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16/03/2023 | FRANCE | N°20/02392

France | France, Cour d'appel de Versailles, 6e chambre, 16 mars 2023, 20/02392


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80C



6e chambre



ARRET N°



PAR DÉFAUT



DU 16 MARS 2023



N° RG 20/02392 -

N° Portalis DBV3-V-B7E-UDYE



AFFAIRE :



[D] [T]





C/

Me [O] [Z] [P]



AGS CGEA ILE DE FRANCE







Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 09 Octobre 2020 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CERGY PONTOISE

N° Section : A

N° R

G : F19/00401











Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



Me Jennifer SERVE





le :



Copie certifiée conforme délivrées à :



Pôle emploi



le :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE SEIZE MA...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80C

6e chambre

ARRET N°

PAR DÉFAUT

DU 16 MARS 2023

N° RG 20/02392 -

N° Portalis DBV3-V-B7E-UDYE

AFFAIRE :

[D] [T]

C/

Me [O] [Z] [P]

AGS CGEA ILE DE FRANCE

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 09 Octobre 2020 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CERGY PONTOISE

N° Section : A

N° RG : F19/00401

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Jennifer SERVE

le :

Copie certifiée conforme délivrées à :

Pôle emploi

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE SEIZE MARS DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Madame [D] [T]

[Adresse 5]

[Localité 6]

Représentant : Me Jennifer SERVE, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de VAL D'OISE, vestiaire : 87

APPELANTE

****************

Me [Z] [P] [O] (SELARL [P]) - Mandataire liquidateur de Monsieur [K] [M] [B] [J]

[Adresse 2]

[Localité 8]

Monsieur [M] [B] [J] [K] exerçant son activité sous le nom commercial 'PONEY CLUB DE [10]'

[Adresse 1]

[Localité 9]

INTIMES

****************

AGS CGEA ILE DE FRANCE

[Adresse 3]

[Localité 7]

S.E.L.A.R.L. MAITRE [E] [S] Es qualité de « Commissaire à l'éxécution du plan » de Monsieur [M] [K]

[Adresse 4]

[Localité 8]

PARTIES INTERVENANTES

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 20 Jjanvier 2023 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Isabelle CHABAL, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Catherine BOLTEAU-SERRE, Président,

Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller,

Madame Isabelle CHABAL, Conseiller,

Greffier en pré-affectation lors des débats : Domitille GOSSELIN,

M. [M] [K] est immatriculé au registre du commerce et des sociétés en qualité d'exploitant de l'activité de centre équestre exerçant l'enseignement de l'équitation sous le nom commercial de Poney club de [10], dont le siège social est situé [Adresse 1], dans le département du Val-d'Oise.

La convention collective applicable est celle du personnel des centres équestres du 11 juillet 1975.

Mme [D] [T], née le 20 mai 1975, a été engagée par contrat à durée indéterminée à temps partiel par M. [K] le 7 décembre 1999 en qualité de monitrice d'équitation.

Le 17 février 2015, le tribunal de grande instance de Pontoise a prononcé le redressement judiciaire du poney club et désigné en qualité de mandataire judiciaire, Maître [O] [Z] [P] et en qualité d'administrateur judiciaire, Maître [E] [S].

Le tribunal de grande instance de Pontoise a prononcé la poursuite d'activité, le 14 avril 2015 pour une période de 3 mois et le 21 juillet 2015 pour une période de 6 mois.

Le 16 février 2016, le tribunal de grande instance de Pontoise a prononcé l'arrêt du plan de redressement, fixé à 8 ans la durée du plan de continuation et désigné Maître [E] [S] en qualité de commissaire à l'exécution du plan.

Le 22 septembre 2018, Mme [T] a déposé plainte à l'encontre de M. [K] pour violence avec usage ou menace d'une arme suivie d'incapacité n'excédant pas huit jours, indiquant que le jour-même, après l'avoir insultée, son employeur lui a foncé dessus avec un engin agricole, sans lui causer de blessures physiques.

Mme [T] a été placée en arrêt de travail du 23 septembre 2018 au 4 novembre 2018.

