COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 83F
Chambre sociale 4-2
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 30 MAI 2024
N° RG 22/00131 -
N° Portalis DBV3-V-B7G-U6ED
AFFAIRE :
S.A.R.L. SECURITAS FRANCE
C/
[X] [M] [S]
SYNDICAT NATIONAL DES ENTREPRISES DE PREVENTION SECURITE
Décision déférée à la cour : Jugement rendu(e) le 03 Décembre 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de BOULOGNE-BILLANCOURT
N° Section : AD
N° RG : F 20/00860
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Christophe DEBRAY
Me Nicolas BORDACAHAR
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE TRENTE MAI DEUX MILLE VINGT QUATRE,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant, devant initialement être rendu le 25 avril 2024 et prorogé au 30 mai 2024, les parties en ayant été avisées, dans l'affaire entre :
S.A.R.L. SECURITAS FRANCE
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représentant : Me Christophe DEBRAY, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 627 et Me Jean BAILLIS, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D1178
APPELANTE
****************
Monsieur [X] [M] [S]
[Adresse 3]
[Localité 6]
Représentant : Me Nicolas BORDACAHAR, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D1833 - N° du dossier [S]
Syndicat NATIONAL DES ENTREPRISES DE PREVENTION SE CURITE (SNEPS-CFTC)
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentant : Me Nicolas BORDACAHAR, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D1833 - N° du dossier [S]
INTIMES
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 01 Février 2024 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Catherine BOLTEAU-SERRE, Président,
Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller,
Madame Isabelle CHABAL, Conseiller,
Greffier lors des débats : Madame Domitille GOSSELIN,
Rappel des faits constants
La SARL Securitas France, dont le siège social est situé à [Localité 7] dans les Hauts-de-Seine, a pour activité la sécurité privée. Elle emploie plus de 10 salariés et applique la convention collective des entreprises de prévention et de sécurité du 15 février 1985.
M. [X] [M] [S], né le 3 novembre 1968, a été engagé par cette société, selon contrat de travail à durée indéterminée du 5 mai 2014, en qualité d'agent de sécurité magasin arrière caisse, moyennant une rémunération initiale de 1 562,38 euros.
M. [S] dépendait de l'établissement Île-de-France Paris, la société disposant de deux autres établissements en Île-de-France, les établissements Île-de-France Nord et Île-de-France Sud.
Parallèlement à ses fonctions, M. [S] disposait de plusieurs mandats au sein de l'établissement Île-de-France Paris. Il était membre titulaire du CHSCT depuis le 1er octobre 2017, délégué syndical depuis le 31 octobre 2017 et représentant syndical du comité d'établissement Île-de-France Paris depuis le 31 octobre 2017 et disposait à ce titre d'un total de 62 heures de délégation par mois.
Par courriel du 7 juin 2019, la société Securitas France a annoncé à M. [S] son transfert vers l'établissement Île-de-France Sud à la suite de la fermeture de l'agence Paris Retail, ce transfert entraînant la perte de ses mandats et des heures de délégation associées.
Par lettre du 17 juin 2019, M. [S] a contesté son transfert et la perte de ses mandats.
A compter du 18 juillet 2019, M. [S] a été désigné responsable de section syndicale de l'établissement Île-de-France Sud.
Soutenant que le transfert de M. [S] constituait une entrave à l'exercice de ses mandats, [B] et le syndicat SNEPS-CFTC ont saisi le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt par requête enregistrée le 24 juillet 2020.
Postérieurement à la saisine du conseil de prud'hommes, M. [S] s'est vu notifier son licenciement pour faute grave par lettre datée du 4 novembre 2020 motif pris qu'il aurait refusé toute affectation depuis 2016.
Sur recours de M. [S], le Ministre du travail a annulé l'autorisation de licencier de l'inspecteur du travail, par décision du 23 juillet 2021.
La société Securitas France a saisi le tribunal administratif de Melun d'un recours contentieux, toujours pendant.
M. [S] a été réintégré au sein de la société le 1er octobre 2021.
La décision contestée
Par jugement contradictoire rendu le 3 décembre 2022, le juge départiteur de la section activités diverses du conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt a':
- condamné la société Securitas France à verser à M. [S] les sommes suivantes :
. 15 000 euros en réparation de son préjudice découlant de l'entrave portée à l'exercice de ses mandats,
. 6 000 euros à titre de dommages-intérêts pour perte de chance de pouvoir s'être présenté aux élections professionnelles du mois de juin 2019 au sein de l'établissement Île-de-France Paris et de continuer d'exercer ses mandats,
- condamné la société Securitas France à verser au syndicat SNEPS-CFTC la somme de 4'000'euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice,
- ordonné l'exécution provisoire du jugement,
- débouté les parties du surplus de leurs demandes,
- condamné la société Securitas France à payer à M. [S] et au syndicat SNEPS-CFTC la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la société Securitas France aux entiers dépens.
