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06/07/2023 | FRANCE | N°21/02215

France | France, Cour d'appel de Versailles, 21e chambre, 06 juillet 2023, 21/02215


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80A



21e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 06 JUILLET 2023



N° RG 21/02215 - N° Portalis DBV3-V-B7F-UUBF



AFFAIRE :



S.A.S. LA MAISON BLEUE



C/



[C] [X]









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 27 Mai 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOULOGNE-BILLANCOURT

N° Chambre :

N° Section : E

N° R

G : 19/00865



Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



Me Stéphanie CHANOIR



Me Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE





le :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE SIX JUILLET DEUX MILLE VINGT TRO...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

21e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 06 JUILLET 2023

N° RG 21/02215 - N° Portalis DBV3-V-B7F-UUBF

AFFAIRE :

S.A.S. LA MAISON BLEUE

C/

[C] [X]

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 27 Mai 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOULOGNE-BILLANCOURT

N° Chambre :

N° Section : E

N° RG : 19/00865

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Stéphanie CHANOIR

Me Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE SIX JUILLET DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

S.A.S. LA MAISON BLEUE

N° SIRET : 821 450 749

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par : Me Stéphanie CHANOIR, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 143 substitué par Me MIARA Chloé avocat au barreau de PARIS

APPELANTE

****************

Monsieur [C] [X]

né le 17 Mars 1975 à [Localité 5]

de nationalité Française

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représenté par : Me Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625 - - Représenté par : Me Sonia HADJALI, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E0054

INTIME

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 30 Mai 2023 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Véronique PITE, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Thomas LE MONNYER, Président,,

Madame Véronique PITE, Conseiller,

Madame Odile CRIQ, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Isabelle FIORE,

FAITS ET PROCÉDURE

M. [C] [X] a été engagé par contrat à durée indéterminée, à compter du 28 septembre 2015, en qualité de chargé d'affaires middle, statut cadre, par la société par actions simplifiée La Maison Bleue, qui est spécialisée dans le secteur d'activité d'accueil des jeunes enfants, emploie plus de dix salariés et ne relève d'aucune convention collective.

Par avenant du 19 octobre 2016 et à compter du 1er décembre 2016, M. [X] a été promu au poste de chargé d'affaires Sud-Ouest.

En dernier lieu, à l'occasion d'une réorganisation commerciale à effet du 28 mars 2018, M. [X] exerçait les fonctions de responsable développement.

Convoqué le 30 août 2018 à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé au 6 septembre suivant, M. [X] a été licencié par lettre datée du 14 septembre 2018, énonçant une insuffisance professionnelle.

M. [X] a saisi, le 27 juin 2019, le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt aux fins de voir juger dénué de cause réelle et sérieuse son licenciement et de solliciter la condamnation de la société au paiement de diverses sommes de nature salariale et indemnitaire, ce à quoi l'employeur s'opposait.

Par jugement rendu le 27 mai 2021, notifié le 9 juin 2021, le conseil a statué comme suit :

Fixe le salaire brut mensuel de M. [X] à la somme de 3.205,01 euros,

Juge que le licenciement dont M. [X] a fait l'objet de la part de la société La Maison Bleue est sans cause réelle et sérieuse,

Condamne en conséquence la société La Maison Bleue à payer à M. [X] les sommes suivantes :

11.217,50 euros (') au titre d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse,

3.768 euros (') au titre de la rémunération variable 2018, 376,68 euros (') au titre de l'indemnité de congés payés y afférents,

47.470 (') au titre de rappel de salaire sur la période de septembre 2015 à septembre 2018,

4.747 euros (') au titre de l'indemnité de congés payés y afférents,

1.000 euros (') au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Ordonne l'exécution provisoire de la décision.

Dit que les intérêts au taux légal seront calculés selon les dispositions de l'article 1231-7 du code civil.

Reçoit la société La Maison Bleue en ses demandes reconventionnelles et l'en déboute.

Condamne la société La Maison Bleue aux entiers dépens.