A l'issue de sa visite de reprise du 5 novembre 2018, elle a été déclarée inapte par le médecin du travail dans les termes suivants : 'Mme [T] [D] est désormais inapte à son poste de monitrice d'équitation au sein du poney club de [10].'

Son arrêt de travail s'est poursuivi jusqu'au 30 juin 2019.

Par courrier du 27 novembre 2018, M. [K] a convoqué Mme [T] à un entretien préalable prévu le 7 décembre 2018, auquel la salariée n'a pas assisté.

Par courrier en date du 15 décembre 2018, M. [K] a notifié à Mme [T] son licenciement dans les termes suivants :

'Suite à la convocation à l'entretien préalable du 7 décembre 2018 où vous ne vous êtes pas présentée, je vous informe de ma décision de vous licencier en raison de votre inaptitude à occuper votre emploi, constatée le 5 novembre 2018 par le médecin du travail en raison de l'impossibilité de vous reclasser, compte tenu de la mention expresse dans l'avis du médecin du travail que « votre maintien dans un emploi serait gravement préjudiciable à votre santé ».

En conséquence, je ne peux maintenir le contrat de travail et je suis contraint de procéder à votre licenciement pour cause réelle et sérieuse.

Dans la mesure où vous êtes dans l'incapacité d'exécuter normalement votre travail pendant la durée du préavis prévue à la convention collective, aucun salaire ne vous sera versé à ce titre.

Vous pourrez vous présenter au bureau du Poney Club pour percevoir votre solde de tout compte et retirer votre certificat de travail et attestation Pôle emploi, à partir du 17 décembre 2018.'.

Par requête du 18 novembre 2019, Mme [T] a saisi le conseil de prud'hommes de Cergy-Pontoise aux fins de faire reconnaître le harcèlement moral dont elle a été victime, de voir déclarer son licenciement nul et subsidiairement dépourvu de cause réelle et sérieuse et en tout état de cause de voir dire que son licenciement (sic) a une origine professionnelle et de voir condamner M. [K] à lui payer diverses sommes salariales et indemnitaires.

M. [K] avait demandé au conseil des prud'hommes de :

- débouter Mme [T] de ses demandes,

- dire et juger que c'est par une erreur commise de bonne foi qu'il n'a pas retenu l'origine professionnelle du licenciement,

- condamner Mme [T] à lui payer en réparation du préjudice moral que la déloyauté de Mme [T] lui a causé : 5 000 euros,

- article 700 code de procédure civile : 4 000 euros.

Par jugement réputé contradictoire rendu le 9 octobre 2020, la section agriculture du conseil de prud'hommes de Cergy-Pontoise a :

- déclaré le jugement opposable à Maître [S], commissaire au plan de continuation de M. [K],

- dit que le licenciement de Mme [T] repose sur une cause professionnelle,

- condamné M. [K] à verser à Mme [T] les sommes suivantes :

° 8 345,24 euros net au titre du solde de l'indemnité spéciale de licenciement,

° 2 997,06 euros brut au titre de l'indemnité compensatrice de préavis (1 498,53 euros x 2),

° 1 498,53 euros net au titre de l'indemnité spéciale de l'article 13-1 de la convention collective nationale,

° 500 euros net à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive,

° 1 000 euros net au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit que l'intérêt au taux légal court à compter de la date de réception de la convocation en ce qui concerne les créances salariales et à compter de la présente décision pour les autres sommes allouées,

- dit ne pas avoir lieu à préjudice moral (sic),

- dit qu'à défaut d'une mise à disposition des documents, au plus tard le 2 novembre 2020, la société sera astreinte au paiement d'une pénalité de 50 euros par document et par jour de retard, le conseil se réservant le droit de liquider l'astreinte,

- ordonné l'exécution provisoire de la décision avec mise sous séquestre des sommes relatives à l'indemnité de licenciement et à l'indemnité compensatrice de préavis,

- débouté Mme [T] du surplus de ses demandes,

- débouté M. [K] de ses demandes reconventionnelles,

- mis les éventuels dépens de l'instance à la charge de la partie qui succombe.

Mme [T] a interjeté appel de la décision par déclaration du 26 octobre 2020.

