COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
1ère chambre 1ère section
ARRÊT N°
CONTRADICTOIRE
Code nac : 74A
DU 04 JUILLET 2023
N° RG 20/03781
N° Portalis DBV3-V-B7E-T742
AFFAIRE :
E.A.R.L. DE LA TUILERIE
C/
Consorts [L]
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 02 Juillet 2020 par le Tribunal Judiciaire de CHARTRES
N° Chambre :
N° Section :
N° RG : 17/02381
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
-Me Mélina PEDROLETTI,
-la SCP POISSON & CORBILLE LALOUE
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE QUATRE JUILLET DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
E.A.R.L. DE LA TUILERIE
représentée par son gérant, M. [N] [W]
N° SIRET : 381 346 386
La Palfaudière
[Localité 6]
représentée par Me Mélina PEDROLETTI, avocat postulant - barreau de VERSAILLES, vestiaire : 626 - N° du dossier 24952
Me Eliette SARKISSIAN de la SELARL ELIETTE SARKISSIAN, avocat - barreau de CHARTRES, vestiaire : 000046
APPELANTE
****************
Madame [V], [Y], [P] [L]
née le 11 Janvier 1960 à [Localité 14]
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Localité 12]
Madame [C], [V], [F] [L] épouse [G]
née le 10 Juin 1958 à [Localité 14]
de nationalité Française
[Adresse 8]
[Localité 5]
représentées par Me Claire CORBILLE LALOUE de la SCP POISSON & CORBILLE LALOUE, avocat - barreau de CHARTRES, vestiaire : 000019 - N° du dossier 20202550
INTIMÉES
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 11 Mai 2023 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Anna MANES, Présidente chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Anna MANES, Présidente,
Madame Pascale CARIOU, Conseiller,
Madame Sixtine DU CREST, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Madame Natacha BOURGUEIL,
FAITS ET PROCÉDURE
Mme [C] [L] épouse [G] et Mme [V] [L] sont propriétaires, en vertu d'un acte de donation du 24 juillet 1999, d'une parcelle de bois cadastrée ZR n° [Cadastre 4] d'une superficie de 2 ha 79 a et 20 ca, située à [Localité 12] (Eure-et-Loir), [Adresse 11].
Le donateur, M. [A] [L], leur père, a déclaré être toujours passé, pour y accéder, par la parcelle cadastrée YC n°[Cadastre 2]. Cette parcelle appartenait à son employeur, Mme [M] [J], exploitante agricole.
En novembre 1998, Mme [J] a consenti à Mme [Y] [W] un bail rural sur la parcelle YC n° [Cadastre 2].
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 15 février 1999, M. et Mme [W], preneurs à bail, ont refusé l'accès à ladite parcelle à Mmes [C] [G] et [V] [L].
Un conflit de voisinage a alors opposé Mmes [L] et M. et Mme [W].
En 2014, l'exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL) de la Tuilerie, dont le gérant est M. [N] [W], est devenue propriétaire de la parcelle cadastrée Y n° [Cadastre 2].
Le centre de médiation et d'arbitrage d'Eure-et-Loir a été saisi en 2016, mais le gérant de la société de la Tuilerie, propriétaire de la parcelle YC n° [Cadastre 2], a refusé de procéder à la consignation.
Mmes [L] soutenant que, depuis 2015, il leur est impossible d'exploiter, d'entretenir et même de jouir de leur parcelle cadastrée ZR n° [Cadastre 4], ont fait assigner, par acte du 31 octobre 2017, la société de la Tuilerie devant le tribunal de grande instance de Chartres aux fins d'obtenir, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, et au visa de l'article 682 du code civil, la reconnaissance d'un droit de passage sur la parcelle cadastrée YC n° [Cadastre 2], ainsi que la condamnation de la défenderesse au paiement de la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Par jugement contradictoire rendu le 2 juillet 2020, le tribunal judiciaire de Chartres a :
- Dit que la parcelle cadastrée ZR n° [Cadastre 4] d'une superficie de 2 ha 79 a et 20 ca, sise à [Localité 12] (Eure et Loir), [Adresse 11], dispose d'une servitude de passage sur la parcelle cadastrée YC n° [Cadastre 2] prise sur son bord Sud ;
- Débouté l'EARL de la Tuilerie de sa demande de dommages et intérêts ;
- Condamné l'EARL de la Tuilerie à payer à [C] [G] et [V] [L] la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamné l'EARL de la Tuilerie aux dépens, lesquels ne comprendront pas les frais de constat ;
- Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.
