COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
17e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 21 JUIN 2023
N° RG 21/02044
N° Portalis DBV3-V-B7F-UTEN
AFFAIRE :
Société PRECIPHAR
C/
[N] [M]
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 6 mai 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOULOGNE-
BILLANCOURT
Section : E
N° RG : F18/01114
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Julie GOURION
Me Karine PARENT
Copies numériques adressées à :
Pôle emploi
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT ET UN JUIN DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Société PRECIPHAR
[Adresse 1]
[Localité 25]
Représentant : Me Vanessa FRIEDLAND, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : B1100 et Me Julie GOURION, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 51
APPELANTE
****************
Monsieur [N] [M]
né le 12 septembre 1971 à [Localité 2]
de nationalité française
Les Juiveries
[Localité 9]
Représentant : Me Karine PARENT, Plaidant/ Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C0321
INTIME
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 12 avril 2023 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Aurélie PRACHE, Président chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Aurélie PRACHE, Président,
Monsieur Laurent BABY, Conseiller,
Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller,
Greffier lors des débats : Madame Dorothée MARCINEK
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
M. [M] a été engagé en qualité de directeur de réseaux, par contrat de travail à durée indéterminée, à compter du 3 juillet 2012, par la société Preciphar.
Cette société est spécialisée dans la présentation et la promotion en France de produits à visée thérapeutique auprès des acteurs de la santé. L'effectif de la société était, au jour de la rupture, de plus de 50 salariés. Elle applique la convention collective nationale des industries pharmaceutiques
Du 1er juin 2017 au 8 octobre 2017, le salarié a exercé une mission de « Medical Science Liaison Manager ». Par avenant à son contrat de travail du 9 octobre 2017, il a été nommé au poste de directeur régional groupe 7, niveau B catégorie cadre.
Convoqué par lettre du 22 juin 2018, le salarié a été convoqué à un entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement, fixé le 4 juillet 2018.
Il a été licencié par lettre du 9 juillet 2018 pour faute grave, au motif de déclarations mensongères portées sur ses rapports d'activité des derniers mois, en déclarant des activités et des déplacements ne correspondant pas à la réalité, et en surestimant les kilomètres parcourus à titre professionnel, ces agissements étant selon la société d'autant plus préjudiciable qu'il est manager d'une équipe de 11 personnes pour laquelle il doit être un exemple de droiture et de loyauté, obligation à laquelle l'employeur lui reproche d'avoir manqué.
Le 13 septembre 2018, M. [M] a saisi le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt aux fins de requalification de son licenciement pour faute grave en licenciement sans cause réelle et sérieuse et en paiement de diverses sommes de nature salariale et de nature indemnitaire.
Par jugement du 6 mai 2021, le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt (section encadrement) a :
- jugé que le licenciement de M. [M] ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse,
- fixé le salaire moyen de référence à prendre en compte à 5 769,02 euros,
- condamné la société Preciphar aux paiements des sommes suivantes :
. 23 076,08 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
. 2 307,61 euros au titre des congés payés afférents,
. 282,48 euros au titre du jour supplémentaire travaillé et non payé,
. 16 651,66 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,
. 34 614,12 euros au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
. 18,60 euros au titre des frais engagés le 16 mai et non remboursés,
. 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- ordonné la remise du certificat de travail et de l'attestation Pôle emploi rectifiés,
- ordonné la remise des justificatifs du paiement des primes sur résultat dans un délai d'un mois après la signification du jugement aux parties,
- débouté M. [M] de l'intégralité de ses demandes reconventionnelles,
- débouté la société Preciphar de l'intégralité de ses demandes reconventionnelle,
- laissé à la charge de chacune des parties ses propres dépens.
Par déclaration adressée au greffe le 25 juin 2021, la société Preciphar a interjeté appel de ce jugement.
