui qui est légalement ou conventionnellement tenu d'une obligation particulière d'information et de conseil de rapporter la preuve de l'exécution de cette obligation.
*
En l'espèce, dans le cadre de la mise en conformité de son régime de prévoyance non cadre, l'assurée reproche au courtier de ne pas avoir appelé son attention sur la tarification particulièrement élevée selon elle (53.080 €), créée par la situation de Mme [F] [Y] placée en longue maladie depuis le 13 mai 2013, fait qui avait été pourtant porté à sa connaissance depuis longtemps. Elle déplore que le courtier n'ait porté cette information à sa connaissance que le 4 février 2015 soit postérieurement à la prise d'effet rétroactive du contrat d'assurance fixée au 1er octobre 2014.
Le contrat d'assurance passé par l'intermédiation du courtier, entre la société Axa et l'assurée, porte la date du 16 mars 2015, la période précontractuelle au cours de laquelle le courtier doit son obligation d'information et de conseil expire donc à cette date quand bien même ce contrat prévoit un effet rétroactif au 1er octobre 2014.
Il résulte des nombreux échanges entre les parties que :
- le courtier est informé au moins depuis le 26 juin 2014 (pièce 2 - courtier) de la présence de Mme [F] [Y] en longue maladie depuis le 13 mai 2013 dans les effectifs pour lesquels le courtier a sollicité une cotation prévoyance auprès de l'assureur Axa, dans le cadre de la mise en conformité demandée par la société L'Amy.
- la société Axa a adressé le 1er juillet 2014 une cotation pour la seule prise en charge du capital décès 'hors reprise des arrêts de travail en cours' c'est à dire sans intégrer la situation de Mme [F] [Y],
- le 2 octobre 2014 (pièces 7 et 8 - Gras Savoye), la proposition évolue. Le courtier explicite sa démarche auprès de la société L'Amy rappelant le contexte : 'mise en place d'une garantie incapacité et invalidité pour les non cadres des structures des sociétés' du groupe L'Amy. Il précise les besoins de ce dernier : ' Vous nous avez solliciter (sic) afin de faire évoluer le contrat prévoyance de la catégorie Non cadres. Le contrat actuel couvre les salariés non cadres (Non cotisants à l'AGIRC), en cas de Décès ou une Invalidité Absolue et Définitive (IAD), l'assurance prévoyance verse aux ...ayants droits le capital garanti, il en est de même en cas d'invalidité absolue et définitive. Le courtier poursuit : 'Nous vous avons transmis une proposition intégrant la prise en charge pour l'incapacité et l'invalidité. Ce type de couverture a pour objectif de verser une rente d'incapacité ou d'invalidité en fonction de sa situation.'. Le courtier rappelle le contenu de la cotation proposée par la société Axa (0,95% de la tranche salariale TA), en précisant qu'elle était hors reprise d'encours, donc sans intégrer la situation de Mme [F] [Y], ajoutant que le contrat devient obligatoire pour l'ensemble des salariés 'y compris les personnes en arrêt de travail et en invalidité. L'intégration de ce personnel en arrêt de travail ou en invalidité constitue la reprise d'encours. Celle-ci est calculée au plus près (de) la date de souscription du contrat'. Il s'en déduit que la proposition vise à améliorer par le versement d'une rente la couverture prévoyance pour cette catégorie de personnel (non cadre) mais elle est subordonnée à l'obligation pour l'ensemble des salariés appartenant à cette catégorie d'y souscrire, en ce compris Mme [F] [Y]. Toutefois la cotation ne comprend pas la reprise de l'encours la concernant.
- le 16 octobre 2014 (pièce 9 - Gras Savoye) Mme [B], responsable des ressources humaines du groupe L'Amy, demande au courtier de faire le point sur un dossier longue maladie dont le contexte permet de comprendre qu'il s'agit de celui de Mme [F] [Y] puisqu'en annexe de cette demande figure le dossier 'arrêt de travail' de cette dernière. Cette demande est précédée de la mention : 'Suite à la mise en place du contrat de prévoyance non-cadre 'invalidité incapacité décès', nous vous avons signalé une longue maladie'. La cour comprend que la société L'Amy souhaite évoquer ce dossier dans le contexte du nouveau contrat.
