La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

21/06/2023 | FRANCE | N°21/01813

France | France, Cour d'appel de Versailles, 17e chambre, 21 juin 2023, 21/01813


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80A



17e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 21 JUIN 2023



N° RG 21/01813

N° Portalis: DBV3-V-B7F-UR7Q



AFFAIRE :



[V] [ZZ]



C/



[A] [AB]

...







Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 30 mars 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOULOGNE BILLANCOURT

Section : AD

N° RG : F20/00438



Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



Me Sarah ANNE



Me Mathieu BONARDI







le :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE VINGT ET UN JUIN DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'ar...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

17e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 21 JUIN 2023

N° RG 21/01813

N° Portalis: DBV3-V-B7F-UR7Q

AFFAIRE :

[V] [ZZ]

C/

[A] [AB]

...

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 30 mars 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOULOGNE BILLANCOURT

Section : AD

N° RG : F20/00438

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Sarah ANNE

Me Mathieu BONARDI

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT ET UN JUIN DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Madame [V] [ZZ]

née le 01 Janvier 1975 à [Localité 12] (Algérie)

de nationalité Française

[Adresse 5]

[Adresse 5]

Représentant : Me Sarah ANNE, Plaidant/constitué, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : 33

APPELANTE

****************

Monsieur [A] [AB]

né le 17 Avril 1948 à [Localité 16]

de nationalité Française

[Adresse 4]

[Localité 11]

Madame [E] [AB], décédée

née le 13 Avril 1920 à [Localité 14]

de nationalité Française

[Adresse 10]

[Adresse 10]

Monsieur [P] [W] [K] [S] Ayant droit de Mme [E] [AB] décédée

né le 22 Mars 1978 à [Localité 14]

de nationalité Française

[Adresse 6]

[Adresse 6]

Monsieur [GJ] [N] [K] [S] Ayant droit de Mme [E] [AB] décédée

né le 17 Décembre 1980 à [Localité 14]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 11]

Monsieur [Y] [U] [L] Ayant droit de Mme [E] [AB] décédée

né le 08 Août 1979 à [Localité 15]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 11]

Monsieur [D] [IP] [AB] Ayant droit de Mme [E] [AB] décédée

né le 27 Juillet 1978 à [Localité 14]

de nationalité Française

[Adresse 7]

[Localité 11]

Madame [GY] [K] [AB] Ayant droit de Mme [E] [AB] décédée

née le 25 Novembre 1980 à [Localité 14]

de nationalité Française

[Adresse 9]

[Adresse 9]

[Adresse 9]

Madame [B] [I] [AB] épouse [H] Ayant droit de Mme [E] [AB] décédée

née le 18 Janvier 1983 à [Localité 14]

de nationalité Française

[Adresse 8]

[Localité 11]

Monsieur [F] [A] [M] [L] Ayant droit de Mme [E] [AB] décédée

né le 17 Août 1981 à [Localité 15]

de nationalité Française

[Adresse 13]

[Adresse 13]

ROYAUME UNI

Monsieur [R] [RA] [Z] [K] [S] Ayant droit de Mme [E] [AB] décédée

né le 13 Octobre 1982 à [Localité 14]

de nationalité Française

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Représentés par Me Mathieu BONARDI de la SELAS SELAS CS AVOCATS ASSOCIES, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D2149, substitué à l'audience par Me MARGOT Alix, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : D2149.

INTIMES

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 14 avril 2023 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Laurent BABY, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Aurélie PRACHE, Président,

Monsieur Laurent BABY, Conseiller,

Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Marine MOURET,

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

Mme [ZZ] a été engagée en qualité d'assistante de vie, par contrat de travail verbal, à compter du 18 septembre 2015 en qualité d'assistante de vie de la mère de M. [A] [AB], Mme [E] [AB], alors âgée de 95 ans et vivant seule, afin d'y assurer une présence et une assistance de nuit (entre 20h-21h et 7h30 du vendredi au lundi, soit trois nuits par semaine).

Ses bulletins de paie étaient réalisés via le dispositif CESU au nom d'[E] [AB] en qualité l'employeur.

La convention collective applicable est celle du particulier employeur du 24 novembre 1999 (IDCC 2111).