Elle a signifié sa déclaration d'appel à M. [K] (à étude) et à Maître [S] (à domicile) par actes d'huissier de justice du 10 décembre 2020 en application de l'article 902 du code de procédure civile.

Par jugement du 18 mai 2021, le tribunal judiciaire de Pontoise a prononcé la résolution du plan de redressement de M. [K], ouvert une procédure de liquidation judiciaire et désigné Maître [O] [Z] [P], membre de la SELARL [P], en qualité de liquidateur judiciaire.

Par actes d'huissier de justice signifiés le 7 juillet 2022, Mme [T] a assigné en intervention forcée Maître [O] [Z] [P], représentant la SELARL [P], ès qualités de liquidateur judiciaire de M. [K] (à domicile) et l'AGS CGEA d'Ile de France (à personne), en leur signifiant ses conclusions n°2 et la déclaration d'appel.

Par conclusions n°2 adressées par voie électronique le 8 juillet 2022, Mme [T] demande à la cour de :

- juger Mme [T] recevable et bien fondée en ses demandes,

- Infirmer le jugement déféré en ce qu'il a :

« dit ne pas avoir lieu à préjudice moral,

débouté Mme [T] du surplus de ses demandes »

Statuant à nouveau :

A titre principal :

- juger que Mme [T] a été victime de harcèlement moral,

- juger que le licenciement de Mme [T] est nul,

En conséquence :

- fixer au passif de la liquidation judiciaire de M. [K] les sommes suivantes :

- indemnité pour nullité du licenciement : 28 472,07 euros,

- dommages et intérêts en réparation du harcèlement moral : 50 000 euros,

A titre subsidiaire :

- Juger que le licenciement de Mme [T] est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

En conséquence :

- Fixer au passif de la liquidation judiciaire de M. [K] la somme de 22 477,95 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

En tout état de cause :

- Fixer au passif de la liquidation judiciaire de M. [K] les sommes suivantes :

° dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail : 5 000 euros,

° dommages et intérêts pour défaut de respect des visites médicales obligatoires : 5 000 euros,

° dommages et intérêts pour remise tardive des documents de fin de contrat et des sommes dues au titre du solde de tout compte : 5 000 euros,

- Déclarer la décision à intervenir opposable à Maître [Z] [P], ès qualités de liquidateur judiciaire de M. [K],

- Déclarer la décision à intervenir opposable à l'AGS CGEA,

- Ordonner à Maître [Z] [P] la remise des bulletins de paie correspondant aux mois de mai 2017, juillet 2018 et novembre 2018, sous astreinte de 100 euros par document et par jour de retard, sous quinzaine à compter de la notification de la décision à intervenir,

- Ordonner à Maître [Z] [P] la remise d'un certificat de travail, d'une attestation destinée au Pôle emploi, d'un solde tout compte, et d'un bulletin de paie récapitulatif, conformes à la décision à intervenir, sous astreinte de 100 euros par document et par jour de retard sous quinzaine à compter de la notification décision à intervenir,

- Fixer au passif de la liquidation judiciaire de M. [K] la somme de 3.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- Rappeler que les intérêts au taux légal courent de plein droit à compter de la saisine du conseil de prud'hommes, soit le 11 février 2019, et les faire courir à compter de cette date sur les créances de nature indemnitaire par application de l'article 1231-6 du code civil,

- Statuer ce que de droit quant aux dépens,

- Confirmer le jugement déféré pour le surplus.

Par courrier adressé par voie postale le 8 juillet 2022, l'UNEDIC AGS CGEA de [Localité 11] a informé la cour qu'au vu de l'objet du litige, elle ne sera ni présente ni représentée lors de l'audience, s'en est rapportée à la sagesse de la cour et a rappelé les conditions de son intervention.

Maître [E] [S] et Maître [O] [Z] [P] n'ont ni constitué avocat ni conclu.

Par ordonnance rendue le 18 janvier 2023, le magistrat de la mise en état a ordonné la clôture de l'instruction et a fixé la date des plaidoiries au 20 janvier 2023.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

MOTIFS DE L'ARRET

Sur le harcèlement moral

Mme [T] relate qu'elle a été victime de l'agressivité verbale récurrente de M. [K], son comportement violent se traduisant finalement par une agression physique le 22 septembre 2018, ces faits constituant un harcèlement moral.

