COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
15e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 23 MARS 2023
N° RG 20/00699 - N° Portalis DBV3-V-B7E-TZPD
AFFAIRE :
S.A. ESRI FRANCE
C/
[I] [K] épouse [B]
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 16 Janvier 2020 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOULOGNE-
BILLANCOURT
N° Section : E
N° RG : 17/01624
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Christophe PETTITI
Me Alina PARAGYIOS de la SELEURL CABINET A-P
Expédition numérique délivrée à : PÔLE EMPLOI
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT TROIS MARS DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
S.A. ESRI FRANCE
N° SIRET : 348 499 740
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentant : Me Christophe PETTITI, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D1264
APPELANTE
****************
Madame [I] [K] épouse [B]
née le 14 Mars 1968 à [Localité 5]
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentant : Me Alina PARAGYIOS de la SELEURL CABINET A-P, Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : A0374
Représentant : Me Pierre BEFRE, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : A0374, substitué par Me PACHY François, avocat au barreau de PARIS
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 01 Février 2023 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Eric LEGRIS, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Régine CAPRA, Présidente,
Monsieur Thierry CABALE, Président,
Monsieur Eric LEGRIS, Conseiller,
Greffier en pré-affectation lors des débats : Madame Juliette DUPONT,
Greffier lors du prononcé : Madame Sophie RIVIERE
EXPOSE DU LITIGE :
A compter du 9 mai 2007, Madame [I] [K] a été engagée en qualité de responsable marketing opérationnel par la société anonyme Esri France, dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée. Depuis le 1er janvier 2014, elle exerçait des fonctions de responsable du pôle développement et suivi clients.
La relation de travail entre les parties est régie par la convention collective nationale des bureaux d'études techniques, des cabinets d'ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils. La société emploie habituellement au moins onze salariés.
Par courrier du 19 octobre 2017, la salariée a été convoquée à un entretien préalable de licenciement, lequel s'est tenu le 27 octobre suivant.
Par courrier du 8 novembre 2017, elle a été licenciée pour faute grave, son employeur lui reprochant en substance un comportement managérial inapproprié.
Par requête reçue au greffe le 19 décembre 2017, Madame [K] a saisi le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt, afin notamment de contester la légitimité de son licenciement et d'obtenir le paiement de diverses sommes.
Par jugement du 16 janvier 2020, auquel renvoie la cour pour l'exposé des demandes initiales des parties et de la procédure antérieure, le conseil de prud'hommes a :
- fixé le salaire mensuel brut de la salariée à 6.489 euros ;
- dit que le licenciement de la salariée était dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
- condamné la société à verser à la salariée les sommes suivantes :
- 4.566 euros au titre du salaire afférent à la mise à pied à titre conservatoire ;
- 456,60 euros au titre des congés payés y afférents ;
- 20.547 euros bruts au titre du préavis ;
- 2.054,70 euros bruts au titre des congés payés y afférents ;
- 23.971,50 euros nets au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement ;
- 50.000 euros nets au titre des dommages et intérêts ;
- 1.000 euros nets au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- débouté la salariée de ses autres demandes ;
- ordonné l'exécution provisoire au visa de l'article R. 1454-28 du code du travail ;
- ordonné le remboursement d'office aux organismes intéressés des indemnités de chômage versées à la salariée, dans la limite de trois mois ;
- condamné la société aux entiers dépens.
Par déclarations au greffe du 6 mars 2020, la société Esri France a interjeté appel de cette décision (procédures enregistrées sous le n° 20/00699 et le n° 20/00712).
Par ordonnance du 25 mai 2020, le magistrat chargé de la mise en état a ordonné la jonction des procédures sous le n° 20/00699.
Par ordonnance du 31 août 2022, le conseiller de la mise en état a notamment déclaré irrecevables les demandes formées par la société tendant à ce que les conclusions de la salariée déposées le 3 février 2022 et la pièce n° 44 figurant à son bordereau de communication de pièces soient écartées des débats.
