COUR D'APPEL
DE VERSAILLES
Code nac : 14C
N°
N° RG 23/01032 - N° Portalis DBV3-V-B7H-VV4G
( Décret n°2011-846 du 18 juillet 2011, Article L3211-12-4 du Code de la Santé publique)
Copies délivrées le :
à :
[E] [Y]
Me Anna KOENEN
LE PROCUREUR GENERAL
CENTRE HOSPITALIER DE [Localité 9]
[K] [Y]
ORDONNANCE
Le 17 Février 2023
prononcé par mise à disposition au greffe,
Nous Madame Juliette LANÇON, conseiller à la cour d'appel de Versailles, délégué par ordonnance de monsieur le premier président pour statuer en matière d'hospitalisation sous contrainte (décret n°2011-846 du 18 juillet 2011), assistée de Madame Rosanna VALETTE greffier stagiaire en pre-affectation sur poste, avons rendu l'ordonnance suivante :
ENTRE :
Madame [E] [Y]
Actuellement hospitalisée au centre hospitalier de [Localité 9]
comparante, assistée de Me Anna KOENEN, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 35, commis d'office
APPELANTE
ET :
CENTRE HOSPITALIER DE [Localité 9]
[Adresse 2]
[Localité 9]
non représenté
Madame [K] [Y]
[Adresse 3]
[Localité 6]
non comparante, non représentée
INTIMES
ET COMME PARTIE JOINTE :
LE PROCUREUR GENERAL
[Adresse 4]
[Localité 5]
pris en la personne de Michel SAVINAS, avocat général, non présent à l'audience
A l'audience en chambre du conseil du 17 Février 2023 où nous étions Madame Juliette LANÇON assistée de Madame Rosanna VALETTE, greffier stagiaire en pre-affectation sur poste, avons indiqué que notre ordonnance serait rendue ce jour;
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Madame [E] [Y], née le 18 février 1974 à [Localité 7] fait l'objet depuis le 2 février 2023 d'une mesure de soins psychiatriques, sous la forme d'une hospitalisation complète, au centre hospitalier de [Localité 9], sur décision du directeur d'établissement, en application des dispositions de l'article L. 3212-3 du code de la santé publique, en urgence et à la demande d'un tiers, en la personne de Madame [K] [Y], sa mère.
Le 8 février 2023, Monsieur le directeur du centre hospitalier de [Localité 9] a saisi le juge des libertés et de la détention afin qu'il soit statué conformément aux dispositions des articles L. 3211-12-1 et suivants du code de la santé publique.
Par ordonnance du 13 février 2023, le juge des libertés et de la détention de Versailles a ordonné le maintien de la mesure de soins psychiatriques sous forme d'hospitalisation complète.
Appel a été interjeté le 14 février 2023 par Madame [E] [Y].
Madame [E] [Y], l'établissement de [Localité 9] et Madame [K] [Y] ont été convoqués en vue de l'audience.
Le procureur général représenté par Michel SAVINAS, avocat général, a visé cette procédure par écrit le 14 février 2023.
L'audience s'est tenue le 17 février 2023 à huis clos, sur demande de Madame [E] [Y].
A l'audience, bien que régulièrement convoqués, le centre hospitalier de [Localité 9] et Madame [K] [Y] n'ont pas comparu.
Le conseil de Madame [E] [Y] a soulevé les irrégularités suivantes :
-le défaut d'information de la commission départementale des soins psychiatriques
-l'absence de communication des observations du patient
-l'absence de communication des éléments de réinsertion ou de respect de la dignité de la personne.
