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31/07/2024 | FRANCE | N°22/02172

France | France, Cour d'appel de Versailles, Chambre sociale 4-4, 31 juillet 2024, 22/02172


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80A



Chambre sociale 4-4



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 31 JUILLET 2024



N° RG 22/02172

N° Portalis DBV3-V-B7G-VJXG



AFFAIRE :



[D] [O]



C/



E.P.I.C. INSTITUT DE RADIOPROTECTION ET DE SURETE NUCLEAIRE - IRSN











Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 16 juin 2022 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOULOGNE B

ILLANCOURT

Section : E

N° RG : F 20/01176



Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



Me Claire RICARD



Me Christophe DEBRAY







le :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE TRENTE ET UN J...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

Chambre sociale 4-4

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 31 JUILLET 2024

N° RG 22/02172

N° Portalis DBV3-V-B7G-VJXG

AFFAIRE :

[D] [O]

C/

E.P.I.C. INSTITUT DE RADIOPROTECTION ET DE SURETE NUCLEAIRE - IRSN

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 16 juin 2022 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOULOGNE BILLANCOURT

Section : E

N° RG : F 20/01176

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Claire RICARD

Me Christophe DEBRAY

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE TRENTE ET UN JUILLET DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Madame [D] [O]

Née le 31 juillet 1964 à [Localité 14]

de nationalité française

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentant : Me Claire RICARD, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 622

Plaidant : Me Aurélia MAROTTE de l'AARPI OB£MA CONSEILS, avocat au barreau de PARIS

APPELANTE

****************

E.P.I.C. INSTITUT DE RADIOPROTECTION ET DE SURETE NUCLEAIRE - IRSN

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentant : Me Christophe DEBRAY, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 627

Plaidant: Me Mikaël PELAN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : L0081

Substitué à l'audience par Me François MACQUERON, avocat au barreau de PARIS

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 2 mai 2024 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Nathalie GAUTIER, Conseillère chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Aurélie PRACHE, Présidente,

Monsieur Laurent BABY, Conseiller,

Madame Nathalie GAUTIER, Conseillère,

Greffière lors des débats : Madame Angeline SZEWCZIKOWSKI,

Greffière lors du prononcé : Madame Dorothée MARCINEK

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

Mme [O] a été engagée par l'institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (ci-après l'Irsn) en qualité d'ingénieure chercheuse en sciences humaines et sociales, par contrat de travail à durée indéterminée, à compter du 27 août 2012 au sein du laboratoire de sciences humaines et sociales (ci-après le Lsh) créé en 2012.

L'Irsn est spécialisé dans l'expertise et la recherche en matière de radioprotection et de sûreté nucléaire. L'effectif de l'institut était, au jour de la rupture, de plus de 50 salariés. Il applique l'accord d'entreprise institut de radioprotection et de sûreté nuéclaire relatif aux conditions générales d'emploi.

En 2014, l'Irsn a coordonné en partenariat avec l' Institut d'études politiques de [Localité 8] et l'Institut technologique de [Localité 13] le projet Shinrai ("confiance", en japonais) de recherche franco-japonais de l'Irsn, visant à étudier les conséquences sociales et politiques de l'accident de Fukushima survenu en 2011, la salariée y participant.

En mai 2016, l'Irsn a mis en place une médiation entre la salariée et M. [C], son supérieur hiérarchique, responsable du laboratoire, arrêtée à la demande de la salariée en février 2017.

Par lettre du 12 mai 2017, la directrice adjointe des ressources humaines a informé plusieurs chefs de services de l'Irsn de la reprise de la médiation afin que la salariée retrouve des relations de travail équilibrées avec son supérieur hiérarchique, M. [C].

Par lettre du 19 septembre 2017, Mme [O] a été sanctionnée d'une mise à pied disciplinaire d'une journée pour non-respect des consignes et directives de sa hiérarchie et pour insubordination.

Le 1er décembre 2017, la salarié a eu un malaise sur son lieu de travail lors d'une réunion et a été raccompagnée à son domicile.

Par décision du 19 février 2018, la CPAM des Hauts de Seine a reconnu le caractère professionnel de l'accident du travail.

Par lettre du 21 janvier 2020, Mme [B] a été convoquée à un entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement, fixé le 10 février 2020.

Le même jour, Mme [O] a été convoquée devant la commission d'examen des licenciements et des mesures disciplinaires prévue par l'accord collectif d'entreprise.

Par procès-verbal à la suite des séances du 5 et 12 mars 2020, la commission d'examen des licenciements et mesures disciplinaires, composée de trois membres de la direction et trois membres du personnel, a rendu un avis favorable au licenciement de Mme [O] à la majorité de cinq voix favorables contre une.

La salariée a été en arrêt de travail à compter du 21 avril 2020.

Mme [O] a été licenciée par lettre du 16 juin 2020 pour faute caractérisée dans les termes suivants:

' (...) Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 21 janvier 2020, vous avez été convoquée, le 10 février dernier, à un entretien préalable pouvant mener à votre licenciement.

Au cours de cet entretien en ma présence et celle de Madame [U] [H], chargée de la réglementation, et pour lequel vous étiez assistée de Monsieur [M] [V], représentant du personnel, les raisons qui ont amené l'institut à envisager une mesure disciplinaire pouvant conduire à votre éventuel licenciement vous ont été exposées.

Par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 21 février dernier, vous avez été informée de la date de la réunion de la Commission d'examen des licenciements et des mesures disciplinaires (le 5 mars 2020) ainsi que de la faculté de renoncer à sa saisine.

Lors de cette réunion, conformément aux dispositions conventionnelles en vigueur, les représentants de la direction ont demandé un complément d'Information nécessitant une seconde réunion de la commission qui s'est tenue le 12 mars dernier.

Après avis favorable de la commission d'examen des licenciements et des mesures disciplinaires et après réflexion, je suis contrainte de vous notifier par la présente votre licenciement pour faute, pour les motifs qui vous ont été exposés et que je vous rappelle ci-après.

' Vous exercez depuis le 27 août 2012 les fonctions de chercheur en sciences humaines et sociales au sein du Laboratoire de recherche en Sciences Humaines et Sociales (LSHS), du Service Homme Organisation Technologie (SHOT) appartenant au Pôle Sûreté Nucléaire Systèmes, nouveaux Réacteurs et Démarche de Sûreté (PSN-SRDS).

L'IRSN a constaté de votre part des manquements avérés et répétés à vos obligations professionnelles et contractuelles.

Il vous est reproché une insubordination récurrente avec une défiance vis-à-vis de votre hiérarchie et un comportement inadapté à l'encontre de votre entourage professionnel, nuisant au bon fonctionnement et à l'image de votre unité et de l'IRSN. Vous n'avez de cesse de contester les positionnements de l'Institut et de remettre en cause les processus internes. De nombreux sujets anodins de la vie en entreprise donnent lieu à des discussions le plus souvent stériles.

Ce constat avait déjà été établi en septembre 2017 puisque l'Institut avait prononcé à votre encontre une mise à pied disciplinaire de 3 jours. Il vous était déjà reproché le non-respect des consignes et directives de votre hiérarchie, une insubordination illustrée par une défiance à l'encontre de Monsieur [Y] [C], votre chef de laboratoire, nuisant déjà à l'image de I'IRSN. L'IRSN a pourtant fait preuve d'une grande mansuétude à votre encontre essayant, par ailleurs, d'améliorer la situation avec Monsieur [Y] [C], notamment par le biais d'une médiation que vous avez choisi de ne pas poursuivre.

