COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
17e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 21 JUIN 2023
N° RG 21/02116
N° Portalis DBV3-V-B7F-UTO5
AFFAIRE :
[F] [D]
C/
Société INEO ENERGY & SYSTEMS
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 26 mai 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de VERSAILLES
Section : E
N° RG : F 19/00558
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me David METIN
Me Arnaud LEBIGRE
Copies numériques adressées à :
Pôle emploi
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT ET UN JUIN DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dont la mise en délibérée a été fixée au 7 juin 2023, puis prorogée au 21 juin 2023, dans l'affaire entre :
Monsieur [F] [D]
né le 7 août 1980 à [Localité 5]
de nationalité française
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentant : Me David METIN de l'AARPI METIN & ASSOCIES, Plaidant/ Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 159
APPELANT
****************
Société INEO ENERGY & SYSTEMS
N° SIRET : 419 173 364
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentant : Me Arnaud LEBIGRE de la SELARL LEBIGRE, Plaidant/ Constitué, avocat au barreau de ROUEN, vestiaire : 94
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 5 avril 2023 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Aurélie PRACHE, Président chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Aurélie PRACHE, Président,
Monsieur Laurent BABY, Conseiller,
Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller,
Greffier lors des débats : Madame Dorothée MARCINEK
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
M. [D] a été engagé en qualité d'ingénieur maintenance système de sécurités, par contrat de travail à durée indéterminée, à compter du 1er août 2014 par la société Ineo Energy & Systems.
Cette société est spécialisée dans les travaux d'installation électrique dans tous locaux. L'effectif de la société était, au jour de la rupture, de plus de 50 salariés. Elle applique la convention collective nationale des travaux publics.
Le salarié percevait une rémunération brute mensuelle de 3 565,42 euros (somme retenue par le salarié et la société).
A la suite d'un arrêt maladie de mai à novembre 2016, il a bénéficié d'un mi-temps thérapeutique jusqu'en avril 2017.
Le 1er mars 2018, le salarié a fait l'objet d'un avertissement pour un manque de professionnalisme.
Convoqué par lettre du 4 avril 2019 à un entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement, fixé le 16 avril 2019, le salarié a été licencié par lettre du 24 avril 2019 pour cause réelle et sérieuse dans les termes suivants:
« En effet, nous vous reprochons une remise en cause constante des directives qui vous sont notifiées par votre hiérarchie, en l'occurrence vos N+1 et N+2.
Ainsi, par email en date du 26 février 2019, le Responsable d'Affaires (N+2) vous demande de ne plus mettre en copie de vos échanges un interlocuteur lors d'un dépannage sur GRTGAZ OBE.
« [F],
Pour les demandes d'interventions, peux-tu suivre ce planning d'astreinte et ne pas mettre (') en copie de tes demandes ' Il est directeur d'agence et c'est (R) le RA.
Met en copie (R) et les interlocuteurs en astreinte en direct ».
Vous y apportez la réponse suivante :
« On m'a toujours demandé d'indiquer Mr (P) par mail lorsque je communique avec INEO RSE depuis 2014.
Par le passé, on ne m'a jamais indiqué le contraire, ce process n'a donc jamais été modifié.
Là tu sembles sous-entendre que mon process n'est pas le bon et qu'il faut le changer.
Très bien je le ferai mais je n'apprécie pas cette façon de me le dire comme si je faisais mal les choses.
Si un process change, ce n'est pas ton rôle de me l'indiquer simplement sans sous-entendre que ma façon de faire n'est pas la bonne '
Pourquoi ne pas communiquer à l'ensemble de l'équipe ' J'ai par le passé indiqué cette façon de faire à [I] lors de ses échanges avec INEO RSE. Je lui ai donc indiqué un mauvais process.
Cette situation discrédite la qualité de la formation que je souhaite lui apporter.
Sache que je n'apprécie pas d'être mis dans cette situation qui n'aura que pour but de discréditer la qualité de mon travail dans cette équipe. »
A lieu d'exécuter les consignes simples et claires qui vous sont demandées par votre hiérarchie, vous les contestez et vous en tirez des conclusions erronées. Il n'y a aucun reproche dans cet email mais une simple demande de ne plus mettre en copie un interlocuteur spécifique.
Cette remise en cause de votre hiérarchie s'illustre de nouveau par ces échanges de mails et une montée en polémique de votre part des directives qui vous sont communiquées :
Ainsi, vous reprochez à votre N+1 de communiquer directement avec un de vos collègues « A l'avenir j'aspire à avoir une réponse à mes demandes mails' sans passer par un messager » (cf email du 05 03 2019).