Madame [E] [Y] a été entendue en dernier et a dit qu'elle vivait chez ses parents, que cela s'était mal passé à [Localité 8], que l'hôpital n'avait pas respecté six des onze articles de la charte de l'hospitalisation, qu'elle savait qu'elle était bipolaire depuis 2003, que depuis 2005, elle était suivie en Espagne, qu'elle avait pris 25 médicaments sans que cela ne fonctionne, qu'elle avait ensuite pris du lithium, que cela avait marché, qu'elle avait ensuite été hospitalisée pour des problèmes cardiaques, qu'elle était suivie par un psychiatre depuis 10 ans, qu'elle est arrivée en février dernier d'Espagne, que le médecin avait décidé d'enlever le lithium car cela entraînait des problèmes de reins, qu'elle avait essayé un nouveau médicament, mais que cela était un échec, qu'elle allait bien, qu'elle était libre, qu'elle faisait de la géologie de terrain et de la peinture, qu'elle avait souhaité retravailler en février dans la compagnie pétrolière, mais qu'il n'avait pas voulu la laisser rentrer, qu'elle avait fait un prêt de 2000 € pour remonter l'Espagne, qu'elle avait perdu son porte-monnaie sur une aire d'autoroute, qu'elle habitait chez ses parents, qu'elle avait dit qu'elle se jetterait dans la Seine, mais qu'elle ne l' aurait jamais fait car elle n'était pas suicidaire, que ses parents ne lui avaient rien donné à manger et la rejetaient car elle était malade, que sa pension alimentaire devait tomber en mars, qu'elle pourrait retourner en Espagne, qu'elle avait écrit une thèse sur sa bipolarité, que sa bibliographie faisait 600 pages, que sa vie était très compliquée, qu'elle était calme à l'hôpital, qu'elle avait déjà rempli deux cahiers, qu'elle ne se sentait pas malade, qu'elle était capable de travailler et que si les médecins ne la croyaient pas, c'est parce qu'ils ne connaissaient pas sa vie.
L'affaire a été mise en délibéré.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la recevabilité de l'appel
L'appel a été interjeté dans les délais légaux et il est motivé. Il doit être déclaré recevable.
Sur les irrégularités soulevées
Sur le défaut d'information de la commission départementale des soins psychiatriques
L'article L. 3212-5 du code de la santé publique dispose que « le directeur de l'établissement d'accueil transmet sans délai au représentant de l'Etat dans le département ou, à Paris, au préfet de police, et à la commission départementale des soins psychiatriques mentionnée à l'article L. 3222-5 toute décision d'admission d'une personne en soins psychiatriques en application du présent chapitre. Il transmet également sans délai à cette commission une copie du certificat médical d'admission, du bulletin d'entrée et de chacun des certificats médicaux mentionnés aux deuxième et troisième alinéas de l'article L. 3211-2-2 ».
L'article L. 3223-1 du même code dispose que « la commission prévue à l'article L. 3222-5 :
1° Est informée, dans les conditions prévues aux chapitres II et III du titre Ier du présent livre, de toute décision d'admission en soins psychiatriques, de tout renouvellement de cette décision et de toute décision mettant fin à ces soins ; »
L'article R. 3211-24 du même code dispose que « la saisine est accompagnée des pièces prévues à l'article R. 3211-12 ainsi que de l'avis motivé prévu au II de l'article L. 3211-12-1. Cet avis décrit avec précision les manifestations des troubles mentaux dont est atteinte la personne qui fait l'objet de soins psychiatriques et les circonstances particulières qui, toutes deux, rendent nécessaire la poursuite de l'hospitalisation complète au regard des conditions posées par les articles L. 3212-1 et L. 3213-1. »
L'article R. 3211-12 du même code dispose que « sont communiqués au juge des libertés et de la détention afin qu'il statue :
1° Quand l'admission en soins psychiatriques a été effectuée à la demande d'un tiers ou en cas de péril imminent, une copie de la décision d'admission motivée et, le cas échéant, une copie de la décision la plus récente ayant maintenu la mesure de soins, les nom, prénoms et adresse du tiers qui a demandé l'admission en soins ainsi qu'une copie de sa demande d'admission ;
2° Quand l'admission en soins psychiatriques a été ordonnée par le préfet, une copie de l'arrêté d'admission en soins psychiatriques et, le cas échéant, une copie de l'arrêté le plus récent ayant maintenu la mesure de soins ;
3° Quand l'admission en soins psychiatriques a été ordonnée par une juridiction, une copie de la décision et de l'expertise mentionnées à l'article 706-135 du code de procédure pénale ;
4° Une copie des certificats et avis médicaux prévus aux chapitres II à IV du titre Ier du livre II de la troisième partie de la partie législative du présent code, au vu desquels la mesure de soins a été décidée et de tout autre certificat ou avis médical utile, dont ceux sur lesquels se fonde la décision la plus récente de maintien des soins ; »
Il convient en premier lieu de rappeler qu'en application des articles précités, la preuve de l'information de la CDSP n'est pas une pièce obligatoire qui doit être envoyée au juge des libertés et de la détention lorsqu'il est saisi.