A cette occasion, il vous avait été précisé que l'institut vous laissait, encore une fois, l'opportunité que votre comportement s'améliore et se conforme aux attitudes attendues en entreprise.

Force est de constater que cette alerte n'a pas eu l'écho escompté et que la situation, qui s'était pourtant améliorée pendant quelques mois, n'a pu être maintenue dans la durée.

Votre hiérarchie a également valorisé votre travail en communiquant largement sur celui-ci mais aussi en vous octroyant une prime exceptionnelle en décembre 2018.

Toutefois, depuis plusieurs mois, l'institut a de nouveau constaté votre attitude négative mais aussi votre mode de communication oppressant et dénigrant.

A titre d'illustration récente, votre attitude déplacée et inappropriée à l'encontre de vos collègues a connu un épisode marquant le 3 décembre dernier au cours d'une réunion de laboratoire.

Au cours de cette réunion à laquelle vous êtes arrivée en retard sans raison apparente, vous avez manifesté votre désaccord, voire du dédain, au sujet de la présentation de votre collègue Monsieur [Z] [L] qui présentait un travail de recherche, par une dénégation de la tête, des haussements de sourcils, un rictus narquois. Votre attitude a fortement choqué vos collègues. Cela montre l'irrespect que vous manifestez à l'encontre du travail de certains collaborateurs de l'institut, qu'ils soient vos collègues ou vos responsables hiérarchiques.

Au cours de cette même réunion, vous avez manifesté encore une fois de la défiance vis-à-vis de votre responsable hiérarchique Monsieur [Y] [C]. Alors que ce dernier animait la seconde partie de la réunion de laboratoire, vous vous êtes esclaffée à plusieurs reprises. Cette attitude a été ressentie par les personnes présentes comme de la moquerie de votre part à l'encontre de votre responsable hiérarchique.

Par ailleurs, Monsieur [S] [P], adjoint au chef du laboratoire, a été dans l'obligation, alors que l'interruption entre les deux parties de la réunion était terminée et que celle-ci avait reprise depuis 10 minutes, de venir vous demander de rejoindre l'équipe pendant que vous discutiez dans le couloir. Vous avez alors répondu que 'Non, [S], ce n'est pas vrai, vous n'avez pas besoin de nous'. Monsieur [S] [P] a dû insister pour que vous assistiez de nouveau à la réunion.

Cet exemple est le reflet d'un comportement inadapté, répété et irrespectueux qui est intolérable et fortement préjudiciable à l'ambiance de travail au sein de votre laboratoire. Il n'est pas acceptable qu'un collaborateur ait une attitude qui dénote un irrespect affiché de ses collègues et de leur travail.

Par ailleurs, certaines de vos prises de position manifestent un mépris pour les recherches en sciences de gestion ou dans le domaine des facteurs organisationnels et humains, exercées par vos collègues du laboratoire. Tel a été le cas lors de la réunion du 2 décembre dernier, consacrée à l'édition d'un livre tiré de la recherche 'Shinrai'en présence d'interlocuteurs externes à votre service.

Votre contestation permanente n'est plus tenable au sein de votre unité. Elle nécessite de déployer beaucoup d'énergie de la part de votre hiérarchie afin de vous voir accepter les directives énoncées. Cette remise en cause des positions ou choix adoptés par l'IRSN a nécessité une intervention de votre cheffe de service, Madame [F] [T] et de votre directrice, Madame [E] [K], qui vous a reçue, en octobre dernier, afin de vous faire part de son mécontentement et vous demander de changer votre attitude au sein du laboratoire.

Cette réunion a donné lieu de votre part à des remarques sur le compte rendu rédigé par Madame [E] [K], par lesquelles vous exposez et remettez encore une fois en cause les positions de votre hiérarchie.

L'Institut ne peut que déplorer votre absence de remise en cause.

L'ensemble des faits qui vous sont reprochés aujourd'hui ont pour conséquence directe un climat délétère au sein de votre laboratoire, nuisant à son bon fonctionnement. Un mal-être s'est installé parmi des collaborateurs de votre unité et celui-ci ne peut perdurer. La situation est telle que certains collaborateurs ont signalé au médecin du travail leur malaise face au climat ambiant, vous incriminant personnellement. Par ailleurs, en outrepassant consciemment les directives de votre ligne hiérarchique, vous créez un trouble manifeste dans votre service, mais également au-delà. Cette situation n'est plus tenable.

L'entretien préalable du 10 février dernier mais également la commission d'examen des licenciements et des mesures disciplinaires n'ont malheureusement pas conduit à un changement de discours de votre part ou à une quelconque remise en cause de votre attitude. En outre, les explications que vous avez fournies au cours de l'entretien et de la commission n'ont pas convaincu.

Votre préavis de trois mois, que je vous dispense d'effectuer, débutera à compter de la première présentation du présent courrier. Vous êtes donc dispensée d'activité pendant la durée du préavis qui vous sera néanmoins payé aux échéances habituelles.

Au terme du préavis, vous cesserez de faire partie des effectifs de l'IRSN et un certificat de travail, un reçu pour solde de tout compte ainsi qu'une attestation d'assurance chômage vous permettant de faire valoir vos droits à Pôle Emploi vous seront adressés. (...)'.

Le 14 septembre 2020, Mme [O] a saisi le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt aux fins de constater l'existence d'un harcèlement moral, la violation de l'obligation de sécurité et en paiement de diverses sommes de nature salariale et indemnitaire.

Par jugement du 16 juin 2022, le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt (section encadrement) a :

- Dit que la matérialité d'éléments de faits précis et concordants laissant supposer l'existence d'un harcèlement moral n'est donc pas démontré et que le licenciement de Mme [O] n'est pas entaché de nullité ;

- Dit que le licenciement de Mme [O] est fondé sur une cause réelle et sérieuse ;

- Débouté en conséquence Mme [O] de l'intégralité de ses demandes ;

- Laissé à chacune des parties les frais qu'elle a pu exposer sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

- Mis les éventuels dépens à la charge de Mme [O].

Par déclaration adressée au greffe le 8 juillet 2022, Mme [O] a interjeté appel de ce jugement.

Une ordonnance de clôture a été prononcée le 2 avril 2024.

Les parties n'ont pas donné suite à la proposition de médiation faite par la cour à l'issue des plaidoiries.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 25 mars 2024, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles Mme [O] demande à la cour de :

- Infirmer le jugement rendu par le Conseil de Prud'hommes de Boulogne-Billancourt le 16 juin 2022 en ce qu'il a :

- Dit que la matérialité d'éléments de faits précis et concordants laissant supposer l'existence d'un harcèlement moral n'est donc pas démontré et que le licenciement de Mme [O] n'est pas entaché de nullité ;

- Dit que le licenciement de Mme [O] est fondé sur une cause réelle et sérieuse ;

- Débouté en conséquence Mme [O] de l'intégralité de ses demandes ;

- Laissé à chacune des parties les frais qu'elle a pu exposer sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

- Mis les éventuels dépens à la charge de Mme [O].