Par dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 6 septembre 2022 auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens, la société expose notamment que :
- la production par la salariée d'un échange de courriers électroniques intervenu entre le médiateur et elle viole l'article 131-14 du code de procédure civile ainsi que le principe général de confidentialité attaché à la médiation et porte également atteinte aux règles du procès équitable, de sorte que la pièce n° 44 versée aux débats par la salariée et les conclusions qu'elle a notifiées le 3 février 2022 et postérieurement doivent être écartées des débats ;
- le licenciement pour faute grave de la salariée est fondé au vu des pièces qu'elle verse aux débats, lesquelles démontrent l'existence d'un comportement inapproprié d'un point de vue managérial de la salariée, lesquel pouvait avoir des conséquences directes sur la santé et le moral des collaborateurs ;
- subsidiairement, le licenciement de la salariée repose sur une cause réelle et sérieuse ;
- dès lors que la salariée n'apporte pas la preuve de ce qu'elle a fait l'objet d'une volonté manifeste et malicieuse de séparation, elle sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral, outre le fait qu'elle ne démontre nullement l'existence d'une faute de l'employeur détachable de sa demande formée au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Il demande donc à la cour de :
- Ecarter des débats les conclusions notifiées par la salariée le 3 février 2022 et toutes conclusions postérieures qui feraient état des échanges avec le médiateur et la pièce n° 44 de la salariée ;
- Infirmer le jugement en ce qu'il a considéré que le licenciement de la salariée ne reposait pas sur une faute grave et l'a condamnée à verser à cette dernière les indemnités légales et conventionnelles de licenciement (préavis et indemnité de licenciement et congés payés sur préavis), un rappel de salaire au titre de la mise à pied et des dommages et intérêts en réparation du préjudice consécutif à son licenciement ;
- Infirmer le jugement en ce qu'il l'a condamnée à rembourser aux organismes intéressés des indemnités de chômage versées à la salariée dans la limite de trois mois ;
- Infirmer le jugement en ce qu'il a alloué à la salariée une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Statuant à nouveau,
- Dire que le licenciement repose sur une faute grave ;
En conséquence,
- Débouter la salariée de l'ensemble de ses demandes ;
- Confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la salariée de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral ;
- Condamner la salariée aux entiers dépens.
En réplique, par dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 7 septembre 2022 auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens, la salariée, intimée, soutient en substance que :
- l'échange de courriers électroniques qu'elle a eu avec un médiateur et qu'elle verse aux débats (pièce n° 44) est intervenu en-dehors de toute médiation, la confidentialité de la médiation prévue à l'article 131-14 du code de procédure civile précisant le régime de la médiation et non la période antérieure à celle-ci ;
- son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse au vu du caractère infondé des griefs formulés à son encontre s'agissant de ses relations avec ses collaboratrices et sa hiérarchie, de l'absence de mesures mises en oeuvre par la société à la suite de l'enquête menée par le comité d'hygiène de sécurité et des conditions de travail, de la prise en compte de témoignages anonymes par l'employeur à son encontre et de l'impossibilité pour ce dernier de sanctionner un comportement prétendument connu depuis dix mois ;
- elle a subi un préjudice moral au vu des circonstances de son licenciement pour un motif fallacieux.
Par conséquent, elle demande à la cour de :
- Rejeter la demande de la société de voir écartées des débats sa pièce 44 et toutes conclusions qui en feraient état ;
- Confirmer le jugement en ce qu'il a requalifié son licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamné la société à lui verser les sommes de 4.566 euros à titre de rappel de salaire sur mise à pied à titre, 456,60 euros au titre des congés payés afférents, 20.547 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, 2.054,70 euros bruts au titre des congés payés afférents et de 23.971,50 euros nets au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement ;
- Infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société à lui verser la somme de 50.000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et l'a déboutée de ses autres demandes ;
En conséquence,
- Requalifier son licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- Condamner la société à verser les verser les sommes suivantes :
- 23.971,50 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement ;
- 20.547 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;
- 2.054,70 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;
- 68.490 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- 4.566 euros à titre de rappel de salaire sur mise à pied ;
- 456,60 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés afférents ;
- 54.792 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral ;
- 6.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner la société aux entiers dépens.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 4 janvier 2023.
MOTIFS :
Sur les conclusions notifiées le 3 février 2022 par la salariée et la pièce n° 44 produite par la salariée :
Aux termes de l'article 131-14 du code de procédure civile, les constatations du médiateur et les déclarations qu'il recueille ne peuvent être ni produites ni invoquées dans la suite de la procédure sans l'accord des parties, ni en tout état de cause dans le cadre d'une autre instance.
En dehors des cas dérogatoires prévus par la loi, l'atteinte à l'obligation de confidentialité de la médiation impose que les pièces produites sans l'accord de la partie adverse, soient, au besoin d'office, écartées des débats par le juge.
