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08/06/2023 | FRANCE | N°21/01256

France | France, Cour d'appel de Versailles, 21e chambre, 08 juin 2023, 21/01256


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80A



21e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 08 JUIN 2023



N° RG 21/01256 - N° Portalis DBV3-V-B7F-UO7Y



AFFAIRE :



[P] [N]





C/



S.A.S. PHOTOBOX











Décision déférée à la cour : Jugement rendu

le 25 Mars 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de SAINT-GERMAIN-EN-LAYE

N° Chambre :

N° Section

: C

N° RG : F19/00185



Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :







Me Olivier BONGRAND de

la SELARL O.B.P. Avocats





Me Christophe DEBRAY,









le :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE HUIT JUIN D...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

21e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 08 JUIN 2023

N° RG 21/01256 - N° Portalis DBV3-V-B7F-UO7Y

AFFAIRE :

[P] [N]

C/

S.A.S. PHOTOBOX

Décision déférée à la cour : Jugement rendu

le 25 Mars 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de SAINT-GERMAIN-EN-LAYE

N° Chambre :

N° Section : C

N° RG : F19/00185

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Olivier BONGRAND de

la SELARL O.B.P. Avocats

Me Christophe DEBRAY,

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE HUIT JUIN DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Monsieur [P] [N]

né le 01 Septembre 1977 à [Localité 5]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par : Me Olivier BONGRAND de la SELARL O.B.P. Avocats, plaidant/constitué avocat au barreau de PARIS, vestiaire : K0136 - substitué par Me Muriel SCHAACK avocat au barreau de PARIS

APPELANT

****************

S.A.S. PHOTOBOX

N° SIRET : 428 703 979

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par : Me Christophe DEBRAY, avocat constitué au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 627 - Me Christine ARANDA de la SELARL LF AVOCATS, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0107 - Représentée par : substitué par Me Clémence ALIX avocat au barreau de PARIS

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 04 Avril 2023 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Thomas LE MONNYER, Président, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Thomas LE MONNYER, Président,,

Mme Florence SCHARRE, Conseiller,

Madame Véronique PITE, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Isabelle FIORE,

FAITS ET PROCÉDURE

M. [P] [N] a été engagé par contrat de travail à durée indéterminée, à compter du 2 juin 2009 en qualité d'opérateur de laboratoire, par la société Photobox, qui exerce une activité de développement de photos en ligne, emploie plus de dix salariés et relève de la convention collective de la photographie professionnelle.

En dernier lieu, le salarié occupait le poste d'opérateur de production.

Les 6 avril 2016 et 17 mai 2016, le médecin du travail a conclu à l'aptitude de M. [N] à son poste, tout en précisant l'impossibilité de travailler à proximité de produits solvants, indiquant notamment une « contre-indication absolue au travail » avec les « colles polyuréthannes ».

Le 31 juillet 2018, une altercation l'a opposé sur le lieu de travail à un de ses collègues, M. [E].

Convoqué le 1er août 2018 à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé au 27 août suivant et mis à pied à titre conservatoire, M. [N] a été licencié par lettre datée du 18 septembre 2018 énonçant une faute grave.

Contestant son licenciement, M. [N] a saisi, le 24 juin 2019, le conseil de prud'hommes de Saint Germain en Laye aux fins d'entendre juger le licenciement nul et subsidiairement dépourvu de cause réelle et sérieuse, ordonner sa réintégration et condamner la société au paiement de diverses sommes de nature salariale et indemnitaire.

La société s'est opposée aux demandes du requérant et a sollicité sa condamnation au paiement d'une somme au titre des frais irrépétibles.