Une ordonnance de clôture a été prononcée le 14 mars 2023.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 21 mars 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles la société Preciphar demande à la cour de :
- la déclarer recevable et bien fondée en son appel,
y faisant droit,
- réformer le jugement rendu par la section encadrement du conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt le 6 mai 2021 en ce qu'il a :
. jugé que le licenciement de M. [M] ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse,
. fixé le salaire moyen de référence à prendre en compte à 5 769,02 euros,
. l'a condamnée aux paiements des sommes suivantes :
* 23 076,08 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
* 2 307,61 euros au titre des congés payés afférents,
* 282,48 euros au titre du jour supplémentaire travaillé et non payé,
* 16 651,66 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,
* 34 614,12 euros au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 18,60 euros au titre des frais engagés le 16 mai et non remboursés,
* 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
. ordonné la remise du certificat de travail et de l'attestation Pôle emploi rectifiés,
. ordonné la remise des justificatifs du paiement des primes sur résultat dans un délai d'un mois après la signification du jugement aux parties,
. l'a déboutée de l'intégralité de ses demandes reconventionnelle,
. laissé à la charge de chacune des parties ses propres dépens,
en conséquence,
statuant à nouveau,
à titre principal,
- déclarer que le licenciement prononcé à l'encontre de M. [M] est parfaitement justifié et fondé, et repose sur une faute grave du salarié,
- en conséquence, débouter M. [M] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions en rapport avec la rupture de son contrat de travail,
à titre subsidiaire,
- fixer le salaire moyen de référence à retenir à la somme de 5 464,02 euros,
- déclarer que M. [M] se dispense de la moindre démonstration quant à sa situation professionnelle depuis son licenciement notamment en termes de recherches d'emploi,
- en conséquence, réduire très largement le quantum des dommages et intérêts qui pourraient lui être accordés,
- fixer l'indemnité compensatrice de préavis due à M. [M] à la somme de 21 856,08 euros et les congés payés afférents à la somme de 2 185,60 euros,
- fixer l'indemnité conventionnelle de licenciement due à M. [M] à la somme de 16 064,73 euros,
en tout état de cause,
- rejeter la demande de remboursement de frais de M. [M],
- déclarer qu'elle a d'ores et déjà communiqué à M. [M] les justificatifs afférents à sa prime de résultat pour la période allant de mai à juillet 2018,
- débouter M. [M] en toutes ses demandes, fins et conclusions,
- condamner M. [M] à lui payer la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner M. [M] en tous les dépens,
- dire que les dépens d'appel pourront être directement recouvrés par Me Julie Gourion, avocat au Barreau de Versailles, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 1er mars 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles M. [M] demande à la cour de :
- dire et juger la société Preciphar mal fondé en son appel,
- confirmer le jugement du 6 mai 2021 en toutes ses dispositions, à l'exception de celles ayant limité l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse à 6 mois de salaire et celle l'ayant débouté de sa demande de dommages-intérêts pour préjudice moral eu égard aux procédés vexatoires de l'employeur,
- le dire et juger recevable et bien fondé en son appel incident,
statuant à nouveau,
- condamner la société Preciphar à lui payer les sommes complémentaires suivantes :
. 5 769,02 euros en complément de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
. 34 614,12 euros au titre du préjudice moral eu égard aux procédés vexatoires et la nature des fonctions qu'il a occupées au sein de l'entreprise,
. 18,60 euros au titre des frais professionnels non remboursés,
. chacune d'entre elles avec intérêts légaux à compter du 12 septembre 2018,
- ordonner la capitalisation des intérêts,
y ajoutant,
- condamner la société Preciphar à lui remettre, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, le certificat de travail et l'attestation ASSEDIC rectifiée, ainsi que les justificatifs des primes sur résultat pour la période de mai à juillet 2018,
- condamner la société Preciphar à lui payer, une indemnité de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Preciphar en tous les dépens de l'instance.
MOTIFS
Sur la faute grave
L'employeur expose que le licenciement est fondé, le salarié ayant fait de manière réitérée et délibérée de fausses déclarations d'activité dans le but de tromper l'employeur sur la réalité de son activité, faits qu'il ne conteste d'ailleurs pas, chacun des griefs repris dans la lettre reposant sur des faits et des pièces du dossier.
Le salarié objecte que l'employeur est défaillant dans l'administration de la preuve de la faute grave, que ses qualités professionnelles sont en revanche établies par les attestations qu'il produit. Il souligne que certains faits invoqués dans la lettre de licenciement n'ont pas été évoqués lors de l'entretien préalable, qu'il existe de nombreuses erreurs de l'employeur dans le calcul des distances, et qu'il a en réalité été licencié à l'occasion du changement de directeur au motif que son salaire était trop élevé, que depuis son licenciement il a retrouvé un emploi mais avec une rémunération deux fois moindre.