La société Securitas France justifie de l'avis de virement opéré en exécution provisoire des causes du jugement (sa pièce 26).
M. [S] et le Syndicat SNEPS-CFTC avaient présenté les demandes suivantes':
- condamner la société Securitas France à verser à M. [S] les sommes suivantes :
. 30 000 euros à titre de dommages-intérêts pour entrave portée à l'exercice de ses mandats,
. 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour perte de chance de pouvoir s'être présenté aux élections professionnelles de juin 2019 et de continuer d'exercer ses mandats,
. 4 739,28 euros à titre de rappel d'heures de délégation,
- condamner la société Securitas France à verser au syndicat SNEPS-CFTC la somme de 10'000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi,
- condamner la société Securitas France à leur verser chacun la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir,
- condamner la société Securitas France aux entiers dépens.
La société Securitas France avait quant à elle conclu au débouté du salarié et du syndicat SNEPS-CFTC et avait sollicité la condamnation des demandeurs à lui verser une somme de 1'500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et les condamner aux éventuels dépens.
La procédure d'appel
La société Securitas France a interjeté appel du jugement par déclaration du 11 janvier 2022 enregistrée sous le numéro de procédure 22/00131.
Par ordonnance rendue le 10 janvier 2024, le magistrat chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l'instruction et a fixé la date des plaidoiries le 1er février 2024.
Prétentions de la société Securitas France, appelante
Par dernières conclusions adressées par voie électronique le 27 septembre 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la société Securitas France demande à la cour d'appel de':
- infirmer le jugement en ce qu'il':
. l'a condamnée à verser à M. [S] :
. 15 000 euros en réparation de son préjudice découlant de l'entrave portée à l'exercice de ses mandats,
. 6'000 euros à titre de dommages-intérêts pour perte de chance de pouvoir s'être présenté aux élections professionnelles du mois de juin 2019 au sein de l'établissement Île-de-France Paris et continuer d'exercer ses mandats,
. l'a condamnée à verser au syndicat SNEPS-CFTC la somme de 4'000'euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice,
. l'a condamnée à payer à M. [S] et au syndicat SNEPS-CFTC la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
. l'a condamnée aux entiers dépens,
- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. [S] et le syndicat SNEPS-CFTC du surplus de leurs demandes, à savoir :
- condamner la société Securitas France à verser à M. [S] :
. 30 000 euros à titre de dommages-intérêts en raison de l'entrave portée à l'exercice normal de ses mandats,
. 10 000 euros à titre de dommages intérêts pour perte de chance de pouvoir se présenter aux élections de juin 2019,
. 4 739,28 euros à titre de rappel d'heures de délégation,
. 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Securitas France à verser au syndicat SNEPS-CFTC :
. 10 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi,
. 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
statuant à nouveau,
- débouter M. [S] et le syndicat SNEPS-CFTC de toutes leurs demandes, fins et prétentions présentées à son encontre,
- condamner M. [S] et le syndicat SNEPS-CFTC à lui payer chacun la somme de 1'500'euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner M. [S] et le syndicat SNEPS-CFTC aux entiers dépens.
Prétentions de M. [S] et du SNEPS-CFTC, intimés
Par dernières conclusions adressées par voie électronique le 1er juillet 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, M. [S] et le SNEPS-CFTC demandent à la cour d'appel de :
- confirmer le jugement dont il est fait appel en ce qu'il a condamné la société Securitas France à verser à M. [S] des dommages-intérêts en raison de l'entrave portée à l'exercice de ses mandats mais uniquement en son principe et pas en son quantum,
- confirmer le jugement dont il est fait appel en ce qu'il a condamné la société Securitas France à verser à M. [S] des dommages-intérêts pour perte de chance de pouvoir se présenter aux élections de juin 2019 au sein de l'établissement Île-de-France et de continuer d'exercer ses mandats mais uniquement en son principe et pas en son quantum,
- confirmer le jugement dont il est fait appel en ce qu'il a condamné la société Securitas France à verser au syndicat SNEPS-CFTC des dommages-intérêts pour le préjudice subi mais uniquement en son principe et pas en son quantum,
- confirmer le jugement dont il est fait appel en ce qu'il a condamné la société Securitas France à verser à M. [S] et au syndicat SNEPS-CFTC une somme de 1 000 euros chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- infirmer le jugement dont il est fait appel pour le surplus,
et statuant à nouveau sur les chefs incriminés,
- condamner la société Securitas France à verser à M. [S] la somme de 30 000 euros à titre de dommages-intérêts en raison de l'entrave portée à l'exercice normal de ses mandats,
- condamner la société Securitas France à verser à M. [S] la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour perte de chance de pouvoir se présenter aux élections de juin 2019 au sein de l'établissement Île-de-France et de continuer d'exercer ses mandats,
- condamner la société Securitas France à verser à M. [S] la somme de 4 739,28 euros à titre de rappel d'heures de délégation,
- condamner la société Securitas France à verser au syndicat SNEPS-CFTC la somme de 10'000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi,
- condamner la société Securitas France à verser respectivement à M. [S] et au Syndicat SNEPS-CFTC la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Securitas France aux entiers dépens de la procédure.