En application des dispositions de l'article L. 1152-1 du code du travail, « aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. »

Le harcèlement moral se caractérise par la conjonction et la répétition de faits, qui peuvent se dérouler sur une brève période, dont est l'objet un salarié qui subit à titre personnel une dégradation de ses conditions de travail.

Aux termes de l'article L. 1154-1 du même code, « Lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 [...], le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. ».

Pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il y a lieu d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il y a lieu d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce, Mme [T] invoque les faits suivants :

* les humiliations répétées, les insultes, les violences psychologiques.

Elle justifie que son employeur s'est montré régulièrement insultant, irrévérencieux et particulièrement agressif envers elle en produisant les attestations suivantes :

- de Mme [Y] [R] qui relate avoir assisté à une altercation entre Mme [T] et M. [K] en juin 2018 ; que lorsque Mme [T] a demandé à M. [K] de nourrir les poneys pour pouvoir pailler les écuries, il "lui a répondu par un bras d'honneur et en criant "je n'ai pas d'ordres à recevoir de vous"" (pièce 8),

- de Mme [L] [C] qui écrit : "Je travaille au poney club de [10] depuis 9 ans et j'assiste quotidiennement à des comportements extrêmement déplacés de M. [M] [K]. J'en ai moi-même fait les frais et j'ai contacté l'inspection du travail, n'en pouvant plus de ce harcèlement violent qui me faisait régulièrement rentrer chez moi en pleurant. Cette agressivité de M. [K] touchait aussi Mme [T] qui au minimum tous les mois finissait la journée en pleurant. Ce sont des insultes QUOTIDIENNES, des bras d'honneur, des bousculades. Il lui lançait du matériel (ex : licols, seaux, tables !...) agressivement. Cela faisait quelques temps (1 an environ) que Mme [T] avait peur de rester en sa présence (tout comme moi) et M. [U] [H] (parfois d'autres clients aussi) restait en permanence avec Mme [T] jusqu'à la fin du travail d'écurie (qui se faisait avec la présence de M. [K], présence menaçante) afin qu'elle puisse terminer son travail sereinement" (pièce 9),

- de Mme [X] [F], employée du club de 2009 à 2014, qui relate qu'elle a "assisté à de nombreuses scènes où M. [K] se montrait insultant envers Mme [T], la dénigrant sans cesse, toujours devant les clients". Elle relate que M. [K] pouvait s'adresser à Mme [T] en lui disant "grosse conne", "tu me fais chier", "bonne à rien", en lui faisant des bras d'honneur ou en faisant mine de lui porter des coups derrière la tête. Elle relate que la situation s'aggravait d'année en année et que les altercations sont devenues de plus en plus violentes et les insultes de plus en plus dures et dégradantes, ce qui l'a elle-même motivée à quitter le club en 2014 (pièce 40).

- de M. [I] et Mme [W], clients du club, qui relatent les agissements désagréables de M. [K] envers les clients et les salariés du centre équestre : insultes adressées aux monitrices, notamment Mme [T], propos antisémites, la boisson influant sur son humeur (pièces 41 et 42).

* les violences physiques

Mme [T] justifie avoir subi deux agressions physiques en deux mois de la part de M. [K]:

- le 8 juillet 2018 :

M. [A] [N] relate avoir été témoin d'une scène le 8 juillet 2018 au cours de laquelle, alors que Mme [T] était revenue au club après son travail pour mettre des tables en place pour une fête, M. [K] lui a dit "tu as 3 secondes pour nourrir les poneys". Mme [T] ayant refusé au motif qu'elle avait fini son service, "M. [K] est alors arrivé vers elle et a balancé la table violemment". M. [N] indique être intervenu pour prendre M. [K] à la ceinture afin de l'éloigner de Mme [T], que Mme [T] lui a demandé de se calmer et que M. [K] est revenu vers elle en disant "tu entends ce que je vais te dire jamais je ne me calmerai" (pièce 10),

- le 22 septembre 2018 :

Le 22 septembre 2018, Mme [T] a déposé plainte à l'encontre de M. [K] en relatant que le jour-même à 13 h 45, elle a eu une altercation verbable avec son employeur, qui l'a insultée à plusieurs reprises et qui lui a foncé dessus avec un engin agricole (Bobcat), volontairement selon elle, sans lui causer de blessures physiques, en lui disant qu'il allait la "virer" (pièce 7).