Par lettre du 13 mars 2019, Mme [ZZ] a fait l'objet d'un avertissement pour des prises de poste tardives et un état d'excitation et d'énervement.

Par lettre du 1er février 2020, Mme [ZZ] a demandé à son employeur le salaire du mois de janvier 2020 et le paiement des gardes de nuit à hauteur de 145 euros par nuit et non 45 euros.

Par lettre du 2 février 2020, Mme [ZZ] a indiqué ne plus pouvoir honorer les gardes de nuit compte tenu du refus de M. [A] [AB] de régulariser sa situation.

Par lettre du 5 février 2020, Mme [ZZ] a été convoquée à un entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement, fixé le 14 février 2020, avec mise pied à titre conservatoire, auquel elle ne s'est pas présentée.

Mme [ZZ] a été licenciée par lettre du 26 février 2020 pour faute grave dans les termes suivants':

«'Nous vous notifions par la présente votre licenciement pour faute grave, pour les motifs ci-après exposés.

Vous avez été engagée le vendredi 18 septembre 2015 au poste de vacataire de nuit auprès de Madame [E] [AB].

Selon vos horaires, vous deviez prendre votre poste entre 20 heures et 21 heures, afin de pouvoir prendre en charge le coucher de Madame [AB].

Vous vous êtes systématiquement présentée chez Madame [AB] entre 22 heures 30 et 23 heures 30 au plus tôt, soit avec environ 2 à 3 heures de retard.

Ces horaires sont inconciliables avec le rythme de vie de Madame [AB], qui étant âgée de 100 ans, nécessite un accompagnement au plus tôt le soir.

De plus, nous avons eu à déplorer à plusieurs reprises votre comportement à son égard.

En effet, les infirmières qui s'occupent de la toilette de Madame [AB] nous ont signalé que vous effectuiez votre travail dans un état d'excitation et d'énervement incompatible avec la nature de votre mission d'assistance à une personne âgée.

Du fait de ces manquements, nous avons été contraints, le 13 mars 2019, de vous adresser un courrier recommandé avec AR que vous n'êtes pas allée chercher, dans lequel nous vous demandions de vous ressaisir et d'améliorer votre comportement ainsi que vos horaires d'arrivée le soir.

Or, votre comportement ne s'est pas amélioré.

Face à cette situation, le 31 janvier 2020, nous vous avons demandé à nouveau de venir à l'heure, car Madame [AB] rentrait à son domicile à la suite d'une hospitalisation d'une dizaine de jours.

Cependant, vous ne vous êtes jamais présentée à votre poste ce jour-là, ni le 01 février, ni le 02 février mettant délibérément Mme [AB] dans une situation de stress et de danger.

Ainsi, nous considérons que vous avez décidé de manière unilatérale et sans préavis d'abandonner votre poste, mettant ainsi délibérément Mme [AB] dans une situation de stress et de danger.

Votre comportement entache la confiance que nous pouvions avoir à votre égard et empêche la poursuite de notre relation contractuelle.

Ces faits sont constitutifs d'une faute grave, rendant impossible votre maintien, même temporaire dans votre emploi'»

Le 14 mai 2020, Mme [ZZ] a saisi le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt aux fins de dire, à titre principal, que son courrier du 2 février 2020 s'analyse en une prise d'acte et produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, à titre subsidiaire, que son licenciement est abusif, et obtenir le paiement de diverses sommes de nature salariale et de nature indemnitaire.

[E] [AB] est décédée le 20 octobre 2020.

Par jugement du 30 mars 2021, le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt (section activités diverses) a :

- débouté Mme [V] [ZZ] de l'ensemble de ses fins et demandes,

- débouté M. [C] [AB] et Mme [E] [AB] de leur demande reconventionnelle,

- laissé les dépens à la charge de Mme [ZZ].

Par déclaration adressée au greffe le 10 juin 2021, Mme [ZZ] a interjeté appel de ce jugement.