Le 8 juillet 2021, la société La maison Bleue a relevé appel de cette décision par voie électronique.

Selon ses dernières conclusions remises au greffe le 12 mai 2023, la société La Maison Bleue demande à la cour de :

Confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. [X] de sa demande formée à titre d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé ;

Infirmer le jugement en ce qu'il a :

- Fixé le salaire brut mensuel de M. [X] à la somme de 3.205,01 euros,

- Jugé que le licenciement dont M. [X] a fait l'objet de la part de la société est sans cause réelle et sérieuse,

- Condamné en conséquence la société à verser à M. [X] les sommes suivantes :

o 11.217,50 euros au titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

o 3.768 euros au titre de la rémunération variable en 2018,

o 376,68 euros au titre de l'indemnité de congés payés y afférents,

o 47.470 euros au titre de rappel de salaire sur la période de septembre 2015 à septembre 2018,

o 4.747 euros au titre de l'indemnité de congés payés afférents,

o 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Ordonné l'exécution provisoire de la décision,

- Dit que les intérêts au taux légal seront calculés selon les dispositions de l'article 1231-7 du code civil,

- Reçu la société en ses demandes reconventionnelles et l'en a déboutée,

- Condamné la société aux entiers dépens ;

- Débouté la société de ses demandes à savoir : débouter M. [X] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions à l'encontre de la société et condamner M. [X] au paiement de la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens ;

Statuant à nouveau et y ajoutant :

Débouter M. [X] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions à l'encontre de la société ;

Condamner M. [X] au paiement de la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe le 5 mai 2023, M. [X] demande à la cour de :

Constater l'absence de réponse de la société La Maison Bleue aux sommations de communiquer le compte-rendu d'entretien annuel individuel de l'année 2017 et le décompte du temps de travail sur la période contractuelle.

Confirmer le jugement du conseil de prud'hommes en ce qu'il a :

o dit que son licenciement était sans cause réelle et sérieuse,

o condamné la société La Maison Bleue à lui verser les sommes suivantes :

' 11.217,50 euros au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

' 3.768 euros au titre de la rémunération variable en 2018 et 376,68 euros au titre de l'indemnité de congés payés afférents,

' 47.470 euros au titre de rappel de salaire sur la période de septembre 2015 à septembre 2018 et 4.747 euros au titre de l'indemnité de congés payés afférents,

' 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

o Ordonné l'exécution provisoire de la décision,

o Dit que les intérêts au taux légal seront calculés selon les dispositions de l'article 1231-7 du code civil

o Débouté la société La Maison Bleue de ses demandes reconventionnelles,

o Condamné la société La Maison Bleue aux dépens,

Débouter la société La Maison Bleue de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

Y ajoutant,

Condamner la société La Maison Bleue à lui payer à la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamner la société La Maison Bleue aux dépens,

Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer aux écritures susvisées.

A l'audience du 30 mai 2023, l'instruction a été close et les parties entendues dans leurs plaidoiries.

MOTIFS

I 'Sur l'exécution du contrat de travail

Sur le temps de travail

Sur la convention de forfait en heures ou en jours

M. [X] estime que la clause afférente ne réunit pas les conditions de validité exigées par la réglementation pour les conventions de forfait en heures, notamment faute de décompte du temps de travail, d'autant qu'elle ne prévoit pas le nombre d'heures de travail y compris supplémentaires devant être effectuées, et il en plaide la nullité. S'il devait s'agir d'une convention de forfait en jours, il en soutient l'invalidité faute d'accord d'entreprise la permettant, de contrôle de son temps de travail et d'entretien annuel sur la charge de travail.

Du moment que la nature des tâches de l'intéressé empêche sa soumission à un horaire collectif, l'employeur plaide la convention de forfait en jours, et en déduit que la durée du travail ne pouvait se décompter en heures supplémentaires. A défaut, au même constat, il considère que M. [X] était soumis à une convention de forfait en heures sur le mois, dans la limite de 151,67 heures par mois, et en conclut que le décompte des heures supplémentaires se fait au mois.