M. [U] [H], témoin des faits, les confirme dans une attestation (pièce 11).

Mme [T] justifie avoir fait l'objet d'un arrêt de travail suite à ces faits, du 23 septembre 2018 au 23 décembre 2018. Le médecin du travail a souligné le 10 octobre 2018 l'état de détresse psychologique de Mme [T] et la nécessité de l'extraire de sa situation de travail (pièce 13). Il l'a déclarée inapte à exercer ses fonctions au sein du centre équestre qui l'employait (pièce 14). Elle présentait toujours un état anxio-dépressif caractérisé début 2019 qui a motivé la prolongation de son arrêt de maladie jusqu'au 30 juin 2019 (pièces 37 à 39 et 52). Son état a été reconnu comme constituant une maladie professionnelle par le comité régional de reconnaissance de maladie professionnelle le 5 septembre 2019 (pièce 55).

Le conseil de prud'hommes a considéré que les faits étaient insuffisamment constitutifs de harcèlement moral, les dires et les attestations de la demanderesse étant contredits par les dires et les attestations de l'employeur. Il a cependant relevé que ce dernier avait des comportements caractériels mais que sa consommation excessive d'alcool influait sur son humeur.

Or, la consommation excessive d'alcool ne saurait excuser ni les insultes proférées de manière réitérée par M. [K] à l'encontre des salariés du club et de Mme [T] en particulier ni les comportements violents de ce dernier.

L'inspection du travail a rédigé un procès-verbal à l'encontre de M. [K] en qualité d'auteur de faits de harcèlement moral, qui a été transmis au Parquet (pièce 30).

Les faits ainsi matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail.

Il appartient à l'employeur de prouver que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En première instance, M. [K] a reconnu certains aspects défavorables de sa personnalité (notamment la boisson) mais a prétendu qu'il ne correspond pas aux éléments décrits par la demanderesse, qui a constitué un dossier à charge contre lui.

Il ressort du courrier qu'il a adressé le 16 avril 2019 à Mme [T] (pièce 45) que M. [K] dénie sa qualité de victime de harcèlement à la salariée et écrit, après avoir rappelé que l'entreprise était en redressement judiciaire depuis 2015, que "Il m'arrivait effectivement de m'emporter parce que je ne comprenais pas toutes vos messes basses et cela m'exaspérait. J'évoluais dans un climat qui n'était plus le même avec mes salariés et au fur et à mesure, pour ma part, je me suis éloigné, incompris, exaspéré et en colère, d'où ma récente addiction qui, je dois dire, se tarit de jour en jour mais le mal infligé lui, sera long à se dissiper.", ce qui constitue une reconnaissance de son comportement inapproprié.

M. [K] ne prouve pas que les agissements invoqués sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

La décision de première instance sera en conséquence infirmée en ce qu'elle n'a pas retenu l'existence d'un harcèlement moral et la cour dira que Mme [T] a été victime de harcèlement moral.

Sur la nullité du licenciement

L'article L. 1152-3 du code du travail dispose que 'toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul.'

Le licenciement prononcé à l'encontre d'un salarié pour avoir subi des agissements de harcèlement moral est nul.

L'inaptitude définitive d'un salarié à son poste de travail ayant pour seule origine son état dépressif réactionnel aux agissements de harcèlement moral dont il a fait l'objet peut motiver la nullité de son licenciement.

En l'espèce, l'inaptitude professionnelle de Mme [T] est la conséquence des faits de harcèlement moral dont elle a été victime.

Il convient en conséquence d'infirmer la décision de première instance en ce qu'elle a rejeté la demande de prononcé de la nullité du licenciement et les indemnités afférentes et, statuant à nouveau, de dire nul le licenciement.