Et, Statuant à nouveau, de :

- Juger que Mme [O] a été victime de harcèlement moral dans le cadre de l'exercice de ses fonctions pour le compte de l'IRSN ou à tout le moins, que l'IRSN a manqué à ses obligations de sécurité vis-à-vis de la salariée ;

- Juger le licenciement notifié le 16 juin 2020 nul, ou à tout le moins sans cause réelle et sérieuse, et entouré de circonstances fautives ;

En conséquence,

- Condamner l'IRSN à payer à Mme [O] les sommes suivantes :

- 70 000 euros nets, subsidiairement 46 222,22 euros nets à titre d'indemnité pour licenciement nul, et subsidiairement, sans cause réelle et sérieuse ;

- 5 000 euros nets à titre de dommages et intérêts au titre des circonstances fautives ayant entouré la rupture du contrat de travail ;

-15 000 euros nets à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait d'agissements fautifs relevant de harcèlement moral, ou à tout le moins au titre de la violation de l'obligation de sécurité incombant à l'employeur ;

- 2 000 euros au titre de ses frais irrépétibles engagés en première instance, et 5 000 euros au titre de ses frais irrépétibles engagés en cause d'appel, sur le fondement de l'article 700 du CPC ;

- Condamner l'IRSN aux dépens ;

- Dire que les condamnations prononcées produiront intérêts à compter du 9 juillet 2020, date de la première mise en demeure adressée par le Cabinet Obema Conseils à l'IRSN ;

- Ordonner la remise par l'IRSN à Mme [O] d'un bulletin de paie, solde de tout compte, et de documents de fin de contrat conformes, sous astreinte journalière de 50 euros par jour de retard à compter du prononcé de la décision ;

- Débouter l'IRSN de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;

- se réserver le droit de liquider l'astreinte.

Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 29 mars 2024, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles l'institut de radioprotection et de sûreté nucléaire demande à la cour de :

- Confirmer le jugement rendu par le Conseil de Prud'hommes de Boulogne-Billancourt le 16 juin 2022 en toutes ses dispositions,

- Débouter Mme [O] de son appel et de l'ensemble de ses demandes mal fondées,

Y ajoutant :

- Condamner Mme [O] à régler à l'IRSN 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

MOTIFS

A titre liminaire, la salariée pose en introduction dans ses conclusions la question de la limite du pouvoir de subordination de l'employeur face à la liberté du chercheur, sa liberté d'expression et d'option et son indépendance, ce qui ressort ensuite de son argumentaire à l'appui de sa demande de nullité du licenciement pour harcèlement moral ou pour violation de sa liberté d'expression.

Le contrat de travail mentionne que la salariée a été recrutée en qualité d'ingénieure - chercheuse, sans référence au statut de chercheur associé au sein du Cetcopra de l'université de [9], qui aurait été évoqué lors de son entetien d'embauche,et dont elle se prévaut dans le courriel du 26 juin 2017 (pièce n° 48 de l'employeur) qu'elle a adressé à M. [C].

Pour soutenir qu'elle dispose d'une liberté particulière en qualité de chercheuse au sein de l'Irsn, la salariée invoque les dispositions de la charte européenne de déontologie des métiers de la recherche, que l'Irsn n'a pas signée, à la différence du Cnrs dont la cour relève que le Cnrs est un centre de recherche, ce que n'est pas l'Irsn, institut également placé sous la tutelle conjointe du ministre chargé de l'environnement, du ministre de la défense et des ministres chargés de l'énergie, de la recherche et de la santé.

Ainsi, l'article R. 592-3 du livre V du code de l'environnement modifié par décret n° 2016-283 du 10 mars 2016 relatif à l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire prévoit que ' La nature et les résultats des programmes de recherches menés par l'établissement font l'objet d'une communication, dans leur domaine de compétence, aux autorités chargées du contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection, ainsi qu'au Haut Comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire, au Haut Conseil de la santé publique et au Conseil d'orientation des conditions de travail, à l'exclusion de ceux relevant de la défense'.

Certes, la charte européenne du chercheur (pièce n° 86 de la salariée) est un ensemble de principes généraux qui spécifie les responsabilités et les rôles des chercheurs et de leurs l'employeurs mais elle n'a qu'une valeur indicative et la liberté de recherche, invoquée par la salariée, premier principe général de la charte, ne s'impose pas à l'employeur dans sa relation contractuelle avec la salariée.

S'agissant de l'étendue de la liberté d'expression de la salariée dans l'exercice de sa fonction d'ingénieure-chercheuse, avant même que ne soit abordée ensuite la demande de nullité du licenciement pour violation de la liberté d'expression alléguée par la salariée, il ressort du procès-verbal de la commission d'examen des licenciements et des mesures disciplinaires qu'un des membres de la commission a posé la question ' jusqu'où va le travail de chercheur'' et qu'un représentant de l'employeur a répondu que ' l'institut doit être partie aux controverses et aux débats sur des domaines d'activités mais il ne doit pas avoir de position, il doit demeurer neutre'.

Il ressort également de ce procès-verbal, que la salariée a indiqué que ' si on lui avait expliqué à (son) arrivée que les sciences humaines et sociales à l'Irsn n'entraient pas dans les sciences humaines sociales académiques, elle ne serait pas venue à l'Irns. (...) L'Irsn donne l'image d'un institut inféodé à l'industrie nucléaire alors qu'il devrait être indépendant .'.

La salariée produit aux débats de nombreuses attestations de chercheurs qui ont participé au projet Shinrai, ou ont assisté à des colloques à ce titre, et qui dénoncent l'absence de liberté de la salariée et la rigueur de l'Irsn dans le contrôle notamment des écrits, entraînant un retard dans l'avancement du projet de restitution d'un rapport final.C'est d'ailleurs dans le cadre de ce travail que les difficultés sont apparues entre la salariée et sa hiérarchie.

Ces témoins font également mention,d'avoir entendu ou rencontré la salariée lors de colloques scientifiques, en dehors du cadre de l'Irsn.

La situation relative au projet Shinrai est reprise dans les commentaires de l'entretien d'évaluation du 23 juillet 2019, la salariée indiquant que ' la mise en ligne du rapport Shinrai a été très gratifiante, couronnant plusieurs années de travail. Je regrette cependant de n'avoir pas pu présenter dans un congrés académique international les résultats de ce travail, toujours au motif de mon plan de charge.', la salariée indiquant qu'elle espère pouvoir rédiger et publier des articles qui, d'après elle, font partie de la visibilité globale du laboratoire, sans y être autorisé par l'Irsn et qu'elle estime que la stratégie du laboratoire, service dans lequel elle est affectée, doit être clarifiée avec les chercheurs.

La salariée a également participé au projet Agoras (2014-2019) en lien avec l'accident de Fukushima, dont les partenaires étaient notamment l'Irsn et le centre de [11], qui dépend du Cnrs et de l'Institut de Sciences Politique de [Localité 8]. Des difficultés sont également apparues pour la validation au sein de l'Irsn de la note de cadrage, première étape du projet pour lequel des chercheurs ont dénoncé le fait que ' M. [C] a fait savoir que les résultats des recherches conduites par les chercheurs de l'Irsn qui participaient à l'Agoras, dont Mme [O] , devaient s'alligner avec les positions de l'Irsn, dont M. [C] se portait garant (...) C'est une atteinte grave à la déontologie scientique '(attestation Mme [A], professeur à l'université de [Localité 12], pièce n° 62 de la salariée).

Toutefois, la salariée, qui n'exerçant donc pas de fonctions académiques au sein de l'Irsn, est soumise aux dispositions du code du travail et aux stipulations de son contrat de travail. Elle s'est trouvée à ce titre subordonnée au pouvoir de direction de l'employeur, de sorte qu'elle n'établit pas, à titre liminaire, bénéficier d'une indépendance particulière résultant de son emploi d'ingénieur- chercheur.