Une ordonnance de clôture a été prononcée le 14 mars 2023.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 20 janvier 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles Mme [ZZ] demande à la cour de':

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes et condamnée aux dépens.

et statuant à nouveau,

- requalifier son courrier en date du 2 février 2020 en une prise d'acte aux torts exclusifs de l'employeur produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

à titre subsidiaire,

- requalifier le licenciement pour faute grave notifié le 26 février 2020 en licenciement abusif,

- condamner solidairement M. [A] [AB], M. [Y] [U] [L], M. [F] [A] [L], M. [D] [IP] [AB], Mme [GY] [K] [AB], Madame [B] [I] [AB], M. [P] [W] [G], M. [GJ] [N] [K] [S], M. [R] [RA] [Z] [K] [S] ès-qualités d'héritiers de Mme [E] [AB] née [T] à lui payer les sommes suivantes :

. 1 399,25 euros au titre de l'indemnité de requalification,

. 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive,

. 1 602,14 euros au titre de l'indemnité de licenciement,

. 2 798,50 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

. 279,85 euros au titre des congés payés afférents,

. 559,70 euros à titre de rappel de mise à pied,

. 55,97 euros au titre des congés payés afférents,

. 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect du droit à congés payés,

. 4 197,76 euros à titre de rappel de congés payés,

. 1 399,25 euros au titre du salaire de janvier 2020,

. 139,92 euros au titre des congés payés afférents,

. 8 099,28 euros nets à titre de rappel de salaire (année 2019),

. 809,92 euros au titre des congés payés afférents,

. 9 418,72 euros nets à titre de rappel de salaire (année 2018),

. 941,87 euros au titre des congés payés afférents,

. 7 509 euros nets à titre de rappel de salaire (année 2017),

. 750,90 euros au titre des congés payés afférents,

- ordonner la remise conforme à l'arrêt à intervenir :

. du solde de tout compte sous astreinte de 100 euros par jour,

. de l'attestation destinée à Pôle emploi sous astreinte de 100 euros par jour,

. du certificat de travail sous astreinte de 100 euros par jour,

. d'un bulletin de paie récapitulatif sous astreinte de 100 euros par jour,

- ordonner que les sommes précitées seront augmentées des intérêts de droit à compter de la citation introductive d'instance,

- condamner solidairement les intimés à la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure de première instance, outre 2 500 euros pour la procédure d'appel,

- les condamner aux dépens qui comprendront notamment les frais de signification de la déclaration d'appel et de traduction.

Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 24 novembre 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles M. [A] [AB] et les ayants droit d'[E] [AB], décédée, demandent à la cour de :

- confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt le 30 mars 2021 en ce qu'il a débouté Mme [ZZ] de l'intégralité de ses demandes et l'a condamnée aux dépens,

en conséquence,

à titre principal,

- dire que le courrier adressé par Mme [ZZ] à M. [AB] le 2 février 2020 ne constitue pas une prise d'acte de la rupture de son contrat de travail,

- dire que le licenciement de Mme [ZZ] repose sur une faute,

à titre subsidiaire,

- dire et juger que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail de Mme [ZZ] produit les effets d'une démission,

- limiter le quantum des éventuelles condamnations prononcées à l'encontre de M. [A] [AB] et aux ayants-droits de Mme [E] [AB] au titre des rappels de salaires sollicités à hauteur de 5 468,35 euros bruts et de 481,89 euros bruts au titre des rappels de congés payés,

en tout état de cause,

- infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt le 30 mars 2021 en ce qu'il a débouté M. [A] [AB] et Mme [E] [AB] de leur demande reconventionnelle,

en conséquence, statuant à nouveau,

- condamner Mme [ZZ] à verser à M. [A] [AB] et aux ayants-droits de Mme [E] [AB] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile (frais irrépétibles de 1ère instance),

- condamner Mme [ZZ] à verser à M. [A] [AB] et aux ayants-droits de Mme [E] [AB] somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile (frais irrépétibles d'appel),

- condamner Mme [ZZ] aux dépens

MOTIFS

Sur la rupture et la demande de rappel de salaire et de congés payés

D'abord, les parties sont en discussion sur les effets de la lettre que la salariée a adressée à l'employeur le 2 février 2020. La salariée affirme qu'elle doit s'analyser en une prise d'acte de la rupture ce que conteste l'employeur qui estime que la lettre litigieuse n'est pas une lettre de rupture dès lors que la salariée n'y mentionne pas sa volonté de mettre un terme au contrat de travail et entend seulement obtenir une régularisation de sa situation.