Par jugement rendu le 25 mars 2021, notifié le 9 avril 2021, le conseil a statué comme suit :

Dit que les motifs invoqués dans la lettre de licenciement de la société Photobox adressée à M. [N] ne constituent pas une faute grave,

Dit que le licenciement de M. [N] repose sur une cause réelle et sérieuse,

Fixe le salaire mensuel brut de M. [N] à 1 521,51 euros,

Condamne la société Photobox à payer à M. [N] les sommes suivantes :

- 3 043 euros à titre d'indemnité de préavis, outre 304,30 euros au titre des congés payés afférents,

- 2 890,86 euros à titre de rappel de salaire sur la mise à pied conservatoire, outre 289,08 euros au titre des congés payés afférents,

- 3 579,28 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement,

- 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Ordonne la remise d'une attestation Pôle Emploi conforme au jugement à intervenir,

Déboute M. [N] du surplus de ses demandes,

Déboute la société Photobox de sa demande reconventionnelle sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Photobox à payer les intérêts de droit sur les salaires et éléments de salaire à compter du 1er juillet 2019 date de réception par le défendeur de la convocation à l'audience du bureau de conciliation et du prononcé pour le surplus,

Ordonne la capitalisation des intérêts sur le fondement de l'article 1343-2 du code civil,

Rappelle que par application de l'article R 1454-28 du code du travail l'exécution provisoire est de droit pour la remise de documents et pour les indemnités énoncées à l'article R 1454-14 dans la limite de 9 mois de salaire et fixe pour ce faire la moyenne des 3 derniers mois de salaire à la somme de 1 521,51 euros bruts,

Condamne la société Photobox aux entiers dépens de l'instance comprenant les frais d'exécution du jugement.

Le 27 avril 2021, M. [N] a relevé appel de cette décision par voie électronique.

Par ordonnance rendue le 15 mars 2023, le conseiller chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l'instruction et a fixé la date des plaidoiries au 4 avril 2023.

' Selon ses dernières conclusions notifiées le 23 février 2023, M. [N] demande à la cour d'infirmer le jugement en ce qu'il a dit que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse et en ce qu'il l'a débouté du surplus de ses prétentions et, statuant à nouveau, de :

A titre principal :

Annuler son licenciement compte tenu de la violation de sa liberté fondamentale d'expression et son droit à la dignité,

Ordonner sa réintégration à son poste au sein de la société,

Condamner la société à lui verser une indemnité nette de nature forfaitaire de 92 051 euros au titre de la réintégration pour nullité du licenciement, arrêtée à titre provisoire au 31 décembre 2022,

À titre subsidiaire :

Condamner la société à lui verser 30 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société à lui verser :

- 3 043 euros à titre d'indemnité de préavis, outre 304,30 euros au titre des congés payés afférents,

- 3 579,28 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement,

En tout état de cause :

Condamner la société à lui verser 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement de l'employeur à l'obligation d'assurer la sécurité et protéger la santé,

Confirmer le jugement en ce qu'il a dit que les motifs invoqués dans la lettre de licenciement de la société ne constituent pas une faute grave, fixé son salaire mensuel brut à 1 521,51 euros, condamné la société à lui payer 2 890,86 euros à titre de rappel de salaire sur la mise à pied conservatoire outre 289,08 euros au titre des congés payés afférents, 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ordonné la remise d'une attestation Pôle Emploi conforme, débouté la société de sa demande reconventionnelle sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, condamné la société à lui payer les intérêts de droit sur les salaires et éléments de salaire à compter du 1er juillet 2019 date de réception par le défendeur de la convocation à l'audience du bureau de conciliation et du prononcé pour le surplus, ordonné la capitalisation des intérêts sur le fondement de l'article 1343-2 du code civil, rappelé que par application de l'article R 1454-28 du code du travail l'exécution provisoire est de droit pour la remise de documents et pour les indemnités énoncées à l'article R 1454-14 dans la limite de 9 mois de salaire et fixe pour ce faire la moyenne des 3 derniers mois de salaire à la somme de 1 521,51 euros bruts, condamné la société aux entiers dépens de l'instance comprenant les frais d'exécution du jugement,

Débouter la société de l'ensemble de ses demandes

Condamner la société à lui verser 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais d'appel et la condamner aux entiers dépens.