***
Il résulte de l'article L.1232-1 du code du travail que tout licenciement pour motif personnel est justifié par une cause réelle et sérieuse.
Le motif inhérent à la personne du salarié doit reposer sur des faits objectifs, matériellement vérifiables et qui lui sont imputables.
L'article L.1235-1 du code du travail prévoit qu'en cas de litige, le juge, à qui il appartient d'apprécier le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties. Si un doute subsiste, il profite au salarié.
Enfin, la faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et qui justifie la rupture immédiate de son contrat de travail, sans préavis ; la charge de la preuve pèse sur l'employeur.
En l'espèce, la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, reproche au salarié des déclarations mensongères portées sur ses rapports d'activité des derniers mois, en déclarant des activités et des déplacements ne correspondant pas à la réalité, et en surestimant les kilomètres parcourus à titre professionnel, ces agissements étant selon la société d'autant plus préjudiciable qu'il est manager d'une équipe de 11 personnes pour laquelle il doit être un exemple de droiture et de loyauté, obligation à laquelle l'employeur lui reproche d'avoir manqué.
Pour justifier ce licenciement pour faute grave, l'employeur invoque les faits suivants :
- faits du 20 février 2018
Selon l'employeur, le salarié a déclaré avoir effectué de l'administratif le matin et s'être déplacé sur [Localité 10] l'après-midi, alors qu'il ressort d'un examen minutieux des factures péages Total que le salarié n'est parti sur [Localité 10] que le lendemain, soit le 21 février 2018, son passage au péage de [Localité 7] / [Localité 6] étant enregistré le 21 février 2018 à 8 heures 33. Selon l'employeur, le salarié ne s'explique d'ailleurs pas à cet égard dans ses conclusions et invoque le droit à l'erreur, ce qui ne permet toutefois pas de justifier de son activité du 20 février après-midi.
La cour relève que, contrairement à ce que soutient le salarié, ces faits sont établis par le relevé de factures de péage (pièce 1 de l'employeur) établissant que le salarié n'a pas effectué ce déplacement sur [Localité 10] le 20 février mais le lendemain matin, 21 février.
- faits du 21 février 2018
Selon l'employeur, le salarié a déclaré avoir été en duo avec Mme [H] toute la journée sur [Localité 10], celle-ci ayant indiqué de son côté avoir été en entretien avec le salarié l'après-midi, alors qu'il ressort d'un examen minutieux des factures péages Total que le salarié a emprunté le péage de [Localité 7] / [Localité 6] à 8 heures 33 ce jour-là et celui de [Localité 23] à 9 heures 51 (à 1h de [Localité 10]) de sorte qu'il n'a pu arriver sur [Localité 10], soit à plus de 250 kilomètres de son domicile, avant 11 heures au mieux, ce qu'il reconnaît d'ailleurs en indiquant avoir attendu Mme [H] dans la salle d'attente du Dr [C] à 10 heures 59, le compte-rendu indiquant la visite de seulement deux médecins pour toute la journée.
S'il est exact que le salarié n'est arrivé que vers 11h sur [Localité 10] pour effectuer avec Mme [H] la visite de médecins, l'employeur ne justifie pas en quoi le salarié aurait procédé pour cette journée en duo à une fausse déclaration d'activité, puisqu'au contraire son compte rendu de visite duo indique bien la visite de seulement deux médecins, lors d'une journée où il n'est pas contesté que le salarié a procédé à l'entretien d'évaluation de sa subordonnée.
Ces faits ne sont pas établis.