Sur les demandes indemnitaires

1 - sur l'indemnité pour nullité du licenciement

L'article L. 1235-3-1 du code du travail prévoit, si le licenciement est nul notamment pour faits de harcèlement moral, que le juge peut octroyer au salarié une indemnité à la charge de l'employeur qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Mme [T] demande une indemnité équivalente à 19 mois de salaire en exposant qu'elle avait 19 ans d'ancienneté, qu'elle n'a pas pu reprendre une activité de monitrice d'équitation compte-tenu de son traumatisme, qu'elle demeure inscrite au Pôle emploi et enchaîne les contrats précaires dans le domaine viticole, avec des revenus moindres.

Le salaire mensuel brut de Mme [T] s'élevait en août 2018 à 1 464,97 euros.

Elle était âgée de 43 ans et avait une ancienneté de 19 ans au sein de l'entreprise lorsqu'elle a été licenciée. Elle justifie avoir perçu des allocations de retour à l'emploi du 4 juin 2019 au 2 novembre 2020 et avoir été embauchée en contrats saisonniers pour des travaux de vendanges à l'automne 2019 et aux printemps-été et automne 2020.

Il apparaît justifié de lui allouer une indemnité de 15 000 euros correspondant à environ 10 mois de salaire brut, qui sera fixée au passif de la liquidation judiciaire de M. [K].

2 - sur la demande relative à l'obligation de sécurité

Mme [T] demande paiement d'une somme de 50 000 euros sur le fondement des articles L. 4121-1 et L. 1152-4 du code du travail, en faisant valoir que l'employeur a méconnu son obligation de sécurité en commettant des faits de harcèlement qui ont dégradé ses conditions de travail, porté atteinte à sa dignité et affecté sa santé. Elle expose qu'elle a dû travailler durant plusieurs mois dans des conditions dégradées, ce qui lui a causé un préjudice moral ; qu'elle a subi une perte de revenus entre le 23 septembre 2018 et son arrêt de travail pour maladie professionnelle du 6 novembre 2018, qu'elle n'a pas pu reprendre une quelconque activité professionnelle avant le 30 juin 2019 et qu'elle a subi un préjudice économique en devant vivre pendant six mois avec pour seules ressources les indemnités journalières.

L'obligation de sécurité qui résulte des articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail impose à l'employeur de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. L'employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par ces dispositions ne manque pas à son obligation de sécurité.

Il est établi par les pièces versées au débat que les faits de harcèlement moral subis par Mme [T] ont affecté son état psychique et physique durant de nombreux mois, ont conduit à la reconnaissance d'une maladie professionnelle et d'une inaptitude à l'exercice de son emploi sur son lieu de travail et ont nécessité un suivi et un traitement médical.

L'employeur, qui est l'auteur des faits de harcèlement moral, a ainsi manqué à son obligation de sécurité.

Au regard des faits et de leur répétition durant plusieurs années, il est justifié d'allouer une indemnisation de 3 000 euros à Mme [T], qui sera fixée au passif de la liquidation judiciaire de M. [K].

Sur l'exécution déloyale du contrat de travail

L'article L. 1222-1 du code du travail dispose que 'le contrat de travail est exécuté de bonne foi.'.

L'exécution déloyale du contrat de travail par l'employeur constitue une faute de sa part ouvrant un droit à réparation pour le salarié qui en subit un préjudice.

Mme [T] fait valoir que la déloyauté de M. [K] dans l'exécution du contrat de travail ressort des faits invoqués au titre du harcèlement moral, qu'elle a rencontré des difficultés de paiement des salaires qui lui étaient dus et qu'elle avait déjà dû faire intervenir l'inspection du travail et un conseil dans le cadre de sa grossesse.

Mme [T] produit des courriers de réclamation qu'elle a adressés à son employeur pour le paiement de ses indemnités journalières de maternité qui datent toutefois de 2008, soit 10 ans avant les faits litigieux et qui n'ont pas fait obstacle à la poursuite du contrat de travail par la suite.

Elle écrit en page 17 de ses conclusions : "si par extraordinaire le Conseil (sic) ne retenait pas la qualification de harcèlement moral, il jugerait que les faits susmentionnés caractérisent une exécution déloyale du contrat de travail". Le préjudice invoqué au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail est donc pour partie identique à celui invoqué au titre du harcèlement moral.