Le contrat de travail exprime, dans le paragraphe 4.1 intitulé « durée du travail » : « le salarié exercera sur la base de la réglementation en vigueur sur le temps de travail.

Or, pour mener à bien sa mission, il sera libre de s'organiser comme il l'entend en respectant les règles concourant au bon fonctionnement du service dont il relève.

En effet, compte tenu du niveau de responsabilité de celui-ci, de la latitude dont il dispose dans l'exercice de ses fonctions et de la liberté qui lui est laissée dans l'organisation de son travail, il est expressément convenu entre les parties que la rémunération forfaitaire brute du salarié [ensuite prévue] constitue la contrepartie forfaitaire de son activité professionnelle et ce, indépendamment de toute référence à la durée du travail. De facto, cette contrepartie financière inclut l'ensemble des heures travaillées sur un nombre de jours déterminés.

Les parties sont donc convenues au regard des fonctions exercées que le salarié exercera son activité sur la base forfaitaire de 151,67 [heures] mensuelles correspondant à 1607 heures annuelles dans la limite de 235 jours.

Compte tenu de sa liberté d'organisation et de son autonomie dans l'accomplissement de sa mission, il s'engage sur l'honneur à respecter en toutes circonstances le repos quotidien de 11 heures et hebdomadaire. »

L'article L.3121-39 du code du travail, applicable dans sa rédaction antérieure à la loi du 8 août 2016, dit que « la conclusion de conventions individuelles de forfait, en heures ou en jours, sur l'année est prévue par un accord collectif d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, par une convention ou un accord de branche. Cet accord collectif préalable détermine les catégories de salariés susceptibles de conclure une convention individuelle de forfait, ainsi que la durée annuelle du travail à partir de laquelle le forfait est établi, et fixe les caractéristiques principales de ces conventions ».

Cet accord collectif ayant pour objet d'assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié et de son droit au repos, il convient, s'il devait manquer à ces conditions, que l'employeur mette en place les modalités permettant de pallier l'absence de mentions conformes à la loi du 8 août 2016 pour les contrats conclus avant son entrée en vigueur, à savoir essentiellement la vérification par l'employeur que la charge de travail est compatible avec le respect des temps de repos quotidiens et hebdomadaires, et reste raisonnable.

Ainsi, toute convention de forfait, en jours ou en heures, doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect des durées maximales raisonnables de travail, ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires.

En l'occurrence, il est acquis aux débats qu'aucun accord ou convention collective ne régit le temps de travail applicable au contrat de travail de M. [X].

Dès lors que la convention individuelle de forfait, en jours ou en heures, prévue dans le contrat de travail de M. [X] ne s'appuie sur aucune convention collective ou accord d'entreprise, elle n'est pas valable et est nécessairement privée de tout effet.

Il s'en déduit nécessairement que l'intéressé est soumis à la durée légale de droit commun du travail, prévue par l'article L.3121-10 devenu L.3121-27 du code du travail, de 35 heures par semaine.

Sur les heures supplémentaires

M. [X] se prévaut d'une amplitude horaire entre 7 et 22 heures, à laquelle l'obligeaient ses nombreux déplacements et l'accroissement de ses tâches.

L'employeur défend que les tableaux représentent les horaires effectués, au reste en contradiction avec l'agenda et les courriels par ailleurs produits.

L'article L.3171-4 du code du travail exprime qu'« en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable. »

Il résulte de ces dispositions qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

Le salarié verse aux débats un tableau mentionnant l'amplitude horaire quotidienne de son travail, récapitulée sur la semaine, son agenda détaillé, et de nombreux échanges de mail.

Alors qu'il incombe à l'employeur de justifier le temps de travail effectif du salarié, la société La maison bleue ne dispute pas utilement ces prétentions aux motifs de leur non-étaiement, de leur imprécision faute d'indiquer les heures d'embauche et de débauche, ou de leur incohérence par mise en abyme des documents adverses, puisqu'elle ne verse aucune pièce aux débats sous cet aspect.