- les faits des 22 et 23 février 2018
Selon l'employeur, le salarié a déclaré avoir passé la journée du 22 février 2018 en duo avec M. [D] dans la région d'[Localité 8] / [Localité 5], avoir été hébergé gracieusement sur place le 22 février au soir et n'avoir ainsi repris la route pour regagner son domicile que le 23 février 2018 au matin, déclarant pour cette nouvelle journée de travail un déplacement pour le matin et de l'administratif pour l'après-midi, et que les kilomètres parcourus le 23 février 2018 l'ont été pour son retour de [Localité 5], alors que son véhicule a passé le péage de sortie [Localité 18] / Longué situé à moins d'une heure de son domicile le 22 février à 17 heures 15. L'employeur ajoute qu'ainsi le salarié avait donc en réalité regagné son domicile le 22 février au soir, ce qui signifie qu'il n'était nullement en duo avec M. [D] l'après-midi puisqu'il était sur le chemin du retour ([Localité 5] ' [Localité 9] : 4 heures de route), qu'il a perçu une indemnité indue pour le dîner déclaré du 22 février 2018 au soir et qu'il n'a pas travaillé le 23 février au matin. La société ajoute que pour cette journée du 23 février 2018, il a majoré de plus de 200 kilomètres ses kilomètres professionnels parcourus, dès lors que, alors que [Localité 5] se situe à moins de 500 kilomètres de son domicile, il en déclare 796.
La cour relève qu'il ressort des relevés de péage que le salarié, parti le 21 février à 8h de son domicile de [Localité 9], est arrivé de [Localité 10] à [Localité 15] le soir même à 21h23, de l'attestation de M. [D] que les deux salariés se sont retrouvés le lendemain, 22 février à 7h45 à [Localité 20], et des relevés de péage que M. [M] a repris l'autoroute le jour-même, 22 février, à [Localité 5] à 16h35, de sorte d'une part qu'il a pu passer toute la journée jusqu'à 16h30 avec M. [D], et, d'autre part, qu'il ne pouvait matériellement pas être de retour chez lui à [Localité 9] avant 20h le soir même.
Par ailleurs, s'agissant du lendemain, 23 février, l'allégation de l'employeur selon laquelle le salarié aurait majoré de 200 kms son trajet est dépourvue d'offre de preuve, l'employeur ne produisant aucune note de frais correspondant à cette journée, les états de frais produits commençant en mars.
Les faits reprochés au salarié pour les 22 et 23 février ne sont pas établis.
- les faits du 12 mars 2018
Selon l'employeur, le salarié a déclaré pour la journée du 12 mars 2018 avoir été en duo toute la journée avec Mme [P] alors qu'il ressort encore et toujours d'un examen minutieux des factures péages que le salarié a emprunté le péage de [Localité 7] / [Localité 6] à 8 heures 20 ce jour-là, de sorte qu'il n'a pu arriver sur [Localité 24], soit à plus de 300 kilomètres du péage de [Localité 6], avant 11 heures, ce qu'il a d'ailleurs reconnu en précisant avoir retrouvé Mme [P] aux environs de 11 heures dans une salle d'attente. L'employeur ajoute que, toujours pour cette même journée, le salarié prétend avoir regagné son domicile vers 21 heures 30, justifiant d'un repas pour le soir compte tenu de ce retour tardif, alors que son véhicule a passé le péage de [Localité 7] / [Localité 6], situé à moins d'une heure du domicile du salarié, à 19 heures 08, soit un retour au domicile avant 20 heures. Enfin, alors que le trajet [Localité 9] ' [Localité 24] ' [Localité 19] représente 311 kilomètres, soit 622 kilomètres aller-retour, il a déclaré pour cette journée 787 kilomètres professionnels parcourus a délibérément majoré une fois encore sa déclaration de plus de 150 kilomètres.
La cour relève qu'il ressort des relevés de péage que le salarié, entré sur l'autoroute à [Localité 7] le 12 mars à 8h20, en est sorti à [Localité 4] près de [Localité 24] à 10h48, de l'attestation de Mme [P] que les deux salariés se sont retrouvés pour visiter des médecins généralistes, le salarié reprenant l'autoroute à [Localité 24] à 18h38, rendant là encore matériellement impossible qu'il soit de retour chez lui à [Localité 9] avant 20h le soir même, étant relevé qu'au regard de l'amplitude de la journée, le salarié pouvait légitimement souhaiter prendre son dîner avant 19h. Par ailleurs, le salarié établit, sans être contredit, que le trajet (domicile, Sainte, [Localité 19]) correspond à 383 km pour un aller et 766 km pour un aller-retour, soit un écart de seulement 21 km qui correspond en réalité au temps de trajet entre le péage et le centre ville.
