COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
17e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 21 JUIN 2023
N° RG 21/01928
N° Portalis: DBV3-V-B7F-USR4
AFFAIRE :
[D] [J]
C/
Société WILO FRANCE
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 10 mai 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de SAINT GERMAIN EN LAYE
Section : E
N° RG : F 19/00064
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Blandine SIBENALER
Me Isabelle DELORME-MUNIGLIA
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT ET UN JUIN DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Monsieur [D] [J]
né le 05 Août 1958 à [Localité 4]
de nationalité Française
[Adresse 5]
[Adresse 5]
[Localité 3]
Représentant : Me Blandine SIBENALER, Plaidant/constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R286
APPELANT
****************
Société WILO FRANCE VENANT AUX DROITS DE LA SOCIETE WILO SALMSON FRANCE
N° SIRET : 410 615 900
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentant : Me Isabelle DELORME-MUNIGLIA de la SCP COURTAIGNE AVOCATS, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 52 - Représentant : Me Brigitte COAT, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : L0283
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 14 avril 2023 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Laurent BABY, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Aurélie PRACHE, Président,
Monsieur Laurent BABY, Conseiller,
Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller,
Greffier lors des débats : Madame Marine MOURET,
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
M. [J] a été engagé en qualité de technicien supérieur de service commercial, par contrat de travail à durée indéterminée, à compter du 1er septembre 1980, par la société Wilo Salmson France.
Cette société est spécialisée dans la commercialisation de matériels et produits de pompes et systèmes de pompage. L'effectif de la société était, au jour de la rupture, de plus de 50 salariés. Elle applique la convention collective nationale de la métallurgie.
A partir du 1er décembre 2003, le salarié a occupé la fonction de « chef de zone export Afrique noire ».
Le salarié était aussi délégué syndical.
En dernier lieu, il percevait une rémunération brute mensuelle de base de 5 220,93 euros, outre une rémunération variable.
Le 8 mars 2019, M. [J] a saisi le conseil de prud'hommes de Saint-Germain-en-Laye aux fins juger qu'il a été victime, à titre principal, de discrimination syndicale, à titre subsidiaire, d'une inégalité de traitement, et obtenir le paiement de diverses sommes indemnitaires.
M. [J] a pris sa retraite le 31 mars 2021.
Par jugement du 10 mai 2021, le conseil de prud'hommes de Saint-Germain-en-Laye (section encadrement) a :
- débouté M. [J] de l'ensemble de ses demandes,
- débouté la société Wilo Salmson France de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- laissé les éventuels dépens à la charge de M. [J].
Par déclaration adressée au greffe le 18 juin 2021, M. [J] a interjeté appel de ce jugement.
Une ordonnance de clôture a été prononcée le 14 mars 2023.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 17 septembre 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles M. [J] demande à la cour de :
- infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Saint-Germain-en-Laye,
à titre principal,
- condamner la société Wilo France à lui verser les sommes suivantes en réparation de la discrimination syndicale subie :
. 286 676 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice matériel sur salaire,
. 53 180 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice de retraite,
. 15 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral,
à titre subsidiaire,
- condamner la société Wilo France à lui verser les sommes suivantes en réparation de l'inégalité de traitement subie :
. 286 676 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice matériel sur salaire,
. 53 180 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice de retraite,
. 15 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral,
en tout état de cause
- condamner la société Wilo France à lui verser la somme de 50 000 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation d'exécution de bonne foi du contrat de travail,
- condamner la société Wilo France à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Wilo France aux entiers dépens.
