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16/02/2023 | FRANCE | N°20/01539

France | France, Cour d'appel de Versailles, 11e chambre, 16 février 2023, 20/01539


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80A



11e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 16 FEVRIER 2023



N° RG 20/01539

N° Portalis : DBV3-V-B7E-T6WH



AFFAIRE :



S.A.R.L APPLE RETAIL FRANCE



C/



[B] [J]









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 18 Juin 2020 par le Conseil de Prud'hommes de VERSAILLES

N° Section : C

N° RG : F 18/00553



Copies exÃ

©cutoires et certifiées conformes délivrées à :



Me Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES



Me Marie-Laure ABELLA



Expédition numérique délivrée à : PÔLE EMPLOI





le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE SEIZE ...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

11e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 16 FEVRIER 2023

N° RG 20/01539

N° Portalis : DBV3-V-B7E-T6WH

AFFAIRE :

S.A.R.L APPLE RETAIL FRANCE

C/

[B] [J]

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 18 Juin 2020 par le Conseil de Prud'hommes de VERSAILLES

N° Section : C

N° RG : F 18/00553

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES

Me Marie-Laure ABELLA

Expédition numérique délivrée à : PÔLE EMPLOI

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE SEIZE FEVRIER DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

S.A.R.L APPLE RETAIL FRANCE

N° SIRET : 483 209 383

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentant : Me Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625 - Représentant : Me Sophie BINDER de la SELAS BARTHELEMY AVOCATS, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : L097, substitué par Me Baudoin HUC, avocat au barreau de Seine-Saint-Denis

APPELANTE

****************

Monsieur [B] [J]

né le 07 Février 1981 à [Localité 5]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentant : Me Marie-Laure ABELLA, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 443 - Représentant : Me Jean-Marie GUILLOUX, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : G0818

INTIME

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 02 Janvier 2023 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Thierry CABALE, Président chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Thierry CABALE, Président,

Madame Régine CAPRA, Président,

Monsieur Eric LEGRIS, Conseiller,

Greffière en pré-affectation lors des débats : Madame Juliette DUPONT,

Par contrat de travail à durée indéterminée du 19 octobre 2009, Monsieur [B] [J] a été engagé par la Sarl unipersonnelle Apple Retail France Eurl à compter du 29 octobre 2009, en qualité de spécialiste. La convention collective applicable est celle des commerces de papeterie, fournitures de bureau, de bureautique et informatique.

Par lettre du 13 juillet 2018, la société a convoqué le salarié à un entretien préalable à une éventuelle sanction disciplinaire qui s'est tenu le 25 juillet 2018 et qui a été suivi de la notification de son licenciement pour faute grave par lettre recommandée avec avis de réception du 30 juillet 2018.

Par requête reçue au greffe le 10 septembre 2018, le salarié a saisi le conseil de prud'hommes de Versailles afin de contester la légitimité de son licenciement et d'obtenir le paiement de diverses sommes.

Par jugement du 18 juin 2020, auquel renvoie la cour pour l'exposé des demandes initiales des parties et de la procédure antérieure, le conseil de prud'hommes de Versailles a :

- fixé la moyenne des salaires à 2 197 euros conformément à l'article R. 1234-4 du code du travail ;

- dit et jugé le licenciement de Monsieur [B] [J] sans cause réelle et sérieuse ;

- condamné en conséquence, la société Apple Retail France à régler à Monsieur [J] les sommes suivantes :

*12 000 euros au titre de l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse,

*4394 euros au titre de l'indemnité de préavis,

*439,40 euros au titre des congés payés afférents,

*1200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- dit que ces sommes porteront intérêts au taux légal, à compter de la date de la saisine ;

- dit que la société Apple Retail France devra restituer à Monsieur [J] 10 actions dites ' RSU';

- débouté les demandes de Monsieur [J] au titre de l'indemnité pour préjudice moral, de l'indemnité pour exécution déloyale du contrat de travail et au titre des chèques vacances ;

- ordonné à la société Apple Retail France, d'adresser à Monsieur [J], l'attestation Pôle emploi et le certificat de travail conformes à la présente décision, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, à compter de deux mois après la notification de la présente décision ;

- débouté Monsieur [J] de sa demande de production de bulletins de salaires rectifiés ;

- rejeté les demandes reconventionnelles de la société Apple Retail France au titre de l'indemnité de licenciement et de l'article 700 du code de procédure civile ;

- dit ne pas y avoir lieu au prononcé de l'exécution provisoire au titre de l'article 515 du code de procédure civile ;

- condamné la société Apple Retail France aux entiers dépens ;

- rejeté les demandes plus amples ou contraires des parties.