Ensuite, la salariée soutient que les motifs de sa prise d'acte ' à savoir le non-paiement de son salaire de janvier 2020, l'absence de contrat de travail et le paiement, tout au long de la relation contractuelle, d'un salaire inférieur à celui convenu ' sont suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat de travail.

Enfin, pour le cas où la cour ne retiendrait pas que la lettre du 2 février 2020 est une prise d'acte, les parties sont en discussion sur le bien-fondé du licenciement, la salariée contestant la matérialité des griefs ' imprécis et non datés ' qui lui sont imputés alors que l'employeur les considère démontrés.

***

La prise d'acte de la rupture se définit comme un mode de rupture du contrat de travail par le biais duquel le salarié met un terme à son contrat en se fondant sur des griefs qu'il impute à son employeur.

Si les griefs invoqués par le salarié sont établis et empêchent la poursuite du contrat de travail, alors la rupture produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Dans le cas contraire, la prise d'acte doit être requalifiée en démission.

La prise d'acte de la rupture n'est soumise à aucun formalisme.

En l'espèce, par lettre du 2 février 2020, Mme [ZZ] a adressé à l'employeur une lettre ayant pour objet «'demande de régularisation des salaires et du contrat concernant les nuits de garde'» par laquelle elle indique notamment': «'Suite à votre refus de mon paiement et de régularisation de ma situation (contrat de travail), cela fait six ans que je vous sollicite pour mon contrat et des paiements sans donner suite à ma demande. Donc je me vois contrainte de ne plus pouvoir honorer les gardes de nuit comme d'habitude les samedi, vendredi, dimanche soir de 22 h jusqu'à 7h30 du matin (')'».

Il n'est pas discuté qu'après cette lettre, la salariée n'a pas repris le travail.

Ainsi rédigée, associée au fait que la salariée n'a pas repris le travail après l'avoir adressée à l'employeur, la lettre litigieuse s'analyse en une prise d'acte de la rupture ce qui conduit de ce chef à infirmer le jugement.

La prise d'acte de la rupture entraînant cessation immédiate du contrat de travail, les débats relatifs au licenciement sont inopérants. Il appartient en effet seulement à la cour de vérifier si la salariée justifie ou non de griefs empêchant la poursuite du contrat de travail.

Sur ce point, la salariée se fonde sur trois griefs':

. le non-paiement de son salaire de janvier 2020,

. l'absence d'établissement d'un contrat de travail,

. le fait que sa rémunération forfaitaire de 45 euros par nuit n'est pas conforme à ce qui avait été initialement convenu, à savoir 145 euros nets par nuitée.

Sans être contesté sur ce point, l'employeur expose que la déclaration de salaire en ligne du site du CESU peut être effectuée jusqu'au 5 du mois qui suit la période de travail déclarée soit en l'espèce jusqu'au 5 février 2020. L'employeur en déduit qu'à la date de la prise d'acte ' 2 février ' le salaire de janvier 2020 n'était pas exigible et donc, qu'il n'est pas justifié d'un manquement grave.

Toutefois, il est reproché à l'employeur non pas un retard dans la déclaration des salaires mais le non paiement du salaire du mois de janvier 2020. Or, c'est à tort que l'employeur confond la date d'exigibilité du salaire qui, comme cela apparaît du reste sur les bulletins de salaire du CESU (pièce 1 de l'employeur) était payé le dernier jour de chaque mois et la date de la déclaration du salaire auprès du CESU.

Il résulte des débats et des pièces que pour le mois de janvier 2020, l'employeur n'a déclaré que 13 heures de travail alors que pour les autres mois, le volume de travail était plus important. Il résulte toujours des débats qu'[E] [AB] a été hospitalisée au mois de janvier 2020. L'employeur ne pouvait cependant se dispenser du paiement du salaire de la salariée durant les nuits (vendredi-samedi-dimanche) au cours desquelles [E] [AB] n'était pas à son domicile. En effet, le contrat de travail, qui est un contrat synallagmatique, impose à l'employeur de fournir du travail au salarié et à ce dernier de se tenir à la disposition de l'employeur. Or, en l'espèce, la salariée avait été engagée pour assurer une présence trois nuits par semaine et l'employeur n'établit pas que ' pour le mois de janvier 2020 ' la salariée aurait refusé d'exécuter son travail ou ne s'était pas tenue à sa disposition. Par conséquent, le salaire du mois de janvier 2020 est dû dans son intégralité.