Les faits du 12 mars 2018 reprochés au salarié ne sont pas établis.
- les faits du 16 mars 2018
Selon l'employeur, le salarié a déclaré avoir passé toute la journée en duo avec Mme [E] sur [Localité 21] et n'avoir regagné son domicile que vers 21 heures 30, justifiant ainsi d'un repas pour le soir, alors qu'il a quitté [Localité 21] ce jour-là à 12 heures 20, a pris le train pour se rendre au [Localité 13] de sorte qu'à l'évidence, il ne pouvait être à [Localité 21] en duo avec Mme[E] le 16 mars 2018 après-midi. Il ajoute que le salarié a quitté la gare du [Localité 13] à 16 heures 53 et pris du carburant au [Localité 13] pour regagner son domicile situé à moins d'une heure de la gare (43 kms), de sorte qu'il avait regagné son domicile avant 18 heures et non pas vers 21 heures 30 comme déclaré.
Toutefois, il ressort des pièces produites par l'employeur lui-même que le salarié a pris le train le 16 mars à 12h20 à [Localité 21], avec changement à [Localité 11], et arrivée au [Localité 13] à 16h26, ce qui est compatible avec la prise de carburant au [Localité 13] à 17h01, étant relevé qu'au regard de l'amplitude de la journée, le salarié pouvait légitimement souhaiter prendre son dîner avant son retour au domicile.
Ces faits ne sont pas établis.
- les faits du 21 mars 2018
Selon l'employeur, le salarié a déclaré un « hébergement gratuit » dans la zone où il avait effectué
son duo avec M. [D], soit vers [Localité 5], justifiant ainsi une fois encore d'un repas pour le soir, alors que son véhicule a passé le péage de [Localité 18] / Longué situé à moins d'une heure de son domicile à 16 heures 55 qu'il regagnera donc avant 18 heures, de sorte qu'il n'a d'évidence pas passé la nuit à [Localité 5] ni même dîné la bas.
Toutefois, comme précédemment la cour relève qu'entré sur l'autoroute au péage de [Localité 5] à 16h15 il lui était, là encore, matériellement impossible d'être de retour chez lui à [Localité 9], situé à plus de 4 heures de route, avant 20h le soir même.
Ces faits ne sont pas établis.
- les faits du 6 avril 2018
Selon l'employeur, le salarié a déclaré pour la journée du 6 avril 2018 une activité au siège à [Localité 25] pour le matin et l'après-midi, alors qu'il se trouvait à [Localité 9] le 6 avril à 12 heures 08, où il a acquis à cette heure-là au Speed Wash de [Localité 9] 6 jetons de lavage pour sa voiture, de sorte qu'étant à [Localité 9] à 12 heures 08, il ne pouvait d'évidence pas se trouver au même moment au siège de [Localité 25] situé à 256 kilomètres de [Localité 9] 35.
Toutefois, la cour relève que le salarié n'a pas établi de relevé de frais pour ce jour là, et que le relevé de factures de péage indique qu'il en est sorti de l'autoroute à Sablé le 6 avril à 20h13, ce qui accrédite la thèse selon laquelle il était en déplacement et s'est rendu à [Localité 25] ce jour-là, l'employeur ne contredisant pas la possibilité pour l'épouse du salarié de procéder à l'achat de ces jetons pour son mari.
Les faits du 6 avril 2018 ne sont pas établis.
- les faits du 17 avril 2018
Selon l'employeur, le salarié a déclaré pour cette nouvelle journée avoir été en visite accompagnée sur [Localité 3] toute la journée sans plus de précision, le salarié ayant précisé lors de l'entretien préalable, avoir passé la journée en duo avec Mme [B], alors que cette dernière a déclaré de son côté avoir visité ce jour-là des médecins à [Localité 9], [Localité 22] et [Localité 12], mais aucun sur [Localité 3] (pièce 11), et qu'il ressort des factures de péages que le salarié a emprunté le péage de [Localité 7] / [Localité 6] à 12 heures 04 ce jour-là, pour l'emprunter de nouveau dans le sens inverse à 13 heures 30.