La société de la Tuilerie a interjeté appel de cette décision le 4 août 2020 à l'encontre de Mme [C] [G] et Mme [V] [L].
Par un arrêt contradictoire rendu le 23 novembre 2021, la cour d'appel de Versailles a :
- Rejeté le moyen inopérant soulevé par la société de la Tuilerie tiré de l'irrecevabilité de Mme [C] [L] épouse [G] et Mme [V] [L] (Mmes [L]) faute d'intérêt à agir ;
- Déclaré recevables Mmes [L] malgré l'absence de mise en cause des autres propriétaires voisins ;
- Dit que la parcelle de bois cadastrée ZR n° [Cadastre 4] d'une superficie de 2 ha 79 a et 20 ca, située à [Localité 12] (Eure-et-Loir), [Adresse 11], appartenant à Mmes [L] est enclavée ;
Avant dire droit sur toutes autres demandes,
- Ordonné une consultation écrite confiée à M. [B] [R] géomètre foncier expert près la cour d'appel de Versailles, qui aura pour mission :
* de se rendre sur les lieux et de décrire la situation des parcelles cadastrées ZR n° [Cadastre 4] et YC n° [Cadastre 2],
* de procéder au relevé de tous les chemins et routes existantes aux abords des parcelles aux fins de permettre à la cour de déterminer l'assiette du droit de passage au profit de la parcelle ZR n° [Cadastre 4] susmentionnée, le plus court et le moins dommageable à celui sur le fonds duquel il devra être accordé ; l'expert matérialisera ce tracé sur un plan qui sera annexé à sa consultation ;
* le cas échéant, il pourra entendre tous sachants et se faire communiquer tous documents qu'il estimera nécessaire à l'accomplissement de sa mission ;
- Fixé la consignation à valoir sur la rémunération de l'expert judiciaire à la somme de 2 000 euros qui devra être versée par Mmes [L] ou par la partie la plus diligente à la Régie de la cour d'appel de Versailles le 10 janvier 2022 au plus tard sous peine de caducité de la mesure ;
- Dit que l'expert judiciaire devra déposer son rapport au greffe de la 1 ère chambre civile, 1ère section, de la cour d'appel de Versailles dans le délai de six mois à compter de sa saisine ;
- Désigné le président de cette chambre ou tout magistrat délégué par lui pour surveiller ces opérations de consultation écrite ;
- Renvoyé la procédure à l'audience de mise en état du 17 février 2022 pour vérifier le versement de la consignation ;
- Sursis à statuer sur les autres demandes ;
- Réservé les dépens.
L'expert a déposé son rapport le 12 juin 2022.
Par ses dernières conclusions notifiées le 31 mars 2023, l'EARL de la Tuilerie demande à la cour de :
- Déclarer bien fondée l'EARL de la Tuilerie en son appel ;
- Infirmer le jugement rendu le 2 juillet 2020 par le tribunal judiciaire de Chartres en ce qu'il a :
* Dit que la parcelle cadastrée ZR n°[Cadastre 4] d'une superficie de 2ha 79a 20ca, sises à [Localité 12] (Eure-et-Loir), [Adresse 11], dispose d'une servitude de passage sur la parcelle cadastrée YC n°[Cadastre 2] prise sur son bord Sud ;
* Débouté l'EARL de la Tuilerie de sa demande de dommages et intérêts ;
* Condamné l'EARL de la Tuilerie à payer à [C] [G] et [V] [L] la somme de 1500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
* Condamné l'EARL de la Tuilerie aux dépens, lesquels ne comprendront pas les frais de constat ;
Statuant de nouveau :
- Déclarer infondées Mesdames [C] [G] et [V] [L] en toutes leurs
demandes, fins et conclusions ; les en débouter.
- Rejeter l'existence d'un droit de passage sur la parcelle YC [Cadastre 2] au profit de la parcelle ZR N°[Cadastre 4] ;
A titre infiniment subsidiaire :
- Limiter le droit de passage de Mmes [C] [G] et [V] [L] sur la parcelle cadastrée section YC N°[Cadastre 2] ' Commune de [Localité 12] - Dans la limite d'une largeur de trois mètres prise sur le bord Sud, le long de la haie en limite de propriété avec M. [E] [T] (parcelle ZR N°[Cadastre 7]) - Après le 31 juillet de chaque année (à condition que la parcelle soit moissonnée) jusqu'au 31 août suivant - Sans possibilité de stockage - Seulement sept jours par période annuelle.