' Aux termes de ses dernières conclusions, remises au greffe le 28 février 2023, la société Photobox demande à la cour de déclarer l'appel mal fondé et débouter M. [N] de l'ensemble de ses demandes :

Sur le licenciement :

A titre principal :

Infirmer le jugement entrepris en première instance, en ce qu'il a requalifié les faits en faute simple ;

Et statuant à nouveau,

Juger que le licenciement repose sur une faute grave ;

Par conséquent,

Débouter M. [N] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions à ce titre ;

A titre subsidiaire :

Confirmer, en toute ses dispositions, le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Saint-Germain-En-Laye ;

A titre infiniment subsidiaire :

Juger que le licenciement de M. [N] n'est pas nul ;

Par conséquent,

Limiter l'indemnisation de M. [N] à 3 mois de salaire ;

Sur la demande relative à un prétendu manquement à l'obligation de sécurité

Confirmer le jugement entrepris en première instance, en ce qu'il dit que M. [N] ne démontre pas l'existence d'un manquement à l'obligation de sécurité ;

En conséquence,

Débouter M. [N] de l'intégralité de sa demande indemnitaire.

Enfin, en tout état de cause, infirmer le jugement sur le surplus des demandes de M [N], débouter celui-ci de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et le condamner sur ce fondement à lui verser la somme de 2 000 euros, et à supporter les entiers dépens.

A l'audience, la cour a invité les parties à présenter leurs observations sur l'éventuelle irrecevabilité de la demande d'indemnisation formulée au titre du manquement à l'obligation de sécurité en ce que celle-ci serait fondée sur l'accident de travail dont M. [N] indique avoir été victime le 31 juillet 2018, les parties étant invitées à présenter une note sur ce point sous un délai de 10 jours.

Par note communiquée en cours de délibéré, M. [N] a indiqué ne pas avoir 'l'intention de solliciter l'indemnisation d'un accident du travail devant la juridiction prud'homale', la référence à l'accident n'ayant pour seul objet que de 'rappeler le contexte difficile dans lequel il était obligé d'évoluer'.

Par note en réponse, la société a affirmé que la cour n'aurait pas autorisé le dépôt d'une note en délibéré, de sorte que celle-ci devra être rejetée.

Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer aux écritures susvisées.

MOTIFS

Sur le manquement à l'obligation de sécurité :

Au soutien de sa demande d'indemnisation de ce chef, M. [N] invoque 'outre l'agression physique de son collègue subie sur le lieu de travail le 31 juillet 2018", le fait d'avoir quotidiennement travaillé au contact de produits solvants (colles diverses pour reliures et impressions) qui lui ont causé d'importants problèmes respiratoires et notamment de l'asthme.

Finalement par sa note en délibéré, que la cour a expressément autorisée, M. [N] indique ne pas fonder sa réclamation sur l'accident de travail du 31 juillet 2018.

La société Photobox objecte avoir toujours apporté toute son attention au respect et à la protection de la santé de M. [N] en soulignant qu'elle est à l'origine de la visite médicale de mai 2016 et qu'il est incapable de démontrer l'existence d'un préjudice ni l'étendue de celui-ci.

Selon l'article L. 4121-1 du code du travail, l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent : 1° des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail ; 2° des actions d'information et de formation ; 3° la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés. L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.

Ces mesures sont mises en oeuvre selon les principes définis aux articles L. 4121-2 et suivants du même code.

L'article R. 4121-1 prévoit que l'employeur transcrit et met à jour dans un document unique les résultats de l'évaluation des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs à laquelle il procède en application de l'article L. 4121-3, et l'article R. 4121-2 précise que la mise à jour du document unique d'évaluation des risques est réalisée 1° au moins chaque année 2° lors de toute décision d'aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail 3° lorsqu'une information supplémentaire intéressant l'évaluation d'un risque dans une unité de travail est recueillie.

Dès lors que le salarié invoque précisément, comme en l'espèce, un manquement professionnel en lien avec le préjudice qu'il invoque, il appartient à l'employeur de rapporter la preuve du respect de son obligation de sécurité à l'égard du salarié.

M. [N] soutient que l'employeur n'a pas respecté les recommandations du médecin du travail en date des 6 avril et 17 mai 2016, aux termes desquelles, tout en déclarant le salarié apte à son poste, il a émis une « contre-indication et absolue au travail » avec les « colles polyuréthannes » (Pièce 3).

