COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 70H
Ch. civ 1-4 expropriations
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 23 AVRIL 2024
N° RG 23/01011 - N° Portalis DBV3-V-B7H-VV2N
AFFAIRE :
E.P.I.C. ETABLISSEMENT PUBLIC FONCIER D'ILE DE FRANCE (EPFIF)
C/
[N] [K]
et autre
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 06 Janvier 2023 par le juge de l'expropriation de PONTOISE
RG n° : 22/00423
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Dominique LE BRUN,
Me Véronique BUQUET-ROUSSEL
M. [B] [S] (Commissaire du Gouvernement)
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT TROIS AVRIL DEUX MILLE VINGT QUATRE,
La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
E.P.I.C. ETABLISSEMENT PUBLIC FONCIER D'ILE DE FRANCE (EPFIF)
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentant : Me Dominique LE BRUN, Postulant, avocat au barreau de VAL D'OISE, vestiaire : 4 et Me Frédéric LEVY de la SELAS DS AVOCATS, Plaidant, avocat au barreau de PARIS
APPELANT
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Monsieur [N] [K]
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représentant : Me Véronique BUQUET-ROUSSEL de la SCP BUQUET-ROUSSEL-DE CARFORT, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 462 et Me Gilles CAILLET de la SELEURL HELIANS, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : G0876
Madame [Y] [W] épouse [K]
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représentant : Me Véronique BUQUET-ROUSSEL de la SCP BUQUET-ROUSSEL-DE CARFORT, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 462 et Me Gilles CAILLET de la SELEURL HELIANS, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : G0876
INTIMÉS
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Les fonctions du COMMISSAIRE DU GOUVERNEMENT étant exercées par Monsieur [B] [S], direction départementale des finances publiques
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Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 12 Mars 2024, en audience publique, les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Raphaël TRARIEUX, Président chargé du rapport,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Raphaël TRARIEUX, Président,
Madame Séverine ROMI, Conseiller,
Madame Marie-Cécile MOULIN-ZYS, Conseiller,
qui en ont délibéré,
Greffier, lors des débats : Madame Kalliopi CAPO-CHICHI
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M. et Mme [K] souhaitant procéder à la vente de deux parcelles de terre sises[Adresse 3]e à [Localité 12], cadastrées section [Cadastre 6] et [Cadastre 7], d'une surface de 1 318 m², une déclaration d'intention d'aliéner a été reçue par la mairie le 19 avril 2022. L'EPFIF a décidé d'exercer son droit de préemption, selon décision datée du 6 juillet 2022, pour la somme de 336 000 euros HT en ce compris la commission de l'agence immobilière. Les parties n'ont pu trouver un accord quant au prix de vente.
Saisi par l'EPFIF selon requête datée du 17 août 2022, le juge de l'expropriation de Pontoise a par jugement en date du 6 janvier 2023 fixé le prix des parcelles en cause à 680 000 euros, et condamné l'EPFIF à payer aux époux [K] la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.
Par déclaration en date du 13 février 2022 [en réalité 2023], parvenue au greffe le 15 février 2023, l'EPFIF a relevé appel de ce jugement.
En son mémoire parvenu au greffe le 11 mai 2023, qui a été notifié par une lettre recommandée du 1er juin 2023 dont le commissaire du gouvernement et M. et Mme [K] ont accusé réception respectivement les 5 et 7 juin 2023, l'EPFIF expose :
- que les parcelles en cause constituent une unité foncière de forme irrégulière et sont accessibles uniquement par la rue de la Marne ;
- qu'elles sont composées d'une végétation dense et non entretenue ;
- que la date de référence est le 20 décembre 2021, date à laquelle la modification du plan local d'urbanisme est devenue opposable ; qu'à cette date le terrain préempté était dans un périmètre faisant l'objet d'un sursis à statuer ;
- que le bien est situé en zone UE1 et le plan local d'urbanisme prévoit des limitations d'utilisation ;
- que les références retenues par le juge de l'expropriation ne sont pas adéquates vu que le terrain sis [Adresse 13] est plus visible et mieux accessible ; que d'autres références portent sur des terrains plus étendus ;
- qu'elle produit des références plus pertinentes ; qu'il sera rappelé que M. et Mme [K] ont acquis leur bien pour seulement 185 000 euros ;
- que le potentiel de constructibilité des terrains est réduit ; qu'en effet il existe une marge de recul ;
- que doit être retenue une valeur unitaire de 254,72 euros/m².
L'EPFIF demande en conséquence à la Cour de :
- faire injonction à M. et Mme [K] de communiquer la promesse de vente signée préalablement à la déclaration d'intention d'aliéner ;
- infirmer le jugement ;
- fixer le prix d'aliénation à 336 000 euros (soit 1 318 m² x 254,72 euros) ;
- laisser les dépens à la charge de M. et Mme [K].