Elle justifie avoir adressé des courriers recommandés à son employeur le 15 décembre 2018 afin d'obtenir paiement d'un complément de salaire au titre du mois de novembre 2018 et le versement de son salaire pour la période du 6 au 14 décembre 2018 (pièces 19 à 21).

Cependant, ainsi que l'a retenu le conseil de prud'hommes, ce retard de paiement est intervenu alors que le poney-club faisait l'objet d'un plan de continuation. La demande de dommages et intérêts sera en conséquence rejetée, par confirmation de la décision entreprise.

Sur le défaut de respect des visites médicales

Mme [T] fait valoir que par trois fois elle n'a pas bénéficié de visites de reprises obligatoires à l'issue de ses congés maternité, alors qu'elle exerce un métier qui implique une station debout prolongée et le port de charges lourdes ; qu'il s'agit d'une atteinte grave à une obligation essentielle de l'employeur, laquelle ne peut rester impunie.

L'article R. 4624-31 du code du travail prévoit que le travailleur bénéficie d'un examen de reprise du travail par le médecin du travail notamment après un congé de maternité.

Le défaut de respect de ces dispositions constitue une faute de l'employeur. Cette faute peut entraîner l'allocation de dommages et intérêts au salarié qui en subit un préjudice.

Mme [T] invoque un manquement de son employeur à cet égard, qu'elle qualifie de grave, alors que ses enfants sont nés durant la relation de travail, les 15 novembre 2006, 18 mai 2008 et 6 juillet 2011, soit plus de huit ans avant l'introduction de son action en novembre 2019 et qu'il n'est pas démontré qu'elle a subi un préjudice du fait de l'absence de visites de reprise à ses retours de congé de maternité, en particulier par la réalisation d'un risque de descente d'organes qu'elle invoque.

Elle doit en conséquence être déboutée de sa demande, par confirmation de la décision entreprise.

Sur la remise tardive des documents de fin de contrat et du solde de tout compte

Mme [T] fait valoir qu'elle a dû réclamer à plusieurs reprises ses documents de fin de contrat et le paiement de son solde de tout compte.

La lettre de licenciement précisait que Mme [T] pourrait se présenter au bureau du poney-club pour percevoir son solde de tout compte, son certificat de travail et son attestation Pôle emploi à partir du 17 décembre 2018 (pièce 5).

Par courrier recommandé du 21 décembre 2018, Mme [T] a fait savoir qu'elle s'était déplacée au poney-club le jour-même et qu'aucun document ne lui avait été remis. Elle a mis son employeur en demeure de lui délivrer les documents sous 8 jours (pièce 22).

M. [K] lui a répondu le 31 décembre 2018 qu'il devait recevoir les documents de l'organisme qui gère les paies, qu'il ne les a reçus que le 28 décembre et qu'il attend encore l'attestation Pôle emploi (pièce 24). Il lui a adressé le 17 janvier 2019 les bulletins de salaire et un acompte de 4 000 euros sur le solde de tout compte (d'un montant total de 9 645,12 euros) en faisant valoir que le plan de continuation ne lui permettait pas de verser la totalité de la somme due (pièce 25).

Mme [T] a réclamé le solde de la somme due ainsi que le certificat de travail et l'attestation Pôle emploi par courrier du 24 janvier 2019 (pièce 29). Les documents lui ont été adressés le 31 janvier 2019 ainsi qu'une somme de 2 000 euros sur le solde de tout compte (pièce 51). Un nouveau chèque a été adressé par l'employeur le 1er avril 2019 à ce titre.

Ainsi, l'employeur a adressé à Mme [T] les documents de fin de contrat lorsqu'il les a tous reçus.

S'il est exact que le solde de tout compte n'a pas été immédiatement réglé à Mme [T], la cour observe d'une part que la société faisait l'objet d'un plan de continuation et d'autre part que la remise du solde de tout compte par fractions a également fait l'objet d'une demande d'indemnisation au titre de la résistance abusive en première instance, qui a donné lieu à l'allocation de la somme de 500 euros.