Par déclaration au greffe du 17 juillet 2020, la société a interjeté appel de cette décision.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Rpva le 10 juin 2022, auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet des moyens, la société demande à la cour de :

à titre principal :

- la déclarer recevable et bien fondée en son appel et en son appel incident ;

infirmer la décision du conseil de prud'hommes en date du 25 juin 2019 en ce qu'il a :

- fixé la moyenne des salaires à 2 197 euros conformément à l'article R. 1234-4 du code du travail ;

- dit et jugé le licenciement de Monsieur [B] [J] sans cause réelle et sérieuse ;

- l'a condamnée en conséquence, à régler à Monsieur [J] les sommes suivantes :

*12 000 euros au titre de l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

*4394 euros au titre de l'indemnité de préavis ;

*439,40 euros au titre des congés payés afférents ;

*1200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- dit que ces sommes porteront intérêts au taux légal, à compter de la date de la saisine ;

- dit qu'elle devra restituer à Monsieur [J] 10 actions dites 'RSU' ;

- lui a ordonné, d'adresser à Monsieur [J], l'attestation Pôle emploi et le certificat de travail conformes à la présente décision, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, à compter de deux mois après la notification de la décision ;

- rejeté ses demandes reconventionnelles au titre de l'indemnité de licenciement et de l'article 700 du code de procédure civile ;

- l'a condamnée aux entiers dépens.

confirmer la décision du conseil de prud'hommes de Versailles du 18 juin 2020 pour le surplus statuant à nouveau :

- déclarer que Monsieur [J] n'a subi aucune iniquité de traitement ;

- déclarer que Monsieur [J] n'a subi aucun acte d'exécution déloyale dans l'exécution de son contrat de travail ;

- déclarer que le licenciement de Monsieur [J] repose sur une faute grave ;

- déclarer que la procédure de licenciement n'est pas entachée d'irrégularité ;

- déclarer que Monsieur [J] est déjà propriétaire de ses 10 actions dites 'RSU' et qu'il est donc impossible de lui restituer.

en conséquence :

- débouter Monsieur [J] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions d'appel ;

- condamner Monsieur [J] à restituer la somme de 5539,76 euros au titre de l'indemnité de licenciement versée à tort.

en tout état de cause :

- condamner Monsieur [J] au paiement de la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Rpva le 13 juin 2022, auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet des moyens, le salarié demande à la cour de:

à titre principal :

- sur le licenciement pour faute grave :

confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Versailles du 18 juin 2020 en ce qu'il a :

- fixé la moyenne des salaires à 2197 euros

- dit et jugé son licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- condamné en conséquence, la société Apple Retail France à lui régler les sommes suivantes :

*12 000 euros au titre de l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

*4394 euros au titre de l'indemnité de préavis ;

*439,40 euros au titre des congés payés afférents ;

*1200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

l'infirmer pour le surplus, statuant à nouveau et y ajoutant :

- condamner la société Apple Retail France au paiement de la somme complémentaire de 5576 euros au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

à titre subsidiaire, dans l'hypothèse où la cour infirmerait le jugement entrepris en ce qu'il a dit

que le licenciement du salarié dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

- dire que la procédure de licenciement de celui-ci est entachée d'irrégularité ;

en conséquence :

- condamner la société Apple Retail France à lui verser la somme de 2197 euros au titre de cette irrégularité de procédure ;

- sur les actions dites 'RSU' détenues par celui-ci au jour de son licenciement :

confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit que la société Apple Retail France devra lui restituer 10 actions, dites 'RSU' ;

l'infirmer pour le surplus, statuant à nouveau et y ajoutant :

- condamner la société Apple Retail France à lui restituer 34 actions Apple, dites 'RSU' supplémentaires qu'il détenait au 30 juillet 2018 à la valeur du cours de bourse du jour où la cour rendra son arrêt, sous astreinte de 100 euros par action et par jour de retard, dans le délai d'un mois à compter de la signification de l'arrêt à intervenir ;