- Ordonner que Mmes [C] [G] et [V] [L] l'informent par lettre
recommandée avec accusé de réception de la date à laquelle, elles comptent faire usage de leur droit de passage avec un délai minimum de douze jours ouvrés à compter de la réception de la première présentation de la lettre recommandée pour lui permettre d'établir un état des lieux par huissier de justice.
Dans tous les cas :
- Condamner Mmes [C] [G] et [V] [L] à lui verser 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner Mmes [C] [G] et [V] [L] aux entiers dépens y compris les frais d'expertise ; dont le montant sera recouvré conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Par leurs dernières conclusions notifiées le 29 juin 2022, Mme [V] [L] et Mme [C] [G] demandent à la cour de :
- Confirmer purement et simplement le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Chartres le 2 juillet 2020,
En conséquence,
- Dire que la parcelle sise commune de [Localité 12] cadastrée section ZR n°[Cadastre 4] d'une contenance de 2 ha 79 à 20 ca est enclavée.
- Accorder aux propriétaires de ladite parcelle un droit de passage sur la parcelle cadastrée section YC n°[Cadastre 2] d'une contenance de 7ha 21a 10ca prise sur le bord Sud de ladite parcelle en application de l'article 682 du code civil ;
- Condamner l'EARL de la Tuilerie à leur verser en sus des sommes qui leur ont été accordées en première instance, la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens comprenant les frais de consultation écrite confiée à M. [B] [R], géomètre foncier expert.
La clôture de l'instruction a été ordonnée le 20 avril 2023.
SUR CE, LA COUR,
A titre liminaire,
Conformément aux dispositions de l'article 954, alinéa 3, du code de procédure civile, les prétentions sont récapitulées au dispositif des dernières conclusions et la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif. Il s'ensuit que dès qu'une partie demande, au dispositif de ses conclusions, l'infirmation du jugement sans formuler de prétention sur les chefs querellés, la cour d'appel n'est pas saisie de prétention relative à ceux-ci (2e Civ., 5 décembre 2013, pourvoi n° 12-23.611, Bull. 2013, II, n° 230 ; 2e Civ, 30 janvier 2020, n° 18-12.747 ; 2e Civ., 16 novembre 2017, pourvoi n° 16-21.885 ; 1re Civ., 12 janvier 2022, pourvoi n° 20-17.346).
Force est de constater que la société de la Tuilerie qui poursuit l'infirmation du jugement en ce qu'il la déboute de sa demande de dommages et intérêts ne formule aucune demande à la suite. La cour n'est donc saisie d'aucune demande de ce chef.
Il sera en outre observé que, dans son arrêt avant dire droit, la cour d'appel de Versailles confirme l'état d'enclavement de la parcelle ZR n° [Cadastre 4] de sorte que ce chef du dispositif du jugement n'a plus à être réexaminé.
Cette cour a ordonné une consultation écrite confiée à M. [R] pour lui permettre de déterminer l'assiette du droit de passage au profit de la parcelle ZR n° [Cadastre 4] le plus court et le moins dommageable à celui sur le fonds duquel il devra être accordé et de matérialiser ce tracé sur un plan qui sera annexé à sa consultation.
Après avoir envisagé différentes solutions, l'expert judiciaire a retenu que la solution n° 2 d'accès à la parcelle cadastrée ZR n° [Cadastre 4] par la voie communale n° 31 puis par une servitude d'accès sur la parcelle YC n° [Cadastre 2] (sur son bord Sud, conformément au tracé établi sur le plan annexé à sa consultation) est la moins dommageable. Il a ajouté que le passage pour l'exploitation forestière pouvait être limité en fonction des dates de récolte agricole.
Sur l'assiette de passage
Le tribunal, après avoir examiné les différentes solutions envisageables pour assurer le désenclavement de la parcelle ZR n° [Cadastre 4], a retenu que seul le passage par le fonds de la société de la Tuilerie, donc par la parcelle YC n° [Cadastre 2] sur son bord Sud, répondait le mieux aux exigences des articles 682 et 683 du code civil.