Dans ce contexte, il convient dès lors d'examiner d'après les dispositions applicables du code du travail, si la salariée a subi le harcèlement moral invoqué et les manquements de l'employeur à son obligation de sécurité, et si l'employeura méconnu la liberté d'expression de la salariée.

Sur le harcèlement moral

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En vertu de l'article L. 1154-1 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2018-1088 du 8 août 2016, applicable en la cause, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de laisser supposer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L.1152-1 du code du travail.

Dans l'affirmative, il appartient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Au cas présent, la salariée invoque des agissements répétés de M. [C], son supérieur hiérarchique, qui ont entraîné la dégradation de son état de santé et ses alertes récurrentes ayant eu une réponse inadaptée apportée par l'employeur.

I- Sur les agissements répétés du fait de M. [C], supérieur hiérarchique

- les abus de M. [C] commis dans la relecture de ses travaux pour les projets Shinrai et Agoras

La salariée n'établit pas autrement que par ses propres affirmations, contenues dans ses écrits ( rapport ou courriels ou lettres adressées à sa hiérarchie ou son médecin), l'existence d'abus dans la relecture de ses travaux par M. [C], notamment son attitude 'humiliante' lors d'envoi de document 'en boucle ouverte' ou des pressions pour que le texte de la salariée soit ' idéologiquement réorienté '.

Pas davantage la salariée ne produit de pièces établissant le ' contrôle tatillon et excessif' de son supérieur hiérarchique et son agressivité lors qu'ils étaient seuls, ces allégations étant dépourvues d'offre de preuve.

En outre, s'il n'est pas contesté par l'employeur que les délais de relecture des travaux étaient longs, la salariée ne justifie pas qu'elle était seule concernée par cette situation, alors que cela résulte des modes opératoires propres à l'Irsn, ce que confirme M. [X], chercheur au CNRS, notamment pour des publications en partenariat (pièce n° 43 de la salariée).

Il ne ressort pas de ce témoignage de ce chercheur extérieur à l'Irsn que le retard de remise de la note est imputable uniquement à M. [C] ni que cela caractéristie un abus de ce dernier à l'encontre de la salariée, M. [X] relève en revanche les tensions nées entre M. [C] et la salariée sur la réalisation de ce travail.

Mme [EF], enseignante-chercheuse, confirme ensuite que la note de cadrage du projet Agoras a pris un retard d'une année sans imputer cette situation à M. [C] mais invoquant davantage les procédures internes de l'Irsn (pièce n° 108 de la salariée), ce qui ressort également du témoignage de Mme [A].

Mme [I], chercheuse au Cnrs, confirme également avoir rencontré des difficultés avec l'Irsn, et que M. [C] a demandé à voir toutes les retranscriptions d'entretiens des intervenants. Elle relate que cela dénote la profonde incompréhension par ce dernier des méthodes de recherche.

Mme [FF], directrice de la stratégie chez Axa et chercheuse au au centre de [11] entre 2011 et novembre 2014, ayant collaboré au projet Agoras, témoigne que M. [C] ' a imposé des coupes dans le rendu final, avant diffusion, sur lequelles je n'étais pas à l'aise en tant que chercheuse, car il modifiait les analyses', confirmant ainsi que cette pratique n'était pas uniquement réservée à la salariée mais qu'elle est commune à toutes les personnes qui interviennent à la rédaction et publication d'écrits dans lequel l'Irsn est également intervenant.

Mme [FF] a d'ailleurs conclu ses propos en ajoutant qu'elle a mis fin à tout échange professionnel avec le laboratoire SHSS de l'Irsn.

Dans sa soutenance de son rapport de thèse du 31 janvier 2022 devant l'école doctorale de [10], et le centre de [11], Mme [W], indique à propos des échanges des différentes instances que ' les échanges ont donné lieu à des désaccords profonds autour des objectifs et critères épistémiques des recherches en SHS[sciences humaines et sociales]. (..)

Ces échanges ont donné lieu à des tentatives d'influence et de contrôle de la part des services de l'Irsn du contenu des recherches aussi bien des chercheurs internes de l'Irsn que des chercheurs intégrés aux institutions présentes dans le projet. Cela a concerné le cadrage des questions de recherche en amont (...) mais surtout a donné lieu à des relectures et commentaires de la part des représentants de l'Irsn sur les communications et projets de publication réalisés par les chercheurs et doctorants sur le projet.' (Pièce n° 96 de la salariée).

Par ailleurs, si dans un courriel du 17 décembre 2019 la salariée indique à un collègue que son rapport est 'toujours en cours de relecture par M. [C]', elle ne donne pas d'élément permettant de connaître le calendrier provisionnel de ce projet (pièce n° 91de la salariée).

Dès lors, la salariéen'établit pas 'les abus de M. dans la relecture de ses travaux pour les projets Shinrai et Agoras.

- les propos dégradants, humiliants et rabaissants de M. [C]

M. [X], témoin précédemment cité, atteste avoir ' pu constater avec mes collègues à quel point la situation devenait de plus en plus intenable, pour elle [la sallariée]au fil du temps. Les humiliations et brimades se multipliaient, parfois mesquines, toujours injustifiées(au sens propre). Les comportements de sa hiérarchie lors de nos réunions nous mettaient mal à l'aise, car même si nous exprimions un soutien de fond, il nous était rétorqué que nous n'avions aucun mot à dire sur une affaire purement interne, qui relevait des règles de relecture propre à l'IRSN. J'ai été témoin des effets délétères de cette situation sur la santé de [D] [O]. Dans ces conditions, j'ai à titre personnel décidé de mettre fin à toute coopération institutionnelle avec l'IRSN.(pièce n°43)', la cour relevant que le témoin invoque en réalité une attitude de la hiérarchie de la salariée, sans citer M. [C].

En revanche, Mme [J], doctorante, qui a travaillé avec la salariée sur le projet Shinraï en qualité de consultante, témoigne que ' Suite à ce désaccord [ au sujet du projet Shinrai], Monsieur [C] est devenu méprisant, irrespectueux et autoritaire envers l'équipe et a adopté un comportement de plus en plus tyrannique envers Madame [O]. J'ai ainsi été témoin à plusieurs reprises, d'un comportement odieux et abusif de Monsieur [C] à l'encontre de Madame [O]. Par exemple, il lui coupait la parole constamment pendant des réunions, il lui a même une fois interdit de prendre la parole dans une réunion sur le projet Shinrai dont elle était pourtant la représentante et la coordinatrice. Dans cet instant, j'ai senti qu'il essayait de l'humilier ou de montrer qui était le chef en tentant de la rendre insignifiante devant les partenaires du projet. Je me sentais très mal à l'aise et l'ai trouvé insupportable.' (Pièce n° 40 de la salariée).

Mme [FF], également précédemment citée, confirme qu'elle a ' pu assister à différentes réunions en présence de [D] [O] (...) [Y] [C](...). Au cours de ces réunions, [Y] [C] pouvait employer un ton parfois humiliant et autoritaire vis-à-vis de [D] [O] lorsqu'il manquait d'arguments sociologiques ou anthropologiques. J'ai pu constater que cela mettait [D] [O] sous stress. Je me souviens qu'elle avait très fréquemment des migraines après ces réunions de travail.'.