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 8 décembre 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles la société Wilo France venant aux droits de la société Wilo Salmson France demande à la cour de :
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
- débouter M. [J] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
- condamner M. [J] au paiement de la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
subsidiairement,
- déclarer que les tableaux de préjudice de M. [J] sont erronés,
- déclarer que les demandes relatives à des salaires se prescrivent par 3 ans,
- juger qu'à supposer que M. [J] ait répondu aux attendus de son poste, il n'aurait pu percevoir que la somme totale supplémentaire en fixe sur les années considérées de 39 973,45 euros (et non 286 676 euros),
- juger que la rémunération variable à 100% d'objectif atteint ne pouvait dépasser 8.500 euros (et non 10 000 euros),
- juger en conséquence que dans l'hypothèse de l'atteinte des objectifs à 100 %, le complément de rémunération sur les années considérées aurait été de 17 423 euros (et non 45 185 euros),
- juger toujours dans la même hypothèse, que le préjudice retraite ne pouvait être que de 5 137,50 euros sur les années considérées (et non de 53 179,75 euros),
- condamner M. [J] aux entiers dépens.
MOTIFS
Sur la discrimination
Il ressort de l'article L. 1132-1 du code du travail qu'aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de ses activités syndicales.
Il n'appartient pas au salarié qui s'estime victime d'une discrimination d'en prouver l'existence. Suivant l'article L. 1134-1, il doit seulement présenter des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination. Au vu de ces éléments, il incombe à l'employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
***
En l'espèce, le salarié soumet pêle-mêle à la cour les faits suivants :
. le fait qu'il a passé 15 ans sans connaître la moindre promotion,
. le fait que, nommé au poste de chef de zone export le 1er décembre 2003, il n'a pas perçu le même traitement que ses collègues de poste équivalent,
. le fait qu'en 2007, en dépit de son ancienneté et de son expertise, la responsabilité commerciale WSF de l'Afrique a été confiée à M. [M],
. le fait que M. [M] a dit, dès sa prise de fonction : « le cas [J], j'en fais mon affaire »,
. le fait que M. [M] a dressé des obstacles à l'exercice de son activité professionnelle en annulant régulièrement ses déplacements, en lui demandant, ainsi qu'il s'en est plaint auprès de l'inspection du travail en 2010, de réaliser une marge de 47 % alors que pour son collègue [P], il lui est demandé une marge de 25 % et en lui reprochant des lacunes dans sa présentation du 16 mars 2010,
. le fait que M. [M] a tenu envers lui des propos dénigrants et a fait de lui une évaluation « particulièrement scandaleuse (') fustigeant [son défaut d'organisation] alors qu'il était tenu à l'écart de tous les changements d'organisation du département »,
. le fait qu'en 2011, il lui a été proposé un poste de conseiller technique ce qui est une rétrogradation compte tenu de ce qu'il était un ingénieur expérimenté,
. le fait qu'il « n'a jamais reçu de formation » et n'a « quasiment jamais eu d'entretien d'évaluation »,
. le fait qu'il a fait l'objet d'un avertissement injustifié le 31 août 2017.
Nommé chef de zone export au sein de la société, selon un avenant du 24 novembre 2003, le salarié n'a pas par la suite connu d'autre évolution de son poste. L'absence de promotion depuis 2003 est donc établie.
Le salarié n'illustre pas le fait que, nommé au poste de chef de zone export le 1er décembre 2003, il n'aurait pas perçu le même traitement que ses collègues de poste équivalent. La cour observe à cet égard que parmi les quinze cadres ' dont le salarié ' qui comme lui, étaient classés au coefficient 135, il bénéficiait d'une rémunération très au dessus de la moyenne (cf. tableau anonymisé des rémunérations des cadres au coefficient 135). Le fait n'est pas établi.
Il n'est pas discuté que la responsabilité commerciale WSF de l'Afrique a été confiée à M. [M] et non pas au salarié.
Le salarié n'établit pas ' par la seule lettre qu'il a lui-même rédigée à l'attention de l'inspection du travail ' que son supérieur hiérarchique, M. [M], a dit, dès sa prise de fonction en 2007 : « le cas [J], j'en fais mon affaire ».