Il a en outre observé que la société de la Tuilerie ne prouvait ni soutenait que ce passage par son fonds lui avait causé un préjudice dans le passé. Il relevait en outre qu'il n'était nullement explicité le préjudice susceptible d'être causé à son fonds, étant observé que même à titre subsidiaire la défenderesse ne sollicitait pas une indemnité pour ce passage sur son fonds.
' Moyens des parties
La société de la Tuilerie critique la consultation de M. [R] aux motifs que :
* l'expert s'est déplacé sans préciser ou décrire la date de son passage, les conditions météorologiques, les parcelles litigieuses ;
* l'expert a oublié d'envisager la solution par la parcelle ZR n° [Cadastre 9] qui avait pourtant été évoquée par la cour ;
* l'expert ne précise pas la nature du dommage qui pourrait être causée par l'existence d'un droit de passage sur les parcelles examinées ;
* l'expert ne précise pas, au titre de la solution n° 1 qui est la plus courte, les travaux d'aménagement pour franchir le talus au bord de la parcelle ZR n° [Cadastre 3], talus dont on sait que sa hauteur est égale à 1,50 m ;
* l'expert estime que la solution n° 2 est la moins dommageable en se fondant sur des considérations péremptoires tirées de l'existence de cultures de moindre rendement, sans spécifier lesquelles, sans les détailler ;
* l'expert n'évoque pas les dégâts causés par le stockage des troncs d'arbres et le passage des camions grumiers ;
* l'expert a été abusé par les intimées qui ont affirmé que le passage par la parcelle n° [Cadastre 3] était manifestement impossible car composée d'un garage et close alors qu'elle s'était bornée à souligner que la présence d'un garage prouvait l'existence d'une voie carrossable.
Elle souligne que le passage par la parcelle YC [Cadastre 2] se situe au Nord-Ouest à l'abri d'une haie ; que le sol y est argileux et y reste humide toute l'année même l'été ; que la parcelle n'est pas naturellement drainée ; que le passage à répétition d'engins forestiers causeraient des ornières multiples (pièce 27), détruirait son champ, rendrait la terre compacte, difficile à travailler donc infertile.
Elle prétend que d'autres passages plus appropriés existent :
* le passage par la parcelle ZR [Cadastre 9] appartenant à M. [E], puis le GR 35 recouvert de calcaire et un chemin de terre (pièce 29) ;
* le passage par la parcelle ZR [Cadastre 10] appartenant à M. [H] longeant la parcelle ZR [Cadastre 3] par le Nord (solution n° 1 de l'expert [R], écarté par ce dernier) ; que l'existence d'un talus d'un mètre cinquante de hauteur ne peut constituer un frein au passage alors qu'une pelleteuse pourrait créer un passage sans difficulté ;
* le passage par la parcelle ZR [Cadastre 7] appartenant à M. [E], ce terrain orienté au Sud est moins humide favorisant l'accès au bois et au débardage des grumes.
Elle en conclut que la consultation ordonnée est insuffisante, incomplète, pas assez approfondie pour justifier un droit de passage sur sa parcelle.
Mmes [L] poursuivent la confirmation du jugement et font valoir que la consultation de M. [R] ne fait que confirmer que le passage sur la parcelle cadastrée section YC n° [Cadastre 2] d'une contenance de 7 ha 21 a et 10 ca pris sur le bord Sud de cette parcelle correspond aux exigences de l'article 682 du code civil.
Elles rappellent que, contrairement à ce que soutient son adversaire, le passage litigieux a été utilisé jusqu'en 2015 sans qu'aucune dégradation sur les cultures n'ait été à déplorer, peu important l'attestation de M. [U] (pièce adverse 15) qui affirme que le passage d'un tracteur de 60 CV ainsi qu'une remorque chargée de 8 stères de bois de chauffage entraînerait des dégâts sur la parcelle, ce qui n'est nullement démontré. Elles ajoutent que le débardage est réalisé par un professionnel une fois tous les 20 à 30 ans ; que ce professionnel est assuré contre les dégâts qu'il pourrait occasionner à cette occasion ; que les travaux sont réalisés en dehors des récoltes et en bonne intelligence.
