COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 70H
Ch. civ 1-4 expropriations
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 23 AVRIL 2024
N° RG 22/03335 - N° Portalis DBV3-V-B7G-VGL4
AFFAIRE :
[X] [U] [N]
et autre
C/
ETABLISSEMENT PUBLIC [Localité 11] venant aux droits de l'Etablissement public d'aménagement de [Localité 9] (EPADESA) et de l'établissement de gestion du quartier (EPGD) dont le nom commercial est DEFACTO
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 14 Février 2022 par le juge de l'expropriation de NANTERRE
RG n° : 21/00047
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Stéphanie TERIITEHAU
Me Stéphanie ARENA
Mme [R] [D] (Commissaire du gouvernement)
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT TROIS AVRIL DEUX MILLE VINGT QUATRE,
La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Monsieur [X] [U] [N]
[Adresse 5]
[Localité 4]
Représentant : Me Stéphanie TERIITEHAU de la SELEURL MINAULT TERIITEHAU, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 619 et Me Olivier PERSONNAZ, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : B1098
Monsieur [F] [N]
[Adresse 6]
[Localité 7]
Représentant : Me Stéphanie TERIITEHAU de la SELEURL MINAULT TERIITEHAU, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 619 et Me Olivier PERSONNAZ, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : B1098
APPELANTS
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ETABLISSEMENT PUBLIC [Localité 11] venant aux droits de l'Etablissement public d'aménagement de [Localité 9] (EPADESA) et de l'établissement de gestion du quartier (EPGD) dont le nom commercial est DEFACTO
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 8]
Représentant : Me Stéphanie ARENA de la SELEURL ARENA AVOCAT, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 637 et Me Guillaume CHAINEAU de la SELARL GUILLAUME CHAINEAU AVOCAT, Plaidant, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉ
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Les fonctions du COMMISSAIRE DU GOUVERNEMENT étant exercées par Mme [R] [D], direction départementale des finances publiques.
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Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 26 Mars 2024, en audience publique, les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Raphaël TRARIEUX, président chargé du rapport,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Raphaël TRARIEUX, Président,
Madame Séverine ROMI, Conseiller,
Madame Marie-Cécile MOULIN-ZYS, Conseiller
qui en ont délibéré,
Greffier, lors des débats : Madame Kalliopi CAPO-CHICHI
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L'établissement public [Localité 11] procède à l'expropriation d'une unité foncière située [Adresse 12] à [Localité 10], sur la parcelle cadastrée AI n° [Cadastre 2] et [Cadastre 3], d'une superficie de 74 m², appartenant à [F] [N] et [X] [U] [N], ci-après dénommés 'les consorts [N]', et ce, aux fins d'aménager la zone des Groues à [Localité 10]. La déclaration d'utilité publique est datée du 31 juillet 2019, et l'ordonnance d'expropriation a été rendue le 12 février 2020.
Saisi par l'établissement public [Localité 11] selon requête datée du 16 juin 2021, le juge de l'expropriation de Nanterre a par jugement en date du 14 février 2022 fixé l'indemnité principale due aux consorts [N] à 37 700 euros, sur la base de 1 018 euros/m², et l'indemnité de remploi à 4 770 euros, et a laissé les dépens à la charge de l'établissement public [Localité 11]. Ledit jugement a été signifié le 10 mars 2022.
Par déclaration en date du 6 avril 2022, les consorts [N] ont relevé appel de ce jugement. La nullité de ladite déclaration d'appel ayant été soulevée d'office par la Cour, les consorts [N] en ont régularisé une autre selon lettre recommandée avec avis de réception du 26 avril 2022 parvenue au greffe le 28 avril 2022. Les instances ont été jointes le 9 août 2022.