MOTIFS DE L'ARRÊT
Sur l'entrave
M. [S] rappelle que son employeur a décidé unilatéralement son transfert de l'établissement de Paris où il était affecté depuis plusieurs années vers l'établissement Île-de-France Sud entraînant la perte de l'ensemble de ses mandats et soutient que celui-ci ne pouvait pas le faire sans obtenir son accord, compte tenu de la protection dont il bénéficie. Il sollicite l'allocation d'une somme de 30 000 euros à titre de dommages-intérêts en raison de l'entrave portée à l'exercice de ses mandats.
La société Securitas France s'oppose à cette demande, faisant valoir qu'elle a certes réorganisé l'entreprise mais que cela n'a entraîné ni modification du contrat de travail du salarié, ni modification de ses conditions de travail. Elle ajoute qu'en tout état de cause, la perte des mandats qui n'est que la conséquence de la réorganisation, n'est pas fautive, qu'ainsi l'élément intentionnel du délit d'entrave n'est pas caractérisé.
Il est rappelé que les atteintes portées à la désignation ou au fonctionnement des institutions représentatives du personnel sont prohibées par différents textes et constituent le délit d'entrave qui suppose, pour être constitué, la réunion d'un élément légal consistant en la violation par l'employeur d'une disposition législative, réglementaire ou conventionnelle, d'un élément matériel consistant en des agissements ou omissions émanant de l'employeur qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher ou de rendre plus difficile la mise en place ou la mission des représentants du personnel ou syndicaux et d'un élément intentionnel consistant dans la conscience et/ou la volonté d'empêcher le fonctionnement des institutions représentatives du personnel.
Si M. [S] ne remet pas en cause le fait que son nouveau rattachement entraînait la fin de ses mandats, il soutient que son employeur était obligé de solliciter son accord exprès pour ce changement tandis que la société Securitas France oppose qu'elle a respecté les modalités de réorganisation en menant une information/consultation du CE et que les conditions de travail de M. [S] n'ont pas été modifiées.
En ce qui concerne le respect par l'employeur des modalités de réorganisation, la société Securitas France explique que la réorganisation interne de l'entreprise a été engagée en septembre 2017 pour rationaliser la structure des agences «'Retail'» en Île-de-France, que début 2019, a été mis en 'uvre un projet de fermeture de l'agence Paris Retail à laquelle [B] était rattaché, qu'elle a respecté les dispositions des articles L. 2323-3 et suivants du code du travail, prévoyant l'information et la consultation du comité d'établissement de la société, ainsi qu'elle en justifie (sa pièce 13).
Selon la note d'information destinée aux membres du CE Île-de-France Paris pour la réunion du 27 mars 2020, il était prévu les modifications suivantes':
- fermeture de l'agence Paris Retail,
- redéfinition des périmètres des trois divisions franciliennes de Securitas constitutives des établissements distincts, Île-de-France Nord, Île-de-France Sud et Île-de-France Paris, la division Île-de-France Sud regroupant dorénavant les agences «'Retail'» dont celles de Paris Retail,
- incidences sur les agences et le personnel attaché': «'Ces modifications de rattachement des sites des agences n'ont d'incidences ni sur les conditions de travail ni sur les contrats de travail des salariés dans la mesure où l'ensemble de l'opération se déroule au sein de la même entreprise, Securitas France SARL, et que les salariés concernés continueront d'exercer leur travail sur le même site.'»
- incidences sur les instances Représentatives du Personnel (IRP)': «'Les changements de rattachement dans cette note entraînent la perte des mandats de membre du CE, du CHSCT, de DS, de RS au CE, de RS au CHSCT et de RSS des salariés transférés vers IDF Sud.
Dès lors compte tenu de la fermeture de l'agence Paris Retail, les mandats des délégués du personnel qui y sont rattachés sont appelés à disparaître.