Le salaire de Mme [ZZ] n'ayant pas été payé dans son intégralité au mois de janvier 2020, le manquement est établi.

Sur l'absence d'établissement d'un contrat de travail, l'article 7 de la convention collective nationale des particuliers employeurs et de l'emploi à domicile, dans sa version applicable au présent litige, prescrit que le contrat de travail doit être établi par écrit. Par ailleurs, l'annexe III «'chèque emploi service'» - accord paritaire du 13 octobre 1995 relatif au chèque emploi-service, prescrit en son article 6 que pour des prestations de travail non occasionnelles, comme c'est le cas en l'espèce, un contrat de travail doit être signé. En outre la salariée réalisait 31h50 par semaine ce qui est supérieur aux huit heures en dessous desquelles l'employeur peut se dispenser de rédiger un contrat de travail (article 5 de l'accord paritaire du 13 octobre 1995).

Si ce manquement est établi par la salariée, la cour observe toutefois qu'il est ancien puisqu'il date de 2015 et que l'employeur avait déclaré, à l'occasion d'un échange de textos dont il n'est pas contesté qu'il date du 2 juin 2018, ne pas être opposé à l'établissement d'un contrat de travail écrit «'sur les bases de notre accord'», à savoir sur la base d'une nuitée payée 45 euros.

Sur la rémunération forfaitaire, la salariée expose qu'elle devait être rémunérée à concurrence de 145 euros par nuitée alors que l'employeur soutient que l'accord conclu entre lui et la salariée avait été scellé sur la base de 45 euros par nuitée.

D'abord, la cour observe que durant toute la période contractuelle, la salariée a été rémunérée sur la base d'une nuitée payée 45 euros. Ensuite, il résulte d'un SMS écrit à l'employeur par Mme [ZZ] le 2 juin 2018': «'Je reviens vers vous pour vous demander de me régulariser parce que toutes les fiches de paie sont calculées faussement (') on s'est mis d'accord pour 50 euros net et non 45 euros'». Dans ce SMS, la salariée évoquait le fait que les 45 euros incluaient les 10'% de congés payés, ce qu'elle contestait aussi.

Néanmoins, il n'est pas établi que les parties aient convenu d'une rémunération forfaitaire supérieure à 45 euros par nuitée.

Pour soutenir désormais qu'elle aurait dû être rémunérée sur une base supérieure, la salariée expose qu'elle doit être classée a minima à un poste d'assistante de vie classe D ' échelon 6 de la convention collective du particulier employeur ou garde malade de nuit. Elle revendique un salaire horaire de 11,33 euros en application de l'avenant S41 du 9 janvier 2019 relatif aux salaires.

Cet avenant comporte le tableau suivant (en euros), en application de l'article 20 de la convention collective relatif à la rémunération minimale':

Niveau

Salaire horaire brut

Salaire
mensuel brut
(174 heures)

Pourcentage
de majoration
pour certification
de branche

Salaire horaire brut

avec certifications
de branche

Salaire mensuel
brut avec
certifications de branche
(174 heures)

I

10,13

1 762,62

3 %

10,43

1 814,82

II

10,20

1 774,80

3 %

10,51

1 828,74

III

10,40

1 809,60

3 %

10,71

1 863,54

IV

10,60

1 844,40

3 %

10,92

1 900,08

V

10,80

1 879,20

4 %

11,23

1 954,02

VI

11,33

1 971,42

4 %

11,78

2 049,72

VII

11,60

2 018,40

VIII

12,01

2 089,74

IX

12,72

2 213,28

X

13,49

2 347,26

XI

14,37

2 500,38

XII

15,31

2 663,94

Selon l'article 2 de la convention collective, l'«'assistant de vie'» pour personne dépendante est classé au niveau III. Le «'garde malade de nuit'» est quant à lui classé au niveau IV.