L'appelant communique également l'avis de Mme [C] [D], pneumologue-allergologue, en date du 6 mai 2015 certifiant qu' '(il) ne peut être exposé aux produits chimiques', et une correspondance de ce même médecin, en date du 20 mai 2016, certifiant qu' '(il) présente un asthme quotidien sévère' et relevant que (l'intéressé) 'a été exposé plusieurs années à des produits chimiques asthmogènes et (qu'il) redoute de nouvelles expositions néfastes', invitant son interlocuteur non identifié à intervenir auprès de l'employeur. Le salarié verse enfin une étude portant sur les 'fiches données sécurité' qu'il a commandée auprès d'un laboratoire (OSE Services) lequel conclut que sur les 5 colles visées par ces fiches, 2 sont identiques (Henkel Aquence GA 7214) et relèvent des colles polyuréthannes.

S'il ne ressort effectivement pas de cette étude, ainsi que le relève la société intimée, que les 'fiches données sécurité', dont il n'est pas précisé l'origine, proviennent bien de l'entreprise, et que le salarié a bien été au contact de colles polyuréthannes postérieurement au 6 mai 2017, force est de constater que l'employeur ne peut se libérer de son obligation de ce chef en se contentant de préciser être à l'origine des visites de l'intéressé auprès de la médecine du travail.

Alors qu'il lui appartient de rapporter la preuve du respect de ces contre-indications, la société intimée qui ne soutient pas ne pas employer de colles polyuréthannes s'abstient de fournir le moindre élément de nature à justifier des mesures qu'il aurait effectivement prises afin de préserver son salarié de tout contact avec de tels produits.

Faute donc pour l'employeur de justifier avoir pris en compte les recommandations du médecin du travail et mis en oeuvre les mesures pour préserver la santé du salarié de ce chef, le jugement sera infirmé en ce qu'il a débouté le requérant de ce chef. Il lui sera alloué la somme de 7 500 euros de dommages-intérêts en réparation de son préjudice.

Sur le licenciement

Convoqué le 1er août 2018 à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 27 août suivant, M. [N] a été licencié pour faute grave par lettre fixant les limites du litige ainsi libellée :

' Monsieur,

[...]

Les motifs de licenciement sont ceux qui vous ont été exposés lors de l'entretien précité, à savoir :

1° le non-respect des procédures et des consignes

Le 26 juillet 2018, la chef d'équipe Mme [M] [L] vous a demandé de refaire la palette que vous aviez faite, car elle ne respectait pas les procédures de qualité mises en place (colis mal faits par exemple).

Ce n'est pas la première fois que vos chefs d'équipes vous demandent cela.

En effet, depuis 2017, vos supérieurs vous ont régulièrement demandés de refaire votre travail en suivant les procédures et les consignes mises en place.

Rappelons que vous avez même eu une procédure disciplinaire à votre encontre en avril 2017 qui a donné lieu à une mise à pied disciplinaire pour le même type de fait.

Lors de l'entretien du 27 août 2018 à 15h30, vous nous avez justifié ce non-respect de procédures qualités du fait que la palette était de travers dès votre arrivée ce jour-là.

Et vous avez reconnu connaître les procédures et les consignes pour réaliser une palette.

Ces arguments ne sauraient expliquer votre manque de respect des consignes et des procédures.

Et de tels faits contreviennent à notre règlement intérieur qui stipule à l'article 13 :

« Dans l'exécution de son travail, le personnel est tenu de respecter les instructions de ses supérieurs hiérarchiques, ainsi que l'ensemble des instructions diffusées par voie de notes de service et d'affichage. Tout acte contraire à la discipline est passible de sanctions »

2° Violence, non-respect de vos collègues et manque de loyauté

Le 31 juillet 2018, le chef d'équipe [T] [A] a fait remonter à votre supérieur hiérarchique que vous aviez eu une altercation avec M. [V] [Z] [E], qui prétend que vous l'avez insulté toute la journée et l'avoir « agrippé » par sa veste en fin de journée lors d'une dispute.

Vous avez expliqué que vos rapports avec M. [V] [Z] [E] n'étaient pas bons car régulièrement il vous filmait et prenait des photos de votre travail et l'état de vos palettes au travail sans que vous ayez donné votre accord.