En l'espèce, la salariée verse aux débats un échange de courriers électroniques daté du 20 octobre 2020 entre Monsieur [W] [N], médiateur, et elle.
Alors qu'il a été enjoint aux parties par le conseiller de la mise en état de se présenter à un rendez-vous d'information sur la médiation le 18 septembre 2018, les précisions apportées par le médiateur quant au motif de l'absence de poursuite de la procédure s'analysent comme des déclarations recueillies par ce dernier.
Par suite, dès lors que la société n'a pas donné son accord quant à la production de cette pièce dans le cadre de la présente procédure, il convient d'écarter des débats la pièce n° 44 versée aux débats par la salariée, dont la production ne suffit pas à remettre en cause
En revanche, le rejet de cette pièce n'est pas de nature à justifier le rejet des conclusions de la salariée.
Sur le licenciement :
La faute grave, qui peut seule justifier une mise à pied conservatoire, est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.
La charge de la preuve de la faute grave pèse sur l'employeur.
Par ailleurs, en application de l'article L. 1235-1 du code du travail, il appartient au juge d'apprécier la régularité de la procédure de licenciement et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur. Il forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.
En outre, selon l'article L. 4121-1, alinéa 1er du code du travail, l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
Enfin, la lettre de licenciement fixe les limites du litige.
En l'espèce, la salariée s'est vu notifier son licenciement dans les termes suivants :
'Nous faisons suite à l'entretien préalable en date du 27 octobre 2017 et au cours duquel vous étiez assistée par Monsieur [G] [F]. Vous avez eu une conduite constitutive d'une faute grave.
En effet, le 23 septembre 2017, Madame [D] a eu un léger différend avec un client de notre société. Bien que Madame [D] reconnaisse que la réponse faite à la cliente est été 'un peu febrile et directe', vous n'avez eu des lors de cesse une attitude managériale humiliante, menacante, impérieuse, infantilisante et harcelante.
Vous avez déclaré à la collaboratrice qui était sous votre autorité ;
- que cet incident devait être considéré comme un échec professionnel.
- Que ce même incident vous mettait en doute de la qualité du travail de Madame [D] au regard des autres clients de son Portefeuille.
- Que vous repreniez l'affaire en direct avec privation de commissionnement de Madame [D] sur cette affaire.
Etant en incapacité de réaliser le devis vous-même, vous avez ordonné à Madame [D] de ne pas quitter son poste de travail tant que le devis ne serait réalisé. Alors que l'attitude normale de tout manager eu été d'accompagner la dite collaboratrice dans l'établissement de ce devis, vous avez quitté le bureau a 17h00 et pris un congé le lendemain. Vous avez toutes les 2 minutes de manière systématique demandé à Madame [D] où en était le devis et pour finir vous êtes mise à crier sous prétexte qu'elle ne répondait pas assez vite. Le 13 Novembre, Madame [X] vous a prévenu que Madame [D] s'était sentie mal et était montée voir la direction.
Le 16 novembre 2017, ne voyant pas Madame [D] à son poste, vous avez tenté à plusieurs reprises de joindre Madame [D]. vous nous avez demandé si nous avions des nouvelles et un arrêt. Je vous ai explicitement écrit que Madame [D] était arrêtée et que nous vous demandions de ne pas chercher a la contacter. A nouveau votre attitude a dépassé tout entendement, des demandes multiples sur l'arrêt, sa durée, alors même qu'on était au 1er jour de l'absence de Madame [D] et que nous n'avions pas reçu le document. Vous avez été jusqu'à demander tous les contacts commerciaux de Madame [D], souhaitant les prévenir par un message mail de son absence !
Malheureusement, ce comportement totalement inapproprié d'un point de vue managériale et pouvant ou ayant des conséquences directes sur la santé et le moral de nos collaborateurs n'est pas isolé.
A l'ordre du jour de la réunion DUP du 23 septembre 2017, les représentants du personnel demandait à l'entreprise de se saisir des problèmes relatifs 'au pole développement et suivi clients', du nombre de départs passés qui trouvaient leur origine dans la souffrance des collaborateurs et également de ceux qui étaient toujours là. S'en ai suivi, une enquête conduite par le CHSCT et le service ressources humaines. Vous n'êtes absolument pas s'en ignorer ce qui en est ressorti. Nous avons pris nombre de mesures, votre formation aux Risques psychosociaux et à leurs conséquences, des points réguliers avec moi-même, vous retirer le management de madame [R] qui était dans une grande souffrance et détresse liées à votre attitude.