Toutefois, les témoignages de ces seules personnes, extérieures à l'Irsn, et qui d'ailleurs ont vivement critiqué l'institut, sont exprimés en termes généraux et imprécieux, ne précisant pas la teneur des propos tenus, qui ne peuvent donc être caractérisés de dégradants, humiliants et rabaissants, le seul fait de couper la parole à la salariée lors d'une réunion ne pouvant s'y rapporter.

Le fait tiré des 'propos dégradants, humiliants et rabaissants de M. [C]' n'est pas établi.

- des refus répétés à sa demande de participer à certains événements, notamment des colloques ou projets d'envergure comme intervenante ou même simple participante, de publier des articles de la salariée 'sans aucun motif légitime'

La période pendant laquelle Mme [O] a été consultante n'est pas concernée dès lors qu'elle n'était pas encore salariée et intervenait à son gré dans le cadre d'une prestation externe.

En revanche, Mme [N], retraitée de l'Irsn depuis janvier 2018 en qualité de senior expert, atteste ' avoir subi les mêmes harcèlements de la part de M. [C]' et relate que ' ils [ cf les hommes de l'Irsn] n'ont pas supporté, alors qu'ils préfèrent les femmes qui ne disent rien et sont de braves exécutantes ( qu'elle-même puis la salariée aient) une perception différente des enjeux importants et de l'accident de Fukushima'.

Le témoin précise notamment que M. [C] a refusé que la salariée présente son travail à l'occasion de l''International experts meeting on radiation protection after the Fukushima Daiichi nuclear Power Palnt' accident en février 2014, le témoin étant invité à sa place en qualité d'expert et ajoute que la salariée 'a évoqué à plusieurs reprises' ne pas avoir pu se rendre à des colloques à la suite du veto de M. [C], que le reproche majeur fait à la salariée est que les résultats de son travail ne sont pas ' dans la ligne du parti' (sic) ou qu'ils sont ' anti nucléaires, et que l'incompréhension des enjeux de la recherche est hélas typique d'une personne comme M. [C] (lui-même étant chef de laboratoire sans être chercheur)'.

Il ressort du témoignage de Mme [N] qu'elle disposait d'une expérience certaine, d'une ancienneté et d'une position hiérachique dont ne bénéficiait pas la salariée et qui a motivé sa désignation à la place de Mme [O] pour se rendre à ce colloque.

Mme [J], témoin précédemment citée, relate ainsi : ' Je peux également témoigner que Monsieur [C] a empêché Madame [O] d'intervenir dans plusieurs conférences académiques destinées à présenter les résultats du projet Shinrai, y compris celles organisées par [10], le partenaire du projet. Cette situation entraînait des soucis de santé importants chez Madame [O] (anxiété, dépression) que j'ai personnellement constaté.'.

Mme [G], post-doctorante de l'Université [7], confirme qu'elle a constaté que M. [C] n'a pas autorisé la salariée, alors responsable scientifique du projet Shinrai, à venir présenter les résultats du projet lors des journées doctorales organisées par '[10]' à [Localité 6] en septembre 2017, puis à présenter un travail de recherche mais aussi à participer au colloque international intitulé 'Revisiting The Nuclear Order Technopolitical Landscapes and Timescapes' organisé par l'Institut d'[5] de [Localité 8] en juillet 2018, la salariée ayant a dû déposer deux jours de congé pour venir écouter ce colloque.

Ce témoignage d'un chercheur totalement étrangers au l'Irsn n'établit pas que M. [C] a empêché la salariée de participer à ces événements sans motif légitime.

En effet, d'abord, par courriel du 8 avril 2018, il s'agit de Mme [K], directrice du pôle surêté nucléaire de l'Irsn, supérieure hiérarchique de M. [C], qui n'a pas autorisé la salariée à participer au whorkshop [Localité 8] [Localité 12] auquel elle avait assisté l'an passé sur ses congés (pièce n° 60 de la salariée). Toutefois, Mme [K] a précisé dans son message que ' Il me semble que le sujet que tu proposais d'aborder lors de ce workshop (...) n'est pas sans lien avec tes activités à l'Irsn (...) Je ne considère donc pas avoir refusé ' une présention de travaux réalisés en dehors de |[ton] travail à l'Irsn' mais au contraire une présentation de travaux pour lesquels tu mobilises inévitablement des connaissances acquises dans le cadre de tes missions à l'Irsn.'.

Par courriel du 13 avril 2018, Mme [T], chef de service PSN-SNRDS de l'Irsn, a fait part à la salariée de son avis défavorable en raison de son plan de charge en cours pour effectuer une présentation dans le cadre du projet Shinrai lors d'un colloque, pour lequel elle avait reçu une sollicitation de l'Autorité de Sûreté Nucléaire, ajoutant que Mme [K] a confirmé cette position.

Dès lors, la cour relève que la salariée qui invoque le refus de ' sa hiérarchie' au soutien de son moyen tiré du refus de participer à des événements, se prévaut toutefois d'un harcèlement moral exercé à son encontre uniquement par M. [C].

En tout état de cause, les supérieurs hiérarchiques de M. [C] ont donné un motif légitime justifiant leur refus d'autoriser la salariée a participé aux événements alléguées, comme cela ressort des pièces communiquées par la salariée.

Pour l'année 2019, la salariée invoque des refus de sa hiérarchie de participer à des colloques en produisant des attestations de Mme [A], M. [X], Mme [EF], témoins déjà cités, qui ne sont pas des salariés de l'Irsn, ne rapportent que les propos tenus par la salariée sur le motif du refus de sa hiérachie, et n'établissent pas que M. [C] en soit personnellement l'auteur.

Enfin, la salariée ne conteste pas qu'elle a effectué 65 déplacements entre septembre 2012 et novembre 2019, dont 25 en Europe ou dans le monde, y compris en 2019.

S'agissant du refus de publication de travaux, la salariée vise de nouveau la pièce 46 qui concerne ses contrats de prestations avant son recrutement par l'Irsn, ce qui n'apporte aucun élément sur la période relative à la relation employeur/salariée et les faits du 8 avril 2018 précédemment invoqués.

Si la salariée invoque l'absence de publication de ses réflexions à propos d'une de ses recherches ' post Fukushima' lors d'une invitation à un colloque en 2014, la salariée indique elle-même qu'il s'agit d'une politique de l'entreprise, la publication finale de l'Irsn étant intervenue en 2019.

Mme [A] témoigne de ce que la salariée a remis à sa hiérarchie un projet d'article pour relecture en 2019 destiné au colloque final du projet Agoras mais qui lui a été refusé, le témoin indiquant que ' en ce faisant, la hiérarchie IRSN a commis une des pires fautes de déontologie scientifique presque équivalente à la falsification des données car c'est une falsification par omission'.

M. [X] ajoute en complément que ' suite à la rédaction de cet article, la hiérarchie de Mme [O] ( M. [C] en particulier) a estimé que l'article ne pouvait être présenté et lui a refusé de participer au colloque'.

Il s'ensuit que les deux témoins invoquent une position de l'Irsn et non une décision prise par M. [C] seul.

D'ailleurs, la salariée reproduit dans ses conclusions la réponse de Mme [T], chef de service de l'Irsn, qui indique avoir pris connaissance de l'article de la salariée, et qu'elle ne peut ' accepter sa publication compte tenu du parti pris, qui, comme nous l'avons indiqué lors de nos échanges du 2 septembre, ne relève pas du rôle et des missions de l'Irsn.'.