La cour relève que la fiche de visite indique seulement pour cette journée 'visite accompagnée' sans indiquer le lieu, et l'état de frais établi par le salarié indiquant '[Localité 3]' indique 112 kms pour cette journée ce qui ne correspond pas aux allégations du salarié selon lesquelles il a passé cette journée sur [Localité 9] en visite avec Mme [B]. Les explications du salarié dans ses écritures concernant cette journée n'expliquent pas pour quelle raison il a indiqué lui-même [Localité 3] sur cet état de frais et comment il a pu effectuer 112 kms en restant sur [Localité 9].
Ces faits sont établis.
- les faits du 18 avril 2018
Selon l'employeur, le salarié prétend pour cette journée avoir été en réunion au siège alors même
qu'aucune réunion n'était prévue ce jour-là que ce soit le matin ou même l'après-midi, prétendant ticket de parking à l'appui, qu'il serait bien arrivé à [Localité 25] le 18 avril 2018 à 12 heures 57, alors qu'il est passé avec son véhicule au péage du [Localité 13] Nord, à 12 heures 26, le siège de [Localité 25] se trouvant à 195 kilomètres du péage du [Localité 13] Nord, soit à près de 2 heures de route.
La cour relève qu'en effet les relevés de facture de télépéage mentionnent pour cette journée une entrée sur l'autoroute au niveau du [Localité 13] à 12h26 ce qui est incompatible avec le ticket de parking du Novotel [Adresse 17] le même jour à 12h57, les explications du salarié selon lesquelles l'horodatage du parking n'était pas actualisé à l'heure d'été étant dépourvues d'offre de preuve.
Ces faits sont établis.
- les faits du 16 mai 2018
Selon l'employeur, le salarié a prétendu au travers de son rapport d'activité avoir regagné son domicile à 22 heures, alors qu'il a passé le péage de [Localité 14], situé à une cinquantaine de kilomètres de son domicile, à 19 heures 21 et a pris du carburant au Carrefour Market de [Localité 9], où il réside, à 20 heures 10.
La cour relève que le relevé de factures de télépéage indique pour cette journée une entrée sur l'autoroute à [Localité 26] à 8h36 en direction de [Localité 16], et une entrée à [Localité 16] le même jour à 18h30, ce qui n'est matériellement pas compatible avec un retour au domicile avant 20h, ainsi que le montre d'ailleurs la facture de carburant à 20h10.
Ces faits ne sont pas établis.
En définitive, l'employeur n'établit l'existence d'état de frais divergeants ou incohérents avec les relevés de télépéage que s'agissant des 20 février, 17 et 18 avril 2018, ce qui, au regard de la fiabilité relative desdites factures quant au décompte exact des kilomètres parcourus, et du nombre de déplacements réalisés quotidiennement et mensuellement par le salarié est anecdotique.
En tout état de cause, l'employeur n'établit pas, comme soutenu dans ses conclusions d'appelant (page 20), que le salarié a 'sciemment falsifié sur plusieurs mois ses rapports d'activité en déclarant des activités et déplacements ne correspondant pas à la réalité et en surestimant les kilomètres par lui parcourus (...).'
Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a retenu que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Sur les conséquences financières du licenciement sans cause réelle et sérieuse
Sur le salaire de référence
L'employeur expose que le salaire de référence du salarié à retenir s'établit à la somme de 5 464,02 euros, dès lors que la prime de 7 320 euros versée en septembre 2017 doit être proratisée sur les quatre mois de la période qu'elle couvre.
Le salarié objecte que l'attestation Pôle emploi du 25 octobre 2018 annule et remplace la précédente (pièce n°63) du 10 juillet 2018, ce que la société ne peut sérieusement ignorer.
En effet, la cour relève que sur cette attestation du 25 octobre 2018 (verso de la page 2 qui indique 'Attestation annule et remplace éditée automatiquement par Pôle emploi le 25/10/2018 12:01"), le salaire brut des douze derniers mois précédant le licenciement du 9 juillet 2018 s'élève à la somme de 57 120 euros et le montant des primes et indemnités à la somme de 12 108,28 euros, soit un salaire moyen mensuel brut de 5 769,02 euros, tel que fixé par le conseil de prud'hommes, dont le jugement sera confirmé de ce chef.