S'agissant des obstacles que le salarié reproche à son supérieur, M. [M], d'avoir mis dans l'exercice de son activité professionnelle, le salarié n'établit pas qu'il lui a été demandé de réaliser une marge de 47 % alors qu'il était demandé à son collègue [P] de ne réaliser qu'une marge de 25 %. Il n'établit pas non plus que M. [M] lui a reproché des lacunes dans sa présentation du 16 mars 2010. Ces éléments ne ressortent en effet que des lettres que le salarié a lui-même écrites (notamment sa pièce 2 ' lettre du 26 mai 2010) et qui, sans autres éléments, sont insuffisantes pour les tenir pour établis.
En particulier, la lettre du 26 mai 2010 que le salarié invoque a été adressée à l'inspection du travail dont il n'est pas démontré que celle-ci y ait donné des suites. C'est à cet égard à juste titre que les premiers juges ont relevé que les lettres que le salarié a adressées à l'inspection du travail n'ont pas toujours été accompagnées de suites et que les fois où l'inspection du travail s'est adressée à l'employeur pour lui demander de se justifier, les justifications fournies par l'employeur ont été suffisantes pour que l'administration ne poursuive pas plus avant ses investigations. Le fait présenté par le salarié n'est donc pas établi.
En revanche, le salarié établit que M. [M] a plusieurs fois refusé qu'il effectue des déplacements dans sa zone d'attribution notamment en 2008, en 2015 alors que le salarié avait déjà pris des rendez-vous avec des clients (pièce 22 du salarié), en 2016 (pièce 24 du salarié) et en 2017 (pièce 26 de l'employeur).
En ce qui concerne les propos dénigrants que le salarié reproche à M. [M] d'avoir tenus à son endroit, il produit pour en justifier la lettre que ce dernier lui a adressée le 6 septembre 2010 (pièce 3). Par cette lettre, M. [M] écrit au salarié en lui disant notamment qu'il tient des propos « inconsistants et inexacts », « incohérents » qui reflètent son « incompétence ». Le salarié soumet aussi à la cour son évaluation annuelle du 23 juin 2011 aux termes de laquelle M. [M] le dit incapable d'assumer des fonctions de direction d'une équipe commerciale et d'intégrer les changements d'organisation et les évolutions de la stratégie de l'entreprise. La réalité des propos dénigrants est ainsi établie. En revanche, la notation de 2011 ne présente pas un caractère « particulièrement scandaleux » s'agissant du défaut d'organisation du salarié, lequel ne justifie pas avoir été, comme il le prétend, « tenu à l'écart de tous les changements d'organisation du département ».
Même si les compétences techniques du salarié étaient reconnues, il n'était pas ingénieur hydraulicien comme il le soutient. Dès lors, le fait qu'il lui a été proposé en janvier 2011 un poste de conseiller technique alors, selon lui, qu'il était « un ingénieur expérimenté », n'est pas établi. En effet, si le salarié est titulaire depuis le 21 novembre 1990 d'un diplôme d'études supérieures techniques (DEST) délivré par le conservatoire national des arts et métiers, ce diplôme n'est qu'une étape permettant ensuite d'obtenir le diplôme d'ingénieur du CNAM. Or, le salarié ne dispose pas de ce diplôme d'ingénieur.
La cour observe par ailleurs que le salarié a écrit à l'employeur le 7 février 2011 pour décliner sa proposition de modification du contrat de travail et que cette modification n'a par la suite pas été mise en 'uvre. Elle observe aussi que le salarié reprochait à l'employeur, dans cette lettre, de ne pas l'avoir nommé, en 2003, à un poste de direction et d'avoir préféré nommer au dessus de lui « un jeune, plus conventionnel », ce qu'il a finalement accepté « bon gré, mal gré ». La cour relève enfin que le salarié suggérait, toujours dans cette lettre du 7 février 2011, d'être nommé « vice président Sales Area Africa », car, selon lui, il le méritait de sorte qu'il convenait de créer ce poste.
A tort le salarié expose qu'il n'a jamais reçu aucune formation, l'employeur montrant au contraire (pièce 51 de l'employeur) qu'il a bénéficié de plusieurs formations (Devenir SST, Wilo 360, Performance Management Process, Anglais à distance et produits Dortmund). Au surplus, la cour observe que le salarié est entré au service de la société en 1980 et qu'en 1990, il a obtenu un DEST délivré par le CNAM.