Par ailleurs, elle ne saurait sérieusement prétendre ne pas avoir autorisé d'heures supplémentaires, alors que son accord implicite suffit, et qu'elle ne s'est jamais enquise du temps de travail de son salarié.

Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences légales et réglementaires. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

Dès lors, au vu des éléments soumis aux débats par l'une et l'autre partie, il convient d'allouer à M . [X] 15.000 euros bruts, à ce titre, ainsi que 1.500 euros bruts pour les congés payés afférents, au paiement desquels la Société La maison bleue sera condamnée. Le jugement sera réformé du chef du montant alloué.

(calcul sur la base de 5 heures supplémentaires par semaine = 11.470 euros, arrondis à 15.000 euros : promotion oct 16, avec dépassement de 35 h hebdo -selon son tableau- sur 10 semaines en 2015, 37 en 2016, 43 en 2017, 26 en 2018, tx horaire 19,779 invariant)

Sur la rémunération variable

M. [X], qui plaide n'avoir pas reçu de lettre de mission pour 2018, considère que seuls ses objectifs de l'année 2017 s'appliquent pour déterminer sa rémunération variable, ce à quoi l'employeur objecte que la fiche précisant ceux de l'année suivante lui fut remise.

Selon les articles 1103 et 1104 du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits. Ils doivent être exécutés de bonne foi.

Il incombe par ailleurs à l'employeur de justifier que sa décision de ne pas accorder la prime au salarié est fondée objectivement par la non-atteinte des objectifs assignés.

Le contrat de travail stipule qu'une « rémunération variable pourra être versée selon les modalités en vigueur au sein de l'entreprise. Cette rémunération variable sera basée sur des objectifs déterminés et arrêtés par la direction après échange avec le salarié », cette clause étant reprise à l'identique dans l'avenant du 19 octobre 2016

N'étant spécifié aucune forme, alors que les conditions de cette rémunération ne sont pas soumises à l'accord du salarié, il est indifférent que de précédentes fiches d'objectifs lui aient été remises en mains propres contre signature en 2016 ou 2017.

Cela étant, il ressort du mail du 5 février 2018 que M. [X] remerciait son employeur de l'envoi de sa grille d'évaluation annuelle qu'il devait lui remettre, imprimée et signée, « avec [sa] fiche d'objectif lors de [leur] prochaine rencontre » poursuivant : « à moins que tu ne souhaite[s] que je te les adresse cette semaine par courrier ' si c'est le cas merci de me préciser à quelle adresse postale », ce qui suppose qu'il les détenait d'ores et déjà toutes deux. La fiche produite par l'employeur parle d'une part de la commercialisation de 70 berceaux dont 50 à des entreprises, 20 à des entités publiques, d'autre part du développement des établissements d'accueil de jeunes enfants pour assurer sur son territoire, un solde positif de 100 berceaux commercialisés, ces projets devant comporter un « multi accueil » et des [délégations de service public] représentant 50 nouveaux berceaux et deux micro-crèches. Incidemment, le compte-rendu d'entretien préalable au licenciement, rédigé par l'assistant du salarié, ne laisse voir aucune contestation de sa part sur les objectifs qui lui étaient impartis et dont l'employeur précise « qu'arrivé à 70% de l'année seulement 5% d'objectifs sont réalisés. ». Il s'en induit nécessairement sa connaissance que présuppose le mail susdit, et elle ne peut pas être sérieusement remise en cause par la lettre adressée après le licenciement par l'intéressé le contestant, et se réclamant pour la première fois de la pérennité des précédents objectifs.

En tout état de cause, les objectifs expressément fixés pour l'année 2017 ne sauraient pas concerner l'année suivante, et le salarié n'est pas fondé à les voir appliquer à sa rémunération en 2018.

N'étant pas contesté que M. [X] n'atteint pas l'objectif assigné en 2018, aucune prime ne lui est due, et le jugement sera infirmé dans son expression contraire.