S'agissant de l'article ' annales mines', après relecture, il a été autorisé à être publié par la hiérarchie de la salariée, M. [P](pièce n° 95 de la salariée).

Dès lors, la salariée n'établit pas l'existence de refus répétés de participer à certains événements, notamment des colloques ou projets d'envergure comme intervenante ou même simple participante, de publier des articles, sans aucun motif légitime et de la part de M. [C], voire de toute sa hiérarchie.

II - sur les alertes récurrentes de la salariée

La salariée établit avoir :

- alerté le 16 avril 2013 de ses difficultés à s'adapter au management de son supérieur hiérarchique, M. [C], confirmé par courriel du 6 mai 2014,

- fait un signalement au médecin du travail du 15 février 2016 pour dénoncer le harcèlement moral de M. [C],

- indiqué à l'employeur par courriel du 10 mars 2016 qu'elle a alerté le médecin du travail,

- eu un malaise sur son lieu de travail le 1er décembre 2017 au cours d'une réunion, avoir été raccompagnée à son domicile et avoir rencontré le médecin du travail,

- indiqué dans l'espace ' commentaire' de ses entretiens d'évaluation que ses relations avec M. [C] étaient tendues (en 2014) ayant des répercussions sur son état de santé (en 2016), la salariée n'ayant pas communiqué les entretiens de 2017 et 208 et n'ayant pas dénoncé de harcèlement moral lors du dernier entretien tenu le 31 juillet 2019,

- alerté le médecin du travail de sa souffrance au travail le 30 janvier 2018 lors d'une visite.

La salariée a donc dénoncé directement à l'employeur la pression alléguée par M. [C] dès 2013 jusqu'en 2016, et a eu un malaise pendant une réunion en 2017.

Les faits sont établis pour ces périodes.

Quant à la dégradation de son état de santé, outre les alertes au médecin du travail comme indiqué précédemment, la salariée produit des courriels des témoins déjà cités qui font état de son stress et son mal-être lui occasionnant des migraines et un malaise, un arrêt de travail à la suite de son malaise, un arrêt de travail du 18 au 25 septembre 2017 puis des arrêts de travail par intermittence en janvier, février et avril 2020, les attestations du médecin traitant, qui certifie avoir prescrits ces arrêts de travail et des anxiolytiques 'à cause d'une souffrance mentale que la patiente attribue à des maltraitances liées à son travail' et du médecin en pathologie professionnelle, qui établissent une détérioration de l'état de santé de la salariée à compter de l'année 2014.

En définitive, seul demeure établie l'existence des alertes récurrentes de la salariée à l'employeur, ce qui, à lui seul, est insuffisant, même en tenant compte de l'état de santé de la salariée, à laisser supposer l'existence d'un harcèlement moral ou managerial dont se prévaut la salariée, ajoutant qu'elle en a souffert, mais d'une différence de conception qui a été abordée directement avec la salariée dès son arrivée et tout au long de la relation contractuelle.

Par voie de confirmation du jugement, il convient de débouter la salariée de sa demande dommages-intérêts pour harcèlement moral.

Sur l'obligation de sécurité

L'obligation de prévention des risques professionnels et du harcèlement moral, qui résulte des articles L. 1152-4 du code du travail, L. 4121-1 du même code, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1389 du 22 septembre 2017, et l'article L. 4121-2, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, est distincte de la prohibition des agissements de harcèlement moral instituée par l'article L. 1152-1 du code du travail et ne se confond pas avec elle.

S'agissant de la violation de l'employeur à l'obligation de sécurité qui lui incombe, il a été précédemment établi que la salariée lui a adressé plusieurs alertes, la salariée invoquant la réponse inadaptée apportée par l'employeur.

Toutefois, l'employeur a mis en place dès 2016 une médiation que la salariée n'a pas poursuivie et M.[R], retraité et en position hiérarchique par rapport à la salariée entre 2012 et 2018, atteste des grandes compétences professionnelle de la salariée et de ce que les relations avec elle 'ont toujours été cordiales et de confiance même s'il a fallu faire parfois user d'autorité. (...) J'ai été cependant attristé de voir peu à peu les relations se tendre entre Mme [O] et son responsable hiérarchique, M. [C].(...)Une part notable des conflits concernait le projet Shinrai, projet qui a suscité beaucoup d'intérêt au sein de l'Irsn (...) J'ai eu en 2016 à prendre connaissance des tentatives de médiation avec une personne tiers (...) Et de participer à un entretien avec elle, et en présence de Mme [O] et M. [C]. J'ai été surpris que la médiation conduise à la conclusion d'insubordination et que je n'avais pas constaté par ailleurs(...).'.

Toutefois, les séances de médiation n'ont pas été organisées par l'employeur mais par une psychologue indépendante, de sorte que leur contenu n'appartient qu'aux parties qui la suivent et leur conclusion ne sont pas connues.

Par ailleurs, après l'arrêt de la médiation à la demande de la salariée, l'employeur a proposé sa reprise en avril 2017 et a nommé en 2018 un adjoint à M. [C], limitant les interactions directes avec la salariée.

L'employeur verse aux débats les fiche d'aptitude médicale de la salariée en 2013, en juin 2015, en janvier 2016, en janvier 2017 à la suite d'une visite intermédiaire, et le 30 janvier 2019, ces fiches ne faisant mention d' aucune restriction.

Dès lors, l'employeur justifie avoir pris en compte les alertes de la salariée, laquelle n'établit pas l'existence d' un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, la dégradation de sa santé ne caractérisant pas à elle seule le manquement allégué.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la salariée de sa demande de dommages-intérêts à ce titre.

Sur le licenciement

Sur la nullité du licenciement

La salariée, qui se prévaut du harcèlement moral, qui n'a pas été précédemment retenu, pour invoquer la nullité du licenciement et de la violation de sa liberté d'expression, fait valoir à ce titre que l'Irsn ne fournit aucun élément permettant de caractériser le comportement et des propos abusifs, déplacés et fautifs qui lui sont reprochés et susceptibles de motiver son licenciement. Elle explique que le fait de la licencier au motif qu'elle aurait exprimé, sans excés, un désaccord, a fortiori, dans un milieu où l'échange intellectuel est habituel, est incontestablement une atteinte intolérable à sa liberté d'expression et son indépendance.

L'employeur réplique que Mme [O] feint de ne pas comprendre que son statut de salariée implique l'existence d'un lien de subordination et qu'elle a adopté un comportement conflictuel. Il précise que la salariée, dès son embauche, puis à de nombreuses reprises, a été alertée sur son comportement par sa hiérarchie mais qu'elle a persisté dans son comportement conflictuel et irrespectueux vis à vis de sa hiérarchie, ce qui a conduit à son licenciement.

**

En application des dispositions de l'article L. 1235-3-1 du code du travail, l'article L. 1235-3 n'est pas applicable lorsque le juge constate que le licenciement est entaché d'une des nullités prévues au deuxième alinéa du présent article, le 1° étant relatif à la violation d'une liberté fondamentale. Dans ce cas, lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l'exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l'employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Sauf abus, le salarié jouit dans l'entreprise et en dehors de celle-ci de sa liberté d'expression à laquelle seules les restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées. La liberté d'expression du salarié, dans et hors de l'entreprise, trouve sa limite dans la caractérisation d'un abus, constitué par des propos injurieux, diffamatoires ou excessifs. La qualification de termes injurieux, diffamatoires ou excessifs caractérisant l'abus dans l'exercice de la liberté d'expression tient compte des circonstances dans lesquelles les propos litigieux ont été tenus.