Toujours dans cet email, vous indiquez : « Or je constate que lors de mes demandes vers mon N+1 (information reçue ce jour par [R]), il ne semble pas utile que ce dernier me réponde.
Heureusement que le dialogue avec mes collègues techniciens fonctionne. (') ».
Vous écrivez découvrir l'information de qui est votre N+1 alors qu'une communication avait été faite plusieurs semaines en amont portant sur la nouvelle organisation du service et donc l'information sur votre rattachement hiérarchique.
Enfin vous indiquez que votre Responsable d'Affaires a été menaçant avec vous dans ses propos sans aucunement les étayer. « Je n'apprécie pas d'entendre que je n'ai pas le droit de communiquer par mail, surtout quand mon N+2 de manière menaçante me parle des suites à venir ('). » (email du 05 03 2019).
Par ailleurs, nous vous reprochons une inadéquation avec la posture attendue de la part d'un cadre et notamment une absence d'autonomique et l'absence de tout comportement pro-actif dans le cadre de votre poste. Ainsi, sur le site de [Localité 6], il était recommandé de changer un module mis sur votre bureau (email en date du 27 février du Responsable Technique). Vous êtes passé sur le site de [Localité 3] et vous avez vu posé sur votre bureau le module. Vous ne vous êtes pas renseigné pour savoir pourquoi ce module se trouvait précisément à cet emplacement et vous n'avez pas contacté votre Responsable Technique avant de partir sur le site de [Localité 6]. Au contraire, vous avez écrit un email à votre Responsable technique selon lequel vous indiquez :
« Bonjour [W],
Etant présent au bureau ce matin pour prendre le matériel pour partir sur site avec [I], je n'ai pas allumé mon PC.
J'ai effectivement vu une boîte sur mon bureau, sans aucun message dessus, ni aucune indication.
[I] n'a pas pu m'éclairer sur ce point.
En consultant mes mails ce soir à l'hôtel par professionnalisme, je prends connaissance de ton mail.
N'ayant aucune information, je n'ai pas pris cet équipement en partant ce matin.
Un simple post-it sur l'équipement indiquant « Pour [Localité 6] » aurait suffi.
Pourquoi une telle absence de communication '
La communication par mail est simple pour des personnes ayant accès à leur mail en permanence, ce n'est pas mon cas.
Je n'ai pas de smartphone, cela n'est pas nouveau.
Rien de bien nouveau au final, il faut donc rebondir suite à ce « couac ». (')
Je suis désolé de te demander cela car au vu des intempéries, tu dois avoir beaucoup de chose à gérer mais il est important de trouver des solutions pour le bon fonctionnement du service ».
Là aussi, au lieu de vous interroger sur la présence de ce matériel, vous en déduisez une absence de communication et vous de nous remettez aucunement en cause. Nous ne pouvons que déplorer l'absence de toute prise d'initiative de votre part, révélant une inadéquation importante avec la posture attendue.
De plus, nous devons constater un manque de rigueur dans le cadre du déroulement de vos missions et une méconnaissance des procédures de base existantes chez INEO E&S. Ainsi par exemple, vous écrivez à votre hiérarchie en septembre 2018, en leur reprochant de ne pas l'avoir prévenu de la signature du PDP demandé par le client. Vous indiquez : « Je trouve inadmissible de se trouver dans ce genre de situation, faute de prise en connaissance de la demande exact du client ». (').
Ce qui n'est pas normal c'est de ne pas être au courant que les PDP sont valables pendant une durée d'une année civile (01.01 au 31.12), de ne pas savoir qu'ils sont stockés sur une base et également dans un classeur. Là aussi, au lieu de vous informer, vous avez encore une fois reproché à vos supérieurs de vous avoir mis, selon vous, dans une situation difficile.
L'ensemble des faits cités ci-dessus constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement ».
Le 26 septembre 2019, M. [D] a saisi le conseil de prud'hommes de Versailles aux fins de requalification de son licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse et en paiement de diverses sommes de nature indemnitaire.
Par jugement du 26 mai 2021, le conseil de prud'hommes de Versailles (section encadrement) a :
- débouté M. [D] de sa demande de requalification de son licenciement,
- dit que le licenciement de M. [D] repose sur une cause réelle et sérieuse,
- débouté M. [D] de sa demande de dommages et intérêts pour non respect de la procédure de licenciement,
- débouté M. [D] de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice subi et manquements de l'employeur à son obligation d'exécution de bonne foi du contrat de travail,
- débouté les parties du surplus de leurs demandes, fins et conclusions,
- débouté les parties de leur demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné M. [D] aux entiers dépens.