A tort encore, le salarié expose qu'il n'a « quasiment jamais eu d'entretien d'évaluation ». En effet, il produit son entretien d'évaluation de 2011 et l'employeur produit pour sa part les entretiens d'évaluation (dits « PMP ») de 2013/2014, 2014/2015, 2015/2016, 2016/2017, 2017/2018, 2018/2019 et 2019/2020, le fait que le salarié n'ait pas signé ses PMP n'établissant pas que, comme il le soutient, il n'a « quasiment jamais eu d'entretien d'évaluation ».
En ce qui concerne l'avertissement du 26 juillet 2017, le salarié a été averti pour :
. avoir tenu des propos agressifs à l'encontre de M. [M] le 9 juin 2017 (« tu te moques de qui ' », « tu as des pertes de mémoire », « je ne suis pas à ta botte, tu ne t'adresses pas à moi comme ça »)
. s'être emporté au téléphone le 12 juillet 2017 avec la gestionnaire des ressources humaines,
. réaliser des offres incomplètes en raison d'un manque de coordination et d'information avec ses collègues de travail, ce qui génère de l'énervement au sein de la cellule export,
. ne pas toujours utiliser le reporting « Project Tracking list » ou l'utiliser de façon incomplète malgré des relances de son manager, ce qui génère une surcharge de travail des équipes.
Si le salarié a adressé à l'employeur une lettre de contestation de l'avertissement le 31 août 2017, il n'en a toutefois pas demandé l'annulation. La cour relève par ailleurs que dans sa lettre de contestation, le salarié expose avoir tenu, le 9 juin 2017, un « échange vigoureux certes mais d'abord pro ». Il ne conteste donc pas formellement avoir écrit à son supérieur hiérarchique, M. [M] : « tu te moques de qui ' », « tu as des pertes de mémoire », « je ne suis pas à ta botte, tu ne t'adresses pas à moi comme ça ».
Ni l'employeur ni ne salarié ne produisent l'échange du 9 juin 2017 mais, indépendamment du contexte dans lequel l'échange a eu lieu, les propos du salarié ne présentent rien de « pro » contrairement à ce qu'il soutient. De ce seul chef, l'avertissement n'était pas injustifié. Le fait que le salarié soumet à la cour, à savoir un avertissement « totalement injustifié », n'est donc pas démontré.
En synthèse de ce qui précède, la cour a retenu comme établis les faits suivants :
. le fait que le salarié n'a connu aucune promotion entre 2003 et son départ en retraite en mars 2021,
. le fait que la responsabilité commerciale WSF de l'Afrique a été confiée à M. [M],
. le fait que M. [M] a annulé plusieurs de ses déplacements à l'étranger en 2008, 2015, 2016 et 2017,
. le fait que M. [M] a tenu envers lui des propos dénigrants en 2010 (dans une lettre) et en 2011 (à l'occasion de l'entretien annuel de 2011).
Ces faits, qu'ils soient pris dans leur ensemble ou isolément, laissent supposer une discrimination syndicale. Il incombe donc à l'employeur de prouver que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
S'agissant de l'absence de promotion, la cour relève que le salarié était le seul chef de zone export au sein de la société. Il était hiérarchiquement subordonné à M. [M] qui était « Sales Area Africa ». Une promotion supposait donc qu'il soit nommé en lieu et place de ce dernier, sauf à l'orienter vers un autre service, ce que ne souhaitait pas le salarié. Or, il n'est pas allégué que M. [M] aurait quitté son poste, ce qui aurait justifié son remplacement.
Par ailleurs, il n'est pas discuté que plusieurs propositions de postes ont été adressées au salarié entre mars 2011 et septembre 2012, que le salarié a systématiquement refusé .
