COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80G
15e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 06 JUILLET 2023
N° RG 21/02519 - N° Portalis DBV3-V-B7F-UV6D
AFFAIRE :
[Z] [W]
C/
SAS MANITOBA - PRAXIS COMMUNICATION
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 15 Juillet 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOULOGNE -
BILLANCOURT
N° Section : E
N° RG : F19/01278
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Noémie BIRNBAUM
Me Stéphane FRIEDMANN de la SCP SIKSOUS FRIEDMANN
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE SIX JUILLET DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Monsieur [Z] [W]
né le 01 Octobre 1963 à
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentant : Me Noémie BIRNBAUM, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D1945
APPELANT
****************
SAS MANITOBA - PRAXIS COMMUNICATION
N° SIRET : 380 899 377
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représentant : Me Stéphane FRIEDMANN de la SCP SIKSOUS FRIEDMANN, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0425
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 31 Mai 2023 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Eric LEGRIS, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Régine CAPRA, Présidente,
Monsieur Thierry CABALE, Président,
Monsieur Eric LEGRIS, Conseiller,
Greffier lors des débats : Madame Sophie RIVIERE,
Greffier lors du prononcé : Madame Angeline SZEWCZIKOWSKI
Par contrat de travail à durée indéterminée du 16 août 2011, M. [W] a été engagé par la SARL Manitoba Praxis communication en qualité de chargé'de clientèle.
Le contrat du salarié contenait une clause de non-concurrence d'une durée de 6 mois après la cessation de toute activité pour le compte de la société Manitoba.
Par une rupture conventionnelle du 4 janvier 2019, M. [W] a quitté les effectifs de la société.
Par contrat de travail à durée indéterminée du 16 janvier 2019, M. [W] a été engagé par la société CECOP, qui exerce selon l'ancien employeur du salarié, une activité concurrente de la société Manitoba Praxis communication.
La société Manitoba Praxis communication a procédé à une mesure d'instruction «'in futurum'» afin de faire établir le lien de M. [W] avec la société CECOP, autorisée par ordonnance par le tribunal de grande instance le 15 juillet 2019.
Par mise en demeure du 11 septembre 2019, la société Manitoba Praxis communication a mis en demeure M. [W] d'avoir à payer une somme au titre de la violation de sa clause de non-concurrence.
Par requête reçue au greffe le 27 septembre 2019, la société Manitoba Praxis communication a saisi le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt afin d'établir la violation par M. [W] de sa clause de non concurrence, et d'obtenir le versement de diverses sommes, notamment au motif de la violation de ladite clause.
Par jugement du 15 juillet 2021, auquel renvoie la cour pour l'exposé des demandes initiales des parties et de la procédure antérieure, le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt a':''''
- Jugé que M. [W] a violé la clause de non-concurrence prévue à son contrat de travail';
- Condamné M. [W] au versement à la société Manitoba de':
*36'000 euros au titre d'indemnité prévue à la clause de non-concurrence,
*587,97 euros au titre du remboursement du procès-verbal de constat d'huissier établi par Me [Y] [J]';
- Débouté la société Manitoba de ses autres demandes';
- Débouté M. [W] de l'intégralité de ses demandes';
- Laissé à la charge de chacune des parties ses propres dépens.