II ' Sur le licenciement

La lettre de licenciement est ainsi libellée :

« Par courrier remis en mains propres en date du 30 août 2018, nous vous avons convoqué à un entretien préalable le jeudi 6 septembre 2018, en vue d'un éventuel licenciement.

Lors de cet entretien, nous vous avons fait part des différents griefs que nous avions à votre encontre à savoir :

' Non mise en 'uvre des objectifs de moyens

A l'ensemble des responsables de développement commercial, dont vous faites partie, il a été clairement et explicitement demandé de réaliser au minimum 15 rendez-vous clients par mois, et notamment de réaliser 10 rendez-vous par mois de prospection, en d'autres termes de premier rendez-vous, à destination exclusive de notre cible prioritaire, à savoir les entreprises.

Malheureusement nous ne pouvons qu'observer que vous n'appliquez pas ces directives.

En effet, force est de constater qu'à fin août 2018 vous n'avez réalisé que 37 rendez-vous de prospection, sur un objectif de 70 (10 RDV x 7 mois, le mois d'août étant banalisé). Cela ne représente que 53% de votre objectif de moyens, arrêté à fin juillet, soit 34% de l'objectif annuel.

De plus, nous constatons que vous n'avez réalisé que 79 rendez-vous clients au global sur un objectif à date de 105 (15 RDV x 7 mois, le mois d'août étant banalisé). Cet état de fait démontre clairement votre manque d'implication dans la réalisation de vos objectifs, notamment de moyens, qui pour autant sont mis en place afin que vous puissiez atteindre vos objectifs de résultats.

Notre société ne peut tolérer plus longtemps ce type de comportement.

' Insuffisance de résultats

En votre qualité de responsable de développement commercial pour la région Nouvelle-Aquitaine, vos objectifs ont clairement été définis ainsi :

' Vente de 20 berceaux à destination des collectivités publiques

' Vente de 50 berceaux à destination des entreprises, en focalisant prioritairement les entreprises de taille moyenne

Or force est de constater qu'à fin août 2018, vos résultats sont les suivants :

' Vous avez réalisé 9 ventes de berceaux sur un objectif de 20 à destination des collectivités, soit 45 % de votre objectif alors même qu'il ne reste que 4 mois sur 2018.

' Vous avez réalisé 5 ventes de berceaux sur un objectif de 50 à destination des entreprises, soit 10% de votre objectif alors même qu'il ne reste que 4 mois sur 2018. Par ailleurs sur les 5 ventes de berceaux, 3 (soit 60%) sont à destination de gérants salariés, ce qui n'est pas la cible prioritaire qui vous a été fixée.

' Au global, vous avez réalisé 14 ventes de berceaux sur un objectif de 70, soit un réalisé global de 20% à fin août 2018.

Nous avons également analysé les dossiers de prospection que vous avez actuellement en cours, plus communément appelé « pipe », afin de savoir si des opportunités seraient en cours sur votre périmètre.

Malheureusement, force est de constater que les perspectives de ventes de berceaux, notamment entreprises, sont très faibles, ce qui ne nous laisse guère entrevoir de marge de progression vous concernant dans les mois qui viennent.

Cette insuffisance de résultats, est notamment liée à la non mise en 'uvre des objectifs de moyens dont vous faite preuve.

Cette situation ne saurait perdurer plus longtemps.

Le réexamen approfondi de votre dossier et les explications fournies lors de notre entretien ne nous permettent pas de modifier notre appréciation des faits.

En conséquence, nous vous notifions par le présent courrier votre licenciement.

Conformément à votre contrat de travail, votre préavis d'une durée de 2 mois débutera à la première présentation de la présente lettre. Nous entendons vous dispenser de votre préavis, votre rémunération vous étant intégralement payée aux échéances habituelles.

['] ».