Malgré tout, de nombreux éléments vont perdurer. Le 12 juillet, en réaction à des mails répétitifs et agressifs envers votre hiérarchie, celle-ci était amenée a vous répondre: '...Esri France s'inscrit dans le travail collaboratif, constructif, et positif pour améliorer notre performance tout autant que le bien-être de nos collaborateurs....que ton positionnement et attitude ne s'inscrive pas dans la posture que nous attendons de notre management et ce malgré nos rappels et formations dispensées....par ce type de mails et comportements que cherches tu à déclencher ''.
Nous avons aussi évoqué dans l'entretien du 27/10/2017, de nouveaux éléments portés à notre connaissance durant l'entretien de professionnalisation avec Madame [X] outre les faits de évoqués ci-dessus corroborant une nouvelle fois une inconduite inacceptable et nuisant tant à la santé de nos collaborateurs, qu'au bon fonctionnement de l'entreprise.
Lors de l'entretien, vous avez reconnu vous être emportée contre Madame [D]. En revanche, vous avez défendu que les personnes sous votre management fussent toutes des personnes fragiles, avec de nombreux problèmes personnels auxquels vous aviez du faire face. Nous n'avons entendu ni regrets ni remise en question.
De tels faits répétitifs et aggravant et ayant des répercussions directes sur le fonctionnement d'Esri France rendent impossible votre maintien dans notre entreprise même pendant un préavis. Votre licenciement prend effet à la première présentation de ce courrier sans indemnité de licenciement ni de préavis.
Nous vous rappelons que vous faites également l'objet d'une mise à pied à titre conservatoire. Par conséquent la période non travaillée du 19 octobre à présentation du courrier ne sera pas rémunérée.'
S'agissant du grief relatif au comportement de la salariée à l'égard de Madame [M] [D], il résulte des pièces produites par les parties que, le 29 septembre 2017, un incident a opposé cette dernière à une cliente de la société, Madame [D] ayant finalement indiqué à la cliente : 'je vous laisse bien volontiers demander le transfert de gestion de votre dossier à un collaborateur plus impliqué (...)'.
En sa qualité de responsable hiérarchique de Madame [D], il ne saurait être reproché à l'intimée d'avoir adressé un rappel à l'ordre à sa collaboratrice.
En parallèle, la société ne verse aucun élément probant permettant de démontrer la matérialité d'une quelconque 'attitude managériale humiliante, menaçante, impérieuse, infantilisante et harcelante' qu'aurait eue la salariée à l'égard de Madame [D].
A ce titre, le courrier électronique envoyé le 23 octobre 2017 par Madame [D] à Madame [J] [A], directrice des ressources humaines de la société, au même titre que les attestations qu'elle a établies concernant les propos et agissements reprochés à l'intimée, se basent sur ses seules déclarations.
S'il est constant que Madame [D] a notamment fait état auprès de Madame [A] de sa fatigue physique et mentale par courrier électronique du 16 octobre 2017 et qu'elle a été placée en arrêt de travail, cet élément ne saurait suffire à caractériser les faits reprochés à la salariée, en ce qu'il ne résulte d'aucun élément que la dégradation de son état de santé serait consécutive aux agissements reprochés à cette dernière.
De même, aucune conclusion ne saurait être tirée de la circonstance selon laquelle l'intimée a cherché à entrer en relation avec Madame [D] après avoir eu connaissance de son placement en arrêt de travail.
S'agissant du grief relatif au comportement de l'intimée à l'égard de Madame [C] [X], outre le fait que la lettre de licenciement apparaît excessivement vague sur ce point, l'employeur se borne à produire une attestation établie par Madame [X] s'agissait de l'attitude négative de la salariée à son égard, notamment lors de son dernier entretien d'évaluation.
Toutefois, ses affirmations ne sont corroborées par aucun élément. A l'inverse, la fiche d'évaluation individuelle portant sur la performance de l'année 2017 de Madame [X] laisse apparaître que cette dernière a qualifié son entretien avec l'intimée de 'constructif et positif'.
En outre, aux termes de la fiche d'évaluation individuelle, l'intimée a relevé que Madame [X] était régulièrement surchargée en raison d'une équipe 'toujours en sous-effectif'.
Ainsi, dans un contexte dans lequel l'intimée avait elle-même dénoncé auprès de sa hiérarchie le sous-effectif régulier de son équipe depuis deux ans (comme le montre le courrier électronique qu'elle a adressé à son directeur, Monsieur [L] [U], le 13 janvier 2017), elle ne saurait être mise en cause individuellement pour un manquement relevant de l'organisation de l'entreprise qu'elle avait dénoncée.