Par déclaration au greffe du 2 août 2021, M. [W] a interjeté appel de cette décision.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Rpva le 13 décembre 2021, auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet des moyens, M. [W] demande à la cour de':
A titre liminaire, il est demandé à la cour d'appel de céans :
- Constater l'absence de tout règlement de l'indemnité de non-concurrence par la société Manitoba Praxis communication;
- Constater l'absence de tout agissement fautif de Monsieur [W]
En conséquence, et statuant à nouveau, il est demandé à la cour d'appel de céans de :
- Constater l'absence de violation de la clause de non-concurrence liant Monsieur [W] à la Société Manitoba Praxis communication;
- Infirmer le jugement rendu le 15 juillet 2019 en ce qu'il a condamné Monsieur [W] au versement de la somme de 36 .000 euros au titre de l'indemnité de non-concurrence et au remboursement de la somme de 587,97 euros au titre du remboursement du procès-verbal de constat d'huissier établi par Maître [Y] [J] et débouter la Société Manitoba Praxis communication de toutes ses demandes, fins et prétentions ;
En tout état de cause, il est demandé à la cour d'appel de céans de :
- Condamner la Société Manitoba Praxis communication à verser à Monsieur [W] la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Rpva le 17 décembre 2021, auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet des moyens, la société Manitoba Praxis communication (ci-après «'la société Manitoba'») demande à la cour de':
- Confirmer le jugement prononcé le 15 juillet 2021 par le conseil de prud'hommes de Boulogne Billancourt en ce qu'il a considéré que Monsieur [W] avait violé la clause de non concurrence prévue à son contrat de travail,
- L'infirmer sur son quantum et condamner Monsieur [W] à payer à la société Manitoba Praxis communication la somme de 41.766,84 euros correspondant à l'indemnité prévue à la clause de non concurrence,
- Confirmer le jugement de première instance en ce qu'il a condamné Monsieur [W] à payer à la société Manitoba Praxis communication la somme de 587,97 euros, montant du procès-verbal de constat établi par Maître [Y] [J]
- Condamner Monsieur [W] à payer à la société Manitoba Praxis communication la somme de 5.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ,
- Le condamner aux entiers dépens
La clôture de l'instruction a été prononcée le 19 avril 2023.
SUR CE,
Sur la violation de la clause de non-concurrence :
M. [W] fait essentiellement valoir que la société Manitoba n'a pas respecté la charge de la preuve en n'apportant aucun élément relatif à des agissements de concurrence déloyale de sa part, avant de cesser de régler l'indemnité de non-concurrence et que ce faisant la société Manitoba a elle-même violé la clause de non-concurrence et l'a par conséquent libéré de celle-ci.
Il indique que la violation de la clause suppose, postérieurement à la rupture du contrat, l'accomplissement d'actes de concurrence par le salarié, c'est à dire la sollicitation de clientèle sans nécessairement réaliser une vente ou fournir un service.
Il conteste avoir approché lui-même le client WH Brady NV pour lui proposer ses services, indique que Mme [E] gérait déjà en 2016 le client WH Brady NV et que Mme [S] est à l'origine exclusive du détournement de ce client, ajoutant que la présence d'une facture adressée à WH Brady NV ne fait que démontrer qu'une commande a été, et que la société Manitoba a remporté, pour l'année 2019, deux des quatre appels d'offres.
La société Manitoba fait valoir en réplique que son salarié est entré quelques jours après la rupture de son contrat de travail au service de la société concurrente Cecop où il était chargé de développer le même type d'activité commerciale se rapportant à la communication par l'objet (vente d'objets publicitaires) que celui qu'il exerçait auparavant chez elle, en violation de sa clause de non-concurrence. Elle souligne que son action est engagée de ce chef, non de celui d'une concurrence déloyale et conteste les incidences alléguées par l'appelant du non-paiement de la contrepartie financière, eu égard à la violation immédiate par le salarié de son obligation. Elle sollicite la condamnation du salarié à hauteur de la somme prévue au contrat.
Le salarié méconnaît son obligation de non-concurrence lorsqu'il exerce, postérieurement à la rupture de son contrat de travail, une activité en contravention avec les dispositions de la clause de non-concurrence.
Peut constituer un acte de concurrence, le fait de se faire embaucher par une entreprise concurrente.
C'est à l'employeur de rapporter la preuve d'une violation de la clause de non-concurrence par le salarié.
Le salarié qui viole une clause de non-concurrence perd son droit à la contrepartie financière.
En l'espèce, selon contrat de travail à durée indéterminée du 16 août 2011, M. [W] a été engagé par la SARL Manitoba en qualité de chargé'de clientèle.