Toutefois au regard de l'organisation prochaine des élections professionnelles, il a été convenu de maintenir les mandats de DP jusqu'à cette date.'»
La société Securitas France justifie par ailleurs que M. [S] faisait partie en tant que titulaire, des personnes expressément tenues informées du projet lors de la réunion du 26 mars 2019, à laquelle il participait comme le prouve la feuille d'émargement produite par l'employeur (sa pièce 16).
Ainsi, la société Securitas France conteste que la modification aurait fait l'objet d'une démarche «'unilatérale et arbitraire'» de sa part alors que les IRP ont été associées au processus.
En ce qui concerne l'absence de modification des conditions de travail de M. [S], la société Securitas France affirme que ce nouveau rattachement n'a entraîné aucune modification du contrat de travail de M. [S], ni de ses conditions de travail, que les équipes d'encadrement support n'ont pas changé, tandis que le changement de l'équipe hiérarchique ou des référents ressources humaines ne constitue pas, selon elle, une modification des conditions de travail.
Elle soutient que les heures de délégation ne représentent pas la contrepartie du travail et donc que leur rémunération est indépendante des conditions de travail.
Elle considère que la réorganisation interne n'a pas eu d'impact sur les éléments du socle contractuel, pas davantage sur les conditions de travail.
Pour autant, il est constant que la mutation d'un salarié protégé d'un établissement dans lequel il exerçait des mandats représentatifs dans un autre établissement de la même entreprise, qui a pour effet de mettre fin immédiatement à ses mandats, constitue une modification de son contrat de travail ou de ses conditions de travail qui requiert l'acceptation expresse du salarié.
Dès lors, en imposant à un salarié protégé une telle modification, sans avoir recueilli son acceptation expresse, l'employeur a, de façon illicite, empêché M. [S] de continuer à exercer ses fonctions, ce qui constitue une entrave, peu important que la société ait associé les IRP au processus.
La société Securitas France oppose encore l'absence d'élément intentionnel.
Elle expose que le rattachement de M. [S] vers un autre établissement découle de la nécessité de réorganiser en interne les agences Retail d'Île-de-France, ce qui caractérise une circonstance objective licite.
Ce faisant toutefois, la société Securitas France avait nécessairement conscience que [B] allait perdre ses mandats, ce dont il se déduit que l'élément intentionnel du délit d'entrave est établi.
Au demeurant, il sera relevé que M. [S] soutient même qu'il a été arbitrairement rattaché au sein d'un autre établissement sans aucune autorisation dans le seul but de porter atteinte au bon fonctionnement des IRP et à l'exercice du droit syndical alors que son établissement de rattachement n'a été supprimé qu'en décembre 2019.
L'ensemble de ces considérations conduit la cour à retenir que la société Securitas France a porté atteinte aux prérogatives syndicales de M. [S]
Le préjudice subi de ce fait par M. [S] sera évalué, au regard des circonstances de la cause, notamment le nombre de mandats exercés, la durée restant à courir, la brutalité de la décision de l'employeur, à la somme de 5 000 euros, par infirmation du jugement entrepris.
Sur la perte de chance de se présenter aux élections sur l'établissement Île-de-France Paris
M. [S] sollicite l'allocation d'une somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts à ce titre.
A l'appui de sa demande, M. [S] expose que sa mutation arbitraire le 1er mai 2019 l'a empêché de se présenter en juin 2019 aux élections de l'établissement de Paris sur lequel il était affecté depuis plusieurs années. Il prétend en effet que l'établissement de Paris n'a disparu qu'au mois de décembre 2019 après l'organisation par l'employeur de nouvelles élections en juin 2019, qu'il n'a pas pu se présenter sur l'établissement de Paris au sein duquel il était très actif et a été obligé de se présenter au sein de son nouvel établissement, dans lequel il n'avait jamais eu aucune activité et ne connaissait pas les salariés. Il indique qu'il n'a pas été élu.
La société Securitas France rétorque que M. [S] ne pouvait quoi qu'il en soit être élu puisqu'il ne s'est pas présenté aux élections du bon établissement mais de celui d'Île-de-France Nord, ce qu'admet le salarié en reprochant à l'entreprise de ne pas avoir procédé à la correction.
Il reste que son changement de rattachement intervenu le 1er mai 2019, un mois avant l'organisation des élections au sein de l'établissement Île-de-France Paris, lequel n'a été supprimé qu'en décembre 2019, ce fait n'étant pas utilement démenti par l'entreprise, a fait perdre une chance à M. [S] d'être élu, alors qu'il justifiait d'une bonne audience électorale au sein de cet établissement comme en témoignent ses précédents mandats électifs.