La question de l'absence de promotion du salarié ne doit en outre pas être étudiée sans examiner concomitamment ses exigences. A cet égard, il convient de relever que, dans une lettre du 18 octobre 2012, le salarié a écrit à l'employeur : « En ce qui concerne mon salaire pour les éventuelles nouvelles fonctions, ma demande consistait en une augmentation annuelle minimum de 27 864,52 euros de ma part de salaire fixe avec un ajustement de 5 % au minimum en janvier de chaque année (') ». Or, en 2012, le salarié percevait une rémunération fixe de 4 612,74 euros bruts par mois soit 55 352,88 euros par an.
C'est donc à juste titre que l'employeur relève que les exigences salariales de M. [J] étaient démesurées, d'autant que, comme il a été observé plus haut, parmi les quinze cadres classés comme lui au coefficient 135, le salarié bénéficiait d'une rémunération très supérieure à la moyenne.
En définitive, compte tenu de ces éléments, l'employeur justifie par des raisons objectives étrangères à toute discrimination l'absence de promotion du salarié.
S'agissant du fait que la responsabilité commerciale WSF de l'Afrique a été confiée à M. [M], l'employeur n'apporte pas d'explication au fait qu'il a préféré ce dernier à M. [J]. Toutefois, la cour relève qu'il n'est pas établi non plus que M. [J] a effectivement présenté sa candidature à ce poste au moment où il a été envisagé de le pourvoir. Le salarié évoque, dans la lettre qu'il a adressée à l'employeur le 7 février 2011, le fait qu'« En 2003, après de longues années de forte implication dans l'expansion de notre société, [il espérait] être récompensé par une promotion vers la direction du groupe. » et ajoute qu'à sa « grande surprise, c'est un jeune, plus conventionnel que [lui], qui hiérarchiquement a été promu au dessus de [lui] à ce poste » mais il n'en ressort pas qu'il y avait candidaté. La décision de l'employeur de nommer M. [M] est étrangère à toute discrimination syndicale envers M. [J].
Sur le fait que M. [M] a annulé plusieurs déplacements du salarié à l'étranger en 2008, 2015, 2016 et 2017, l'employeur justifie par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination les raisons pour lesquelles il a procédé aux annulations litigieuses ou refusé les déplacements sollicités par le salarié.
Il ressort en effet des pièces versées aux débats, concernant ces annulations ou refus, qu'elles sont justifiées soit parce que le salarié n'a pas fait préalablement valider ses voyages par sa hiérarchie, soit parce que les voyages envisagés n'étaient pas utiles au regard du niveau de développement des pays (par exemple Mali, Mauritanie) ou trop longs eu égard au nombre de clients à visiter ou à prospecter (par exemple 6 jours ouvrés en Côte d'Ivoire ' départ un dimanche de Bamako alors qu'un retour pouvait être prévu le vendredi soir) ou trop onéreux (voyage en classe affaire pour un vol intérieur d'1 heure) ou sans plan d'action préalable. La cour relève au demeurant que, comme le montre la pièce 19 de l'employeur, le salarié a effectué de très nombreux séjours en Afrique, c'est-à-dire dans la zone qui lui était confiée, entre 2011 et 2019.
S'agissant des propos dénigrants tenus par M. [M] dans la lettre qu'il a adressée au salarié le 6 septembre 2010 : cette lettre fait suite à un « courrier du 2 septembre que [le salarié] a adressé » à deux dirigeants du groupe. Ce « courrier » n'est pas versé aux débats, mais la cour relève que M. [M], en s'adressant au salarié le 6 septembre 2010, se dit « atterré et navré » par les termes de ce « courrier ». Il en ressort aussi qu'en prêtant au salarié des propos « inconsistants et inexacts », « incohérents » qui reflètent son « incompétence », M. [M] entend répondre aux propos tenus par le salarié dans la correspondance qu'il a adressée aux dirigeants du groupe le 2 septembre 2010. En pièce 43, l'employeur produit le document transmis à cette époque par le salarié à trois dirigeants du groupe. Il y apparaît que le salarié y décrit M. [M] comme laissant aux clients « l'image d'un administratif » au point qu'ils ne souhaitent plus le voir, comme semant le désordre (« en un seul voyage, faisant abstraction de ma bonne connaissance de la zone, [M] a semé le désordre »). Plus généralement, il y transparaît de nombreuses critiques dirigées contre M. [M].