- subsidiairement, condamner la société Apple Retail France à lui verser la somme de 7102,63 euros au titre de la perte de chance de bénéficier de ses 44 actions, dites 'RSU', qu'il détenait au 30 juillet 2018 pour une valeur de 189,91 USD (soit 161,42 euros) ;

- sur les demandes formées au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail, le préjudice moral subi par le salarié et le chèque vacances 2018 :

infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Versailles du 18 juin 2020 en ce qu'il a :

- débouté ses demandes au titre de l'indemnité pour préjudice moral, de l'indemnité pour l'exécution déloyale du contrat de travail et au titre des chèques vacances ;

statuant à nouveau :

- dire que la société Apple Retail France a été particulièrement déloyale dans l'exécution de son contrat de travail

en conséquence :

- condamner la société Apple Retail France à lui verser la somme de 20 000 euros au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail par l'employeur ;

en tout état de cause :

- condamner la société Apple Retail France à lui verser la somme de 100 euros au titre du chèque vacances 2018 ;

- condamner la société Apple Retail France à lui verser la somme de 5000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi ;

- sur la remise des documents de fin de contrat :

confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Versailles du 18 juin 2020 en ce qu'il a:

- ordonné à la société Apple Retail France de lui adresser, l'attestation Pôle emploi et le certificat de travail conformes à la présente décision, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, à compter de deux mois après la notification de la présente décision ;

- dit que les sommes porteront intérêts aux taux légaux, à compter de la date de la saisine du conseil de prud'hommes

- rejeté les demandes reconventionnelles de la société Apple Retail France au titre de l'indemnité de licenciement de l'article 700 du code de procédure civile

en tout état de cause :

- ordonner à la société Apple Retail France d'avoir à lui adresser, le bulletin de paie rectificatif, l'attestation Pôle emploi et le certificat de travail conformes à l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard et par document, dans un délai de 30 jours à compter de la signification de l'arrêt à intervenir ;

- dire que la cour se réserve la liquidation de l'astreinte ;

- ordonner la capitalisation des intérêts

- condamner la société Apple Retail Store à lui payer la somme de 3 600 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- ainsi qu'aux entiers dépens.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 5 décembre 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Il résulte de l'article L.1235-1 du code du travail qu'en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, et que si un doute subsiste, il profite au salarié.

L'article L 1235-2 du même code prévoit notamment que la lettre de licenciement, précisée le cas échéant par l'employeur, fixe les limites du litige en ce qui concerne les motifs du licenciement. Les griefs doivent être suffisamment précis, objectifs et matériellement vérifiables.

La faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et implique son éviction immédiate.

L'employeur qui fonde le licenciement sur une faute grave commise par le salarié doit en justifier.

La lettre de licenciement du 30 juillet 2018 énonce :

' Monsieur,

En date du 13 juillet dernier, nous vous avons convoqué, par courrier remis en main propre, a un entretien préalable prévu le 25 juillet 2018, en vue de vous exposer les motifs pour lesquels nous envisagions de procéder à votre égard à une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'à votre licenciement.

Lors de cet entretien, pour lequel vous étiez assisté de Monsieur [N] [X], nous vous avons exposé les motifs nous conduisant à envisager une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'à votre licenciement. Les explications que vous nous avez fournies au cours de l'entretien ne nous ayant pas permis de modifier notre appréciation des faits nous sommes au regret de vous notifier par la présente votre licenciement pour faute grave.

Vous avez été embauché en sein d 'Apple le 29 octobre 2009 et exercez actuellement la fonction Spécialiste Technique au sein de l 'Apple Store de [Adresse 6]. Compte tenu de votre ancienneté au sein de l'Entreprise, vous maîtrisez les règles, procédures et bonnes pratiques en matière de relation client.

Or, nous avons reçu un courrier d'une cliente, en date du 10 juillet, se plaignant d 'un échange que vous avez eu sur le Store le 19 juin dernier et qui l'aurait particulièrement affecté. Lors de son passage en magasin, notre cliente, accompagnée de son père, a été gênée et humiliée par votre remarque lorsqu'elle se présenta à vous pour obtenir un rendez-vous. En effet, à l'approche de la Cliente, vous vous êtes adressé à l'un des collaborateurs se trouvant à proximité de vous en expliquant : tu vois c'est les lunettes, c'est comme ça que j'attire les minettes en jupe ». Ces propos rapportés par la Cliente dans son courrier sont plus que préjudiciables à l'image de l 'Entreprise et ne sauraient être tolérés.