Elles font valoir que, contrairement à ce que soutient leur adversaire, le passage par la parcelle ZR [Cadastre 9] est impraticable. En effet, l'huissier de justice le 5 août 2021 (pièce 38) a constaté, se rendant sur la parcelle ZR [Cadastre 9] en longeant la parcelle ZR [Cadastre 3] sur environ 170 mètres jusqu'au chemin de terres GR 35, que l'assiette du chemin était étroite, environ 2 mètres 50, avec une déclivité prononcée qui nécessiterait un aménagement ; qu'il existait un talus d'environ 1,50 mètre ; qu'une clôture composée de piquets bois et fils de fer barbelés limitait les parcelles ZR [Cadastre 9] et ZR [Cadastre 3] ; qu'un talus empêchait le passage d'engins permettant le débardage de bois.
Elles observent que leur adversaire n'hésite pas à dénigrer le travail de M. [R], mandaté par la cour, en lui reprochant de ne pas avoir fourni des précisions qui ne lui étaient pas demandées, de ne pas avoir accompli un travail sérieux tout simplement parce qu'il n'a pas abondé dans son sens en confirmant ce que le premier juge a retenu et ce qui a été pratiqué jusqu'en 2015.
' Appréciation de la cour
L'article 682 du code civil dispose que 'Le propriétaire dont les fonds sont enclavés et qui n'a sur la voie publique aucune issue, ou qu'une issue insuffisante, soit pour l'exploitation agricole, industrielle ou commerciale de sa propriété, soit pour la réalisation d'opérations de construction ou de lotissement, est fondé à réclamer sur les fonds de ses voisins un passage suffisant pour assurer la desserte complète de ses fonds, à charge d'une indemnité proportionnée au dommage qu'il peut occasionner.'
Selon l'article 683 du même code, 'Le passage doit régulièrement être pris du côté où le trajet est le plus court du fonds enclavé à la voie publique.
Néanmoins, il doit être fixé dans l'endroit le moins dommageable à celui sur le fonds duquel il est accordé.'
Comme il a été rappelé, cette cour a d'ores et déjà statué sur l'existence d'une situation d'enclave au détriment de la parcelle ZR n° [Cadastre 4] appartenant à Mmes [L].
C'est par d'exacts motifs, adoptés par cette cour, que le premier juge a fixé l'assiette de la servitude de passage pour désenclaver la parcelle ZR [Cadastre 4] par un accès par la parcelle YC n° [Cadastre 2] prise sur son bord Sud.
Il suffit d'ajouter que l'expert [R] n'a fait que confirmer que, pour désenclaver cette parcelle, le tracé le moins dommageable consistait à passer par la voie communale n° 31 puis par instituer une servitude d'accès sur la parcelle YC n° [Cadastre 2] sur le bord Sud de cette parcelle.
Les solutions proposées par la société de la Tuilerie, en particulier le passage par la parcelle ZR n° [Cadastre 9], n'apparaissent pas répondre aux exigences des articles 682 et 683 du code civil.
A cet égard, s'agissant du passage par la parcelle ZR [Cadastre 9], le constat effectué par un huissier de justice le 5 août 2021 (pièce 38) relate ce qui suit (page 11) 'nous examinons la proposition de passage par la parcelle ZR [Cadastre 9]. Cette proposition suit le cheminement suivant :
A partir de la parcelle ZR [Cadastre 4] commune de [Localité 13], en empruntant la parcelle ZR [Cadastre 9] et en logeant la parcelle ZR [Cadastre 3] sur environ 170 mètres jusqu'au chemin de terre GR 35 ; ce chemin de terre GR 35 doit être poursuivi sur environ 440 mètres avant d'atteindre une voie carrossable. Je constate que l'assiette de ce chemin de terre GR 35 est assez étroite, environ 2,50 m et en déclivité prononcée. L'accès entre le GR 35 et la parcelle ZR [Cadastre 3] et permettant de côtoyer celle-ci présente un talus en déclivité prononcée et nécessiterait un aménagement. En effet, il convient de gravir ce talus d'une hauteur d'1,5m. Cette distance est en pente descendante vers le chemin GR 35. Je constate la présence d'une clôture composée de piquets bois et fils de fer barbelés limitant les parcelles ZR [Cadastre 9] et ZR [Cadastre 3]. Cette distance est en pente descendante vers le chemin GR 35. Enfin, je constate la présence de clôtures et fils de fer barbelés sur trois rangs limitant les parcelles ZR [Cadastre 9] et ZR [Cadastre 7] qui interdisent le passage vers la parcelle de bois ZR [Cadastre 4].' Ces énonciations sont illustrées par des photographies prises par l'huissier de justice.