La société Manitoba est une agence de conseil en communication'; son siège social est situé à [Localité 5] (Hauts de Seine).
Elle exerce une activité de conseil aux entreprises mais aussi dans la vente d'objets publicitaires siglées à celles-ci.
L'article 3 du contrat de travail de M. [W] précisait qu'il «'aura la charge de développer une activité «'goodies'» selon la stratégie commerciale définie en collaboration avec la direction'»'; l'activité dénommée «'goodies'» se rapporte à la communication par l'objet.
L'article 4 du contrat prévoyait une rémunération fixe à laquelle s'ajoutait une partie variable en fonction des objectifs réalisés.
Le contrat de travail de M. [W] comportait aussi une clause de non concurrence rédigée en ces termes :
« En cas de rupture du présent contrat pour quelque cause que ce soit, M. [Z] [W] s'interdit de s'intéresser directement ou indirectement, pour son compte personnel ou pour le compte d'un tiers, à une entreprise concurrente et d'entrer au service d'une telle entreprise, à quelque titre que ce soit. Cette interdiction s'appliquera pendant 6 mois à compter du jour où le salarié aura cessé toute activité dans l'entreprise et sera limitée à [Localité 6] et la région parisienne. Pendant cette période, la société Manitoba versera à M. [Z] [W] une contrepartie pécuniaire mensuelle égale à un tiers de mois de salaire, calculée sur la rémunération mensuelle des douze derniers mois. Elle cessera d'être due en cas de violation de la clause de non concurrence. Sous condition de prévenir le salarié dans les quinze jours suivant la notification, par l'une ou l'autre des parties, de la rupture du contrat, la société pourra dispenser M. [Z] [W] de l'exécution de la clause de non concurrence ou en réduire la durée. En cas de violation de la présente clause par le salarié, M. [Z] [W] sera redevable envers la société Manitoba d'une somme égale à la rémunération perçue pendant les douze derniers mois ».
La licéité de cette clause n'est pas remise en cause par les parties et en tout état de cause est limitée dans le temps (6mois), dans l'espace ([Localité 6] et la région parisienne) et dans son champ d'application (entreprises concurrentes) et prévoit une indemnisation qui ne peut être qualifiée de dérisoire (sur la base d'un tiers du salaire mensuel).
Par une rupture conventionnelle du 4 janvier 2019, M. [W] a quitté les effectifs de la société Manitoba.
Dans le cadre de la mesure d'instruction autorisée par ordonnance du 15 juillet 2019 du tribunal judiciaire de Nanterre, la société Cecop a remis à l'huissier de justice désigné une copie du contrat de travail signé le 16 janvier 2019 entre elle et M. [W] et une copie de sa fiche salarié, faisant apparaître que M. [W] est entré au service de la société Cecop dès le 16 janvier 2019, soit 12 jours après la fin de son contrat de travail au sein de la société Manitoba.
La société Cecop se présente comme l'un des leaders européens dans la fourniture d'objets publicitaires. Son siège social est situé à [Localité 4] (Hauts de Seine)'; il est constant qu'elle est aussi soumise à la convention collective de la publicité comme la société Manitoba.
Il est avéré que la société Secop exerce ainsi une activité concurrente de la société Manitoba, ce que M. [W] ne conteste d'ailleurs pas.
M. [W] a été engagé par la société Secop en qualité de commercial, statut cadre, avec une rémunération constituée d'une partie fixe et d'une partie variable, soit des fonctions concurrentes aux fonctions commerciales qu'il exerçait au service de la société Manitoba.
L'embauche, le 16 janvier 2019, par l'entreprise Secop, concurrente de la société Manitoba, pour y exercer des fonctions elles-mêmes concurrentes, caractérise à elle seule la violation de sa clause de non-concurrence.
Au surplus, il ressort des pièces versées aux débats que la société WH Brady figurait au nombre des clients de son précédant employeur comme de son nouvel employeur.