La demande sera rejetée, par confirmation de la décision entreprise.

Sur la remise des documents de fin de contrat

Il sera fait droit à la demande de remise d'un certificat de travail, d'une attestation Pôle emploi, d'un solde de tout compte et d'un bulletin de paie récapitulatif conformes au présent arrêt, sans qu'il y ait lieu de prononcer une astreinte.

Mme [T] n'invoquant aucun moyen au soutien de sa demande de remise sous astreinte des bulletins de paye correspondant aux mois de mai 2017, juillet 2018 et novembre 2018, cette demande sera rejetée.

Sur les demandes accessoires

Conformément à l'article L. 622-28 du code de commerce l'ouverture d'une procédure collective arrête le cours des intérêts légaux et conventionnels.

En l'espèce, l'instance prud'homale a été engagée alors qu'un plan de continuation était en cours pour M. [K]. La décision du conseil de prud'hommes a été rendue le 9 octobre 2020 avant la résolution du plan et l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire le 18 mai 2021.

En conséquence, les créances de nature salariale porteront intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation du conseil de prud'hommes et les créances indemnitaires porteront intérêts au taux légal à compter du jugement du 9 octobre 2020 qui en a fixé tout à la fois le principe et le montant, les intérêts cessant de courir à compter du 18 mai 2021.

L'arrêt sera déclaré opposable à Maître [Z] [P], ès qualités de liquidateur judiciaire de M. [K] et à l'UNEDIC AGS CGEA.

Les dépens de l'instance d'appel seront fixés au passif de la liquidation judiciaire de M. [K] et seront passés en frais privilégiés de liquidation judiciaire.

Il sera alloué à Mme [T] la somme de 1 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, qui sera fixée au passif de la liquidation judiciaire de M. [K].

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe, par défaut et en dernier ressort,

Infirme le jugement rendu le 9 octobre 2020 par le conseil de prud'hommes de Cergy-Pontoise en ce qu'il a dit ne pas avoir lieu à préjudice moral et qu'il a débouté Mme [D] [T] de ses demandes d'indemnité pour licenciement nul et de dommages et intérêts pour préjudice sur harcèlement moral,

Le confirme pour le surplus,

Dit que Mme [D] [T] a été victime de harcèlement moral,

Déclare nul le licenciement de Mme [D] [T] du 15 décembre 2018,

Fixe au passif de la liquidation judiciaire de M. [M] [K], exerçant sous le nom commercial Poney-club de [10], les sommes suivantes :

- indemnité pour licenciement nul : 15 000 euros,

- dommages et intérêts en réparation du harcèlement moral : 3 000 euros,

- article 700 du code de procédure civile : 1 000 euros,

Déboute Mme [D] [T] du surplus de ses demandes à ces titres,

Dit que les créances de nature salariale porteront intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation du conseil de prud'hommes et que les créances indemnitaires porteront intérêts au taux légal à compter du jugement du 9 octobre 2020, les intérêts cessant de courir à compter du 18 mai 2021,

Déclare l'arrêt opposable à Maître [Z] [P], ès qualités de liquidateur judiciaire de M. [M] [K], et à l'UNEDIC AGS CGEA,

Ordonne à Maître [Z] [P], ès qualités de liquidateur judiciaire de M. [M] [K], de remettre à Mme [D] [T] un certificat de travail, une attestation Pôle emploi, un solde de tout compte et un bulletin de paie récapitulatif conformes au présent arrêt,

Rejette la demande de prononcé d'une astreinte,

Rejette la demande de remise sous astreinte des bulletins de paye correspondant aux mois de mai 2017, juillet 2018 et novembre 2018,

Fixe au passif de la liquidation judiciaire de M. [M] [K] les dépens de l'instance d'appel,

Dit que les dépens d'appel seront passés en frais privilégiés de liquidation judiciaire.

Arrêt prononcé publiquement à la date indiquée par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme Catherine Bolteau-Serre, président, et par Mme Domitille Gosselin, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 6e chambre
Numéro d'arrêt : 20/02392
Date de la décision : 16/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-16;20.02392 ?
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