En l'espèce, ainsi qu'il ressort du certificat du Dr [J], qui suivait [E] [AB] depuis plusieurs années, celle-ci ne présentait pas de risque médical particulier. Elle n'était donc pas malade de telle sorte que la salariée ne peut prétendre à la rémunération associée au niveau IV du garde malade de nuit. La cour observe également que durant les nuits, le traitement que Mme [AB] prenait «'pour éviter les insomnies'», lui permettait «'de passer ses nuits en continu sans problèmes'».

Il s'ensuit que la salariée doit, en sa qualité d'assistante de vie, être classée au niveau III de l'assistant auquel est associée une rémunération horaire brute minimale de 10,40 euros.

La convention collective nationale des salariés du particulier employeur du 24 novembre 1999 applicable au litige prévoit en son article 3 (invoqué par la salariée)':

«'Les salariés occupant un poste d'emploi à caractère familial assument une responsabilité auprès de personnes : enfants, personnes âgées ou handicapées, dépendantes ou non.

Dans le cadre de l'horaire défini dans le contrat, ces salariés peuvent effectuer des heures de travail effectif et des heures de présence responsable dont le nombre respectif sera précisé au contrat.

a) Définition des postes d'emploi à caractère familial

Les salariés occupant un poste d'emploi à caractère familial assument une responsabilité auprès de personnes : enfants, personnes âgées ou handicapées, dépendantes ou non. Sont donc visés l'ensemble des emplois repères du domaine " adulte ", du domaine " enfant " et l'emploi repère " employé (e) familial (e) auprès d'enfants ".

Dans le cadre de l'horaire défini dans le contrat, ces salariés peuvent effectuer des heures de travail effectif et des heures de présence responsable dont le nombre respectif sera précisé au contrat.

b) Définition de la présence responsable

Les heures de présence responsable sont celles où le salarié peut utiliser son temps pour lui-même tout en restant vigilant pour intervenir, s'il y a lieu.

Le nombre d'heures éventuelles de présence responsable peut évoluer notamment en fonction de :

. l'importance du logement ;

. la composition de la famille ;

. l'état de santé de la personne âgée, handicapée ou malade.

Une heure de présence responsable équivaut à 2/3 de 1 heure de travail effectif.'»

En l'espèce, il n'est pas discuté que la salariée devait assurer sa prestation de travail les nuits du vendredi au samedi, du samedi au dimanche puis du dimanche au lundi de 21h00 au plus tard à 7h30 le lendemain soit pendant 10 heures 30 par nuit.

Faute de contrat de travail écrit, la répartition entre les heures de travail effectif et les heures de présence responsable n'est pas précisée. Toutefois, l'article 6 de la convention collective prévoit que':

«'a) Si le salarié est tenu de dormir sur place, sans contrainte horaire, le logement ne sera pas déduit du salaire net.

b) Poste d'emploi à caractère familial (PECF)

Les postes d'emploi à caractère familial tels que visés au point a de l'article 3 de la présente convention concernés par la nuit sont les emplois repères du domaine "adulte", du domaine "enfant" et l'emploi repère "employé (e) familial (e) auprès d'enfants".

1. Présence de nuit

La présence de nuit, compatible avec un emploi de jour, s'entend de l'obligation pour le salarié de dormir sur place dans une pièce séparée, sans travail effectif habituel, tout en étant tenu d'intervenir éventuellement dans le cadre de sa fonction.

Cette présence de nuit ne peut excéder 12 heures.

Il ne pourra être demandé plus de 5 nuits consécutives, sauf cas exceptionnel.

Pour les salariés tenus à une présence de nuit, le logement ne sera pas pris en compte dans l'évaluation des prestations en nature et donc ne sera pas déduit du salaire net.

Cette présence de nuit sera prévue au contrat et rémunérée pour sa durée par une indemnité forfaitaire dont le montant ne pourra être inférieur à 1/6 du salaire conventionnel versé pour une même durée de travail effectif. Cette indemnité sera majorée en fonction de la nature et du nombre des interventions.