En leur mémoire parvenu au greffe le 5 juillet 2022, qui a été notifié en une lettre recommandée du 17 août 2022 dont l'établissement public [Localité 11] et le commissaire du gouvernement ont accusé réception respectivement les 18 et 22 août 2022, les consorts [N] exposent :
- que la date de référence est le 4 juillet 2016 ;
- que les deux parcelles en cause sont de forme rectangulaire et forment une étroite bande de terrain nu ; qu'elles sont situées en zone UG ;
- que la référence sur laquelle s'est basée le premier juge (1 018 euros/m²) est en réalité une vente qu'ils avaient eux-mêmes réalisée au mois de décembre 2010, mais que depuis lors la pression foncière a augmenté, alors que d'autre part a été pratiqué à tort un abattement de 50 % du fait des caractéristiques du terrain ; que l'expropriant avait proposé, dans un premier temps, une valeur supérieure, à savoir 1 000 euros/m² ;
- que l'indemnité principale doit en conséquence être fixée à 1 018 euros/m² soit 75 332 euros.
Les consorts [N] demandent en conséquence à la Cour d'infirmer le jugement, de leur allouer une indemnité principale de 75 332 euros et une indemnité de remploi de 8 533 euros, et de condamner l'établissement public [Localité 11] au paiement de la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens qui seront recouvrés par Maître Teriitehau.
Dans son mémoire parvenu au greffe le 3 octobre 2022, qui a été notifié en une lettre recommandée du 11 octobre 2022 dont le commissaire du gouvernement et les consorts [N] ont accusé réception le 12 octobre 2022, l'établissement public [Localité 11] réplique :
- que les demandes adverses sont irrecevables ;
- qu'en effet, en matière d'expropriation, le défendeur dispose d'un délai de 6 semaines à compter de la notification du mémoire pour y répondre et former ses prétentions ;
- qu'aucune demande n'ayant été formée par les consorts [N] en première instance, vu qu'ils étaient défaillants, leurs prétentions sont irrecevables ;
- subsidiairement, qu'il y a lieu de confirmer le jugement entrepris ;
- que sur le fond, il a acquis une parcelle voisine pour 1 018 euros/m² le 13 décembre 2010, mais ce prix ne saurait être appliqué car il s'agit là d'une bande de terrain particulièrement étroite qui réduit substantiellement ses possibilités de valorisation ;
- que la circonstance qu'il ait proposé amiablement un prix supérieur au mois de décembre 2019, au titre de l'ensemble des parcelles, ne saurait être retenue s'agissant d'une offre amiable destinée à aboutir à une vente rapide des biens ;
- que le juge de l'expropriation a procédé à juste titre à un abattement de 50 % ;
- que des terrains à bâtir, ce qui n'est pas le cas de celui en litige, ont été cédés à un prix un peu supérieur.
L'établissement public [Localité 11] demande en conséquence à la Cour de :
- déclarer irrecevables les demandes des consorts [N] ;
- confirmer le jugement ;
- condamner les consorts [N] au paiement de la somme de 2 500 euros chacun en application de l'article 700 du code de procédure civile, et aux dépens.
Le 14 novembre 2022, le commissaire du gouvernement a déposé un mémoire qui a été notifié en une lettre recommandée du 17 novembre 2022 dont l'établissement public [Localité 11] et les consorts [N] ont accusé réception respectivement les 21 et 26 novembre 2022, dans lequel il a proposé à la Cour de :
- pratiquer la méthode par comparaison directe ;
- retenir des cessions opérées le 20 décembre 2018 (500 euros/m² ), le 4 décembre 2019 (pour 780 euros/m²), et le 18 décembre 2020 (500 euros/m²), soit une moyenne de 500 euros/m² ;
- fixer l'indemnité principale à 37 000 euros et l'indemnité de remploi à 4 700 euros.
Le 6 janvier 2023, les consorts [N] ont déposé un mémoire complémentaire qui a été notifié en une lettre recommandée du 18 janvier 2023 dont le commissaire du gouvernement et l'établissement public [Localité 11] ont accusé réception respectivement les 23 et 27 janvier 2023. Ils font valoir :
- que le fait qu'ils n'aient pas comparu en première instance ne les empêche pas de présenter des prétentions portant sur le rejet de celles de la partie adverse, comme il est dit à l'article 564 du code de procédure civile ;
- qu'il serait contraire à l'article 6 § 1 de la convention européenne des droits de l'Homme de les priver du double degré de juridiction ;
- que les jurisprudences invoquées par l'établissement public [Localité 11] ne sont pas ici applicables ;
- que sur le fond, il s'agit d'une emprise partielle si bien que la valeur du terrain s'apprécie en fonction du tènement immobilier ; qu'il n'y a donc pas lieu de procéder à un abattement de 50 %.