Par déclaration adressée au greffe le 1er juillet 2021, M. [D] a interjeté appel de ce jugement.
Une ordonnance de clôture a été prononcée le 7 mars 2023.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 24 janvier 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles M. [D] demande à la cour de :
- le recevoir en ses demandes et l'y déclarer bien fondé,
- infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Versailles le 26 mai 2021,
statuant à nouveau,
à titre principal,
- juger que son licenciement est nul,
en conséquence,
- condamner la société Ineo Energy & Systems à lui verser une indemnité pour licenciement nul à hauteur de 28 000 euros nets de CSG-CRDS et de charges sociales,
à titre subsidiaire,
- juger que le licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse,
en conséquence,
- condamner la société Ineo Energy & Systems à lui verser une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
à titre principal,
- juger que doit être écarté le plafonnement prévu par l'article L. 1235-3 du code du travail en raison de son inconventionnalité, ce plafonnement violant les dispositions de l'article 24 de la Charte sociale européenne, les articles 4 et 10 de la convention 158 de l'OIT et le droit au procès équitable,
en conséquence,
- condamner la société Ineo Energy & Systems à lui verser la somme de 28 000 euros nets de CSG et de CRDS à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (non plafonnée),
à titre subsidiaire,
- condamner la société Ineo Energy & Systems à lui verser une indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse sur le fondement de l'article L. 1235-3 du code du travail (plafonnée) égale à 17 800 euros nets de CSG et de CRDS,
sur les autres demandes,
- fixer la moyenne des salaires brute à la somme de 3 565,42 euros,
- condamner la société Ineo Energy & Systems à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- assortir ces sommes des intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud'hommes conformément aux dispositions des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil,
- ordonner la capitalisation judiciaire des intérêts sur le fondement de l'article 1343-2 du code civil,
- condamner la société Ineo Energy & Systems aux entiers dépens y compris les éventuels frais d'exécution de l'arrêt à intervenir.
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 14 février 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles la société Ineo Energy & Systems demande à la cour de :
à titre principal,
- débouter purement et simplement M. [D] de toutes ses demandes, fins et conclusions,
en conséquence,
- confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Versailles, section encadrement, en date du 26 mai 2021, en toutes ses dispositions,
- condamner M. [D] au versement d'une somme de 2 000 euros, au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens d'instance,
à titre subsidiaire,
- limiter le quantum des dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 10 696,26 euros, soit 3 mois de salaire,
- débouter M. [D] du surplus de ses demandes.
MOTIFS
Sur la nullité du licenciement
Le salarié, qui rappelle qu'il a été engagé en qualité de technicien de maintenance et a été propulsé comme ingénieur sans aucun accompagnement sur le poste, expose que le licenciement est la conséquence de ses mauvaises conditions de travail, notamment d'un problème de communication avec le manager, qu'il existait un contexte anxiogène lié à l'attribution de projets alors qu'il n'en a ni les compétences ni le temps nécessaire, que les courriels qui lui sont reprochés dans la lettre de licenciement n'expriment que des points de discordance sans termes injurieux, diffamatoires ou irrespectueux, de sorte que son licenciement porte atteinte à sa liberté d'expression.
L'employeur objecte que le motif du licenciement n'est pas constitué par les termes des courriels visés dans la lettre de licenciement qui ne sont en effet ni injurieux, ni excessifs ni diffamatoires, les courriels n'étant visés qu'à titre d'illustration de l'insubordination du salarié, qui est seule sanctionnée, que sinon, tout grief qui serait illustré par un courriel du salarié ne pourrait être retenu comme entravant la liberté d'expression du salarié, que le licenciement n'est pas nul mais au contraire bien fondé.
***
Il résulte de l'article L.1232-1 du code du travail que tout licenciement pour motif personnel est justifié par une cause réelle et sérieuse.
Le motif inhérent à la personne du salarié doit reposer sur des faits objectifs, matériellement vérifiables et qui lui sont imputables.
L'article L.1235-1 du code du travail prévoit qu'en cas de litige, le juge, à qui il appartient d'apprécier le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties. Si un doute subsiste, il profite au salarié.
La lecture de la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, et n'invoque pas l'avertissement antérieur, permet de relever que les griefs dénoncés par la société sont une remise en cause constante par le salarié des directives notifiées par sa hiérarchie, une inadéquation avec la posture attendue de la part d'un cadre, une absence d'autonomie, l'absence de tout comportement pro-actif, un manque de rigueur dans le cadre du déroulement de ses missions, et une méconnaissance des procédures de base existantes.