Vous précisiez également avoir fait remonter ces faits au délégué syndical M. [U] [J], qui après vérification dément totalement vos allégations.

De plus vous n'avez jamais fait part de ces faits à votre hiérarchie jusqu'à l'entretien du 27 août.

Le 31 juillet 2018, vous nous avez précisé que vous avez reçu un coup de poing de la part de M. [V] [Z] [E] sans raison.

Or, vous avez informé votre chef d'équipe le jour même qu'il s'agissait d'une gifle.

Donc nous sommes contraints de constater que vos propos sont mensongers sur les faits qui se sont déroulés le 31 juillet dernier.

Et vous n'êtes pas sans savoir que la violence, sous toutes ces formes est interdite au sein de Photobox.

De plus de tels faits contreviennent aux dispositions de notre règlement intérieur, qui stipule à l'article 13 :

« Les membres du personnel doivent adopter dans l'exercice de leurs fonctions une tenue, un comportement et des attitudes qui respectent la liberté et la dignité de chacun.

Ils doivent de plus faire preuve de correction dans leur comportement vis-à-vis de leurs collègues et de la hiérarchie. »

Votre comportement est constitutif de manquements aux dispositions précitées et plus généralement à vos obligations professionnelles les plus élémentaires qui ne sauraient être tolérées.

Pour ces raisons, nous nous voyons donc contraints de vous notifier, par la présente, votre licenciement. [...]'.

Se prévalant du droit d'expression reconnu au salarié dans l'entreprise, et de la nullité sanctionnant tout licenciement attentatoire à cette liberté d'expression, M. [N] fait valoir que l'employeur l'a sanctionné 'pour avoir indiqué le 31 juillet 2018 qu'il avait reçu un coup de poing de la part d'un collègue et pour avoir indiqué le même jour qu'il s'agissait d'une gifle'. Contestant avoir tenu ces derniers propos à son chef d'équipe, il soutient ne pas avoir abusé de sa liberté d'expression en dénonçant le coup de poing reçu au visage. Il souligne que M. [E] a reconnu l'avoir agressé physiquement, tout en cherchant à relativiser la gravité des faits, et que le certificat médical dressé le jour même établit des blessures sur son visage. Il soutient donc être fondé dans son action tendant à la nullité du licenciement et en sa demande de réintégration assortie d'un rappel de rémunération.

La société plaide que la gravité des faits sanctionnés ne souffre d'aucune discussion. Affirmant que M. [A], chef d'équipe, a assisté à la rixe du 31 juillet 2018, et se prévalant de messages de Mme [S], responsable HSE, la société soutient que M. [N] s'est rendu coupable de violences, que sa version des faits est contredite par le témoignage du chef d'équipe, et que M [E] a dénoncé les humiliations, injures et menaces proférées par M. [N] à son endroit. L'intimée considère que c'est l'attitude déplacée et offensante adoptée par M. [N] à l'égard de son collègue qui est à l'origine de la rixe.

S'agissant de la nullité, la société qualifie l'argumentation développée par le salarié de fallacieuse, et lui objecte que son licenciement ne repose que sur 2 motifs disciplinaires distincts, à savoir 'le non respect des procédures et des consignes', d'une part, et la 'violence, le non respect de ses collègues et le manque de loyauté', d'autre part. Elle plaide que l'extrait de la lettre, aux termes duquel, la société relève que 'Le 31 juillet 2018, vous nous avez précisé que vous avez reçu un coup de poing de la part de M. [V] [Z] [E] sans raison. Or, vous avez informé votre chef d'équipe le jour même qu'il s'agissait d'une gifle. Donc nous sommes contraints de constater que vos propos sont mensongers sur les faits qui se sont déroulés le 31 juillet dernier', ne constitue nullement un motif ayant fondé le licenciement du salarié. Elle conclut que le salarié, conscient de la faiblesse de son argumentation, cherche à se retrancher derrière une prétendue atteinte à la liberté d'expression. À titre subsidiaire, l'intimée soutient que la réintégration du salarié est impossible.