Il résulte de ces constatations et énonciations que le passage par la parcelle ZR [Cadastre 9] ne répond pas aux exigences des articles 682 et 683 du code civil.
Les autres solutions proposées par l'appelante n'apparaissent pas plus pertinentes pour les raisons relevées par l'expert [R] et les constatations de l'huissier de justice, M. [K] le 5 août 2021 (pièce 38).
C'est en outre sans fondement que la société de la Tuilerie reproche à l'expert de ne pas avoir évoqué les dégâts causés par le stockage des troncs d'arbres et le passage des camions grumiers alors que la mission ne lui confiait pas cette tâche. En outre, il sera observé que la société de la Tuilerie ne justifie pas que le passage par sa parcelle jusqu'en 2015 pour permettre le désenclavement du fonds de Mmes [L], (parcelle ZR [Cadastre 4]) et effectuer les travaux forestiers a occasionné des désordres quelconques. Enfin, il sera encore relevé que la société de la Tuilerie ne sollicite pas d'indemnité en raison du dommage que le passage est susceptible d'occasionner ce qui suffit à démontrer que ce dommage est inexistant.
Il découle de ce qui précède que le jugement qui fixe au profit de la parcelle cadastrée ZR n° [Cadastre 4], d'une superficie de 2 ha 79 a et 20 ca, sise à [Localité 12] (Eure et Loir), [Adresse 11], une servitude de passage sur la parcelle cadastrée YC n° [Cadastre 2] prise sur son bord Sud sera confirmé.
Sur les limitations du droit de passage
Contrairement à ce que sollicite la société de la Tuilerie, il n'y a pas lieu de limiter la servitude de passage pour cause d'enclave accordée au profit de la parcelle ZR [Cadastre 4].
Il sera en premier lieu rappelé que la société de la Tuilerie ne précise pas sur le fondement de quelle disposition il conviendrait de restreindre le droit de passage ainsi accordé.
En second lieu, la société de la Tuilerie ne justifie pas, par des éléments de preuve, que le propriétaire du fonds dominant aurait usé, voire abusé, de son droit de passage de manière à causer des dégâts au fonds servant, justifiant ainsi pareilles restrictions.
La demande subsidiaire de la société de la Tuilerie sera dès lors rejetée.
Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
Le sens du présent arrêt conduit à confirmer le jugement en ses dispositions relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile.
La société de la Tuilerie, partie perdante, supportera les dépens d'appel, qui comprendront les frais de consultation écrite de M. [R], expert judiciaire, désigné par cette cour. Par voie de conséquence, sa demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile sera rejetée.
L'équité commande d'allouer la somme de 5 000 euros à Mmes [L] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant par arrêt contradictoire et mis à disposition ;
Vu l'arrêt rendu par la 1ère chambre civile, 1ère section, de la cour d'appel de Versailles le 23 novembre 2021 ;
CONFIRME le jugement ;
REJETTE les demandes de l'exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL) de la Tuilerie tendant à voir :
- Limiter le droit de passage de Mmes [C] [G] et [V] [L] sur la parcelle cadastrée section YC N°[Cadastre 2] - Commune de [Localité 12] - Dans la limite d'une largeur de trois mètres prise sur le bord Sud, le long de la haie en limite de propriété avec M. [E] [T] (parcelle ZR N°[Cadastre 7]) - Après le 31 juillet de chaque année (à condition que la parcelle soit moissonnée) jusqu'au 31 août suivant - Sans possibilité de stockage - Seulement sept jours par période annuelle.
- Ordonner que Mmes [C] [G] et [V] [L] l'informent par lettre
recommandée avec accusé de réception de la date à laquelle, elles comptent faire usage de leur droit de passage avec un délai minimum de douze jours ouvrés à compter de la réception de la première présentation de la lettre recommandée pour lui permettre d'établir un état des lieux par huissier de justice ;
CONDAMNE l'EARL de la Tuilerie aux dépens d'appel qui comprendront les frais de consultation écrite de M. [R], expert judiciaire ;
CONDAMNE l'EARL de la Tuilerie à verser à Mmes [C] [G] et [V] [L] la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
REJETTE la demande de l'EARL de la Tuilerie fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
- signé par Madame Anna MANES, présidente, et par Madame Natacha BOURGUEIL, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, La Présidente,