En tout état de cause, la société ne saurait valablement se référer au courrier électronique du 25 octobre 2016 pour dénoncer la manière employée par l'intimée à propos de Madame [C] [X], dès lors les critiques formulées par la salariée visaient une dénommée '[T]'.
Plus généralement, s'agissant du comportement de l'intimée à l'égard de ses collaborateurs, le procès-verbal de la réunion de la délégation unique du personnel du 23 septembre 2016 démontre qu'un lien a été établi dans le cadre de cette réunion entre le nombre de départs au sein du pôle 'développement et suivi Clients' (encadré par l'intimée) et une souffrance des collaborateurs.
Comme en atteste Madame [X], la synthèse des entretiens du pôle développement et suivi clients réalisée par les membres du CHSCT de la délégation unique du personnel à l'issue d'entretiens qui se sont déroulés les 8 décembre 2016 et 23 janvier 2017, à la suite de la réunion du 23 septembre 2016 indique que Madame [Z] [E], alors en arrêt de travail pour maladie depuis le mois de septembre 2016, 'ne vivait pas bien sa relation avec sa responsable'.
Cela étant, cette affirmation est excessivement générale et nullement étayée.
Concernant Madame [T] [R], la synthèse mentionne qu'elle était 'clairement en difficulté (...) dans son poste'. Toutefois, la synthèse précise que 'son malaise [était] notamment dû à sa fonction double, d'Assistante d'Agence et de Télévente'. Elle indiquait par ailleurs que sa situation l'amenait 'à adopter une attitude négative voire agressive qui fatigu[ait] ses collègues, lesquels limit[ai]ent de plus en plus leurs contacts avec elle'.
En tout état de cause, l'attestation aux termes de laquelle Madame [T] [R] reproche notamment à l'intimée son management 'de façon dictatoriale', fait état de la souffrance qui en résultait pour ses collaborateurs ne fait ressortir aucun élément précis et matériellement établi qui seraient imputable à la salariée.
Dans ce contexte, bien que le certificat médical du 22 juillet 2016 qu'elle verse aux débats fasse état de l'expression d'une 'souffrance au travail nette', aucun élément ne permet de mettre en relation cette situation avec le comportement prêté à l'intimée.
Madame [S] [H] atteste quant à elle qu'elle a quitté au mois d'août 2016 la société, dans laquelle elle '[s]e sentai[t] de plus en plus mise à l'écart, humiliée et rabaissée', en mettant en cause l'intimée.
Cela étant, s'il est constant que Madame [H] n'a pas été promue au cours de l'année 2016 et a été réengagée en 2018, ses allégations concernant le comportement de l'intimée à son égard (mise à l'écart, interpellations intempestives...) ne sont nullement démontrées.
Au-delà de ces cas individuels, si la synthèse précitée fait état d'une façon de communiquer 'souvent 'rude' parfois cassante et humiliante (réflexion en public, mail brutal dans la forme, tendance à trop contrôler', cette appréciation apparaît excessivement imprécise et n'est nullement circonstanciée.
De même, outre le fait que la société s'abstient de verser aux débats le courrier électronique du 6 février 2017 aux termes duquel il serait ressorti de l'enquête le 6 février 2017 le constat de l'existence de 'risques psychosociaux liés à un style de communication et management directif et répétitif', cette affirmation apparaît excessivement générale.
Dans la continuité des travaux précités, si le procès-verbal de la réunion de la délégation unique du personnel du 21 mars 2017 fait à la fois état de niveaux de plaisir au travail 'globalement bon' et de stress ressenti 'très important', il ne permet pas d'imputer à l'intimée un quelconque agissement fautif.
De façon générale, la société procède par des affirmations nullement étayées concernant un 'mode de management par la crainte propre au harcèlement', sans fournir d'élément probant au soutien de ses affirmations. A ce titre, le caractère nuancé des évaluations de ses collaborateurs est dépourvu de force probante
En tout état de cause, dans un contexte de sous-effectif, les éléments du dossier ne permettent d'imputer l'ambiance de travail au sein du pôle 'développement et suivi Clients' à un comportement imputable à la salariée, dont il convient de relever qu'elle a elle-même été placée en arrêt de travail pour maladie entre les 9 et 30 juin 2017 et entre les 19 octobre et 15 novembre 2017.