L'existence d'un dénigrement de l'employeur doit être caractérisé par l'emploi de propos injurieux, diffamatoires ou excessifs, constitutif d'un abus dans la liberté d'expression (cf Soc., 7 mai 2024, pourvoi n° 22-18.699).

Par ailleurs, l'expression d'un salarié ne se résume pas aux seuls propos qu'il peut tenir mais peut également résulter de son comportement, de ses attitudes ou de ses réactions.

Afin de déterminer si le licenciement a sanctionné un exercice non abusif par la salariée de sa liberté d'expression, il convient d'examiner l'ensemble des motifs invoqués dans la lettre de licenciement.

Au cas présent, la lettre de licenciement invoque une insubordination récurrente de la salariée avec une défiance vis-à-vis de sa hiérarchie, un comportement inadapté à l'encontre de son entourage professionnel, nuisant au bon fonctionnement et à l'image de votre unité et de l'Irsn, la contestation des positionnements de l'Institut et la remise en cause des processus internes, la salariée ayant, à nouveau plusieurs mois avant la rupture, une attitude négative et un mode de communication oppressant et dénigrant, notamment lors de la réunion du 3 décembre 2019.

Pour établir les griefs allégués, l'employeur produit les éléments suivants relatifs à la journée du 3 décembre 2019 :

- le courriel de Mme [K] du 13 janvier 2020 adressé à M. [P], adjoint de M. [C], lui indiquant que plusieurs personnes lui ont fait part oralement du comportement parfois irrespectueux de la salariée, et lui demandant de lui faire part par écrit des éléments factuels dont il a été témoin direct et de ce qu'il considère comme étant un comportement inadapté de la salariée.

- le courriel en réponse de de M. [P], confirmé ensuite par attestation, qui relate à Mme [K] que, d'après lui, la salariée a adopté un comportement inapproprié lors de la réunion de laboratoire le 3 décembre 2019 en ce qu'elle ' est arrivée avec 20 minutes de retard (...), s'est vivement opposée aux sciences de gestion, à l'ergonomie, voire à la microsociologie du travail, qui selon elle, n'ont pas une posture assez critique, manquent de recul (...)'.

Le témoin indique que la salariée avait adopté le même comportement lors d'une réunion tenue la veille, que la salariée a ensuite 'manisfesté du dédain lors de la présentation d'un de ses collègues par une dénégation de la tête, haussement de sourcils, rictus narquois... après la réunion plusieurs personnes ayant constaté cela m'ont dit avoir été choquées'.

Le témoin conclut qu'il a dû aller chercher la salariée pour la tenue de la seconde partie de la réunion, et qu'elle 's'est esclaffée plusieurs fois alors que M. [C] (...) s'exprimait , semblant ouvertement se moquer de lui en public.(...).'.

Par ailleurs, l'employeur produit également :

- l'observation du N+2 de la salariée dans l'entretien annuel d'évaluation de la salariée en juillet 2019 qui conclut faire le constat avec regret de la dégradation des relations entre la salariée et sa hiérarchie, notamment à propos de la stratégie de recherche du laboratoire et des projets que la salariée souhaitait mener en dehors des activités de l'Irsn, et indique qu'il ' attend que [la salariée] fasse le nécessaire pour respecter les arbitrages et les règles établies, la situation actuelle ne pouvant pas perdurer.',

- un courriel de M. [C] du 15 juillet 2019 relatif à la prise de fonction d'un collaborateur, courriel dont la salariée s'est moquée auprès de M. [P],

- la notification de la mise à pied disciplinaire d'une journée le 15 septembre 2017, l'employeur lui reprochant son insubordination pour avoir refusé de prendre en compte des demandes de M. [C], retardant la sortie d'un rapport, et pour avoir transmis à des tiers extérieurs l'intégralité d'échanges internes avec son supérieur hiérarchique,

- le courriel de M. [C] adressé le 9 juin 2017 dans lequel il indique qu'il a appris par des doctorants de l'Irsn que la salariée avait participé à un séminaire sans qu'il n'en ait été informé, et dans lequel il prend acte de l'arrêt de la médiation, à la demande de la salariée, et indique ' cette interruption signifie que j'arrête de faire des efforts pour gérer une situation, je n'en suis plus capable, cela fait 5 ans que ça dure sans changement, voire avec des comportements de plus en plus déviants par rapport au fonctionnement normal de toute entreprise',

- une lettre adressée par l'employeur à la salariée le 6 avril 2016 de rappel à l'ordre des règles qui s'impose à un chercheur de l'Irsn qui engage l'institut lors de publications scientifiques,

- un courriel d'excuses de M. [C] adressé le 11 juillet 2012 à des partenaires extérieurs en raison du ton adopté par la salariée dans un de ses messages, et qui indique qu'il souhaite que cet incident n'ait pas de conséquence sur leur collaboration, dans le cadre du projet Agoras.

L'employeur produit en outre toutes les évaluations de la salariée dans lesquelles ressortent un défaut de respect des règles, les divergences très importantes, précédemment relevées, entre la salariée et sa hiérarchie sur ses publications dès l'année 2014, entraînant une dégradation de l'ambiance de travail au sein du laboratoire et une mobilisation de ressources de management pour gérer les tensions, qui nuisent à l'avancement des travaux.

Lors de ces entretiens, la salariée a été alertée des difficultés relationnelles constatées et l'employeur lui a fixé des axes de progrès portant sur une meilleure fluidité de ses échanges avec sa hiérarchie, une formation pour 'renforcer la compréhension du positionnement au sein de l'Irsn' lui ayant également été proposée.

Enfin, l'employeur invoque :

- les propos tenus par la salariée les 5 et 12 mars 2020 devant la commission d'examen des licenciements et des mesures de discipline, le compte-rendu mentionnait notamment que ' La représentante de la CFE-CGC indique qu'elle se sent oppressée après avoir entendu les propos de Madame [O] et que son discours est agressif et violent (...) Le représentant de la CFDT fait remarquer que Madame [O] est passionnée mais qu'elle a une certaine rancoeur envers l'IRSN et il pense qu'elle n'est pas bien à l'IRSN compte tenu des propos qu'elle tient. Il se demande s'il ne vaudrait pas mieux que ses compétences soient utilisées en dehors de l'Institut (...) Il ajoute que les propos qu'elle a tenus sur l'utilisation de contacts extérieurs dans l'hypothèse où elle serait licenciée constituent une menace envers l'IRSN, ce qui n'est pas soutenable.'.

- le courriel du 9 septembre 2020 d'un membre de la commission qui a souhaité apporter des compléments d'informations et a indiqué ' Comme cela a été mentionné dans le PV, lors de la commission des 05 et 12/03/2020, Madame [O] a tenu des propos insultants à l'égard de ses collègues depuis ses collaborateurs jusqu'à son Directeur en passant par son chef de laboratoire et son chef de service. Sa stratégie personnelle de défense était axée sur l'agressivité, l'arrogance et la démonstration de force sans laisser la moindre place à l'apaisement et à la conciliation. Une alternative honorable lui a pourtant été proposée.

Elle a préféré « sacrifier » cette possibilité et critiquer vivement l'Institut dans son ensemble, remettre clairement en cause l'impartialité de l'IRSN assujetti à l'exploitant nucléaire. Elle a ensuite jugé utile de proférer des menaces à l'encontre de celle-ci en cas de licenciement(...) Elle a aussi fait jouer son réseau d'influence interne et externe à l'Irsn afin d'exercer des pressions, d'entraver le libre arbitre des participants à la réunion (...). ».