Lors de votre entretien, vous avez nié l'ensemble des faits qui vous étaient présentés. Vous n'avez pas semblé prendre la mesure de la gravité des faits dont vous vous êtes rendu coupable.

Votre attitude, dans le cas présent, va à l'encontre, non seulement de la bonne exécution de votre

contrat de travail, mais également de nos principes de respect, défini par notre Code de

Compte tenu de la gravité des faits fautifs qui vous sont reprochés, votre maintien dans l'entreprise s'avère impossible. Votre licenciement pour faute grave prend donc effet immédiatement à la date de notification du présent courrier, le cachet de la poste faisant foi, sans indemnité de préavis ni de licenciement. Par ailleurs, la mise à pied à titre conservatoire dont vous avez fait l'objet ne vous sera pas rémunérée...'

L'employeur fait valoir que le licenciement pour faute grave est fondé en ce que le salarié a entaché l'image de marque de la société en allant à l'encontre des procédures applicables en son sein que celui-ci n'ignorait pas et auxquelles il avait été formé, soit du code de déontologie qui prévoit de 'se conduire avec respect et courtoisie envers ses clients, ses employés et les autres', du 'Credo' de la société qui précise : 'nous faisons au mieux pour inspirer nos clients à chacune de leurs visites pour que nos magasins soient un endroit convivial où il fait bon acheter, apprendre, créer, obtenir de l'aide et revenir.'. Il ajoute qu'il résulte du Règlement intérieur et du code précité que la méconnaissance de ces dispositions peut entraîner une sanction disciplinaire pour le salarié. La société considère qu'en ayant tenu les propos et adopté le comportement décrits dans la lettre de licenciement, selon elle déplacés et irrespectueux, le salarié a manqué à ses obligations, le jugement déféré étant critiquable en ce qu'il a commis une erreur d'appréciation en estimant que le courrier de réclamation ne permettait pas d'identifier son auteur ni le salarié. Elle indique fournir en cause d'appel l'attestation d'un collègue du salarié de nature à corroborer les faits reprochés à ce dernier.

Le salarié réplique que l'employeur qui de manière équivoque ne l'a pas mis à pied à titre conservatoire et lui a réglé une indemnité de licenciement, n'apporte pas d'élément permettant d'établir la matérialité des faits qui lui sont imputés, remettant en cause le courrier de réclamation faute de certitude quant à sa date, son auteur et l'identification formelle de la personne visée comme du collègue auquel celle-ci se serait adressée, ainsi que l'absence de toute enquête, formulant également des critiques à l'encontre du témoignage que l'employeur indique désormais produire, comme ne respectant pas la forme requise et n'étant pas probant notamment en ce qu'il ne comporte pas de précision temporelle et évoque un 'ami' accompagnant la cliente quand celle-ci précise que son père aurait été témoin des agissements.

Le document dactylographié à titre de 'lettre de réclamation' qui comporte le lieu et la date de son établissement, soit le 10 juillet 2018, et l'identité de son auteur suivie d'une signature, mentionne qu'il est destiné à une certaine '[L]' à 'Apple Store - [Adresse 6], ce même Apple Store étant cité en tant que lieu des faits. Il y est indiqué que les faits se sont déroulés le 19 juin 2018, que l'employé se trouvant à l'étage auquel la personne s'est adressée en tant que cliente était ' un grand monsieur à lunettes détenant une tablette rouge', et que le père de l'intéressée a été témoin des agissements dont elle a été victime, s'agissant selon elle de propos qu'elle qualifie d'offensants, d'un comportement 'déplacé' et d'un sentiment d'humiliation en ce que l'employé et le collègue auquel il s'est adressé ont 'rigolé'.

Or, outre l'absence d'élément de nature à préciser la date et les conditions dans lesquelles ce document a été porté à la connaissance de l'employeur alors que les faits évoqués se seraient produits un mois en amont de la date d'établissement indiquée, un doute subsiste quant à l'auteur du comportement dénoncé au vu de l'ensemble des éléments d'appréciation.

En effet, afin de corroborer les accusations portées à l'encontre du salarié, la société produit un mail qui n'est pas conforme aux prescriptions de l'article 202 du code de procédure civile notamment en l'absence des mentions et de toute pièce annexée exigées sur l'identité de l'auteur.