Sur l'indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents
Compte tenu du salaire de référence ainsi fixé, le jugement sera également confirmé s'agissant du montant de l'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents.
Sur l'indemnité conventionnelle de licenciement
Aux termes de l'article 33 de la convention collective des industries pharmaceutiques dispose en son 6° :
« Le montant de l'indemnité de licenciement est ainsi calculée :
- à partir d'un an d'ancienneté, 9/30 de mois par année, à compter de la date d'entrée dans l'entreprise jusqu'à 5 ans ;
- pour la tranche de 5 à 10 ans d'ancienneté, 12/30 de mois par année ;
- pour la tranche de 10 à 15 ans d'ancienneté, 14/30 de mois par année ;
- pour la tranche de 15 à 20 ans d'ancienneté, 16/30 de mois par année ;
- pour la tranche au-delà de 20 ans d'ancienneté, 18/30 de mois par année.
Le montant de l'indemnité de licenciement ainsi calculée est majoré d'un mois pour les salariés licenciés âgés de plus de 45 ans et/ou ayant au moins 15 années d'ancienneté dans l'entreprise, et d'un mois supplémentaire pour les salariés licenciés âgés de plus de 50 ans ».
Au moment de la notification du licenciement, le 9 juillet 2018, le salarié, engagé le 3 juillet 2012, était âgé de 45 ans et comptait 6 ans d'ancienneté, de sorte que l'indemnité conventionnelle de licenciement qui lui est due, compte tenu du salaire de référence précédemment retenu, s'élève à la somme de 16 730,15 euros se décomposant comme suit : (5 769,02 euros x 9/30 x 5 ans) + [(5 769,02 euros x 12/30)] + 5 769,02 euros.
Dans la limite de la demande, le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné l'employeur, dans la limite de la demande, à payer au salarié la somme de 16 651,66 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement.
Sur les frais non remboursés
Le salarié expose que le montant total des frais des mois de mai et de juin 2018 est de 1028,32 euros, et celui du mois de juillet de 144,42 euros, le 25 juillet 2018, l'employeur ayant adressé au salarié 2 chèques d'un montant de 991,62 euros et 144,42 euros, de sorte que l'employeur lui doit la somme de 36,70 euros (pièce n°16), le conseil de prud'hommes ayant retenu celle de 18,60 euros, mais l'a omise dans son dispositif, le salarié demandant à la cour de réparer cette omission.
L'employeur admet que c'est une somme totale de 1136,04 euros qui devait être remboursée au salarié au titre de ses frais, ce qui a été fait le 25 juillet 2018 par l'envoi de 2 chèques, l'un de 991,62 euros et l'autre de 144,42 euros, sans justifier des déductions opérées, dont notamment celle du 16 mai 2018 pour lequel les allégations de l'employeur ont été précédemment écartées.
Dans les limites de la demande, il convient de confirmer les motifs du jugement ayant condamné l'employeur au paiement d'une somme de 18,60 euros à ce titre.
Sur le rappel de salaire au titre de la journée du 11 juillet 2018
En cas de faute grave, la date de rupture du contrat de travail est celle de la notification, c'est-à-dire de l'envoi par l'employeur de la lettre de licenciement et non celle de première présentation de la lettre à l'adresse de son destinataire.
La rupture du contrat de travail a été notifiée par lettre du 9 juillet dont l'employeur ne justifie pas d'une date d'envoi distincte de celle du jour de ladite lettre, date à laquelle le contrat de travail du salarié a donc été rompu.
Le jugement sera en conséquence infirmé en ce qu'il a condamné l'employeur au paiement de la somme de 282,48 euros au titre du jour supplémentaire travaillé et non payé.
Sur les primes sur résultat pour la période de mai à juillet 2018
L'employeur ne produisant qu'un tableau dans ses écritures sans établir la communication au salarié des justificatifs afférents à sa prime de résultat pour la période allant de mai à juillet 2018, il convient de rejeter sa demande tendant à voir déclarer que la société les a d'ores et déjà communiqué au salarié, dont la cour relève qu'il ne formule aucune demande à ce titre.