Les griefs articulés par l'employeur ne consistent pas à sanctionner le salarié pour avoir exprimé dans ses mails, cités dans la lettre de licenciement à titre d'illustration des griefs, une opinion ou une appréciation subjective mais pour avoir fait preuve d'insubordination, de refus d'exécuter des directives et de communiquer autrement que par mail, et de remise en cause des décisions de son supérieur hiérarchique.
Le fait qu'il ait manifesté cette opposition dans ses écrits ne fait pas obstacle à la possibilité pour l'employeur de lui en faire grief sans encourir pour autant le reproche de la violation de la liberté d'expression du salariée de sorte que la demande de nullité du licenciement pour violation de la liberté d'expression et la demande d'indemnité pour licenciement nul seront rejetées, étant relevés que ces demandes sont nouvelles en appel, ce que l'employeur ne soulève pas.
Sur le bien fondé du licenciement
- Sur la remise en cause constante des directives notifiées par la hiérarchie
A l'appui de ce grief, la société produit :
- un courriel du 4 mars 2019 cité dans la lettre de licenciement, dans lequel le salarié aurait, selon l'employeur, contesté les directives de sa hiérarchie, en la personne de M. [L], responsable d'affaires, qui lui a reproché de mettre en copie d'un message concernant une intervention le directeur d'agence plutôt que le responsable d'astreinte directement, ce que le salarié avait pourtant fait.
Toutefois, il ne se déduit pas de la réponse du salarié une remise en cause des directives de la hiérarchie mais une incompréhension quant au caractère évolutif des directives et à la façon de M. [L] de les annoncer, le salarié n'y refusant pas de s'y conformer.
- un courriel du 5 mars 2019 dans lequel le salarié indique à M. [Y], un autre responsable d'affaires, notamment regretter que M. [L] se soit déplacé sur son site d'intervention uniquement pour lui signaler de vive voix que la communication par mail était à proscrire.
De la même façon la cour n'analyse pas ce courriel comme un reproche fait à la hiérarchie de communiquer directement avec un de ses collègues, mais comme une demande légitime du salarié qu'il soit répondu par mail à ses demandes faites par mail. De même il ne peut être déduit de l'indication 'lors de mes demandes vers mon N+1 (information reçue ce jour par [R])' que le salarié s'y plaint de n'avoir pas été informé 'de qui est (son) N+1" .
Le grief de 'remise en cause constante des directives notifiées par la hiérarchie'n'est pas établi.
- Sur l'inadéquation avec la posture attendue de la part d'un cadre, l'absence d'autonomie, l'absence de tout comportement pro-actif
L'employeur invoque le fait que le salarié, qui avait vu un module posé sur son bureau, ne s'est pas interrogé sur ce qu'il en devait en faire, alors qu'il avait reçu la consigne de le remplacer par un courriel du 27 février. Toutefois, il n'est pas contesté qu'à cette date le salarié était en congés, et que ce n'est qu'à son retour le lundi 4 mars au matin qu'il a vu ce module sur ce bureau, sans message ni indication dessus.
La seule absence d'interrogation de ses collègues concernant un module posé sur son bureau pendant ses congés ne permet pas de retenir le caractère réel et sérieux du grief précité, qui doit donc également être écarté.
- Sur le manque de rigueur dans le cadre du déroulement de ses missions, et une méconnaissance des procédures de base existantes
L'employeur reproche au salarié de ne pas être informé que les 'PDP' sont valables pendant une année civile et qu'ils sont stockés dans un classeur.
A l'appui de ce grief, il ne produit qu'un courriel de M. [L] indiquant au salarié le 7 septembre 2018 qu'il 'n'y avait pas de PDP à signer car nous avons déjà un PDP', sans que ce courriel n'évoque la règle, invoquée dans la lettre de licenciement que le salarié aurait méconnu, de validité des PDP pendant une année, l'employeur ne produisant aucun élément de nature à établir que le salarié était informé de cette règle et de l'existence d'un PDP pour cette intervention.
Dans ses écritures, l'employeur ajoute que 'au demeurant, le 26 septembre 2018, est-ce encore de la responsabilité de sa hiérarchie d'imprimer les mots de passe des serveurs du client GRT GAZ et de les oublier sur place ''' dont, sans autre explicitation, la cour ne parvient pas à comprendre le sens et quels reproches seraient ainsi faits au salarié.
Le manque de rigueur et la méconnaissance des procédures de base existantes ne sont pas établis.