La cour précise que, s'il appartenait à l'employeur de mettre en oeuvre les mesures propres à préserver la santé et la sécurité de ses travailleurs, les éventuelles faiblesses de l'intimée dans ses aptitudes relationnelles avec ses collaborateurs ne sauraient suffire à caractériser un comportement fautif de cette dernière et à justifier la rupture de son contrat de travail.
En ce qui concerne les relations de la salariée avec sa hiérarchie et les courriers électroniques prétendument 'répétitifs et agressifs' qu'elle lui aurait adressés, les courriers électroniques adressés par la salariée à sa hiérarchie, particulièrement les 13 janvier et 6 juillet 2017 ne laissent apparaître aucun excès. Outre le fait que ces correspondances sont intervenues dans un contexte de réorganisation des fonctions de la salariée, générateurs de tension et d'inquiétudes de cette dernière quant à ses perspectives au sein de la société, il n'apparaît pas qu'elle ait été destinataire d'un rappel à l'ordre de son employeur quant à la tonalité employée dans son premier courrier électronique, dont la tonalité était directe sans pour autant être offensante.
En tout état de cause, il ne ressort du dossier aucune réitération de ce type de courrier électronique postérieurement à l'envoi par Monsieur [U] d'un message du 13 juillet 2017, par lequel il est remis en cause le comportement et la communication de l'intimée.
Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, l'employeur ne fournit aucun élément permettant de caractériser un comportement fautif de la salariée.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il dit le licenciement de la salariée dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Sur les conséquences du licenciement sans cause réelle et sérieuse :
Dans la mesure où son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, la salariée, qui disposait d'une ancienneté de dix ans et onze mois et percevait un salaire moyen de 6.849 euros bruts au moment de la rupture, est fondé à percevoir différentes sommes.
Dans la mesure où la mise à pied de la salariée est sans objet en ce que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, il lui sera alloué une somme de 4.566 euros bruts à titre de rappel de salaire correspondant à la mise à pied injustifiée, outre une somme de 456,60 euros bruts au titre des congés payés afférents (dès lors qu'il appartient à l'employeur d'établir qu'il a exécuté son obligation de paiement du salaire, il ne saurait se borner à se référer aux montants des retenues sur salaires tels qu'ils figurent sur les bulletins de paie du salarié).
La salariée, qui n'a pu accomplir le préavis d'une durée de trois mois prévu par l'article 15 de la convention collective nationale des bureaux d'études techniques, des cabinets d'ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils, sera indemnisée par le versement d'une indemnité de préavis d'un montant de 20.547 euros bruts, outre une somme de 2.054,70 euros bruts au titre des congés payés y afférents.
En application de l'article 19 de la convention collective, la salariée sera dûment indemnisée par le versement d'une somme de 23.971,50 euros bruts à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement (dans les limites de sa demande).
Enfin, compte tenu des circonstances de la rupture, de son ancienneté au service de la société, de son âge au moment de son licenciement (49 ans) et des difficultés de réinsertion professionnelle dont elle justifie, il lui sera alloué une somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, en application de l'article L. 1235-3 du code du travail en sa rédaction en vigueur du 24 septembre 2017 au 1er avril 2018.
Le jugement sera donc confirmé sur ces points.
Sur la demande de dommages et intérêts pour préjudice moral :
La salariée ne justifie aucunement d'un préjudice moral distinct du préjudice pour lequel elle a été indemnisé par le versement d'une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il la déboute de ce chef.
Sur le remboursement des indemnités de chômage :
S'agissant d'une salariée disposant de plus de deux ans d'ancienneté et d'une entité employant au moins onze salariés, il y a lieu de confirmer le jugement en ce qu'il ordonne à la société le remboursement aux organismes concernés des indemnités de chômage éventuellement versées à la salariée, dans la limite de trois mois, en application de l'article L. 1235-4 du code du travail.
Sur les autres demandes :
Il y a lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile et d'allouer à ce titre une somme de 3.000 euros à la salariée.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement et contradictoirement,
Ordonne le rejet de la pièce n° 44 produite par Madame [I] [K] comme étant contraire au principe de confidentialité de la médiation ;
Confirme le jugement rendu le 16 janvier 2020 par le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt ;
Y ajoutant :
Condamne la société anonyme Esri France à payer à Madame [I] [K] la somme de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;
Condamne la société anonyme Esri France aux dépens
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Régine CAPRA, Présidente et par Madame Sophie RIVIERE, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, La Présidente,