Il résulte des articles L. 1121-1 du code du travail et 10, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales que sauf abus, le salarié jouit, dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d'expression, à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées.

Le licenciement prononcé par l'employeur pour un motif lié à l'exercice non abusif par le salarié de sa liberté d'expression est nul.

En l'espèce, le fait pour l'employeur de qualifier de 'mensongers' les propos tenus par le salarié relatifs au déroulement de l'agression qu'il indique avoir subie le 31 juillet 2018, en ce qu'il aurait signalé à l'auteur de la lettre de licenciement avoir reçu 'un coup de poing', mais à son chef d'équipe le même jour une 'gifle' s'analyse en un grief sur lequel l'employeur fonde pour partie le licenciement, lequel est donc bien en lien avec l'exercice par le salarié de sa liberté d'expression.

Ce grief étant constitutif d'une atteinte à la liberté d'expression reconnue au salarié, il appartient à l'employeur de rapporter la preuve qu'il l'a exercée de mauvaise foi et dans des termes excessifs pour être mensongers.

Si l'employeur ne rapporte nullement la preuve de ce que M. [N] aurait adopté ce jour là un comportement violent, dont M. [E] ne fait nullement état dans son message du 1er août 2018 (pièce n° 16 de la société intimée), il ressort du témoignage de ce dernier qu'il a reconnu avoir exercé un geste violent à l'égard de M. [N] :

« Hier s'en a été de trop donc je l'ai juste attraper par le cou avec ma main histoire de lui faire comprendre que sa suffisait et hetem a interprété ça en gifle ce qui n'est pas le cas ! (') je regrette cette incident je n'aurai pas dû et surtout j'aurai du en parler dès le début ! (') Merci de bien vouloir prendre mon mail en compte et encore une fois je suis sincèrement desoler ! [E] [V] [Z] »

Il ressort du certificat établi par Mme [H], médecin urgentiste à la polyclinique de [Localité 4], en date du 31 juillet 2018 que M. [N] présentait à l'examen 'une rougeur de l'oeil droit sans trouble cornéen et une douleur avec ecchymose de l'arcade sourcilière droite, ces blessures n'entraînant pas d'arrêt de travail sauf complications', ce médecin lui prescrivant le même jour un traitement 'ixprim si douleur' et du 'dacryoserum dans l'oeil droit toutes les 4 à 6 heures'.

Si l'employeur soutient que M. [A], chef d'équipe, aurait été témoin de l'altercation, qu'il n'aurait rien relevé sur le visage de M. [N] à l'issue de celle-ci, hormis un crachat, et que ce témoin aurait affirmé que le salarié ne se serait plaint que d'une gifle, il ne verse aucune attestation en ce sens de cette personne.

Il est remarquable de relever que si l'employeur tente de justifier la durée de la mise à pied conservatoire par l'organisation d'une mesure d'enquête, aucun élément n'est communiqué de nature à corroborer la mise en oeuvre d'une quelconque mesure d'investigation.

Les messages produits par l'employeur par lesquels Mme [S], responsable QHE, rapporte les propos que lui aurait tenus M. [A] sont dépourvus de force probante.

Il s'ensuit que non seulement M. [N] a, de bonne foi, signalé à sa hiérarchie l'agression physique qu'il a effectivement subie, mais l'examen médical auquel il s'est soumis le jour même a mis en évidence une rougeur de l'oeil droit et une ecchymose de l'arcade sourcilière droite, compatibles avec un geste violent porté au visage, peu important que celui-ci soit qualifié de coup de poing ou de gifle.

Faute pour l'employeur de démontrer que le salarié aurait dénoncé cette agression de manière abusive ou dans des termes excessifs, le jugement sera infirmé en ce qu'il a débouté M. [N] de sa demande de nullité du licenciement.

Sur les conséquences de la nullité du licenciement :

Le licenciement étant nul, le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné l'employeur au paiement des salaires retenus durant la période de mise à pied conservatoire soit la somme de 2 890,86 euros bruts outre 289,08 euros au titre des congés payés afférents.