Dans ce contexte, les propos dénigrants tenus par M. [M] dans sa lettre du 6 septembre 2010, qui ne sont qu'une réponse aux propos tout aussi dénigrants que le salarié avait également tenus à son encontre, sont étrangers à toute discrimination.
Quant à l'évaluation annuelle du salarié du 23 juin 2011 par M. [M], il en ressort que M. [J] avait émis le souhait suivant : « Évolution vers la direction d'une équipe commerciale export et ouvert à toutes propositions à l'export dans un poste non sédentaire ». A ce souhait, M. [M] avait associé le commentaire suivant : « n'en a pas les capacités ». Il ressort des pièces 15 à 18 de l'employeur (évaluations du salarié entre 2013 et 2020 et attestation du directeur des ressources humaines) que le salarié a obtenu les notes suivantes :
. 2013/2014 : 2,5
. 2014/2015 (seul entretien approuvé par le salarié) : 2,425
. 2015/2016 : 2,767
. 2016/2017 : 3,117
. 2017/2018 : 2,675
. 2018/2019 : 1,950
. 2019/2020 : 2,034
Or, selon le directeur des ressources humaines, la moyenne des cadres de la société s'établit à 3,3 et la note 3 signifie que les compétences et les objectifs sont atteints à 100 % et qu'en « dessous de 3, le salarié est-sous performant par rapport au poste ».
Compte tenu des performances du salarié telles qu'évaluées sur une période de sept années, l'employeur justifie par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination le commentaire porté sur l'évaluation du salarié de 2011.
En conséquence de ce qui précède, tous les faits qui permettaient de supposer/présumer l'existence d'une discrimination syndicale sont justifiés par l'employeur par des raisons objectives, étrangères à toute discrimination.
Le jugement sera de ce chef confirmé de même qu'il sera confirmé en ce qu'il a débouté le salarié de sa demande de dommages-intérêts en lien avec une discrimination.
Sur la demande subsidiaire fondée sur l'inégalité de traitement
Le principe de l'égalité de traitement impose à l'employeur d'assurer une égalité de rémunération entre tous les salariés placés dans une situation identique et effectuant un même travail ou un travail de valeur égale. Il appartient d'abord au salarié qui invoque une atteinte à ce principe de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de caractériser une différence de traitement et il appartient ensuite à l'employeur de rapporter la preuve d'éléments objectifs justifiant cette différence et dont le juge doit contrôler la réalité et la pertinence.
Si l'employeur peut accorder des avantages particuliers à certains salariés, c'est à la condition que tous les salariés de l'entreprise placés dans une situation identique au regard de l'avantage en cause puissent bénéficier de l'avantage ainsi accordé et que les règles déterminant l'octroi de cet avantage soient préalablement définies et contrôlables.
***
En l'espèce, le salarié soumet à la cour le fait suivant :
. le fait que les cadres ont régulièrement droit à une augmentation annuelle de salaire de 2 % en moyenne et qu'il n'en a pas bénéficié depuis 2003,
. le fait que c'est grâce à l'inspection du travail en 2013 que l'employeur l'a augmenté de 0,5 % en 2014 puis 0,8 % en 2015,
. le fait que l'employeur lui a imposé des marges de 50 % alors que celles fixées aux cadres commerciaux étaient de l'ordre de 36 %.
Le salarié établit par ses pièces 17-1 à 17-10 salarié (procès-verbaux du comité d'établissement entre 2010 et 2018) que les salaires des cadres de la société ont augmenté d'au moins 2 % chaque année en moyenne.