Dans leur mémoire parvenu au greffe le 1er août 2023, qui a été notifié en une lettre recommandée du 4 août 2023 dont l'EPFIF et le commissaire du gouvernement ont accusé réception respectivement les 8 et 16 août 2023, M. et Mme [K] répliquent :
- que si l'EPFIF demande qu'il leur soit fait injonction de communiquer la promesse de vente préalable à la déclaration d'aliéner, le compromis de vente du 30 janvier 2020 est versé aux débats par leurs soins ;
- que leur terrain est bien situé comme se trouvant dans la zone commerciale de la patte d'oie d'[Localité 12], desservi dans des conditions satisfaisantes par la route et les transports en commun, et proche de nombreux commerces ; qu'il est situé en zone UE1 du plan local d'urbanisme, en premier rideau de la zone de la RD14 ;
- que la rue où il se trouve, à double sens, donne lieu à un trafic important ;
- que la végétation que l'on a laissé proliférer n'a d'autre raison d'être que de prévenir les risques de squat et pourra aisément être enlevée ;
- qu'il s'agit d'un terrain à bâtir, assujetti à des règles de construction peu contraignantes vu que l'emprise au sol maximale de la construction est fixée à 60 % de la superficie et sa hauteur maximale à 16 m ; que de plus, la construction est autorisée de façon très large (tous commerces, activités de service, etc ) ; que la marge de recul ne concerne que les immeubles d'habitation ;
- que la décision de sursis à statuer dans le périmètre de laquelle se trouve leur bien n'a une durée que de deux ans au maximum ;
- que les références invoquées par la partie adverse sont situées en zone UR1 du plan local d'urbanisme et portent sur des terrains ayant vocation à accueillir de l'habitat résidentiel.
M. et Mme [K] demandent en conséquence à la Cour de :
- confirmer le jugement ;
- condamner l'EPFIF au paiement de la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens d'appel.
Le commissaire du gouvernement n'a pas déposé de mémoire.
MOTIFS
L'EPFIF demande à la Cour qu'il soit fait injonction à M. et Mme [K] de communiquer la promesse de vente signée préalablement à la déclaration d'intention d'aliéner. Le compromis de vente daté du 3 mars 2022 étant versé aux débats, cette demande doit être rejetée.
En vertu de l'article L 322-4 du code de l'expropriation :
L'évaluation des terrains à bâtir tient compte des possibilités légales et effectives de construction qui existaient à la date de référence prévue à l'article L. 322-3, de la capacité des équipements mentionnés à cet article, des servitudes affectant l'utilisation des sols et notamment des servitudes d'utilité publique, y compris les restrictions administratives au droit de construire, sauf si leur institution révèle, de la part de l'expropriant, une intention dolosive.
Conformément aux dispositions de l'article L 322-2 du même code, les biens sont estimés à la date de la décision de première instance, seul étant pris en considération - sous réserve de l'application des articles L 322-3 à L 322-6 dudit code - leur usage effectif à la date définie par ce texte. La date du jugement est le 6 janvier 2023.
La date de référence visée à l'article L 322-2 du code de l'expropriation, s'agissant de l'usage effectif de l'immeuble, conformément à l'article L 215-18 du code de l'urbanisme, car il existe un plan local d'urbanisme, est constituée par la date à laquelle est devenu opposable aux tiers le plus récent des actes approuvant, modifiant ou révisant le plan local d'urbanisme et délimitant la zone dans laquelle est situé le terrain. Cette date se situe au 20 décembre 2021, date à laquelle est devenue opposable la modification du plan local d'urbanisme par la commune de [Localité 12], puisque l'arrêté municipal portant mise à jour du plan local d'urbanisme date du 20 décembre 2021. Enfin il n'y a pas lieu de tenir compte de l'usage que l'appelante compte faire du bien.
Les parcelle litigieuses sont en nature de taillis et arbustes, envahies de plantes grimpantes et de ronces. Le fait que ce terrain soit actuellement en friche n'a pas d'incidence sur sa valeur, car il ne tiendra qu'au nouveau propriétaire de faire disparaître toute cette végétation, dont les intimés soutiennent qu'ils l'ont laissée proliférer afin que d'éviter que des squatters ne s'y installent.
En outre, l'EPFIF fait plaider que le terrain a une valeur moindre que ce qu'a retenu le premier juge en raison de l'existence d'une marge de recul, mais il résulte de la lecture du plan local d'urbanisme (page 173) que seule la construction de logements y est assujettie, alors qu'au vu de sa taille, le terrain de M. et Mme [K] peut être employé pour y édifier un bâtiment à usage commercial, ce qui est plus recherché, étant rappelé qu'il se trouve à proximité immédiate de la zone commerciale d'[Localité 12]. Par ailleurs, le premier juge a relevé à juste titre que la proximité de l'autoroute et les nuisances qu'il produit ne tendent pas à envisager la construction de logements. Enfin la hauteur des constructions n'est limitée qu'à 16 mètres (page 175 du plan local d'urbanisme).