Si le salarié est appelé à intervenir toutes les nuits à plusieurs reprises, toutes les heures de nuit sont considérées comme des heures de présence responsable.

Cette situation ne peut être que transitoire. Si elle perdure le contrat sera revu.

2. Salarié assurant les fonctions de garde-malade de nuit

Le salarié assurant les fonctions de garde-malade de nuit est à proximité du malade et est susceptible d'intervenir à tout moment.

Cet emploi n'est pas compatible avec un emploi de jour à temps complet. Le salarié reste à proximité du malade et ne dispose pas de chambre personnelle.

La rémunération est calculée sur une base qui ne peut être inférieure à huit fois le salaire horaire pour 12 heures de présence par nuit.'»

Par conséquent, dès lors que l'état de santé d'[E] [AB] n'impliquait pas «'d'intervention toutes les nuits à plusieurs reprises'», la distinction entre les heures de travail effectif et les heures de présence responsable n'est pas utile.

Il a été précédemment vu que la salariée devait travailler durant 10 heures 30 par nuit et il a été jugé que le salaire horaire minimum de la salariée prévu par la convention collective devait être fixé à 10,30 euros bruts soit 108,15 euros bruts par nuit. Les parties sont convenues d'une indemnité forfaitaire, laquelle ne peut être inférieure à 1/6ème de 108,15 euros soit 18,02 euros bruts par nuit ainsi qu'il ressort de l'article 6 susvisé.

Dès lors, la salariée ne peut prétendre à une rémunération supérieure à 45 euros par nuitée de telle sorte que le manquement qu'elle invoque n'est pas démontré et que le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la salariée de la demande de rappel de salaire qu'elle forme au titre des années 2017 à 2019.

En revanche, la salariée peut prétendre, sur la base d'un salaire de 45 euros par nuitée, à un rappel de salaire pour le mois de janvier 2020 pour lequel elle n'a été payée qu'à hauteur de 173,71 euros bruts. Durant le mois de janvier 2020, la salariée aurait dû être rétribuée pour treize nuits et aurait donc dû percevoir une rémunération de 585 euros bruts. Infirmant le jugement, il conviendra donc de condamner l'employeur à payer à la salariée la différence, soit 411,29 euros bruts.

La salariée demande que cette somme soit assortie des congés payés afférents à hauteur de 10'%.

Selon l'article 16 de la convention collective, dans sa version applicable au présent litige':

«'f) Chèque emploi-service

Lorsque l'employeur et le salarié ont opté pour le chèque emploi-service, le salaire horaire net figurant sur le chèque emploi-service est égal au salaire horaire net convenu majoré de 10 % au titre des congés payés. Dans ce cas, il n'y a pas lieu de rémunérer les congés au moment où ils sont pris.'».

En l'espèce, les parties sont convenues d'une rémunération au moyen des chèques emploi-service. La rémunération de la salariée incluait donc les congés payés. Cela ressort d'ailleurs de chaque bulletin de paie qui mentionne expressément, à côté du revenu net à payer avant impôt sur le revenu': «'comprenant 10'% au titre des congés payés'».

Il en résulte que':

. que le rappel de salaire qui lui a été accordé ne sera pas assorti des congés payés,

. que le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la salariée de sa demande de rappel au titre des congés payés.

En synthèse de ce qui précède, la salariée établit la réalité de deux manquements': celui consistant, pour l'employeur, à ne pas avoir complètement rémunéré la salariée pendant le mois de janvier 2020 et l'absence de rédaction d'un contrat de travail.

La caractérisation d'un ou plusieurs manquements ne suffit pas à entraîner la requalification de la prise d'acte en licenciement sans cause réelle et sérieuse. Il doit en effet en outre être démontré que le ou les manquements sont suffisamment graves pour rendre impossible la poursuite du contrat de travail.

Or en l'espèce, comme le fait observer l'employeur, le second de ces deux manquements est ancien. Si le premier, contemporain de la prise d'acte, a eu pour effet de priver la salariée d'une partie de sa rémunération, il demeure que le rappel de salaire accordé à la salariée reste modeste (411,29 euros) et que le manquement se présente comme un manquement ponctuel associé au contexte de l'hospitalisation d'[E] [AB], décédée quelques mois après.