Le préjudice subi de ce fait par M. [S] sera évalué, au regard des circonstances de la cause, à la somme de 2 500 euros, par infirmation du jugement entrepris uniquement sur le quantum.
Sur les heures de délégation
M. [S] sollicite la condamnation de son employeur à lui payer la somme de 4 739,28 euros à titre de rappel d'heures de délégation.
Il expose que compte tenu de ses mandats, il pouvait prétendre à 62 heures de délégation par mois. Il estime qu'il a perdu la possibilité de bénéficier de ces heures du seul fait de sa mutation arbitraire et en demande donc le paiement sur la période de mai à novembre 2019 inclus.
La société Securitas France conteste la demande. Elle oppose que le salarié ne peut demander paiement d'heures de délégation qu'il n'a pas réalisées et souligne que M. [S] n'utilisait pas nécessairement la totalité de ses 62 heures de délégation chaque mois, que par exemple, il n'a utilisé que 18 heures en octobre 2017 ou 40 heures au maximum en janvier 2018.
Il est rappelé que les heures de délégation sont payées de manière à garantir au salarié la même rémunération que s'il avait travaillé, que celui-ci peut disposer de ces heures consacrées au mandat durant les heures habituelles de travail ou, lorsque les besoins du mandat le justifient, en dehors, auquel cas, elles sont rémunérées comme des heures supplémentaires.
En l'espèce cependant, il n'est pas remis en cause que M. [S] n'a réalisé aucune des heures de délégation revendiquées, de sorte qu'il ne peut pas en demander le paiement.
Le jugement sera confirmé de ce chef.
Sur la demande indemnitaire du syndicat SNEPS-CFTC
Le syndicat SNEPS-CFTC sollicite l'allocation d'une somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice qu'il a subi en raison de sa perte de représentativité.
La société Securitas France s'oppose à la demande, soutenant que le syndicat ne peut lui imputer la perte de représentativité, faute d'avoir présenté le moindre candidat aux élections professionnelles de juin 2019.
L'article L. 2132-3 du code du travail dispose': «'Les syndicats professionnels ont le droit d'agir en justice.
Ils peuvent, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent.'»
Il est constant que toute entrave à l'exercice du droit syndical porte, par nature, atteinte à l'intérêt collectif de la profession que le syndicat représente.
Il est dès lors justifié d'allouer au syndicat SNEPS-CFTC une somme de 2 500 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi.
Le jugement sera infirmé sur le quantum de la condamnation.
Sur les dépens et les frais irrépétibles de procédure
Compte tenu de la teneur de la décision rendue, le jugement de première instance sera confirmé en ce qu'il a condamné la société Securitas France aux dépens de l'instance et à payer à M. [S] et au syndicat SNEPS-CFTC une somme de 1 000 euros au titre des frais irrépétibles.
La société Securitas France, qui succombe pour l'essentiel dans son recours, supportera les dépens d'appel en application des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile.
La société Securitas France sera en outre condamnée à payer à M. [S] et au syndicat SNEPS-CFTC une indemnité sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, que l'équité et la situation économique respective des parties conduisent à arbitrer à la somme de 1'500'euros et sera déboutée de sa propre demande présentée sur le même fondement.
PAR CES MOTIFS
La COUR, statuant publiquement, en dernier ressort et par arrêt contradictoire,
INFIRME le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt le 3 décembre 2022, excepté en ce qu'il a débouté M. [X] [M] [S] de sa demande au titre des heures de délégation et en ce qu'il a condamné la SARL Securitas France aux dépens de l'instance et à payer à M. [X] [M] [S] et au syndicat SNEPS-CFTC une somme de 1 000 euros au titre des frais irrépétibles,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
CONDAMNE la SARL Securitas France à payer à M. [X] [M] [S] les sommes suivantes':
5 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice découlant de l'entrave portée à l'exercice de ses mandats,
2 500 euros à titre de dommages-intérêts pour perte de chance de pouvoir se présenter aux élections professionnelles du mois de juin 2019 au sein de l'établissement Île-de-France Paris,
CONDAMNE la SARL Securitas France à payer au syndicat SNEPS-CFTC une somme de 2'500 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice,
CONDAMNE la SARL Securitas France au paiement des dépens d'appel,
CONDAMNE la SARL Securitas France à payer à M. [X] [M] [S] et au syndicat SNEPS-CFTC une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
DÉBOUTE la SARL Securitas France de sa demande présentée sur le même fondement.
Arrêt prononcé publiquement à la date indiquée par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme Catherine Bolteau-Serre, présidente, et par Mme Domitille Gosselin, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,