En définitive, il ressort de l'ensemble des ces éléments qu'a perduré pendant toute la relation professionnelle une discordance entre l'employeur et la salariée sur la liberté dont cette dernière se prévalait pour exercer son activité professionnelle d'ingénieure chercheuse, position qui n'a pas été acceptée par l'employeur, lui rappelant la neutralité attendue des travaux de l'Irsn et lui demandant de soumettre ses travaux, la salariée n'ayant jamais accepté cette position, comme cela ressort de tous les élements du dossier.

L'employeur caractérise l'insubordination réitérée de la salariée à plusieurs reprises nécessitant un encadrement très strict en dépit d'une lettre de rappel à l'ordre et d'une mise à pied disciplinaire, sans effet puisque l'employeur maintenait ses rappels lors de l'évaluation de juillet 2019. L'employeur établit une attitude méprisante de la salariée vis-à-vis de sa hiérarchie, notamment lors de la réunion du 3 décembre 2019, par ses 'dénégation de la tête, haussement de sourcils, rictus narquois' traduisant un comportement excessif, ainsi que la tenue de propos excessifs et menaçants à l'encontre de l'Irsn devant la commission d'examen des licenciements, de sorte que la mobilité interne envisagée lors de l'entretien préalable par l'employeur n'était plus possible.

Ces faits caractérisent un abus par la salariée de sa liberté d'expression dans le cadre de ces échanges et dans son comportement, ainsi que sa pratique professionnelle.

Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a débouté la salariée de sa demande de nullité du licenciement et de sa demande indemnitaire subséquente.

Sur le caractère réel et sérieux du licenciement

- sur le caractère tardif de la notification de la sanction

Aux termes de l'article L. 1332-2 du code du travail, la sanction ne peut intervenir moins de deux jours ouvrables ni plus d'un mois après le jour fixé pour l'entretien.

Selon l'article 4-402 de l'accord d'entreprise relatif aux conditions générales d'emploi au sein de l'Irsn,l'entretien préalable réalisé, la proposition de licenciement est ensuite soumise à la commission d'examen des licenciements et des mesures disciplinaires qui rend un avis, sous réserve de l'acceptation du salarié avant le prononcé du licenciement par le directeur général ou son représentant.

Selon l'article 2 de l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période, tout recours ou action en justice, prescrit par la loi ou le règlement à peine de forclusion, prescription, irrecevabilité, ou déchéance d'un droit quelconque et qui aurait dû être accompli pendant la période mentionnée à l'article 1er est réputé avoir été fait à temps s'il a été effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois ; conformément au I de l'article 1er de cette même ordonnance, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2020-560 du 13 mai 2020, les dispositions ci-dessus sont applicables aux délais et mesures qui ont expiré entre le 12 mars 2020 et le 23 juin 2020 inclus.

La salariée, qui invoque le caractère tardif de la notificationde la sanction privant le licenciement de cause réelle et sérieuse a été convoquée à un entretien préalable à une éventuelle mesure de licenciement qui s'est tenu le 10 février 2020. Elle a été convoquée devant la commission d'examen des licenciements et des mesures disciplinaires prévue par l'accord d'entreprise, qui s'est tenue les 5 et 12 mars 2020. Elle a été licenciée le 16 juin 2020.

L'ordonnance du 25 mars 2020 trouve ici à s'appliquer, même si elle ne vise pas expressément les notifications prévues aux termes d'un accord interne à un institut privé dès lors que la procédure conventionnelle de licenciement impose la tenue d'une commission préalable à la prise de décision de l'employeur.

Ainsi, le délai d'un mois pour notifier à la salariée le licenciement courrait à compter de la tenue de cette commission, dont la dernière réunion a eu lieu le 12 mars 2020, soit durant la période d'urgence sanitaire visée par l'ordonnnance du 25 mars 2020 précitée, de sorte que le licenciement, qui devait être notifié pendant la période mentionnée à l'article 1er de cette ordonnance, entre le 12 mars 2020 et le 23 juin 2020 inclus, est réputé avoir été fait à temps s'il a été effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois.

En conséquence, l'employeur qui justifie que le licenciement a été notifié le 16 juin 2020 à la salariée, soit durant la période du 12 mars 2020 et du 23 juin 2020, et avant l'expiration du délai imparti pour cette notification, a donc respecté les délais prévus par ce texte dérogatoire.

La notification du licenciement n'est donc pas tardive.

- sur le caractère tardif de la procédure disciplinaire

Aux termes de l'article L. 1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales.

Dès lors que les faits sanctionnés ont été commis plus de deux mois avant l'engagement des poursuites disciplinaires, il appartient à l'employeur d'apporter la preuve qu'il n'en a eu connaissance que dans les deux mois ayant précédé l'engagement de ces poursuites.

La prise en compte d'un fait antérieur à deux mois peut cependant intervenir pour fonder la lettre de licenciement si le comportement du salarié s'est poursuivi dans ce délai.

Au cas particulier, la lettre de licenciement invoque des faits qui sont reprochés à la salariée le 3 décembre 2019, soit dans le délai de deux mois précédant l'engagement de la procédure disciplinaire le 21 janvier 2020.

En conséquence les faits reprochés à la salariée ne sont pas prescrits. Étant de même nature, l'employeur était fondé à prendre en compte les faits antérieurs.

- sur le bien- fondé du licenciement

Il a été précédemment établi que l'employeur caractérise l'insubordination réitérée de la salariée à plusieurs reprises nécessitant une lettre de rappel à l'ordre et un mise à pied disciplinaire ainsi qu'une attitude méprisante et condescendante vis à vis de sa hiérarchie, notamment lors de la réunion du 3 décembre 2019 puisson dénigrement de l'employeur devant la commission d'examen des licenciements, de sorte que la mobilité interne envisagée lors de l'employeur n'était plus possible.

De l'ensemble de ces éléments, il résulte que c'est à juste titre que le premier juge a estimé établi le comportement de la salariée à l'égard de l'employeur et en a déduit que le licenciement était fondé sur une cause réelle et sérieuse.

En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la salariée de ses demandes de licenciement sans cause réelle et sérieuse et d'indemnité subséquente.

Sur les dommages-intérêts au titre des circonstances fautives ayant entouré la rupture

La salariée se prévaut de circonstances abusives du licenciement pour solliciter une réparation distincte en supplément de l'indemnité pour licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse, ce qu'elle n'établit pas faute de développer des moyens en droit et en fait à ce titre.

Il convient donc de confirmer le jugement qui l'a déboutée de sa demande de ce chef.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Il y a lieu de confirmer le jugement en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles.

Les dépens d'appel sont à la charge de la salariée, partie succombante.

L'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. L'employeur est débouté de sa demande à ce titre.

PAR CES MOTIFS:

La cour, statuant par arrêt contradictoire, en dernier ressort et prononcé par mise à disposition au greffe:

CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement,

Y ajoutant

DEBOUTE les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,

DIT n'y avoir lieu à application de l=article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE Mme [O] aux dépens.

. prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

. signé par Madame Aurélie Prache, Présidente et par Madame Dorothée Marcinek, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière La Présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : Chambre sociale 4-4
Numéro d'arrêt : 22/02172
Date de la décision : 31/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 11/08/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-31;22.02172 ?
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