Selon ses bulletins de paie (pièce 18 du salarié ' bulletins de paie entre 2002 et le mois de décembre 2018), son salaire fixe mensuel était le suivant :
. 4 200 euros bruts par mois en 2003,
. 4 346,16 euros bruts à partir de janvier 2005 (soit une augmentation supérieure à 2%),
. 4 411,35 euros bruts à partir de janvier 2006 (soit une augmentation inférieure à 2%),
. 4 477,52 euros bruts à partir de janvier 2007 (soit une augmentation inférieure à 2%),
. 4 567,07 euros bruts à partir de janvier 2008 (soit une augmentation égale à 2%),
. 4 612,74 euros bruts à partir de janvier 2009 (soit une augmentation inférieure à 2%),
. 4 658,87 euros bruts à partir d'août 2014 (soit une augmentation supérieure à 2%),
. 4 696,16 euros bruts à partir de juin 2015 (soit une augmentation inférieure à 2%),
. 4 733,73 euros bruts à partir de juin 2016 (soit une augmentation inférieure à 2%),
. 4 771,60 euros bruts à partir de mai 2017 (soit une augmentation inférieure à 2%).
Si le salarié n'établit pas que ses augmentations annuelles n'ont pas toujours été égales à au moins 2 %, il l'établit que tel a été le cas pour six des neuf années considérées.
Néanmoins, l'augmentation des cadres ne permet pas à la cour d'apprécier avec la pertinence requise l'inégalité invoquée de ce chef par le salarié. En effet, le principe de l'égalité de traitement suppose une comparaison du salarié avec « les salariés placés dans une situation identique et effectuant un même travail ou un travail de valeur égale ». Or il n'est pas démontré que tous les salariés cadres étaient placés dans une situation identique à celle de M. [J].
Au contraire, la société produit la liste des quinze cadres qui, comme lui, étaient classés au coefficient 135 (cf. tableau anonymisé des rémunérations des cadres au coefficient 135 en pièce 30 de l'employeur). En 2019, le salarié percevait une rémunération annuelle de 62 651,11 euros. Seuls deux des quinze cadres percevaient une rémunération supérieure à la sienne. Douze d'entre eux percevaient une rémunération inférieure.
Le salarié, qui invoque pour le démontrer ses pièces 20 et 21 (respectivement ses objectifs entre 2004 et 2018 et un document de septembre 2012 comportant une proposition du salarié visant à l'élargissement de ses responsabilités) n'établit pas, au moyen de ces pièces la réalité du fait que c'est grâce à l'intervention de l'inspection du travail qu'il a bénéficié d'une augmentation de 0,5 % en 2014 et 0,8 % en 2015.
Enfin, le salarié, se comparant à M. [P] (collègue de travail), se plaint d'une inégalité de traitement relativement aux marges qui lui étaient imposées. Il dresse à cet effet un tableau comparatif des marges qui lui étaient demandées entre 2003 et 2018 et de celles qui étaient, pour la même période, demandées à M. [P]. Il ressort de ce tableau comparatif d'importantes différences, les marges demandées à M. [P] étant inférieures à celles demandées à M. [J], les deux salariés travaillant l'un et l'autre dans le même service, sous la subordination de M. [M].
En synthèse de ce qui précède, le salarié établit seulement la différence de marges entre lui et son collègue. Ce fait est susceptible de caractériser une différence de traitement. Il appartient dès lors à l'employeur de rapporter la preuve d'éléments objectifs justifiant cette différence, dont le juge doit contrôler la réalité et la pertinence.