L'EPFIF fait valoir qu'il s'agit d'un emplacement réservé ; or l'article L 213-4 du code de l'urbanisme renvoie, pour ce qui est de la fixation du prix d'acquisition, à l'article L 322-6 du code de l'expropriation selon lequel (alinéa 1er) :
Lorsqu'il s'agit de l'expropriation d'un terrain compris dans un emplacement réservé par un plan local d'urbanisme en application des 1° à 4° de l'article L. 151-41 du code de l'urbanisme, par un document d'urbanisme en tenant lieu, ou par un plan d'occupation des sols en application du 8° de l'article L. 123-1 de ce code dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000, le terrain est considéré, pour son évaluation, comme ayant cessé d'être compris dans un emplacement réservé.
C'est donc en vain que l'appelante fait plaider que le bien est situé dans un emplacement réservé.
S'agissant de la question de la situation du bien dans un périmètre de sursis à statuer quant à toute demande d'autorisation concernant des travaux, constructions ou installations, il est exact que comme il est dit à l'article L 424-1 du code de l'urbanisme sa durée ne peut excéder deux ans. Toutefois cet élément est à prendre en compte.
L'autorité expropriante verse aux débats cinq références de mutation portant sur des terrains sis à [Localité 12] :
- celle de la parcelle cadastrée [Cadastre 9] (268 euros/m²) ; elle est trop ancienne comme remontant au 12 mai 2017 ;
- celle de la parcelle cadastrée [Cadastre 10] (273 euros/m², mais le commissaire du gouvernement avait signalé, en son mémoire déposé en première instance, que le prix était en réalité de 313 euros le m²) ; elle est également trop ancienne comme remontant au 12 mai 2017 ;
- celle de la parcelle cadastrée [Cadastre 9] (223 euros/m²) ; elle date du 25 février 2020 ; M. et Mme [K] font valoir, en ce rejoints par le mémoire du commissaire du gouvernement, qu'elle est située en zone UR1 et qu'il est donc interdit par le plan local d'urbanisme d'y édifier des constructions autres que résidentielles ; ses possibilités sont donc moindres que celles du terrain querellé et ce d'autant plus qu'il existe des limitations quant à l'emprise au sol ;
- celle de la parcelle cadastrée [Cadastre 8] (5 euros/m²) ; elle date du 20 novembre 2019 ; M. et Mme [K] objectent que ladite parcelle est enclavée et non constructible ; en outre elle était de taille nettement inférieure à celle objet du litige (3 a 89 ca) ;
- celle de la parcelle cadastrée [Cadastre 11] (44 euros/m²) ; elle date du 18 septembre 2020 ; M. et Mme [K] font valoir que cette parcelle est trop exigue pour qu'une construction y soit édifiée ; il est exact que sa très faible largeur (2,92 m) l'y rend de toute évidence impropre.
Les intimés invoquent deux références, situées à [Localité 12], à savoir :
- celle du 23 décembre 2020 (boulevard du Havre), pour 764 euros le m² ;
- celle du 30 septembre 2020 (rue [Adresse 13]), pour 472 euros le m².
Il est exact que lesdites références sont situées dans le même zonage du plan local d'urbanisme que le bien litigieux, et également dans la même zone commerciale, et surtout qu'elles portent sur des terrains constructibles. L'EPFIF fait valoir que les biens susvisés donnent un moins bon accès à la patte d'oie d'[Localité 12] mais ils en sont tout proches, et en outre la rue de la Marne est à double sens de circulation ainsi qu'il est visible sur une photographie versée aux débats ce qui facilite les déplacements depuis les parcelles litigieuses.
Dans ces conditions, le juge de l'expropriation doit être approuvé d'avoir retenu un prix moyen de 617,72 euros le m², ramené à 515,93 euros en vue de ne pas outrepasser celui visé dans la déclaration d'aliéner, et fixé le prix à 515,93 euros x 1 318 m² soit 680 000 euros arrondis.
Le jugement est confirmé.
L'EPFIF, qui succombe en son appel, sera condamné au paiement de la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, et condamné aux dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
- REJETTE la demande de l'EPFIF à fin qu'il soit fait injonction à M. et Mme [K] de communiquer la promesse de vente signée préalablement à la déclaration d'intention d'aliéner ;
- CONFIRME le jugement en date du 6 janvier 2023 ;
- CONDAMNE l'EPFIF à payer à M. [N] [K] et Mme [Y] [K] la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- CONDAMNE l'EPFIF aux dépens d'appel.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Monsieur Raphaël TRARIEUX, Président et par Madame Kalliopi CAPO-CHICHI, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER, LE PRESIDENT,