En conséquence, l'employeur n'établissant pas le caractère réel et sérieux des griefs reprochés au salarié, les pièces relatives à l'avertissement de 2018 étant inopérantes pour ce faire, par voie d'infirmation il convient de dire le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Sur les conséquences financières du licenciement sans cause réelle et sérieuse
Les dispositions des articles L. 1235-3 et L. 1235-3-1 du code du travail, qui octroient au salarié, en cas de licenciement injustifié, une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux variant en fonction du montant du salaire mensuel et de l'ancienneté du salarié et qui prévoient que, dans les cas de licenciements nuls, le barème ainsi institué n'est pas applicable, permettent raisonnablement l'indemnisation de la perte injustifiée de l'emploi. Les dispositions des articles L. 1235-3, L. 1235-3-1 et L. 1235-4 du code du travail sont ainsi de nature à permettre le versement d'une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l'article 10 de la Convention n° 158 de l'OIT
Le caractère dissuasif des sommes mises à la charge de l'employeur est également assuré par l'application, d'office par le juge, des dispositions de l'article L. 1235-4 du code du travail.
Il en résulte que les dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail sont compatibles avec les stipulations de l'article 10 de la Convention précitée (Soc., 11 mai 2022, pourvoi n° 21-14.490, publié), les dispositions de la Charte sociale européenne n'étant pas d'effet direct en droit interne (Soc., 11 mai 2022, n° 21-15.247, publié).
En application des dispositions de l'article L. 1235-3, dans sa rédaction applicable au litige, issue de l'ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017, qui octroient au salarié, en cas de licenciement injustifié, une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux variant en fonction du montant du salaire mensuel et de l'ancienneté du salarié, M. [D] ayant acquis une ancienneté de quatre années complètes au moment de la rupture dans la société employant habituellement au moins onze salariés, le montant de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse est compris entre 3 mois et 5 mois de salaire.
Compte tenu notamment des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée au salarié (3 565,42 euros bruts, selon le calcul du salarié, non contesté par l'employeur), de son âge (39 ans), de son ancienneté, du fait qu'il a retrouvé un nouvel emploi fin 2019 au statut non cadre induisant une rémunération moindre de 20 %, il y a lieu de condamner l'employeur à lui payer la somme de 13 500 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Le licenciement étant sans cause réelle et sérieuse, il y a lieu, en application des dispositions de l'article L. 1235-4 du code du travail qui l'imposent et sont donc dans le débat, d'ordonner d'office à l'employeur de rembourser aux organismes concernés les indemnités de chômage versées au salarié, dans la limite de six mois d'indemnités.
La cour relève que le salarié ne sollicite pas en appel la condamnation de l'employeur au paiement de dommages-intérêts 'pour non respect de la procédure de licenciement', lesquels en tout état de cause ne peuvent se cumuler avec l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, ni de 'dommages et intérêts pour préjudice subi et manquements de l'employeur à son obligation d'exécution de bonne foi du contrat de travail', demandes dont il a été déboutées en première instance.
Sur les intérêts
Il convient de dire que les intérêts au taux légal sur les créances indemnitaires courront à compter du prononcé de la présente décision, et à compter de la date de réception par l'employeur de sa convocation à comparaître à l'audience de conciliation pour les créances salariales.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Il y a lieu d'infirmer le jugement déféré en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles, et de condamner l'employeur aux dépens de première instance et d'appel, ainsi qu'à payer au salarié la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et de rejeter sa demande fondée sur ce texte.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant, dans les limites de sa saisine, par arrêt contradictoire, en dernier ressort et prononcé par mise à disposition au greffe :
INFIRME le jugement entrepris mais seulement en ce qu'il déboute M. [D] de sa demande de requalification de son licenciement, dit que le licenciement de M. [D] repose sur une cause réelle et sérieuse, déboute M. [D] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et en ce qu'il condamne M. [D] aux dépens,
Statuant à nouveau des seuls chefs infirmés, y ajoutant,
DIT que le licenciement de M. [D] est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
CONDAMNE la société Ineo Energy & Systems à payer à M. [D] la somme de 13 500 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé de la présente décision,
ORDONNE à la société Ineo Energy & Systems de rembourser aux organismes concernés les indemnités de chômage versées au salarié, dans la limite de six mois d'indemnités,
DEBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
CONDAMNE la société Ineo Energy & Systems à payer à M. [D] la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la société Ineo Energy & Systems aux dépens de première instance et d'appel.
. prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
. signé par Madame Aurélie Prache, Présidente et par Madame Marine MOURET, Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière La Présidente