A raison, l'employeur fait valoir que les marges réalisées par la société différaient fortement d'un pays à l'autre. Or, il se déduit des débats que M. [J] et M. [P] n'avaient pas le même portefeuille de pays. En effet, il ressort de la pièce 34 du salarié (son tableau comparatif) qu'il avait dans son portefeuille les pays « d'Afrique noire » tandis que M. [P] avait dans son portefeuille la « zone Afrique du nord », le salarié précisant dans son tableau que cette dernière zone a un « PIB 22 fois supérieur à celui de l'Afrique noire ». Or, sans être contesté par le salarié sur ce point précis, l'employeur allègue que le niveau de marge exigé sur une zone ou un pays dépend des parts de marché, de sa maturité, du marché lui-même de sorte que la fixation des objectifs de taux de marge dépend singulièrement du pays. Or, l'employeur produit un tableau de marges en pièce 26 qui montre que pour l'Afrique du Nord, les marges étaient globalement très inférieures à celles de l'Afrique noire. A titre d'exemple,
. la cour relève les taux de marge suivants en 2012 :
. Maroc : 35,5 %
. Algérie : 35,6%
. Tunisie : 42,5 %
. Libye : 67,5 %
. Égypte : 37,8 %
. à comparer à :
. Burkina Faso : 73,1 %
. Cameroun : 57 %
. Côte d'Ivoire : 56 %
. Tchad : 80,5 %
. Congo : 45,7 %
. Gabon : 54,1 %
. Gambie : 66,4 %
. Ghana : 61,3 %
. Guinée : 54,9 %
. Mauritanie : 50,8 %
. Sénégal : 61,8 %
Dès lors, l'employeur apporte la preuve d'éléments objectifs justifiant la différence de traitement.
Le jugement sera de ce chef confirmé de même qu'il sera confirmé en ce qu'il a débouté le salarié de sa demande de dommages-intérêts subséquente et de sa demande de dommages-intérêts au titre du préjudice de retraite.
Sur la demande de dommages-intérêts pour préjudice moral
Pour fonder sa demande de dommages-intérêts pour préjudice moral, le salarié se fonde sur la dégradation de ses conditions de travail à l'arrivée de M. [M], depuis 2006, en raison des propos dénigrants de ce dernier dans un courrier et en raison de ce qu'il a été contraint d'annuler des rendez-vous en raison de voyages annulés.
Ces faits ont été invoqués au titre de la discrimination et ont été jugés comme étant justifiés par des raisons objectives de sorte qu'ils ne sont pas fautifs. Par conséquent, ils n'ouvrent pas droit à réparation ce qui conduit à confirmer le jugement en ce qu'il a débouté le salarié de ce chef de demande.
Sur la demande de dommages-intérêts pour violation de l'obligation d'exécution loyale du contrat de travail
Au soutien de cette demande, contestée par l'employeur, le salarié expose qu'il a été privé de toute promotion entre 1991 et 2003, durant laquelle il a été confiné au poste de chef de produit. Il ajoute que de façon pernicieuse en 2011, la société lui a proposé un poste de conseiller technique qui le privait de contact avec la clientèle. Il ajoute que la société a manqué à son obligation de formation.
***
Selon l'article L. 1222-1 du code du travail le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi.
Le salarié ne démontre pas en quoi, le fait de l'avoir maintenu chef de produit entre 1991 et 2003 constitue une exécution de mauvaise foi du contrat de travail. Il a par ailleurs été jugé que la proposition faite en 2011 au salarié ne constituait pas une rétrogradation de sorte que la proposition de l'employeur ' qui n'a pas été acceptée par le salarié et qui n'a donc pas été mise en 'uvre ' n'était pas « pernicieuse ». Enfin, s'agissant de la formation, il a été jugé que le salarié avait bénéficié de formation.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a débouté le salarié de sa demande de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Succombant, le salarié sera condamné aux dépens de la procédure d'appel.
Il conviendra de dire n'y avoir lieu de condamner le salarié à payer à son adversaire une indemnité sur le fondement de l'article 700 code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement et par arrêt contradictoire, la cour :
CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
DÉBOUTE les parties de leurs demandes autres, plus amples, ou contraires,
DIT n'y avoir lieu de condamner M. [J] à payer à la société Wilo France une indemnité sur le fondement de l'article 700 code de procédure civile,
CONDAMNE M. [J] aux dépens de la procédure d'appel.
. prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
. signé par Madame Aurélie Prache, Présidente et par Madame Marine MOURET, Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière La Présidente