En vertu de l'article L.1232-1 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel doit être justifié par un motif réel et sérieux, et l'article L.1235-1 du même code impartit au juge d'apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs fondés sur des faits précis et matériellement vérifiables invoqués par l'employeur et de former sa conviction en regard des éléments produits par l'une et l'autre partie. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

Sur la cause

L'employeur se prévaut des motifs énoncés dans la lettre de licenciement, sur les moyens et les résultats. Il souligne que les objectifs furent clairement fixés lors de l'entretien annuel d'évaluation du 10 janvier 2018 et que M. [X] en accusa réception sans les contester et sans avoir à les accepter. Il se défend d'avoir donné des missions différentes au salarié en 2018, sinon que les mêmes étaient élargies au secteur public.

Considérant que la charge de la preuve du bien-fondé du licenciement repose sur son contradicteur, M. [X], qui relève l'accroissement du champ de ses compétences en mars 2018, conteste que l'employeur lui ait communiqué d'objectifs en 2018 faute de lettre de mission signée de l'employeur et acceptée du salarié, en sorte qu'il ne pourrait lui reprocher de ne les avoir pas atteints. Il estime, au rappel des dispositions de l'article 1103 du code civil, que seule la lettre de mission de 2017 pouvait régir leurs relations, en soulignant qu'elle ne donnait aucun objectif sur la quantité de rendez-vous et ne prévoyait pas la vente de 20 berceaux aux collectivités publiques. Il fait état de ses promotions régulières soutenues par des appréciations positives, puis de la réorganisation de l'entreprise en mars 2018, suivie, sans mise en garde, de son licenciement, précipité, 5 mois plus tard.

Sur l'insuffisance des rendez-vous

Lors de l'entretien préalable à son licenciement, selon le compte-rendu, l'employeur interrogea son collaborateur sur la prise de 79 rendez-vous pour un objectif de 105, rien n'indiquant, selon lui, la possibilité d'atteindre les objectifs fixés, ce à quoi M. [X] répondit ne pas contester les chiffres, et fournit ses explications.

L'aveu extrajudiciaire ainsi fait de cette connaissance ne saurait pas sérieusement être démenti par l'affirmation, désormais, de l'absence de fixation d'aucun objectif de rendez-vous.

Il est par ailleurs acquis aux débats que ces objectifs ne furent pas atteints. Le grief est ainsi établi dans sa matérialité.

Sur l'insuffisance des résultats

Il a déjà été considéré que M. [X] avait connaissance de ses objectifs en 2018, pour la vente de berceaux et le développement de structures. Il est par ailleurs acquis aux débats qu'ils ne furent pas atteints, puisque le salarié vendit 9 sur 20 berceaux aux collectivités, et 5 sur 50 aux entreprises, fin août 2018. Si M. [X] prétend que ses missions auraient évolué lors de la restructuration de l'entreprise, l'extension de son champ d'activité par l'adjonction au secteur privé du secteur public emporte néanmoins comme le relève l'employeur, de meilleures possibilités de vente par l'extension de la base, étant précisé par ailleurs que les objectifs afférents aux entreprises, de 50 nouveaux berceaux, n'avaient pas été modifiés de 2017 à 2018.

Le grief est ainsi établi dans sa matérialité.

Sur le sérieux du grief

Cela étant, l'insuffisance de résultat ne peut constituer en soi une cause réelle et sérieuse de licenciement et il convient de rechercher si elle est imputable au salarié, c'est-à-dire au cas d'objectifs fixés au salarié, s'ils étaient réalistes et dans l'affirmative si le fait de ne pas avoir atteint ces objectifs alors qu'il bénéficiait des moyens nécessaires à leur accomplissement, relève d'une faute ou d'une insuffisance professionnelle, laquelle se caractérise par une mauvaise qualité du travail due à une incompétence professionnelle ou une inadaptation à l'emploi, et qui constitue un motif réel et sérieux de licenciement si elle repose sur des éléments précis, objectifs et imputables au salarié.