MOTIFS
L'article R 311-22 du code de l'expropriation dispose que :
Le juge statue dans la limite des prétentions des parties, tels qu'elles résultent de leurs mémoires et des conclusions du commissaire du gouvernement si celui-ci propose une évaluation inférieure à celle de l'expropriant.
Si le défendeur n'a pas notifié son mémoire en réponse au demandeur dans le délai de six semaines prévu à l'article R 311-11, il est réputé s'en tenir à ses offres, s'il s'agit l'expropriant, à sa réponse aux offres, s'il s'agit l'exproprié.
Si l'exproprié s'est abstenu de répondre aux offres de l'administration et de produire un mémoire en réponse, le juge fixe les indemnités d'après les éléments dont il dispose.
Au cas d'espèce, les consorts [N] ont été défaillants devant le premier juge et n'ont dès lors pas déposé de mémoire ; en outre ils ne prouvent ni même ne soutiennent avoir répondu à l'offre de la partie adverse datée du 4 décembre 2019. Dans ces conditions, le premier juge a statué en fonction des éléments dont il disposait.
Selon l'article 564 du code de procédure civile, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait. L'article 566 permet toutefois aux parties d'ajouter aux prétentions soumises au premier juge des demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.
Dans le cadre d'une procédure d'expropriation le juge peut être saisi par la partie expropriante, mais sa demande ne vise qu'à faire fixer le montant des droits revenant à l'exproprié, même si ce dernier n'était pas, comme ici au stade de la première instance, procéduralement demandeur. Les appelants ne peuvent donc utilement soutenir que leur demande à fin d'augmentation des sommes leur revenant vise à écarter les prétentions de l'établissement public [Localité 11].
Ils soutiennent qu'il y a atteinte au procès équitable. Toutefois, il résulte de l' article 6 §1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, tel qu'interprété par la Cour européenne des droits de l'homme, que le « droit à un tribunal », dont le droit d'accès constitue un aspect particulier, n'est pas absolu et se prête à des limitations implicitement admises, notamment quant aux conditions de mise en oeuvre des demandes, car il appelle, de par sa nature même, une réglementation par l'Etat, lequel jouit à cet égard d'une certaine marge d'appréciation. Toutefois, ces limitations ne sauraient restreindre l'accès ouvert à un justiciable de manière ou à un point tel que son droit à une juridiction s'en trouve atteint dans sa substance même, et elles ne se concilient avec le texte susvisé que si elles tendent à un but légitime et s'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
La règle prévue par l'article 564 du code de procédure civile définit de manière claire et précise les conditions dans lesquelles des demandes peuvent être formées devant une Cour d'appel. Ces règles sont dépourvues d'ambiguïté et présentent un caractère prévisible. Elles poursuivent un but légitime au sens de l'article 6 de la convention européenne des droits de l'Homme puisqu'elles visent à l'efficacité de la procédure et à la bonne administration de la justice. Et elles ne restreignent pas l'accès au juge d'appel d'une manière ou à un point tel que le droit d'accès au juge s'en trouve atteint dans sa substance même.
Il s'ensuit que les consorts [N] ne peuvent pas, pour la première fois devant la Cour, réclamer des sommes d'un montant supérieur à celles qui leur ont été allouées en première instance. Leurs prétentions seront déclarées irrecevables et le jugement sera confirmé.
L'équité ne commande pas d'allouer une indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile à l'établissement public [Localité 11].
Les consorts [N] seront condamnés aux dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
- DÉCLARE irrecevables les prétentions de [F] [N] et [X] [U] [N] ;
- CONFIRME le jugement en date du 14 février 2022 ;
- REJETTE la demande de l'établissement public [Localité 11] en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- CONDAMNE [F] [N] et [X] [U] [N] aux dépens d'appel.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Monsieur Raphaël TRARIEUX, Président et par Madame Kalliopi CAPO-CHICHI, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER, LE PRESIDENT,