Il en résulte que les manquements de l'employeur ne rendaient pas impossible la poursuite du contrat de travail.

La prise d'acte de la rupture doit donc être requalifiée en démission.

Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a débouté la salariée de ses demandes de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire outre les congés payés afférents, au titre de l'indemnité de préavis outre les congés payés afférents, de l'indemnité de licenciement et de dommages-intérêts pour rupture abusive.

Sur la demande de dommages-intérêts au titre des congés payés

Par des motifs pertinents que la cour adopte, selon lesquels l'absence d'établissement de bulletins de paie durant la période estivale fait présumer la prise effective de congés par la salariée, il conviendra de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la salariée de sa demande de dommages-intérêts.

Sur la demande de dommages-intérêts au titre de l'indemnité de requalification

Cette demande, nouvelle en cause d'appel, n'est motivée ni en fait ni en droit. La salariée en sera en conséquence déboutée.

Sur les intérêts

La condamnation au paiement d'un rappel de salaire produira intérêts au taux légal à compter de la réception, par l'employeur, de sa convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes.

Sur la remise des documents

Il conviendra de donner injonction à l'employeur de remettre à la salariée un certificat de travail, une attestation Pôle emploi et un bulletin de salaire récapitulatif conformes à la présente décision, sans qu'il soit nécessaire d'assortir cette mesure d'une astreinte.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Succombant, les ayants-droits de Mme [AB] seront condamnés aux dépens de première instance et d'appel.

Il conviendra de les condamner à payer à la salariée une indemnité de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile s'agissant des frais de première instance et 1'000 euros pour la procédure d'appel.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement et par arrêt contradictoire, la cour':

CONFIRME le jugement, mais seulement en ce qu'il déboute Mme [ZZ] de ses demandes de rappel de salaire au titre de la mise à pied conservatoire, congés payés afférents, d'indemnité de préavis, congés payés afférents, d'indemnité de licenciement, de dommages-intérêts pour rupture abusive, de rappel de salaire entre 2017 et 2019, de rappel de congés payés et de dommages-intérêts au titre des congés payés,

INFIRME le jugement pour le surplus,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

DIT que le contrat de travail a pris fin par une prise d'acte de la rupture par la salariée,

DIT que la prise d'acte de la rupture du 2 février 2020 produit les effets d'une démission,

CONDAMNE solidairement M. [A] [AB], M. [P] [W] [G], M. [GJ] [N] [K] [S], M. [R] [RA] [Z] [K] [S], M. [Y] [U] [L], M. [F] [A] [M] [L], M. [D] [IP] [Z] [AB], Mme [GY] [X] [AB], Mme [B] [I] [O] [AB], à payer à Mme [ZZ] la somme de 411,29 euros brut à titre de rappel de salaire pour le mois de janvier 2020,

DONNE injonction à M. [A] [AB] de remettre à Mme [ZZ] un certificat de travail, une attestation Pôle emploi et un bulletin de salaire récapitulatif conformes à la présente décision,

REJETTE la demande d'astreinte,

DÉBOUTE les parties de leurs demandes autres, plus amples, ou contraires,

CONDAMNE in solidum M. [A] [AB], M. [P] [W] [G], M. [GJ] [N] [K] [S], M. [R] [RA] [Z] [K] [S], M. [Y] [U] [L], M. [F] [A] [M] [L], M. [D] [IP] [Z] [AB], Mme [GY] [X] [AB], Mme [B] [I] [O] [AB], à payer à Mme [ZZ] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais de première instance et d'appel,

CONDAMNE in solidum M. [A] [AB], M. [P] [W] [G], M. [GJ] [N] [K] [S], M. [R] [RA] [Z] [K] [S], M. [Y] [U] [L], M. [F] [A] [M] [L], M. [D] [IP] [Z] [AB], Mme [GY] [X] [AB], Mme [B] [I] [O] [AB], aux dépens de première instance et d'appel.

. prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

. signé par Madame Aurélie Prache, Président et par Madame Marine Mouret, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière La Présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 17e chambre
Numéro d'arrêt : 21/01813
Date de la décision : 21/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-21;21.01813 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award