- le 4 décembre 2014 (pièce 16 - Gras Savoye), après semble-t-il des hésitations au mois de novembre 2014 de la part de l'assurée sur l'étendue de la couverture de la prévoyance à retenir (décès sans ou avec invalidité et incapacité), l'assurée ayant finalement validé cette dernière extension le 13 novembre 2014 à effet au 1er octobre 2014 (pièce 7 - L'Amy), le courtier après en avoir pris acte de cette validation le 28 novembre 2014, informe la société Axa de la nécessité de prévoir la reprise d'encours pour Mme [F] [Y], seule personne à l'époque en arrêt longue maladie. Le courtier complète sa demande le 15 décembre en informant la société Axa du montant annuel du salaire de Mme [F] [Y] (15.555,83 €).
- ce n'est que le 2 février 2015 (pièce 89 - Gras Savoye) que la société Axa informe le courtier du coût de cette reprise d'encours (53.040 €) avec demande de confirmation sur l'émission de l'avenant de modification de garantie et l'avenant du coût de la reprise. Le courtier répercute cette information (pièce 19 - Gras Savoye) à l'assurée le 4 février 2015 qui répond au courtier le 6 février 2015 par l'intermédiaire de la nouvelle responsable DRH du groupe L'Amy depuis le 30 janvier 2015, en ces seuls termes 'Merci de faire le nécessaire immédiatement' (pièce 12 - L'Amy). Le courtier répond le même jour : 'Le nécessaire a été fait auprès de l'assureur AXA.'.
- le 30 mars 2015, soit postérieurement à la signature du contrat et de l'avenant de reprise d'encours du 16 mars 2015, Mme [B] (RH L'Amy) adresse au courtier le tableau des indemnités journalières perçues par Mme [F] [Y] entre le 13 mai 2013 et le 28 février 2015.
- le 8 avril 2015, l'assureur ayant initialement proposé un règlement en deux annuités égales, Mme [B] sollicite un étalement sur 24 mois du paiement de la reprise de l'encours (53.040 € / 24 soit 2011 € selon Mme [B]) étant précisé que le 1er avril précédent la nouvelle DRH avait déjà demandé cet étalement précisant qu'elle régularisait l'avenant concernant Mme [Y] afin que cette dernière puisse percevoir ses indemnités.
- le 26 mai 2015, la société L'Amy relance le courtier à propos de sa demande d'étalement (Pièce 20 - L'Amy)
- le 8 octobre 2015, Mme [B] invite le courtier à revenir vers elle, une pension d'invalidité (catégorie 3) ayant été accordée à Mme [F] [Y] à compter du 1er octobre 2015.
- le 1er décembre 2015, l'assurée sollicite du courtier des explications sur les modalités de calcul de la cotisation de reprise de l'encours (53.040 €) faisant valoir la nouvelle situation de Mme [Y].
- ce n'est que le 23 mars 2016, que le courtier fournit des explications précises sur les modalités de calcul de la cotisation correspondant à la reprise d'encours. Il propose, en outre, une alternative soit le règlement de cette somme de sorte que la couverture incapacité et invalidité demeure, soit le refus de paiement entraînant l'annulation de l'extension incapacité et invalidité l'assurée devant alors assumer directement les prestations dues à Mm [F] [Y].
*
En proposant, le 2 octobre 2014, une évaluation financière du nouveau régime de prévoyance souhaité par l'assurée, sans prise en compte du coût de la reprise des encours généré par la situation d'une salariée en longue maladie alors que ce nouveau régime de prévoyance supposait l'adhésion obligatoire de tous les salariés concernés, le courtier n'a pas permis à l'assurée de se déterminer utilement sur la proposition assurantielle qu'il lui soumettait.
La circonstance que le coût de cette reprise soit communiqué le 4 février 2015 à l'assurée peu avant la signature du contrat de prévoyance (16 mars 2015) alors que les négociations précontractuelles avaient débuté au mois de juillet 2014, n'est pas de nature à absoudre le courtier de ce manquement puisqu'il a communiqué ce montant brut à l'assurée sans s'interroger sur le montant élevé (l'assureur proposant spontanément un règlement en deux annuités) et les modalités de calcul pour en vérifier la pertinence au regard de la situation de Mme [F] [Y] et les besoins exprimés par l'assurée et sans proposer de solutions alternatives qui ne seront formulées que le 23 mars 2016 (pièce 25 - L'Amy).