Ici, si les missions n'ont pas évolué en leur substance, la recherche de marchés auprès des collectivités publiques jusqu'alors ignorées renouvelaient nécessairement la méthode de travail au travers d'une approche différenciée, et couplée à l'augmentation des résultats attendus, créait une difficulté objective dont le salarié se fait l'écho en considérant le changement ainsi advenu. Or, étant observé que ses objectifs, ainsi majorés, ne lui furent adressés qu'au mois de février 2018, qu'ensuite, l'entreprise réorganisa l'activité commerciale et lui fit savoir par lettre officielle du 28 mars que « les  responsables de développement [dont il était] prospectent désormais tous types de comptes avec comme objectif prioritaire de conquérir les entreprises de toutes tailles (hors TPE) sur leur territoire » et « ont également pour mission de dynamiser l'implantation de nouveaux EAJE et de positionner la Maison Bleue sur les DSP majeures » qu'« en lien étroit avec les directrices de crèches et les responsables d'exploitations, ils développent des actions de proximité pour favoriser la commercialisation des crèches », et qu'enfin il ne fut interpelé que le 30 août 2018, l'employeur n'établissant aucune mise en garde antérieure ni reproche et ne démentant pas qu'il fut rigoureux et sérieux dans son travail, il s'en suit que le licenciement poursuivi 3 mois seulement, abstraction faite de la période estivale, après la nouvelle organisation, a été singulièrement précipité et ne lui a pas laissé la chance d'approfondir le travail nouvellement entrepris.

Dans ce contexte, il convient de considérer, à l'instar des 1ers juges, qu'il n'est pas justifié que l'insuffisance de ses résultats procède de son insuffisance professionnelle.

Sur les conséquences

M. [X] querelle la légalité du barème institué par l'article L.1235-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 22 septembre 2017, mis en perspective avec l'article 10 de la convention de l'Organisation internationale du travail (OIT) n°158 et l'article 24 de la charte sociale européenne du 3 mai 1996, et sollicite une indemnité en dépassant les prévisions.

Cela étant, les dispositions de la charte sociale européenne selon lesquelles les Etats contractants ont entendu reconnaître des principes et des objectifs poursuivis par tous les moyens utiles, dont la mise en 'uvre nécessite qu'ils prennent des actes complémentaires d'application et dont ils ont réservé le contrôle au seul système spécifique visé par la partie IV ne sont pas d'effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers.

De toute façon, les dispositions de l'article L.1235-3, qui instituent une échelle minimale et maximale d'indemnisation, sont de nature à permettre le versement d'une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l'article 10 de la convention n°158 de l'OIT, au cas d'une méconnaissance de son article 4, disant que le travailleur ne devra pas être licencié sans motif valable.

Dès lors, l'invocation de ces textes ne peut pas conduire à écarter l'application des dispositions de l'article L.1235-3 du code du travail, dans leur rédaction issue de l'ordonnance du 22 septembre 2017, et qui institue, au cas d'une ancienneté de 2 à 3 ans une indemnité comprise entre 3 et 3,5 mois de salaire brut.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a alloué à l'intéressé une indemnité de 11.217,50 euros en réparation de la perte de son emploi.

PAR CES MOTIFS

La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

Infirme le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a jugé le licenciement injustifié, a alloué une indemnité légale de licenciement de 11.217,50 euros, a dit que les intérêts au taux légal seraient calculés selon les dispositions de l'article 1231-7 du code civil, et sur les frais de justice ;

Statuant de nouveau sur les chefs infirmés ;

Condamne la société La maison Bleue à payer à M. [C] [X] 15.000 euros bruts, en paiement de ses heures supplémentaires durant la relation de travail ainsi que 1.500 euros bruts pour les congés payés afférents ;

Rejette les demandes de M. [C] [X] en paiement de sa rémunération variable en 2018 ;

Confirme le jugement pour le surplus ;

Y ajoutant ;

Condamne la société par actions simplifiée La maison Bleue à payer à M. [C] [X] 2.000 euros en cause d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société par actions simplifiée La maison Bleue aux entiers dépens.

- Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- Signé par Monsieur Thomas LE MONNYER, Président, et par Madame Isabelle FIORE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 21e chambre
Numéro d'arrêt : 21/02215
Date de la décision : 06/07/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-07-06;21.02215 ?
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