Au surplus, le contenu de ce document, qui comporte une date d'établissement au 4 août 2020 par '[O] [W]' depuis une adresse 'apple.com' et destiné à un certain '[S]' sans adresse de réception identifiable, ne permet pas de situer précisément la date des faits alors que son auteur évoque par ailleurs la venue de '[U]' non pas avec son père mais avec un 'ami'.

La cour relève, en outre, l'absence de témoignage de la personne censée avoir accompagné la cliente et avoir assisté aux faits et plus généralement de toute enquête sérieuse afin notamment d'identifier et d'interroger le collègue auquel les propos auraient été adressés et qui aurait ri. A cet égard, il n'est pas non plus inintéressant d'observer que l'employeur n'a pas cherché à éloigner le salarié de l'entreprise jusqu'à la notification de son licenciement.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que le licenciement disciplinaire est sans cause réelle et sérieuse.

Le jugement entrepris est dès lors confirmé sur ce chef.

Sur l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse :

Le salarié invoque un préjudice conséquent en raison de la privation injustifiée de son emploi et sollicite ainsi de voir porter le montant de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse au montant maximum prévu par la loi pour une ancienneté en années complètes égale à la sienne, quand l'employeur conclut à l'infirmation du jugement entrepris en ce qu'il alloue au salarié une indemnité de ce chef.

L'entreprise employant habituellement au moins onze salariés et le salarié ayant une ancienneté de huit années complètes, il convient d'allouer à ce dernier, âgé de 37 ans au moment de la rupture, en réparation du caractère injustifié de la perte de son emploi telle que celle-ci résulte, notamment, de ses capacités à retrouver un emploi au vu des éléments fournis, la somme de 15379 euros nets (sept mois de salaire brut mensuel de référence) à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en application des dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail.

Le jugement est donc infirmé quant au montant de l'indemnité allouée de ce chef.

Sur l'indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents :

Au vu des éléments d'appréciation, dont les éléments de calcul, et en application des dispositions des articles L. 1234-1 et L. 1234-5 du code du travail, le jugement doit être confirmé en ses dispositions relatives à l'indemnité compensatrice de préavis et aux congés payés afférents sauf à préciser que les montants alloués s'entendent nécessairement en brut.

Sur le chèque-vacances :

Le salarié soutient devoir obtenir la somme de 100 euros correspondant à la valeur du chèque- vacances attribué aux salariés en ce qu'il réunissait la condition de présence requise pour avoir été présent dans l'effectif le 31 décembre 2017 et le 31 mai 2018.

L'employeur réplique que le salarié ne fournit aucun élément de preuve permettant d'affirmer qu'il serait redevable d'un tel montant.

La preuve de l'obligation à paiement de l'employeur au titre d'un chèque-vacances ne ressort pas des éléments d'appréciation, notamment des bulletins de paie et d'un document comportant en entête le sigle de l'Ancv (Agence nationale pour les chèques-vacances) et daté du 1er juin 2018 annonçant l'arrivée ' en magasin' de tels chèques.

Le jugement déféré est dès lors confirmé sur ce chef.

Sur les actions gratuites :

Le salarié sollicite à titre principal la restitution de 44 actions dites 'Rsu' (Restricted Stock Units) et subsidiairement l'indemnisation de leur perte en raison de la rupture du contrat de travail en ce que l'employeur invoque un document intranet sans justifier de son caractère opposable et plus généralement ne démontre pas pouvoir lui imposer la perte d'actions acquises ou en voie d'acquisition alors que son compte 'E-trade' ne mentionne plus aucune action à la date de la rupture

L'employeur sollicite le rejet de toute demande formée de ce chef en ce que le droit de recevoir des options d'actions concernées se distinguant du droit de propriété des actions, les 34 unités d'actions offertes mais non encore acquises à la date de la rupture ont été perdues par le salarié qui est resté propriétaire des dix actions qu'il avait dores et déjà acquises à cette date.

Toutefois, il ne résulte d'aucun élément d'appréciation, sauf les affirmations de l'employeur sans offre de preuve, que le salarié est propriétaire des titres relatifs aux dix actions gratuites 'acquises', de sorte que la demande de restitution 'd'actions', à la supposer matériellement possible, n'est pas fondée.

En revanche, il ressort du compte E-trade du salarié, non utilement contredit par la société, que dans le cadre du plan d'actionnariat celui-ci a été, du fait de son licenciement abusif, privé d'une chance de se voir attribuer définitivement 44 actions gratuites avec leur valeur correspondante.