Toutefois, la société L'Amy, bénéficiant des compétences d'un département 'ressources humaines' aurait dû questionner le courtier sur le coût de cette reprise d'encours et son adéquation à ses besoins à la suite de la proposition du 2 octobre 2014 et en tous cas après avoir pris connaissance du coût réel de cette reprise (le 4 février 2015), alors que le tuilage de régimes de prévoyance est une situation fréquemment rencontrée par les entreprises en cas d'évolution d'un régime de prévoyance ou de changement d'assureurs. En s'abstenant de le faire, l'assurée a contribué à son éventuel propre préjudice et ce au détriment de la salariée concernée.
La cour estime ainsi que si le courtier a manqué à son obligation précontractuelle d'information et de conseil, les conséquences éventuellement préjudiciables de ce manquement doivent être partagés à parts égales entre le courtier et la société l'Amy.
Le jugement sera infirmé sur ce point.
Sur le préjudice
Selon la société L'Amy le préjudice financier serait constitué par la souscription d'un contrat à laquelle elle a été contrainte pour un montant de 53.080 € dont le coût s'est révélé plus onéreux que les conditions financières initialement convenues et les conséquences attachées à sa prise d'effet rétroactive convenue avec le courtier.
Le courtier fait valoir que le préjudice que l'assurée allègue doit être apprécié à l'aune de la perte de chance de contracter une police à des conditions plus favorables. Il soutient que l'assurée ne rapporte pas la preuve d'avoir versé à l'assureur Axa le montant de la prime litigieuse correspondant à la reprise des encours. Il soutient que l'assurée n'établit pas le lien de causalité entre la faute alléguée et le préjudice réclamé correspondant à la cotisation demandée par l'assureur puisqu'elle ne démontre pas que le manquement prétendu l'aurait amené à prendre une autre décision.
*
Il résulte du dossier que l'assurée disposait, après connaissance prise du coût de la reprise des encours, de la faculté de renoncer à l'extension du régime de prévoyance à l'invalidité et l'incapacité de sorte que le lien de causalité entre le manquement et le préjudice revendiqué est établi.
En revanche, l'assurée, contrairement à son affirmation, ne justifie pas avoir payé à l'assureur la cotisation litigieuse. Les pièces versées aux débats ne permettent pas de le constater. Elle indique, par ailleurs, dans ses écritures (page 24) : '...contrairement aux prétentions de la partie adverse, le fait que la prime n'ait pas été réglée n'a pas pour effet de rendre le préjudice inexistant dans la mesure où, au moment où la société a pris connaissance du montant de la prime supplémentaire litigieuse, elle était déjà liée par le contrat de prévoyance qui avait précisément pour objet de couvrir ses obligations conventionnelles.', ce dont il se déduit qu'elle admet ne pas avoir réglé cette cotisation supplémentaire, de sorte que sa demande indemnitaire ne peut prospérer.
Sur responsabilité du courtier au visa de l'article 1240 du code civil
L'assurée sollicite également la condamnation du courtier à la somme de 53.080 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi afin de lui permettre de faire face aux engagements pris envers Mme [F] [Y] suite aux manquements du courtier. Elle sollicite également sa condamnation au versement d'une somme de 15.000 € supplémentaires du fait des graves manquements commis dans l'exécution de ses obligations, et ce malgré ses nombreuses demandes restées sans réponse.
Le courtier conteste l'existence de tout préjudice.
*
Tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
*
L'assurée ne rapporte pas la preuve d'un préjudice distinct de celui précédemment exposé consécutif au manquement commis par le courtier et dont elle ne justifie pas.
Le jugement sera confirmé sur ce point.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Le jugement sera infirmé en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles.
La société Willis Towers Watson France, anciennement dénommée Gras Savoye SAS, et la SCP Pascal Leclerc qui succombent toutes deux, seront condamnées, à parts égales, aux dépens de première instance et d'appel.
Il n'y a lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement du tribunal commerce de Nanterre du 14 novembre 2019, en ce qu'il a débouté de ses demandes la société L'Amy SASU, désormais prise en la personne de la SCP Pascal Leclerc, ès qualités de mandataire liquidateur,
Infirme, pour le surplus,
Statuant de nouveau,
Dit que la société Willis Towers Watson France, anciennement dénommée Gras Savoye SAS, a manqué à son obligation précontractuelle d'information et de conseil,
Rejette toutes autres demandes,
Y ajoutant,
Condamne la société Willis Towers Watson France, anciennement dénommée Gras Savoye SAS, et la SCP Pascal Lecler, à parts égales, aux dépens de 1ère instance et d'appel avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Monsieur François THOMAS, Président et par M. BELLANCOURT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier, Le président,