En l'espèce, il n'est pas démontré que cette commission ait été informée de la décision d'admission et des différents documents afférents à l'hospitalisation de Madame [E] [Y].
En application de l'article L. 3216-1 alinéa 2 du même code, l'irrégularité affectant une décision administrative prise en application des chapitres II à IV du titre 1er n'entraîne la mainlevée de la mesure que s'il en est résulté une atteinte aux droits de la personne.
En l'espèce, les décisions d'admission et de maintien notifiées à Madame [E] [Y] mentionnent que la CDSP peut être saisie « par courrier adressé à son président au [Adresse 1] ». Cette information est reprise dans la notification des droits.
De plus, Madame [E] [Y] a été également informée lors de cette notification qu'elle pouvait faire un recours devant le juge des libertés et de la détention, dont les coordonnées sont expressément indiquées, copie de cette notification lui ayant été remise. Ce recours peut se faire à tout moment, indépendamment du contrôle obligatoire dudit juge dès le début de la mesure. S'il est exact que le juge ne contrôle que la procédure et ne peut en aucun cas se substituer à l'avis médical, le patient peut à tout moment saisir le juge pour demander à ce que ce dernier ordonne une expertise médicale, ce que ce dernier peut également faire d'office, expertise pouvant suivant les conclusions de l'expert aboutir à la mainlevée de la mesure.
En conséquence, il n'est démontré aucun grief pour Madame [E] [Y]. L'ordonnance critiquée sera confirmée en ce qu'elle a rejeté ce moyen.
Sur l'absence de communication des observations du patient
L'article L.3211-3 du code de la santé publique mentionne que « lorsqu'une personne atteinte de troubles mentaux fait l'objet de soins psychiatriques en application des dispositions des chapitres II et III du présent titre ou est transportée en vue de ces soins, les restrictions à l'exercice de ses libertés individuelles doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées à son état mental et à la mise en 'uvre du traitement requis. En toutes circonstances, la dignité de la personne doit être respectée et sa réinsertion recherchée.
Avant chaque décision prononçant le maintien des soins en application des articles L. 3212-4, L. 3212-7 et L. 3213-4 ou définissant la forme de la prise en charge en application des articles L. 3211-12-5, L. 3212-4, L. 3213-1 et L. 3213-3, la personne faisant l'objet de soins psychiatriques est, dans la mesure où son état le permet, informée de ce projet de décision et mise à même de faire valoir ses observations, par tout moyen et de manière appropriée à cet état ».
En l'espèce, le certificat médical des 24 heures a été notifié à Madame [E] [Y] avec l'ensemble de ses droits et s'il n'est pas coché la case sur l'expression de son avis, elle a signé cette notification le jour même. S'il n'est pas mentionné sur le certificat médical des 72 heures qu'elle a pu faire des observations, la décision de maintien du même jour lui a été notifiée avec l'ensemble de ses droits, de sorte qu'en tout état de cause, aucun grief n'est démontré. Ce moyen sera rejeté.
Sur l'absence de communication des éléments de réinsertion ou de respect de la dignité de la personne
L'article L. 3211-3 du code de la santé publique dispose que « lorsqu'une personne atteinte de troubles mentaux fait l'objet de soins psychiatriques en application des dispositions des chapitres II et III du présent titre ou est transportée en vue de ces soins, les restrictions à l'exercice de ses libertés individuelles doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées à son état mental et à la mise en 'uvre du traitement requis. En toutes circonstances, la dignité de la personne doit être respectée et sa réinsertion recherchée ».