Le salarié réclame sa réintégration dans son poste, et fait valoir que cette mesure s'impose à l'employeur dès lors que la nullité du licenciement résulte de la violation d'une liberté fondamentale. Il sollicite en outre le versement des salaires dont il a été privé depuis le 18 septembre 2018, date de son licenciement, jusqu'à sa réintégration effective dans son emploi, soit, arrêtée au 31 décembre 2022, la somme de 92 051 euros, et ce sans déduction des revenus perçus pendant la période couverte par la nullité, dès lors que celle-ci sanctionne la méconnaissance d'un droit fondamental garanti par la Constitution.

Se prévalant d'un arrêt du 23 octobre 2019 (n° 18-16.495) la société s'oppose à la réintégration qui serait impossible dès lors que l'emploi précédemment occupé par le salarié n'existe plus au sein de la société et que les postes équivalents sont pourvus. Elle estime qu'il doit en outre être tenu compte des éventuels revenus résultant de son éventuel nouvel emploi, et/ou de ses revenus de remplacement.

Le licenciement de M. [N] étant nul, le salarié, qui en fait la demande, doit être réintégré dans l'entreprise, dans l'emploi qu'il occupait, ou, en cas d'impossibilité, dans un emploi équivalent à celui qu'il occupait.

La société intimée ne fournissant aucun élément de nature à étayer la thèse selon laquelle le poste occupé serait pourvu et qu'aucun poste équivalent ne serait vacant, la demande de réintégration sera accueillie.

La nullité ayant été prononcée en raison d'une atteinte à une liberté fondamentale constitutionnellement garantie, en vertu de l'alinéa premier du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et de l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, M. [N] a droit au paiement d'une indemnité égale au montant de la rémunération qu'il aurait dû percevoir entre son licenciement et sa réintégration, sans déduction des éventuels revenus de remplacement dont il a pu bénéficier pendant cette période.

Au vu des éléments produits, le montant de l'indemnité due à M. [N] à la date du 3 décembre 2022 est arrêté à la somme de 92 051 euros bruts.

Le jugement déféré sera infirmé en ce qu'il a condamné la société au paiement d'une indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents, d'une indemnité de licenciement.

Il n'y a pas lieu de déroger aux dispositions des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil prévoyant que les créances de nature salariale portent intérêts au taux légal, à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation pour les créances échues à cette date et à compter de chaque échéance devenue exigible, s'agissant des échéances postérieures à cette date, les créances à caractère indemnitaire produisant intérêts au taux légal à compter de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant.

La capitalisation est de droit lorsqu'elle est demandée en justice.

PAR CES MOTIFS

La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement en ce qu'il a condamné la société Photobox à verser à M. [N] les sommes de 2 890,86 euros bruts de rappel de salaire au titre de la mise à pied conservatoire, outre 289,08 euros bruts au titre des congés payés afférents, et de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

L'infirme pour le surplus,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Condamne la société Photobox à verser à M. [N] la somme de 7 500 euros de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité,

Prononce la nullité du licenciement,

Ordonne à la société Photobox de réintégrer M. [N] dans son emploi d'opérateur de production, ou en cas d'impossibilité, dans un emploi équivalent à celui qu'il occupait,

Condamne la société Photobox à payer à M. [N] une indemnité correspondant au salaire dû de la date de son licenciement jusqu'à sa réintégration effective dans son emploi,

Arrête cette somme à 92 051 euros bruts à la date du 31 décembre 2022,

Dit que les créances de nature contractuelle sont productives d'intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation pour les créances échues à cette date, et à compter de chaque échéance devenue exigible, s'agissant des échéances postérieures à cette date, et que les créances indemnitaires sont productives d'intérêts au taux légal à compter de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant,

Ordonne la capitalisation de ces intérêts à condition que ces intérêts soient dus au moins pour une année entière,

Condamne la société Photobox à verser à M. [N] la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel,

Condamne la société Photobox aux dépens.

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Monsieur Thomas LE MONNYER, Président, et par Madame Isabelle FIORE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 21e chambre
Numéro d'arrêt : 21/01256
Date de la décision : 08/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-08;21.01256 ?
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