Les extraits de compte 2017 et 2018 de la société Manitoba et l'attestation de son expert comptable font apparaître les achats de ce client auprès d'elle dans le cadre d'«'opérations promotionnelles'».
M. [W] était lui-même destinataire le 8 mars 2019 du courriel de Mme [C], au sein de la société Secop, adressé à ce même client relativement à la commande passée auprès d'elle.
La société Manitoba n'a remporté, pour l'année 2019, que deux des quatre appels d'offres de ce client.
Il importe peu que d'autres salariés, tant au sein de la société Manitoba (Mme [E]) que de la société Secop (Mme [S]) aient été les interlocutrices principales du client Bardy NV'; les actions d'autres salariés sont indépendantes de l'appréciation du respect par M. [W] de sa propre clause de non-concurrence.
Il n'est pas reproché à M. [W] d'avoir commis des actes de concurrence déloyale, mais d'avoir violé sa clause de non-concurrence, ce qui est établi.
Par ailleurs, le salarié qui manque à son obligation de non-concurrence dès la rupture de son contrat de travail perd son droit à indemnité (au titre de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence) dès lors qu'il s'est soustrait à l'obligation à laquelle cette indemnité était liée.
En l'espèce, le délai particulièrement bref entre la rupture du contrat de travail au sein de la société Manitoba et son embauche par la société concurrente Cecop a déjà été souligné.
C'est ainsi vainement que M. [W] invoque la décision de la société Manitoba de ne pas lui régler l'indemnité de non-concurrence'; il n'est pas établi de violation de la clause de non-concurrence par la société Manitoba, dont l'obligation de paiement s'est éteinte dès lors que M. [W] a manqué à son obligation de non-concurrence.
Il importe peu à cet égard que la société Manitoba n'ait obtenu que quelques mois plus tard la preuve formelle de cette violation par le salarié de son obligation de non-concurrence.
En conséquence, le jugement est confirmé en ce qu'il a retenu que M. [W] a violé la clause de non-concurrence prévue à son contrat de travail'concurrence le liant à son ancien employeur.
Une clause pénale peut prévoir que la violation de la clause de non-concurrence par le salarié entraîne le paiement automatique d'un montant forfaitaire de réparation à l'employeur, à titre de dommages et intérêts.
Si cette clause est manifestement excessive ou dérisoire, le juge peut, en application de l'article 1231-5 du code civil, moduler le montant prévu contractuellement.
M. [W] a perçu au sein de la société Manitoba, au cours de ses 12 derniers mois d'activité, une rémunération totale de 41'766,84 euros.
Selon l'estimation de la société Manitoba, son préjudice subi par suite des agissements de M. [W] correspond à une perte de chiffre d'affaires de 149'566 euros et une perte de marge brute de 36'569euros.
La cour estime qu'en application des textes susvisés, les premiers juges ont justement condamné M. [W] à verser à la société Manitoba la somme de'36'000 euros, étant précisé que cette somme est allouée à titre d'indemnité en violation à la clause de non-concurrence, et à verser en outre la somme de 587,97 euros au titre du remboursement du procès-verbal de constat d'huissier établi par Me [Y] [J].
Il y a lieu de confirmer également le jugement sur ces points.
Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
Compte tenu de la solution du litige, la décision entreprise sera confirmée de ces deux chefs et par application de l'article 696 du code de procédure civile, les dépens d'appel seront mis à la charge de M. [W].
La demande formée par la société Manitoba au titre des frais irrépétibles en cause d'appel sera accueillie, à hauteur de 500 euros.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
statuant publiquement et contradictoirement,
Confirme le jugement entrepris,
Condamne M. [Z] [W] à payer à la SARL Manitoba Praxis communication la somme de 500 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles de procédure en cause d'appel,
Déboute les parties de leurs autres demandes plus amples ou contraires,
Condamne M. [Z] [W] aux dépens d'appel.
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Régine CAPRA, Présidente et par Madame Angeline SZEWCZIKOWSKI, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, La Présidente,