Sur l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
En application des dispositions de l'article L. 1235-3, dans sa rédaction applicable au litige, issue de l'ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017, qui octroient au salarié, en cas de licenciement injustifié, une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux variant en fonction du montant du salaire mensuel et de l'ancienneté du salarié, M. [M] ayant acquis une ancienneté de 6 années complètes au moment de la rupture dans la société employant habituellement au moins onze salariés, le montant de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse est compris entre 3 mois et 7 mois de salaire.
Compte tenu notamment des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée au salarié (5 769,02 euros bruts), de son âge (46 ans), de son ancienneté, de la longue période de chômage dont il justifie et du nouvel emploi qu'il occupe moyannant une rémunération moindre, il y a lieu de condamner la société Preciphar à lui payer la somme de 40 380 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Ajoutant au jugement, le licenciement étant sans cause réelle et sérieuse, il y a lieu, en application des dispositions de l'article L. 1235-4 du code du travail qui l'imposent et sont donc dans le débat, d'ordonner d'office à l'employeur de rembourser aux organismes concernés les indemnités de chômage versées au salarié, dans la limite de six mois d'indemnités.
Sur les dommages-intérêts pour préjudice moral et procédés vexatoires
Le licenciement peut causer au salarié un préjudice distinct de celui lié à la perte de son emploi, en raison des circonstances brutales ou vexatoires qui l'ont accompagné, permettant au salarié de demander réparation de son préjudice moral, sur le fondement de la responsabilité civile prévue aux articles 1382 et suivants du code civil dans leur version applicable à l'espèce.
Le salarié expose que c'est dans un contexte particulier et dans un objectif déterminé par un souci d'économie que ces tâches purement administratives et fastidieuses ont été passées au peigne fin, que le procédé est vexatoire eu égard au caractère dérisoire, à supposer les erreurs avérées, des griefs formés à son encontre, sans compter les nombreuses erreurs mises en exergue par le salarié sur les calculs opérés par l'employeur et sur les distances retenues, que cette manière d'agir est à elle seule vexatoire, et sans compter qu'alors il était proche de retrouver un emploi, s'est vu, à deux reprises, essuyer un refus, de sorte qu'il soupçonne son employeur d'y avoir contribué, le milieu médical étant un milieu restreint où les rumeurs se propagent vite.
L'employeur objecte que le salarié procède par affirmations péremptoires.
Toutefois, au-delà du caractère injustifié de la perte de l'emploi, il ressort de l'examen des griefs à laquelle la cour s'est précédemment livrée que l'employeur a en effet, alors qu'il n'avait jamais alerté le salarié sur une difficulté concernant ses rapports d'activité et ses états de frais, mis en oeuvre de façon brutale cette procédure de licenciement pour faute grave, dont la cour a retenu qu'elle était injustifiée.
Par voie d'infirmation, le préjudice qui est résulté pour le salarié sera réparé par l'octroi d'une somme de 2 000 euros.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Il y a lieu de confirmer le jugement déféré en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles.
Il y a lieu de condamner la société Preciphar aux dépens de l'instance d'appel et de la condamner à payer au salarié la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et de rejeter sa demande fondée sur ce texte.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire, en dernier ressort et prononcé par mise à disposition au greffe :
CONFIRME le jugement entrepris, sauf en ce qu'il condamne la société Preciphar à payer à M. [M] la somme de 34 614,12 euros au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et la somme de 282,48 euros au titre du jour supplémentaire travaillé et non payé, et en ce qu'il déboute M. [M] de sa demande de dommages-intérêts au titre du préjudice moral et procédés vexatoires,
Statuant à nouveau des seuls chefs infirmés, et y ajoutant,
CONDAMNE la société Preciphar à payer à M. [M] les sommes suivantes :
- 40 380 euros au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 2 000 euros de dommages-intérêts au titre des circonstances brutales et vexatoires de la rupture,
- 18,60 euros au titre des frais non remboursés de mai à juillet 2018,
ORDONNE d'office à l'employeur de rembourser aux organismes concernés les indemnités de chômage versées au salarié, dans la limite de six mois d'indemnités,
DEBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
CONDAMNE la société Preciphar à payer à M. [M] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la société Preciphar aux dépens.
. prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
. signé par Madame Aurélie Prache, Présidente et par Madame Marine MOURET, Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière La Présidente