Si Madame [E] [Y] évoque le fait de ne pas avoir uriner pendant 28 heures ou d'avoir un traitement incompatible avec ses problèmes cardiaques, ces éléments ne sont étayés par aucun élément versé aux débats. Il n'est donc aucunement établi que l'hôpital ou quiconque ait pu ne pas respecter la dignité de Madame [E] [Y]. Concernant la recherche de la réinsertion, celle-ci passe par le soin et la reprise d'un traitement avant d'envisager une sortie, tel que cela ressort des différents certificats médicaux. Ce moyen sera rejeté.
Sur l'hospitalisation en date du 2 février 2023 sur la base d'un certificat médical daté du 25 janvier 2023
Madame [E] [Y] verse aux débats une décision d'admission en soins psychiatriques à la demande d'un tiers en urgence qui la concerne en date du 2 février 2023 et qui mentionne un certificat médical en date du 25 janvier 2023 du docteur [G] [N]. Néanmoins, le certificat médical initial du docteur [G] [N] versé au dossier est bien daté du 2 février 2023, tout comme la décision d'admission versée également qui mentionne ledit certificat du 2 février 2023. Il ne peut s'agir que d'une erreur matérielle. Ce moyen sera rejeté.
SUR LE FOND
Aux termes du I de l'article L. 3212-1 du code de la santé publique, « une personne atteinte de troubles mentaux ne peut faire l'objet de soins psychiatriques sur la décision du directeur d'un établissement mentionné à l'article L. 3222-1 du même code que lorsque les deux conditions suivantes sont réunies : 1° Ses troubles mentaux rendent impossible son consentement ; 2° Son état mental impose des soins immédiats assortis soit d'une surveillance médicale constante justifiant une hospitalisation complète, soit d'une surveillance médicale régulière justifiant une prise en charge sous la forme mentionnée au 2° de l'article L. 3211-2-1 ».
Le certificat médical initial du 2 février 2023 et les certificats et avis suivants des 3, 5 et 8 février 2023 détaillent avec précision les troubles dont souffre Madame [E] [Y]. L'avis médical motivé du 16 février 2023 du docteur [P] indique que « la patiente est hospitalisée dans notre service, dans le cadre d'une décompensation maniaque, avec des idées délirantes et des menaces d'auto agressivité.
Ce jour, la patiente présente un discours logorrhéique, une tachypsychie, des idées délirantes à thématique mégalomaniaque « dit ne plus travailler depuis 17 ans, mais elle a pu faire des découvertes en géologie que personne n'a pu découvrir jusqu'à présent, dit avoir voulu rencontrer le PDG de l'entreprise où elle a travaillé pour demander de l'embaucher de nouveau' ». Adhésion totale à ses délires, aucune conscience de leur caractère pathologique. Elle exprime également des idées de persécution centrées sur ses parents. Sa projection est inadaptée « dit être revenue en France, parce que sa situation sociale en Espagne est très précaire avec beaucoup de dettes, mais souhaite sortir pour repartir en Espagne ». Aucune conscience des risques pour elle. Banalisation de ses menaces suicidaires. La conscience des troubles est également mauvaise. « je suis guérie de la boulimie, j'ai marché plusieurs heures par jour pendant un an. » « je suis guérie de la bipolarité parce que je me sent libre ». Le risque de mise en danger reste élevé. Son état nécessite le maintien des soins en hospitalisation continue ».
Ce certificat médical est suffisamment précis pour justifier les restrictions à l'exercice des libertés individuelles de Madame [E] [Y], qui demeurent adaptées, nécessaires et proportionnées à son état mental et à la mise en 'uvre du traitement requis, l'intéressé se trouvant dans l'impossibilité de consentir aux soins en raison des troubles décrits, son état nécessitant des soins assortis d'une surveillance constante.
L'ordonnance sera donc confirmée en ce qu'elle a maintenu la mesure de soins psychiatriques de Madame [E] [Y] sous la forme d'une hospitalisation complète.
PAR CES MOTIFS
Statuant par ordonnance réputée contradictoire,
Déclarons l'appel de Madame [E] [Y] recevable,
Rejetons les moyens d'irrégularité soulevés,
Confirmons l'ordonnance entreprise,
Laissons les dépens à la charge du Trésor public.
Prononcé par mise à disposition de notre ordonnance au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées selon les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Le greffier, Le conseiller,