Il est constant que la réparation d'une perte de chance, qui doit être mesurée à la chance perdue, ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée.

Il en résulte qu'au vu des éléments d'appréciation il convient de ne faire droit qu'à la demande d'indemnisation de la perte de chance formée par le salarié dont le préjudice sera justement indemnisé par l'octroi de la somme de 5000 euros nets.

Le jugement entrepris est dès lors infirmé sur ces points.

Sur les dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail et pour préjudice moral :

Le salarié, qui indique notamment avoir évolué dans un climat professionnel difficile, générateur de stress et d'anxiété, ne justifie pas d'un préjudice distinct notamment en lien avec les manquements qu'il invoque au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail.

Le jugement est par conséquent confirmé en ce qu'il déboute le salarié de ses demandes de dommages et intérêts formées de ces chefs.

Sur les intérêts au taux légal :

Les intérêts au taux légal courront :

- sur les sommes de nature salariale, à compter de la date de présentation de la lettre recommandée de convocation de l'employeur devant le bureau de conciliation et d'orientation, ou de la première demande en justice qui en a été faite ;

- sur les autres sommes, à compter du présent arrêt.

Le jugement est donc infirmé sur ce point.

Il convient d'ordonner la capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil.

Sur la remise de documents :

Compte tenu des développements qui précèdent et au regard des éléments de la cause, la demande de remise sous astreinte d'une attestation Pôle Emploi et d'un certificat de travail conformes à l'arrêt est fondée. Il y est fait droit comme indiqué au dispositif. La cour n'entend pas se réserver le pouvoir de liquider l'astreinte.

Sur la demande reconventionnelle :

Le licenciement étant dénué de cause réelle et sérieuse, la demande reconventionnelle en répétition d'un indu d'indemnité de licenciement n'est pas fondée, le jugement étant encore confirmé sur ce chef.

Sur le remboursement des indemnités de chômage :

Par application de l'article L 1235-4 du code du travail, il y a lieu à remboursement par l'employeur des indemnités de chômage versées au salarié, dans la limite de cinq mois d'indemnités.

Une copie du présent arrêt sera transmise à Pôle Emploi.

Sur les frais irrépétibles :

En équité, il n'y a lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile qu'au profit du salarié auquel la somme de 3000 euros sera allouée de ce chef pour les frais irrépétibles de première instance et d'appel.

Sur les dépens :

Les entiers dépens de première instance et d'appel seront mis à la charge de l'employeur, partie succombante pour l'essentiel.

PAR CES MOTIFS :

La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire :

Infirme partiellement le jugement entrepris et statuant à nouveau sur le tout pour une meilleure compréhension et y ajoutant :

Dit sans cause réelle et sérieuse le licenciement disciplinaire de Monsieur [B] [J].

Condamne la société Apple Retail France à payer à Monsieur [B] [J] les sommes suivantes :

- 4394 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

- 439,40 euros bruts de congés payés afférents,

- 15379 euros nets à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 5000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour perte de chance,

Dit que les intérêts au taux légal courront :

- sur les sommes de nature salariale, à compter de la date de présentation de la lettre recommandée de convocation de l'employeur devant le bureau de conciliation et d'orientation, ou de la première demande en justice qui en a été faite ;

- sur les autres sommes, à compter du présent arrêt.

Dit qu'il y a lieu à capitalisation de ces intérêts conformément à l'article 1343-2 du code civil.

Condamne la société Apple Retail France à remettre à Monsieur [B] [J] une attestation Pôle Emploi et un certificat de travail conformes au présent arrêt, dans un délai de trente jours à compter de la notification de l'arrêt et sous astreinte de 30 euros par jour de retard passé ce délai, ce, pendant soixante jours.

Ordonne le remboursement par l'employeur des indemnités de chômage versées au salarié, dans la limite de cinq mois d'indemnités.

Dit qu'une copie du présent arrêt sera transmise à Pôle Emploi.

Condamne la société Apple Retail France à payer à Monsieur [B] [J] la somme de 3000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Déboute les parties pour le surplus.

Condamne la société Apple Retail France aux entiers dépens de première instance et d'appel.

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Monsieur Thierry CABALE, Président et par Madame Sophie RIVIERE, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 11e chambre
Numéro d'arrêt : 20/01539
Date de la décision : 16/02/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-02-16;20.01539 ?
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